Opinion
Le combat de la raison
I - Les métamorphoses de Dieu
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 9 janvier 2015
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1 - Les aventures du
verbe comprendre
2 - La raison solitaire
3 - Qu'est-ce que la logique ?
4 - Dieu, masque de l'homme
5 - Pour une anthropologie
réellement scientifique
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Mes
vœux pour 2015
Puissent, en cette année
2015, les vrais historiens
de l'Europe raconter
l'infamie et la honte d'un
continent placé sous le joug
de l'étranger.
Puissent, en cette année
2015, les vrais historiens
de l'Europe perpétuer la
mémoire du blocus auquel de
petits Napoléon de la
démocratie tentèrent de
soumettre la Russie de
Tolstoï et de Dostoïevski .
Puissent, en cette année
2015, les vrais historiens
de l'Europe appeler au
secours un Bolivar du Vieux
Monde, puissent les peuples
vassalisés sous le joug du
mythe de la Liberté délivrer
leur nation des cinq cents
bases militaires américaines
qui, depuis trois quarts de
siècle, y promènent leurs
képis.
Puissent, en cette année
2015, les dirigeants d'une
République titubante
retrouver l'usage naturel
d'une langue claire, fluide
et d'une démarche assurée,
puissent, en cette année
2015, les mots qui
hoquettent et clopinent d'un
bêlement au suivant
retrouver leur ancienne
vigueur et redonner au pays
l'allure des peuples qui
vont leur chemin sous leur
propre bannière.
Ce 9
janvier je commence un
exposé de dix textes brefs
et que je voudrais utiles à
la reconstruction de la
pensée rationnelle sans
laquelle la France courra au
naufrage de ses voix.
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1 - Les aventures
du verbe comprendre
Il y a quinze
jours, je rappelais la difficulté
qu'éprouvent les paléontologues à
retrouver les sentiers par lesquels un
bimane prédestiné à quitter la zoologie
et à devenir volubile a tenté de se
mettre en apprentissage d'un regard de
l'extérieur sur lui-même; et j'avais
remarqué qu'à l'origine du langage, les
dieux avaient paru remplir cet office à
la satisfaction générale, mais que, dès
le Ve siècle avant notre ère, les
Athéniens avaient commencé de prendre
leurs Célestes à revers et s'étaient
attelés, dans un premier éclat de rire
de leur raison, à la tâche d'observer
les Immortels cachés dans leur dos, ce
qui présentait un grand avantage
politique pour les deux parties; car les
Olympes étaient en charge de rendre la
justice, ce qui permettait aux
simianthropes de l'époque de découvrir
l'impossibilité dont souffre l'humanité
de récompenser équitablement et de punir
à bon escient. Car sitôt que les dieux
quittent leur royaume pour officier dans
les prétoires solennels des cités, ils
se rendent ridicules et cruels.
Aujourd'hui encore, nos trois dieux
uniques en sont réduits à la sauvagerie
de leurs châtiments et au grotesque dans
la distribution de leurs vaines gâteries
aux ossatures immortalisées de leurs
créatures.
Puis l'homme
moderne a tenté de se regarder de plus
loin et il a chaussé les lunettes de ses
sciences dites expérimentales. Mais, du
coup, il a découvert, atterré, que les
significations du monde précèdent les
constats censés les vérifier et que
l'expérience coutumière demeurerait sans
voix si vous la priviez des paramètres
qui éclairent les faits d'avance.
Du coup, toute
science descriptive commence par se
donner des yeux et des oreilles ; ce qui
rend anachronique son décryptage
antérieur de l'intelligibilité du monde.
Mais alors, l'autorité raffermie qu'elle
revendique et qui la rend prospective se
fonde sur une distanciation
intellectuelle régénérée. Faut-il en
flairer l'odeur le nez au vent? Nenni.
Une science ne se révèle heuristique que
si elle demeure ambitieuse de surplomber
le décryptage à ras de terre qu'elle a
vocation de réfuter. Mais comment rendre
compréhensibles les déchiffrages
successifs d'une discipline qualifiée d'expérimentale
si l'expérience attend ses décodeurs sur
des hauteurs sans cesse nouvelles? Quel
sera l'objet réel de l'expérience s'il
faut connaître d'avance la semence
inconnue qui fécondera le champ. On ne
réfute jamais qu'une myopie, mais une
myopie ne se révèle qu'à retardement.
C'est donc que
l'espèce de raison mise à
"l'épreuve des faits", comme on dit,
donc en usage à telle ou telle époque de
la lente évolution cérébrale de la bête,
cette raison, dis-je, perdra le titre d'expérimentale
et de scientifique quand nous aurons
commis le sacrilège promotionnel
d'inaugurer une compréhensibilité
plus en altitude que la précédente; et
celle- ci sera en rupture de ban avec
les présupposés de la connaissance
jusqu'alors abusivement qualifiée d'objective.
Seul le recul d'une problématique déjà
en marche, donc préjudicielle se
révèlera fécondatrice, donc profanatrice
d'un verbe comprendre en gésine
perpétuelle de nos blasphèmes
ascensionnels.
2 - La raison
solitaire
C'est ainsi qu'en
1905 la raison publique de la France est
devenue officiellement laïque. Du coup,
la raison religieuse d'autrefois a
quitté en tapinois la place qu'elle
occupait à son aise et depuis des
siècles pour se trouver reléguée et mise
à l'étroit sans plus attendre dans la
vie privée des citoyens. Mais la vérité
partagée que chaque époque qualifie de
hautement rationnelle est
toujours un personnage sottement
collectif, donc unanimement irréfléchi,
ce qui contraint la vérité à se blottir
dans des minorités stigmatisées par le
plus grand nombre. Du coup, notre
histoire fait l'expérience de la
disqualification subite des majorités de
l'ignorance dont notre logique courante
portait les armes . Du jour au
lendemain, un orage sera expliqué par
les lois savantes de la météorologie et
non plus par la colère d'une divinité.
Comment
progresserons-nous à changer de tête
d'un siècle à l'autre? Existera-t-il une
science de la succession de nos
métamorphoses cérébrales? Les apanages
de la dernière arrivée de nos vérités
peineront à prendre le relais des
prérogatives de nos dieux morts ; et la
nouvelle discipline de la vérité tout
juste entrée en service sera difficile à
mettre sur pied dans toutes les têtes,
parce que nous sommes cérébralisés selon
tel ou tel modèle. Notre pensée
religieuse protégeait nos carcasses à
titre posthume, tandis que notre raison
laïque est tragiquement déserteuse de
nos ossements. Il nous faudra donc
prendre sur nos épaules la solitude du
Dieu qui nous déchargeait de notre
déréliction dans le cosmos.
3 - Qu'est-ce que
la logique ?
Mais puisque les
faits muets qui défilent sans relâche
sur l'écran de nos expériences
n'échappent décidément à leur
ratatinement dans l'éphémère qu'à la
faveur d'une mise en perspective
iconoclaste de leurs paramètres pseudo
explicatifs , il nous faudra nous
procurer une instance méthodologique
durable, que nous appellerons la
théorie. Cet oracle sera chargé de
rendre intelligible le savoir aphone que
nos huissiers enregistreront au greffe
non plus du tribunal de Zeus, mais de
celui de la nature; alors seulement
notre théorie circonscrira pour
longtemps le champ d'investigation des
prophéties de la matière, alors
seulement nous ferons comparaître
l'univers dans le prétoire d'une
juridiction un peu moins capricieuse que
celle de nos dieux. C'est ainsi que la
longévité de nos preuves scientifiques
s'est étendue d'Archimède à Einstein.
Nous appellerons coordonnées les axes de
nos vérifications, celles qui imposeront
à nos expériences le sceau de leur
signification. Il y faudra une lanterne
que nous chargerons d'éclairer une masse
de constats demeurés sans voix et qui ne
commenceront de "parler raison" qu'à
l'heure de leur comparution à l'audience
de nos problématiques dûment autorisées
à exercer leur judicature.
Aussi, depuis
Platon, la philosophie explicative
est-elle une science des coordonnées qui
donnent la parole à des maïeutiques de
notre intelligence en devenir. Seule une
logique inspirée par nos accoucheurs
socratiques sera en mesure de tenir les
rênes des faits et de les contraindre à
nous avouer leur signification
théorique. Nous appellerons dialectique
le cocher qui conduira tout notre
attelage à destination. L'art
d'enchaîner nos propositions les unes
aux autres sous le fouet d'une logique
unificatrice et ascensionnelle change
notre dialectique en une géométrie
accusatoire, celle des connaissances que
nous promouvons au rang de rationnelles
sur nos échiquiers toujours en marche.
4 - Dieu, masque
de l'homme
Mais sur quoi nos
accusateurs font-ils porter leurs
réquisitoires? Précisément sur la guerre
qui règne entre nos présupposés
d'hérétiques, qui seuls donnent leur
sens scientifique à nos expérience, et
les a priori orthodoxes de nos
adversaires, qui leur ont été révélés, à
les entendre, par la divinité qui pilote
tous leurs jugements. Saint Paul
prétendait que la loi divine se plaçait
en amont du péché et qu'il ne nous
restait qu'à définir le Bien et le Mal à
l'écoute du ciel, puis à châtier les
pécheurs en supplétifs d'une dogmatique,
donc en auxiliaires placés en aval d'une
réponse doctrinale. Mais Socrate lui
répond, avec un demi-millénaire
d'avance, que la mort de Zeus nous met
en charge de la gestion de sa tête, de
son âme et de son éthique, tellement le
défunt ne saurait avoir emporté son
savoir dans sa tombe.
Du coup il nous
faut mettre nos dieux sur le gril et les
citer à la barre de notre tribunal. Car
nous ne saurions à la fois jeter nos
Olympes aux orties et ne pas occuper la
place qu'ils auront laissée vacante.
Quels étaient les présupposés qui
élevaient nos Célestes au rang de
législateurs chevronnés du cosmos,
d'expérimentateurs légitimes de notre
histoire, de vérificateurs patentés de
nos vérités à nous? Voici que notre
raison dérélictionnelle se demande
comment nous l'avons construite, puis
confiée à nos représentants dans le vide
de l'immensité.
Quelle est la
subjectivité originelle d'une créature
devenue rebelle à l'autorité et à la
logique de ses dieux? L'Europe de notre
temps illustre la première civilisation
dont les mythes religieux se révèlent
radicalement incompatibles avec les
démonstrations et les connaissances de
ses astronomes. En 1543, Copernic
révélait que la terre tournait autour du
soleil et que les anciens forgerons de
l'infaillibilité de Zeus se trouvaient
tous réfutés dans leurs écrits pour
avoir soutenu mordicus la rotation en
sens contraire du soleil. L'Eglise s'en
est tellement affolée qu'elle a prétendu
- et pendant plus d'un siècle - que les
preuves matérielles et les témoignages
oculaires d'une créature infirme
demeuraient impuissants par nature à
réfuter les textes censés avoir été
dictés du haut du ciel, donc seuls
incontestables, puisque racontés par la
divinité en personne à ses scribes
assermentés.
Mais, du coup, le
fondement psychobiologique des croyances
religieuses s'est révélé indépendant des
récits fantastiques qui les allèguent.
Puis la découverte de l'infini n'a
nullement ruiné la crédibilité des
narrations sacrées dans les esprits: au
contraire les croyants en ont aussitôt
conclu que leur foi se trouvait
pleinement confirmée et même plus
sûrement cautionnée par la réfutation
récente de l'autorité de leurs textes
pourtant garantis jusqu'alors par leur
ancienneté, de sorte que, depuis le
XVIIIe siècle, les chrétiens, les juifs
et les musulmans ne croient plus au
géocentrisme sans s'expliquer en rien de
l'effrondrement leurs cosmologies
mythiques sous les coups de boutoir de
la science.
Puis, au début du
XXe siècle, l'univers mesurable en
longueur, largeur et profondeur que les
hommes et les animaux se partageaient
depuis les origines a fait naufrage à
son tour, de sorte que le temps
d'Euclide ou d'Archimède est subitement
devenu une forme de la matière
soustraite aux instruments des
arpenteurs, tandis que le cosmos des
atomes multipliait par quatre milliards
la distance qui nous sépare de l'étoile
la plus proche - elle se cache à quatre
années-lumière de notre astéroïde.
Enfin, l'évolutionnisme a définitivement
chassé Adam et Eve de l'Eden, mais sans
jamais jeter à bas les cosmologies
mythiques de nos ancêtres. C'est donc
que la subjectivité du sacré semi-animal
n'est en rien tributaire ni de la
physique mathématique, ni des axiomes de
la géométrie d'Euclide, ni des lois
d'Archimède, ni de la logique
d'Aristote.
5 - Pour une
anthropologie réellement scientifique
Du coup, l'Europe
du XXIe siècle se trouve chargée d'une
mission cognitive sans exemple en aucun
temps, celle de découvrir les racines de
la panique qui s'empare du simianthrope
sitôt qu'il se sent menacé de se trouver
à l'abandon dans le cosmos et cela,
précisément à l'exemple d'une divinité
jugée rassurante, puisque sa solitude à
elle était si peu tragique et si légère
à peser sur ses seules épaules qu'elle
paraissait nous délivrer du poids de la
nôtre. C'est dire que la mutation
politique et intellectuelle de la
planète actuelle coïncide avec une
plongée abyssale dans la connaissance de
l'animalité spécifique, donc de type
cérébral, non seulement de la bête
volubile, mais des divinités qui la
dédoublent et lui donnent la réplique
dans le vide de l'immensité et de
l'éternité.
De toutes façons,
un animal onirique de naissance et qui
n'a quitté la zoologie que pour
s'entretenir de siècle en siècle et le
plus sérieusement du monde avec des
personnages aussi imaginaires que
fantastiques - et qu'il traite en
souverains fabuleux de son histoire,
mais qu'il finit par reconnaître pour
n'avoir jamais existé ailleurs que dans
sa conque osseuse - un tel animal,
dis-je, s'ouvre à une spéléologie du
titanesque cérébral entièrement inédite;
et une anthropologie prétendument
scientifique, mais qui ignore
l'hallucination mentale de la bête
demeure aussi éloignée d'une
anthropologie qualifiable de
scientifique que l'alchimie du Moyen-Age
demeurait étrangère à la chimie de
Lavoisier.
Mais n'est-il pas
étrange que la quatorzième ou la
quinzième année de nos six derniers
siècles aient illustré un tournant
décisif de notre histoire? En 1415, la
bataille d'Azincourt a mis en évidence
et rendu irréfutable une scission sans
remède entre l'Europe et l'Angleterre,
et cette scission entre les îles et la
terre ferme retrouve de nos jours toute
son actualité politique. Puis, en 1515,
la bataille de Marignan a fait débarquer
le canon dans le progrès continu de la
technique de nos massacres à la guerre.
Puis, en 1614, l'assassinat d'Henri IV a
démontré que nos cosmologies mythique
répondent aux diverses psycho
physiologies de nos peuples et de nos
nations et que l'Europe latine
conservera le catholicisme des magiciens
de l'autel, tandis que toute l'Europe du
Nord persévèrera dans un rationalisme
protestant aux rituels quelque peu
désensorcelés. Puis, en 1715, la mort
tardive de Louis XIV a coïncidé avec un
nouvel essor d'un Siècle des Lumières,
qui avait commencé du temps de Bossuet.
Puis, en 1815, le retour inopiné des
Bourbons allait conduire en quelques
soubresauts le monde entier au triomphe
du régime démocratique Puis, en 1914,
l'Europe a franchi le premier pas vers
sa sortie irréversible de la
géopolitique. Enfin, en 2015,
l'épicentre de la planète a
définitivement basculé du côté de l'Asie
et l'Europe n'a plus le choix que
d'entrer dans la planète de demain ou à
se coller en vassale aux chausses d'une
Amérique condamnée au déclin.
Décidément, c'est
dans le prétoire du "connais-toi"
socratique que la raison simiohumaine
accède à la dignité des accoucheurs du
tragique; car la pensée rationnelle
brandit désormais sur nos têtes le fouet
de nos futures élévations mentales; et
nous découvrons, dans l'ahurissement,
que nous étions des animaux cachés sous
les effigies de nos sorciers du cosmos.
La philosophie est devenue un Zeus dont
les éclairs nous brûlent les doigts.
Voici que le mythe de la Liberté
enchaîne ses valets à son verbiage. Quel
est ce personnage et sur les planches de
quel théâtre s'avance-t-il? Son sceptre
et sa dégaine sont-ils dignes du
décodage d'une espèce larguée dans le
néant ou seulement un déguisement de
notre politique, un déguisement de notre
justice, un déguisement de tueurs
masqués par leurs dieux?
C'est ce que nous
verrons la semaine prochaine.
Le 9 janvier 2015
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