Décodage
anthropologique de l'histoire
contemporaine
Une histoire raisonnée de la chute de
l'empire américain, 1945 - 2015
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 9 mai 2014
|
1 - La
civilisation des auréoles
verbales
2 - Chronologie et feuille de
route
3 - De 1945 à la chute du mur de
Berlin
4 - De 1989 à 2001
5 - Le mythe de la souffrance
rémunérée
6 - Du 11 septembre 2001 au 21
octobre 2013
7 - Le retour de la Sainte
Ampoule sur la scène
internationale
8 - D'octobre 2013 à
l'effondrement
9 - La descente aux enfers
10 - La contre offensive
11 - Une mutation des sciences
humaines
12 - Le 2 mai 2014
13 - La mécréance de la
géopolitique
14 - La nouvelle postérité du
Siècle des Lumières
15 - L'avenir de la politologie
|
La civilisation
des auréoles verbales
La chute de
l'empire romain ne s'était pas révélée
congénitalement parallèle à
l'effondrement du paganisme, le
polythéisme n'était pas mort de s'être
trouvé réfuté par la fatigue des
légions, la puissance politique
dominante n'était pas celle des croisés
d'une foi vibrante. Rien de tel avec
l'effondrement de l'utopie marxiste,
puis, avec la rouille de l'utopie
démocratique, qui ont trépassé
conjointement dans les décombres de
leurs ambitions nationales. Mais si seul
l'échec et militaire de leurs délires
respectifs les a fait tomber en
poussière, qu'en était-il de l'édifice
langagier sur lequel ces constructions
cérébrales s'étaient bâties?
Le débarquement
dans l'arène de la géopolitique
contemporaine des messianismes religieux
disciplinés d'autrefois et des
sotériologies idéologiques plus
flottantes conduit au décryptage
anthropologique des rêves sacrés et à
l'analyse critique du mythe plus récent
de la rédemption par la démocratie. Mais
une comparaison préalable des méthodes
de décodage des eschatologies
terrestres, d'un côté avec celles qui
président au déchiffrage des cosmologies
mythiques, donc censées transtemporelles,
de l'autre, s'impose d'emblée à une
anthropologie générale du fantastique
religieux et politique confondus, parce
que le naufrage, en 1989, du songe
marxiste renvoie à celui du fabuleux de
la délivrance démocratique du monde,
tellement les deux bannières flottent
sur le royaume d'un langage miraculé par
les prodiges et les prestiges de
quelques concepts subrepticement
totémisés. Ce langage dédoublé par le
merveilleux verbifique qui le mythifie
envahit la planète depuis 1945. Qu'en
est-il d'une Liberté auto-sanctifiée par
l'atlantisme.
L'analyse de la
logique interne pilotera la chute de
l'empire para-théologique américain nous
éclairera pas à pas sur la portée des
prolégomènes méthodologiques évoqués
ci-dessus.
2 - Chronologie
et feuille de route
Tout effondrement a
une histoire. Celui-ci aura connu quatre
étapes. La première course vers la
poussière s'est étendue de 1945 à la
chute du mur de Berlin en 1989, la
seconde ruée dans l'abîme nous conduit
de cet évènement hautement symbolique à
l'attentat, non moins symbolique, du 11
septembre 2001 sur le World Trade Center
de New York, la troisième débandade nous
prend par la main à partir de cet
électrochoc idéologique jusqu'à la
Révolution de Kiev, la quatrième
décomposition prend la relève de la
narration depuis la conquête de la
Crimée par la Russie en mars 2014
jusqu'aux évènements qui se déroulent
jour après jour sous nos yeux. Car, pour
la première fois depuis 1945, une
puissance mondiale, la Russie, défie le
temple et le tabernacle de la délivrance
américaine qu'illustraient côte à côte
le mythe et la doctrine démocratique, et
cela par la démonstration planétaire de
l'impuissance politique de cet
évangélisme du vocabulaire et de
l'exténuation de ses auréoles.
3 - De 1945 à la
chute du mur de Berlin
Les troupes
américaines avaient quasiment achevé de
se retirer des champs de bataille d'une
Europe ensanglantée lorsque, en 1949,
une nouvelle promesse de guerre
apostolique, celle du salut par la
médiation de la sotériologie marxiste -
cette annonciation de la délivrance
purifiante reposait sur l'abolition de
la propriété privée, donc pécheresse -
avait ramené dans l'arène le taureau de
l'évangélisme opposé, celui de l'hérésie
capitaliste. On croyait que l'Eden
soviétique était un Tamerlan de taille à
conquérir sans coup férir la planète des
glaives et de l'argent-roi associés,
alors qu'il s'agissait seulement de
l'extension, par la violence
révolutionnaire, du culte chrétien de la
pauvreté. L'athéisme marxiste paraissait
profaner les dogmes, les cuirasses et
les idéalités forgés sur l'enclume des
bénédictions chrétiennes, alors que sa
dialectique mettait le mythe en
pratique. Non seulement les masses
populaires, mais toute l'intelligentsia
semi-rationaliste de la civilisation
occidentale avaient fait du Gengis Khan
russe, un certain Joseph Staline,
l'idole dont la sainteté moustachue
appelait l'humanité à une prosternation
universelle. Face à la nouvelle
apologétique, les procès en
pestifération à l'encontre des damnés
reproduisaient fidèlement le modèle
inquisitorial inauguré par Saint Louis.
La chasse nouvelle
à la mécréance avait permis aux
Etats-Unis d'évangéliser l'Europe
entière sous l'emblème de la
vassalisation démocratique, celle de
Wall Street, dont le sénateur McCarthy
avait mis en place l'appareillage pénal.
En 1958 le Général de Gaulle était
revenu aux affaires. Il avait contraint
les garnisons américaines et leurs
encensoirs à se retirer du territoire
français au nom même de la liberté
démocratique et de ses idéaux, mais,
pour cela, il lui avait fallu attendre
la fin de la guerre d'Algérie, ce qui
avait prolongé l'occupation étrangère et
sa catéchèse jusqu'en 1962. La Maison
Blanche avait aussitôt éternisé son
quadrillage militaire du Vieux Continent
par le biais de traités
d'assujettissement bilatéraux,
perpétuels et dûment consentis par les
classes dirigeantes de l'époque, dont la
sujétion s'était durcie et consolidée
depuis 1945. Il avait suffi au Président
Kennedy de faire la tournée des
parlements nationaux du continent de
Copernic, les ciboires du mythe de la
Liberté à la main, pour vider de tout
son contenu le traité franco-allemand
conclu entre l'homme du 18 juin et le
chancelier Konrad Adenauer le 22 janvier
1963.
Mais la remise des
rênes de l'Allemagne démocratique à un
simple économiste, M. Erhard, auteur du
"miracle immobilier" d'une nation
désormais tronçonnée entre l'est et
l'ouest, s'était révélée tellement
catastrophique qu'on se souvenait, ici
ou là, du discours d'adieu au Bundestag
de Konrad Adenauer, qui avait suggéré
aux députés de leur propres candeurs que
les grands financiers se trouvent
rarement à l'aise dans l'arène aux
fauves où n'évoluent que les grands
carnassiers qu'on appelle les Etats.
Puis une Ve République orpheline de son
pendant berlinois avait vainement tenté
de redonner une impulsion politique et
stratégique à une Europe efflanqué,
hétéroclite et sapée de l'intérieur par
l'isolationnisme de l'Angleterre, qui
paralysait le continent au nom des
idéaux d'une démocratie soigneusement
régionalisée.
4 - De 1989 à
2001
A la suite de la
chute du mur de Berlin, la politique
eschatologique des messies de la Liberté
nous a légué un exploit diplomatique
tellement incroyable qu'il demeurera
unique dans les annales de l'humanité,
parce que la mémoire écrite du monde
n'en connaissait aucun précédent -
l'exploit immortel non seulement d'avoir
conservé la totalité des garnisons d'un
empire en armes sur toute la terre, et
cela nonobstant la chute du mur de
Berlin, donc de la défaite de l'ennemi
redoutable qu'on était censé combattre
depuis quarante ans, mais d'en avoir
renforcé le nombre et l'armement. Encore
de nos jours, leur masse s'élève à deux
cents sur le seul territoire allemand et
à cent trente sept sur le sol de
l'Italie de Cavour et de Garibaldi.
Le quartier général
de cette armée immense bivouaque au cœur
du Vieux Continent. Dans le même temps,
la Méditerranée est devenue une "mare
americanum". La vassalisation
des civilisations se mesure à l'absence
de stupéfaction de leurs élites
politiques devant le spectacle
hallucinant de leur réduction au
servage. Depuis près de sept décennies,
la classe dirigeante européenne garde un
silence indifférent ou joyeux. Et
pourtant, il a fallu doter le mythe du
salut par l'espérance démocratique d'une
théologie de la Liberté moins
tranquillisante que la précédente.
Quelles sont les armes mentales les plus
profondes, celles qui se sont inscrites
dans l'inconscient religieux du genre
humain depuis des millénaires?
5 - Le mythe de
la souffrance rémunérée
En vérité, toute la
science diplomatique des siècles
chrétiens était tombée dans
l'accoutumance au machiavélisme naturel
qui caractérise la légende du salut par
la médiation cruelle, mais censée
délivrante, d'un innocent livré à la
torture; et maintenant, le mythe de la
potence rédemptrice retrouvait sa
férocité originelle - la démocratie
tentait d'intégrer à la politologie des
gibets les sanglants paramètres que
charrie l'ère post-chrétienne des
supplices salutaires. Depuis l'avènement
des nombreux monothéismes rémunérateurs
issus du modèle égyptien, le psychisme
simiohumain s'alimente principalement
d'un culte de la souffrance payante.
En 1989, il était
devenu évident depuis fort longtemps que
le besoin de s'auto- vassaliser sous le
sceptre mi édénique mi infernal d'un
souverain mythique du cosmos avait
transporté ses prestiges et ses
épouvantes sur toute la terre. Mais,
pour dissimuler une plaie cérébrale
aussi profonde, il fallait le contre-feu
d'une terreur encore mal identifiée et
pourtant connue depuis le manichéisme de
la Perse, celle d'un danger de mort non
seulement imminent, mais aussi vaporeux
et fantasmatique que celui du démon du
Moyen-âge. Bien que le marxisme
soviétique eut trépassé, il se laissait
métamorphoser dans les esprits en un
satanisme aussi immanent à l'histoire du
monde et omniprésent que le précédent.
Les effluves originels de l'effroi
avaient été retrouvés : on donnerait au
Mal - plus armé que jamais de sa
majuscule théologale - les attraits d'un
épouvantail universel. Le 11 septembre
2001, cette construction terrorisante
s'est trouvée percutée dans sa foi en
l'immortalité de son règne - car
l'épouvante a perdu de son aura
apocalyptique avec la démonstration de
la vulnérabilité immobilière du géant de
la damnation et de la grâce américaines.
Comment requinquer une foudre amortie
sur le béton d'un building?
6 - Du 11
septembre 2001 au 21 octobre 2013
La religion d'un
salut de l'humanité à conquérir sous la
bannière d'une Liberté politique à la
fois mythifiée et armée jusqu'aux dents
- si vis democratiam, para bellum
- n'a subi qu'une modification psychique
partielle aux yeux des anciens
connaisseurs du langage sotériologique
dont use la Démocratie universelle;
mais, aux yeux des anthropologues
d'avant-garde et de leurs analyses du
sacré simiohumain, il s'agissait d'une
révolution cérébrale fatalement appelée
à se produire à telle étape précise et
non à telle autre de l'évolution
cérébrale du mythe; et la nouveauté de
cette révolution ne sera décryptée qu'à
la lumière d'une histoire de l'évolution
de la boîte osseuse du simianthrope.
Car, d'un côté, le
rêve d'une Liberté sotériologisée se
trouvait maintenant attaqué
physiquement; mais, de l'autre, la
vulnérabilité d'une rédemption
ridiculement illustrée par
l'effondrement d'un building donnait au
songe démocratique fragilisé des moyens
eschatologiques nouveaux et tout
corporels d'allonger ses antennes sur la
terre. On sait que toute religion
contrainte à la défensive renforce son
système immunitaire endormi. C'est ainsi
que la foi en un langage mythifié a pu
mettre sur pied une police de son
ubiquité dont l'œil de lynx
surveillerait à la loupe la masse
immense des habitants de la planète et
souderait beaucoup plus étroitement que
précédemment l'expansion catéchétique de
son récit fondateur d'un côté, à son
expansion armée de l'autre.
La préparation des
esprits à cette collusion entre les deux
sotériologies était déjà tellement
avancée qu'aucun Etat n'a jugé peu
conforme au droit international qu'une
nation puissamment cuirassée se ruât sur
quelques arpents à seule fin de capturer
un assassin. Au contraire, le grotesque
de cette disproportion stratégique a
déclenché des applaudissements
universels. Du reste, le fuyard
satanique sera assassiné à son tour le 2
mai 2011, soit dix ans plus tard et sous
l'œil attentif d'un Président des
Etats-Unis démocratiquement entouré de
tout son gouvernement, puisque la
contemplation télévisuelle de l'histoire
de la Liberté jouit désormais de
l'ubiquité du regard autrefois réservé à
l'omniscience des divinités.
Mais la scission
entre les motivations d'un mythe appelé
à faire figure de justicier à l'échelle
du globe terrestre, d'un côté, et ses
visées transtemporelles de l'autre se
trouvaient désormais filmées et exposées
à tous les regards. On savait que la
cause réelle de la chasse au Ben Laden
microscopique d'ici bas résultait
exclusivement de ce qu'un l'Afghanistan
profanateur avait refusé tout net le
passage d'un oléoduc américain sur son
sol. Du reste, moins de deux ans plus
tard, en 2003, le surnaturel de type
démocratique transportait avec armes et
bagages son langage rédempteur en
l'Irak. Les sacrilèges et les blasphèmes
d'un démon de passage, un certain Saddam
Hussein, y faisait de grands ravages. On
sait que la France, qui avait applaudi à
tout rompre l'offensive précédente du
mythe du Beau, du Bien et du Juste en
Afghanistan et s'était voulue en
croisade aux côtés de la Démocratie
mondiale indignée, s'était, cette
fois-ci, tout soudainement assagie et
l'on a vu l'évangélisme américain se
passer tout subitement de la bénédiction
de la conscience universelle
qu'illustrait jusqu'alors l'autorité
morale insurgée de l'Assemblée des
Nations Unies.
7 - Le retour de
la Sainte Ampoule sur la scène
internationale
Dans le même temps,
le culte de la Sainte Ampoule - celle
d'une Liberté souveraine, égalisatrice
et justicière - s'est trouvée illustrée
par une caricature de tous les missels
et bréviaires de la démocratie mondiale
de l'abstrait: une fiole remplie d'un
liquide irakien mystérieux était censée
exploser et anéantir le globe terrestre
en quelques instants. Certes, ce ne fut
pas à un dignitaire chamarré de l'Eglise
de la Liberté que fut confiée la charge
de brandir cette miniature d'apocalypse,
mais à un général américain habilement
choisi dans la négritude galonnée.
Quelques années plus tard, ce
prestidigitateur allait confesser sa
honte et sa repentance en public, mais
la preuve avait été définitivement
apportée à la nouvelle science
anthropologique du sacré et du sanglant
concoctés en laboratoire que les
carnages sanctifiés traversent les
siècles et viennent envahir les
civilisations trop superficiellement
construites sur des ressorts pseudo
iréniques.
Et pourtant, à
partir de 2001 jusqu'aux évènements de
Kiev de 2013, la démocratie apostolique
et carnassière a donné des signes de
fatigue tellement évidents et même
d'épuisement de sa catéchèse qu'il
convient de commenter une accélération
subite de l'évolution du cerveau
onirique de la bête évolutive. Car elle
se scinde de moins en moins entre les
salissures du réel et des concepts
immaculés. Mais ces développements du
rationnel et de l'irrationnel
s'inscrivent tellement dans le récit au
jour le jour des événements que je
préfère les exposer à l'école de la
simple narration.
8 - D'octobre
2013 à l'effondrement
On sait que
l'intervention conjointe du pape
François et de M. Vladimir Poutine en
Syrie a marqué un tournant dans
l'histoire infernale et angélique du
cerveau de la planète des séraphins en
armes; pour la première fois, le Vatican
mettait un Poverello pensant au timon
des affaires sanglantes du monde, ce qui
ressourçait vingt siècles de la
théologie de la guerre dans une optique
d'anthropologue de l'évolution de la
bête scindée entre ses glaives et ses
ciboires.
J'ai relaté à
plusieurs reprises les premiers pas de
la distanciation nouvelle du regard de
leur raison que les simiohumains sont
appelés à porter sur l'encéphale des
évadés d'hier et d'aujourd'hui de la
zoologie. Mais aujourd'hui, la question
des poignards et des croix est devenue
tout autre: c'est une spectrographie
documentée de la chute du mythe de la
Liberté dans les revanches à venir du
temporel qu'il s'agit d'esquisser.
Dans cet esprit il
convient de souligner en tout premier
lieu la pauvreté intellectuelle, la
maladresse politique et la faiblesse
méthodologique des théologiens et des
théoriciens actuellement en
apprentissage du messianisme
démocratique américain. Premièrement,
s'il s'agissait de mettre le mythe de la
Liberté à l'épreuve de l'expérience du
monde réel, il ne fallait pas choisir un
échiquier politique aussi minable et
inapproprié à la démonstration que celui
de l'Ukraine de l'Ouest, tellement cette
partie du pays est condamnée à sombrer
dans un endettement vertigineux et dans
une corruption incurable. Secondement,
une diplomate américaine plus ignorante
de la nature anthropologique des rêves
religieux qu'un pasteur de village, Mme
Nuland, a révélé - à son corps défendant
et seulement pour avoir été mise sur
écoutes par les services secrets de la
Russie - que l'Amérique avait déboursé
cinq milliards de dollars aux fins de
déclencher la course des Uniates de
l'endroit vers une Europe mythologisée
sur la meule des idéalités de la
démocratie mondiale. Puis la mise sur
écoutes téléphoniques de Mme Ashton -
une Anglaise censée piloter la
diplomatie d'un continent fantomatique -
a permis de découvrir que des
mercenaires stipendiés par les
Etats-Unis avaient fait feu
conjointement sur la foule et sur la
police afin de provoquer le mouvement de
foule indispensable au déclic idyllique
des Révolutions.
Mais comment des
magiciens et des techniciens des rouages
et des ressorts verbaux du mythe de la
Liberté ont-ils pu allumer la mèche du
sacré abstrait à deux pas du Kremlin?
Les historiens des vapeurs cérébrales
qui montent des autels de la Démocratie
planétaire découvriront, dans les
archives de la Maison Blanche, que
l'ex-président de la Commission des
affaires étrangères du Sénat, M. Biden -
devenu le vice-Président actuel des
Etats-Unis - avait paru initier un M.
Barack Obama néophyte aux secrets les
mieux gardés de la diplomatie du concept
de Démocratie. Selon le même M. Biden,
la Russie était à genoux et il était
temps d'en profiter.
Mais la défense des
avant-postes du mythe allait bientôt
condamner la Maison Blanche à confesser
à ses vassaux tout apeurés: "Mes
enfants, je ne puis, à moi seul et de si
loin, ni étrangler l'économie de la
Russie, ni la châtier d'avoir reconquis
la Crimée. L'heure a sonné au clocher de
la démocratie d'édicter des sanctions
vigoureuses contre ce mécréant. Le ciel
de la Liberté vous demande de prendre la
charge du salut du monde sur vos seules
épaules et de promulguer, toutes
affaires cessantes, l'extension des
droits de l'homme à toute la terre
habitée."
9 - La descente
aux enfers
La chute accélérée
de l'empire américain n'est pas résultée
d'un ultime sursaut de fierté des
Européens - ils étaient asservis de
l'intérieur depuis près de soixante-dix
ans - mais de l'instinct de conservation
des industriels et des commerçants
allemands, qui ne voulaient ni mettre un
terme brutal aux relations économiques
privilégiées de l'Europe tout entière
avec le Kremlin, qui s'élevaient à
quatre cent cinquante milliards de
dollars annuels, ni hospitaliser à leurs
frais un infirme criblé de dettes et
tombé entre les mains pourrissantes de
puissants oligarques. Bientôt, et pour
la première fois depuis 1949, une
politique économique ambitieuse
interdisait aux classes dirigeantes d'un
Continent pourtant domestiqué jusqu'à
l'os de ruiner l'économie de leurs
propres nations.
La preuve que,
sitôt devenus planétaires, les mythes
ont également besoin du soutien empressé
d'un armement mondial, avait été
confirmée de 1945 à 2014 l'Amérique
apostolique avait conclu une alliance
universelle du commerce avec un évangile
intercontinental de la liberté des
affaires. Et maintenant, la première
puissance dont la flotte de guerre
régnait sur tous les Océans dévoilait,
sans le savoir, le revers de la
médaille: une voie d'eau béante dans la
coque de l'empire s'étendait
soudainement à l'Asie, où M. Barack
Obama s'était précipité en toute hâte,
mais en vain. Déjà, de la Malaisie aux
Philippines et de la Corée du Sud au
Japon, le torrent s'engouffrait dans la
brèche: tous les Etats de la région
refusaient d'accéder à la supplique d'un
Barack Obama pathétique, qui leur
enjoignait de s'associer à des sanctions
économiques solitaires, dérisoires et
impuissantes à asphyxier la Russie.
10 - La contre
offensive
On sait que le
commerce américain avec le Kremlin ne
s'élevait qu'à vingt-sept milliards de
dollars par an. Une escarcelle aussi
pleine de toiles d'araignées rendait
absurde tout évangélisme fondé sur le
pain bénit du profit. Comment l'Amérique
aurait-elle conservé les dorures de son
ancienne puissance commerciale, alors
que, dans le même temps, la France,
l'Allemagne et l'Angleterre enterraient
en catimini un embargo sur les armes à
destination de la Chine qui remontait
aux évènements de la place Tian'anmen le
4 juin 1989?
Au retour de son
voyage désastreux en Asie, le Président
des Etats-Unis téléphonait désespérément
à M. Cameron, à Mme Merkel, à M.
Hollande et même à M. Rienzi, chef du
gouvernement italien. Cette ultime
tentative de les rassembler en un
quarteron d'agresseurs de la Russie a
rappelé à tout le monde que, trois
semaines auparavant, c'était déjà en
douce, semblait-il, que le Président des
Etats-Unis s'était glissé au Vatican,
tellement sa dernière visite en Europe
avait été éclipsée dans l'ordre
protocolaire par celle du Président
chinois, lequel avait proposé un axe
Berlin-Pékin à l'Allemagne et signé des
contrats pour un montant de dix-huit
milliards de dollars avec la France. De
son côté, la Russie préparait avec
l'Iran un troc de gaz et de pétrole
contre des produits manufacturés, tandis
que la marche de la Chine en direction
de l'Europe se renforçait par le projet
de creuser un port en eau profonde à
Sébastopol et un pont géant entre le
détroit de Kerch et la Russie.
11 - Une mutation
des sciences humaines
La chute inexorable
de l'empire américain allait entraîner
des conséquences à plus longue portée
encore. D'abord et pour la première fois
depuis 1989, l'histoire de
l'effondrement d'un empire fondé sur une
mythologie du langage se donnait à
observer au sein même du capitalisme
mondial. Les quatre étapes explicitées
ci-dessus étaient aisées à distinguer.
Toutes les quatre illustraient les
grippages d'un songe para-religieux,
toutes les quatre se laissaient
spectrographier à la lumière de la
logique interne qui avait présidé à leur
construction langagière. La bête au
cerveau schizoïde scannait désormais le
fonctionnement onirique de sa boîte
osseuse.
Qu'est-ce à dire?
Jusqu'alors, la science des religions
était demeurée tellement titubante qu'il
était impossible de les décoder à la
lumière d'une anthropologie générale de
leur flottement entre le ciel et la
terre; et maintenant, la politologie et
la science psychologique observaient
ensemble la dichotomie humaine;
tellement ces deux disciplines
s'articulaient côte à côte avec le
destin biphasé du mythe de la Liberté.
Bientôt les sciences humaines allaient
rendre compte de la bipolarité cervicale
des évadés de la zoologie. La
conjonction de ces deux sciences date de
2014 seulement, parce que l'observation
de la cervelle du genre simiohumain
avait enfin trouvé le recul à la fois
corporel et mental indispensable aux
descriptions heuristiques qu'appelle la
pensée scientifique. Nous savons
maintenant que ce n'est jamais le récit
sacré qui se révèle le moteur des mythes
religieux, mais le fonctionnement de
l'encéphale bifide d'un animal suspendu
de naissance entre le monde et le rêve.
Du coup, la distanciation
anthropologique a trouvé une autre
assiette, un autre échiquier et une
autre problématique.
C'est ce qu'a
confirmé la rencontre du 2 mai 2014 de
Mme Merkel avec M. Barack Obama à la
Maison Blanche.
12 - Le 2 mai
2014
On raconte qu'au
lever de rideau, la Chancelière
d'Allemagne et le Président des
Etats-Unis avaient plaisanté et ri aux
éclats. Deux heures plus tard, leur mine
était grave; et c'est en affairistes
soucieux et en esprits platement
pragmatiques qu'ils étaient allés se
livrer à l'exercice traditionnel de la
conférence de presse commune. Grande fut
la stupeur des assistants à ce
spectacle: M. Barack Obama n'avait tenu
aucun compte de l'existence - pourtant
annoncée à grand tapage par la presse du
monde entier - de l'hôte d'honneur de la
Maison Blanche; et il s'était adressé au
seul public américain. Après avoir
longuement entretenu la nation du monde
du travail sur tout le territoire
américain, qui semblait s'améliorer,
disait-il, à condition que les députés
voulussent bien s'y intéresser
davantage, il avait enfin salué la
Chancelière et l'avait parée du titre
d'"amie", à la manière de Rome,
dont l'esprit pratique élevait
traditionnellement au rang d'"amis du
peuple romain" les peuples vaincus,
mais devenus méritants aux yeux de leur
maître.
Pendant tout ce
temps, Mme Merkel, nullement
décontenancée par cette désinvolture,
observait le grossier personnage du coin
de l'œil et avec un brin d'ironie Mais
le verbe allemand gucken, qui
signifie lorgner et dont la presse
allemande avait abondamment usé afin de
rendre compte de l'atmosphère surréelle
de cette conférence, ne renvoie ni à la
lorgnette, ni au lorgnon des ancêtres,
comme le français, mais au trou de
serrure, au judas ou au vasistas - le
Guckfenster. Le vocabulaire d'une
langue est un révélateur sans égal des
enjeux cachés de la politique sur
l'agora télévisuelle des modernes.
La Chancelière ne
pouvait ignorer que l'opinion publique
allemande est russophile à plus de
cinquante pour cent et que des centaines
d'intellectuels de son pays l'avaient
charitablement mise en garde, notamment
par le rappel insistant des pièges de
l'atlantisme. Et puis, il y avait les
trois cents écoutes humiliantes de son
portable, dont elle avait été la victime
de la part d'un Président des Etats-Unis
qui se moquait de ses récriminations
comme de sa première chemise. Mais ce
qui se cachait sous les décors convenus
de la conférence du 2 mai, c'était le
recul nouveau de la raison politique
dont bénéficiait une pensée politique
européenne désormais plus distanciée et
qui inaugurait enfin un décloisonnement
décisif de toute la géopolitique pseudo
scientifique de l'époque.
13 - La mécréance
de la géopolitique
Ici encore, la
cause la plus profonde, mais demeurée
inconsciente de cette mutation cérébrale
de toute la classe politique européenne
était d'origine théologique: de même que
les confessions doctrinales des
religions ne traitent jamais de la
faiblesse des preuves de l'existence de
leur divinité, mais seulement de sa
nature ineffable et de la souveraineté
de sa législation, la gouvernance
transcendantale qu'exerçait l'empire
américain de la Liberté était un a
priori para-théologique et soustrait
à tout examen rationnel. Les casuistes
de Jupiter traitaient seulement de la
gérance de Jupiter.
Aussi, le 2 mai
2014, Mme Merkel avait-elle rappelé,
mais du bout des lèvres, l'inévitable
nécessité doctrinale et confessionnelle
des "punitions" qu'encourait une Russie
censée légitimement appelée à
comparaître en pénitente devant le
tribunal d'une "Démocratie" validée dans
son rôle d'accusatrice universelle. Mais
tout le monde savait que le "machin
stupide" des sanctions était
inapplicable au rebelle, parce qu'elles
deviendraient un redoutable boomerang
entre ses mains. Les trois anciens
Chanceliers, MM. Helmut Kohl, Gerhardt
Schröder et Helmut Schmidt avaient pris
la plume pour dénoncer l'impéritie du
langage pénalisant et moralisant d'une
démocratie composée d'élus du Seigneur.
"Honnêtement, ils commencent à
nous taper sur les nerfs avec leurs
sanctions. Ils ne comprennent même pas
qu'elles vont leur revenir en boomerang.
(...) Les Américains n'auront qu'à
envoyer leurs astronautes sur la station
spatiale internationale (ISS) avec un
trampoline" déclarait le
vice-premier ministre russe Dmitri
Rogozine aux calvinistes de la grâce
démocratique.
14 - La nouvelle
postérité du Siècle des Lumières
Le 2 mai 2014, Mme
Merkel avait fait admettre à M. Obama
que les intérêts politiques et
économiques des diverses nations dont
l'Europe est composée étaient fort
différents. Mais l'hégémonie américaine
ne pouvait admettre une légitimation du
péché d'hérésie le plus grave, celui
selon lequel les Etats-Unis ne seraient
pas au service d'un Bien aussi universel
et inaltérable que celui de Dieu
lui-même, mais seulement de leurs
propres intérêts nationaux, comme tous
les autres Etats de la terre. M.
Netanyahou avait refusé les sanctions à
l'égard de la Russie, parce que les
intérêts supérieurs d'Israël, disait-il,
n'étaient pas toujours et partout ceux
de la sainteté démocratique américaine.
C'était dire que la légitimation des
droits particuliers aux nations
dévalorisait le principe universel selon
lequel un Etat hyper sacralisé détenait
le monopole de la vérité politique sur
notre astéroïde.
Mais alors, comment
Dieu légitimait-il sa position
hégémonique, donc ses prérogatives
exclusives d'imposer à ses créatures une
confusion intéressée entre les droits
attachés à sa puissance politique sur la
terre et à sa sainteté incontaminable?
Comment M. Obama dicterait-il sa
politique étrangère soi-disant
transcendantale et intouchable à une
Allemagne de quatre-vingts millions
d'habitants subordonnés et tout
gesticulants à l'étage d'en-dessous,
celui du temporel. Et si Dieu lui-même
se révélait l'artisan d'un ciel
profitable à ses divins intérêts et si
ceux de ses sujets faisaient reconnaître
leur validité et passaient maintenant
avant les siens?
Depuis 1945, les
commentateurs sacralisaient les
questions pratiques et rapetissaient
pieusement le champ de l'interprétation
de la nouvelle histoire sainte du monde
sur le modèle de la dévotion américaine
qui rendait intouchable la géopolitique
du souverain. On évoquait seulement le
tempérament, jugé contrariant, d'un
joueur d'échecs nommé Vladimir Poutine
et l'on se moquait de son arrière-monde
de moraliste de la nation russe; et
maintenant on découvrait non seulement
que, depuis soixante-dix ans, la
politologie officielle répondait aux
exigences d'une dévotion, celle d'une
pseudo science de la Liberté,
puisqu'elle avait perdu son autonomie
cérébrale et son esprit critique au
profit du fonctionnement doctrinal d'un
mythe démocratique vassalisé de
l'intérieur. Le XVIIIe siècle était de
retour: on allait radiographier la
dogmatique commune à Dieu et à la Maison
Blanche à la lumière d'une anthropologie
transcendantale. Un examen critique de
leur planétarisation partagée de la
politique mondiale démontrerait à la
postérité de Voltaire que "Dieu"
travaille à sa propre puissance propre
et à sa propre gloire sur le modèle de
la démocratie américaine.
15 - L'avenir de
la politologie
La rencontre de M.
Barack Obama avec Mme Merkel du 2 mai
2014 à la Maison Blanche rendra
irréversible le scannage du champ
épistémologique de la politologie
mondiale, tellement M. Obama s'est
trouvé contesté dans ses prérogatives
mythologiques de mobiliser la planète du
Beau, du Juste et du Bien au profit de
son propre pays. On se demandait
subitement comment l'empire américain
s'était auto-légitimé sur le modèle du
récit de la Genèse, comment il avait
réussi à valider son ubiquité
"spirituelle", alors que sa théologie
faisait eau de toutes parts en Ukraine.
Pour la première fois, l'empire
américain se heurtait aux réalités de ce
bas monde, pour la première fois, la
panne qui paralysait son extension
idéologique à la planète réfutait
l'universalité biblique du dollar, pour
la première fois, les chancelleries
vassalisées par le mythe de la Liberté
retrouvaient le génie romain de la
politique.
Par conséquent,
tout débat politique qui négligerait le
réalisme de la géopolitique s'égarera
dans des rêves idéologiques abstraits ou
dans le vaporeux des songes
théologiques. La fécondité politique et
anthropologique de la crise ukrainienne
sera copernicienne. Il sera à nouveau
rappelé que tout empire est éphémère par
nature et par définition. Celui de
l'Amérique n'aura duré que soixante-dix
ans.
Mais si vous
descendez dans les ultimes profondeurs
des alliances de la politique avec le
sacré, les paramètres anthropologiques
des rêves religieux éclaireront tout le
champ des sciences humaines: et la crise
d'Ukraine portera un humanisme
occidental devenu superficiel et pieux
dans la postérité décérébrée de la
Renaissance à la spéléologie du
messianisme pathologique du genre
humain. Mais alors, une nouvelle
spiritualité fait ses premiers pas,
celle de l'élévation de la conscience à
la grandeur de la solitude pensante.
Reçu de l'auteur pour publication
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