Decodage
anthropologique de l'histoire
contemporaine
La débilité
politique des dirigeants européens
Esquisse de
l'Europe post-américaine 2
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Samedi 6 septembre 2014
|
Introduction
1 - L'évangélisme démocratique
2 - Le leurre d'un Secrétariat
général
3 - On ne se suicide pas à
plusieurs
4 - L'Europe et son cerveau
5 - Entre le trépas et la
résurrection
6 - La débilité politique des
dirigeants européens
7 - Une mutation de la cervelle
de Zeus
8 - Notre retour sur la terre
Post scriptum
|
Introduction
Le 23 août, je
diffusais un texte d'anthropologie
critique un texte de réflexion sur la
fragilité de l'échelle hiérarchique des
grands Etats sur la scène
internationale. Le 30 août, je rappelais
que ce classement des nations subit des
dégradations "à partir d'un furoncle,
d'un chancre ou d'un abcès dont le
poison s'insinue dans tous les organes
des plus puissants acteurs sur le
théâtre du monde". Le 3 septembre,
les évènements se précipitaient et
tournaient à la catastrophe: à la suite
de l'humiliation du pays condamné, le
pauvre, à verser aux Etats-Unis une "amende"
de plusieurs milliards d'euros, l'Elysée
acceptait que le respect des clauses
d'un contrat conclu de longue date avec
la Russie tînt à un fil. On ne livrerait
pas deux navires de guerre, et cela bien
que le marché fût dûment signé et payé
afin de ne pas déplaire au maître
d'outre-Atlantique - ce qui ruinait
tragiquement le crédit de la France.
Il est intéressant
d'observer les raisons qui pilotent les
vassalisations acceptées ou désirées et
qui rendront inexorable la course de
l'Europe dans l'abîme de la servitude.
Les nouveaux collaborateurs présentent
leurs arguments d'esclaves sur le modèle
suivant de l'assujettissement de leur
tête: les serfs commencent par
soustraire artificieusement aux yeux de
l'interlocuteur l'échiquier réel sur
lequel le dossier se présente. Puis ils
feignent de peser "objectivement" les
arguments des deux parties censées en
débattre. Naturellement, le vrai sujet
se trouvant retiré d'avance et
subrepticement à l'examen, le rideau
peut se lever sur un spectacle privé de
logique et devenu tout imaginaire de ce
fait. En l'espèce, le collabo fait
semblant de croire qu'il s'agit d'une
question localisée de toute évidence
dans la problématique qu'il entend faire
prévaloir - il serait question, dit-il
de savoir si l'on suit les clous,
pourtant bien visibles sur la chaussée
ou si l'on s'éloigne du chemin des
évidences du sens commun. Dans ce cas,
on se trouvera fatalement dans son tort,
à la manière d'un élève qui ne se sera
pas plié à l'exercice clairement défini
et légitimé par l'autorité de
l'instituteur.
L'évacuation
préalable du véritable objet du débat se
place au fondement de la notion même de
raison: l'Occident a mis des siècles à
comprendre que si l'on ne pèse pas les
prémisses d'une thèse ou d'une doctrine,
on tombe dans une théologie.
L'argumentation du collabo est demeurée
de type religieux, en ce qu'elle repose
sur des tabous sacralisés de
l'inconscient. De quoi parle-t-on ? De
la souveraineté des Etats. En tant que
croyants en la sacralité du joug que la
démocratie américaine fait peser sur ses
"alliés", les "collaborateurs"
usent exactement de la même dialectique
que Vichy. Pierre Laval disait: "Oui,
je souhaite la victoire de l'Allemagne".
Le champ de vision dans lequel il
situait la question ne prenait pas en
compte l'englobant mondial dans lequel
la guerre se déroulait, ce qui lui
permettait de passer sous silence les
relations réelles qui auraient régné
entre l'Allemagne victorieuse et la
France vaincue, mais censée mériter des
gratifications substantielles pour les
services éminents qu'elle aurait rendus
au vainqueur tout au long des
hostilités.
De même, les Pierre
Laval de l'atlantisme d'aujourd'hui
disent sans frémir: "Nous souhaitons
la victoire de l'Amérique, donc d'une
démocratie mondiale". Ce faisant,
ils se situent dans une option
stratégique aussi totalisante que la
théologie, alors que la question est de
savoir quelle sera la politique d'une
France résiduelle et d'une Europe
marginalisée sur la mappemonde quand les
Etats-Unis seront parvenus à localiser
le centre de gravité du globe terrestre
au profit de la question pourtant
subordonnée et toute locale des
relations actuelles entre la Russie et
l'Ukraine. Alors Washington trônera en
maître au cœur du continent européen. On
voit que le parallèle entre Vichy et
notre temps est la clé de la
géopolitique contemporaine.
Je n'ai pas cru
devoir modifier le texte ci-dessous à la
suite de l'accélération de la chute et
l'Europe dans le gouffre ouvert le 3
septembre. Au contraire, un texte rédigé
trois jours avant la catastrophe permet
de dessiner les faux acteurs en traits
plus précis. On verra les syndicats
demeurer muets au chapitre du véritable
théâtre des opérations, on verra MM.
Raffarin, Juppé et Fillon manquer
l'occasion de lancer un appel aux
Français, on verra les "Verts"
camper niaisement dans les bocages de
Jean-Jacques Rousseau, on verra les
derniers communistes se pencher sur le
berceau des travailleurs infantilisés
sur la scène du monde, on verra le
peuple français manquer de la maturité
civique qu'exige notre temps.
L'électorat européen n'est pas encore au
niveau de compétence des capitaines de
vaisseau, qui savent qu'ils ne naviguent
pas sur des lacs enchanteurs, mais sur
l'Océan du monde.
1
-
L'évangélisme
démocratique
Les descendants
vassalisés de Copernic appréhendent
l'heure où l'occupation de leurs terres
prendra fin, parce qu'ils ne sont pas
près d'apprendre comment ils se
placeront tout soudainement sous leur
propre commandement. Certes, cent ans de
servitude de l'Europe auront appris à ce
continent à comprendre un peu mieux,
mais à quel prix, que la mentalité
insulaire de l'Angleterre rend cette
nation viscéralement allogène à une
politique unifiée, donc inspirée par une
volonté de fer de se remettre debout. Il
faudra retirer l'école laïque de
l'ornière d'une pastorale domesticatrice
et qui se garde bien d'initier les
jeunes générations à une évidence
criante depuis deux mille ans: à savoir
qu'une île est une île.
Mais de là à
imaginer une collaboration stratégique
harmonieuse entre un futur état-major de
la France et celui de l'Allemagne de
Siegfried, jamais l'Italie et l'Espagne
ne se résigneront à la marginalisation
définitive de leurs armes. Depuis sept
décennies, notre éducation nationale
veut ignorer ce blocage, alors que c'est
précisément la diversité linguistique,
religieuse et culturelle des nations du
Vieux Monde - diversité assortie de la
disparité de leur étendue territoriale -
qui a permis à l'Amérique de prendre le
commandement solitaire d'un Continent
disloqué et à la dérive. Il était à
portée de main du vainqueur sans rival
de 1945 d'installer, dès 1949 son
quartier général à deux pas de Paris, à
Rocquencourt, puis, à partir 1966, de
s'incruster définitivement à Mons en
Belgique à la suite des retrouvailles
énergiques de la France avec sa
souveraineté militaire. De plus, la
Maison Blanche a bientôt appesanti son
joug d'un afflux de satellites en
provenance de tout le globe terrestre -
le Canada, la Turquie, l'Australie,
l'Islande, l'Albanie.
Du coup, la
vassalisation intensive de l'Europe
bénéficiait du régime de croisière des
démocraties. Par temps calme, ce régime
produit des élites dirigeantes
tacticiennes et manœuvrières non
seulement utiles, mais provisoirement
indispensables, parce que le calme plat
appelle les petits régisseurs. Mais
sitôt que l'histoire retrouve un élan et
un souffle, les gestionnaires et les
administrateurs de la vie quotidienne
révèlent leur inexistence dans l'ordre
de la politique proprement dite - et le
suffrage populaire se réveille bien plus
rapidement dans l'ombre que la classe
dirigeante blottie au fond de ses
bureaux.
On l'a bien vu avec
Mme Merkel, qui a fait illusion pendant
les années de jardinage de l'Europe
d'après la seconde guerre mondale, mais
qui est apparue en tablier sitôt que la
politique a exigé un regard perçant et
une vision panoramique. Qu'elle se soit
crue en face d'un élève turbulent,
qu'elle lui ait donné une semaine pour
se retirer de l'Ukraine, faute de quoi
elle lui interdirait les glaces et les
sucreries à la cantine, est un spectacle
à vous donner le vertige, tellement
l'impéritie d'un grand Etat démocratique
sur la scène internationale fait
comprendre combien le "peuple-roi"
manque de moyens à la fois discrets et
expéditifs de renvoyer les cuisinières à
leurs fourneaux. Dans ce contexte, on
comprend que Washington soit rapidement
parvenu à subordonner l'admission de
tout quémandeur à son asservissement au
sein de l'Union européenne civile
au placement préalable du candidat sous
le commandement militaire de la
bannière étoilée. Tout suzerain prévient
le mûrissement, dans son orbite, d'un
noyau d'Etats potentiellement rebelles à
son képi. Les Etats extra-européens
servent de joyaux à la couronne de
l'empereur dont le sceptre est censé
celui de la libération du monde.
2 - Le leurre
d'un Secrétariat général
Autre précaution:
il était indispensable au césarisme
démocratique de mettre à son service un
Secrétariat général qui paraîtrait
grouper sous sa houlette une coalition
de serfs tout fiers de leur bât et qui
iraient jusqu'à donner le change à bien
camoufler le pouvoir de leur maître sous
le pavillon d'une apparence de leur
souveraineté. Un ardent ambitieux est un
fantoche facile à trouver dans un pays
devenu minuscule et qui aura quitté
l'arène des géants du monde depuis plus
d'un siècle. Le déguisement sous la
défroque d'un auxiliaire docile de César
d'une vassalisation trop crûment étalée
de l'Europe a servi de décor de théâtre
à l'expansion d'un empire campé sur le
territoire de son pseudo apostolat
depuis 1783 et appliqué à s'étendre sans
fin, à l'instar du christianisme des
premiers siècles, c'est-à-dire sous les
traits d'un libérateur de l'humanité.
Voir -
La capitulation de BNP-Paribas et la
géopolitique - L'âme de l'Europe et
l'esprit de justice , 23 août
2014
C'est le sceptre
d'un évangélisme auquel la démocratie
mondiale sert de creuset qui permet
aujourd'hui à la Maison Blanche de
paraître légitimer la perpétuation de
son universalité sous le drapeau d'une
croisade vertueuse de la planète contre
la Russie - mais, à chaque instant, un
gnome sur ressorts, M. Rasmussen,
jaillit de sa boîte pour demander à
l'OTAN d'endosser la cuirasse, de hisser
le heaume et l'aigrette et de courir au
combat l'arme au poing et flamberge au
vent. L' épopée du salut par la
démocratie rédemptrice est censée au
service des idéaux d'une politologie
séraphique. Une bible du Beau, du Juste
et du Bien lexicalisés montre à nouveau,
s'il en était besoin, que si vous ne
convertissez pas la politologie
sotériologisée - donc pseudo
scientifique de ce temps - à une
connaissance anthropologique des rouages
et des ressorts des théologies du
langage et de leurs oriflammes depuis la
Grèce antique, votre géopolitique se
trouvera privée de radiographies des
anges de la grammaire qui traversent à
tire d'aile la "moyenne région de
l'air", comme disait Renatus Cartésius.
3 - On ne se
suicide pas à plusieurs
La guerre de
l'Europe des vassaux pour la reconquête
de leur souveraineté antérieure à 1939
ne passera en rien par un soulèvement
spontané des populations, mais seulement
par une révolution intellectuelle mûrie
dans l'ombre. Ce ne sont pas les
Maharadja trônant sur leurs éléphants
qui ont arraché l'Inde dorée à la
colonisation anglaise. De même, ce n'est
pas le petit peuple algérien ou tunisien
qui a chassé les Français, mais une
intelligentsia culturelle et politique
formée depuis des générations dans les
écoles d'une France à la fois
colonisatrice et laïque.
Le statut bilingue
de la future classe dirigeante de
l'Afrique du Nord a nourri des ambitions
politiques inscrites d'avance dans une
intelligentsia de pauvres nécessairement
condamnée à la bancalité linguistique et
culturelle, ce qui faisait dire à
l'ancien président et libérateur de la
Tunisie, M. Habib Bourguiba, un laïc
militant, que la rechute du pays dans
l'identité religieuse, donc auto-vassalisatrice
des ancêtres - mais renforcée par le
réveil meurtrier du fanatisme -
reconduirait inexorablement le pays à
une domestication seulement autrement
habillée, parce que les peuples
développés sont responsables de la
colonisation de leur tête. De même,
depuis 1789, l'Europe s'illusionnait à
confier les espérances de sa
souveraineté philosophique à un suffrage
universel censé miraculé par les
exploits cérébraux de la déesse
"Liberté". Seule une élite nouvelle
forgera l'encéphale des dirigeants
neuronaux de la démocratie mondiale de
demain. Il y faut l'enclume d'une pensée
redevenue provocatrice.
4 - L'Europe et
son cerveau
Comment une Europe
en attente de son réveil socratique,
mais réduite à un cortège de nations
désorientées et amputées d'une vocation
intellectuelle partagée de leur
"connais-toi", comment une telle Europe,
dis-je, trouverait-elle sa place sur la
scène internationale si elle manque
d'une anthropologie fermement guidée par
un regard de métazoologue? Car la raison
n'est jamais une instance hiératique et
armée de verdicts statufiés. Si l'Europe
d'aujourd'hui se laisse vassaliser par
l'Amérique sur le même modèle que
l'Algérie de 1830 - c'est-à-dire
cérébralement - ce sera parce que nos
élites scolaires se seront montrées
aussi paralysées que l'islam nord
africain du général Lyautey - à cette
différence près que les christianismes
démocratiques américain et européen
auront partagé le même Moyen-Age mental.
C'est dire que la renaissance des
intelligences sera mondiale ou ne sera
pas.
J'ai déjà rappelé
(Voir -
La capitulation de BNP-Paribas et la
géopolitique - L'âme de l'Europe et
l'esprit de justice , 23 août
2014 ) que les masses privées de guides
issus de leurs propres rangs s'en
donnent un tel en provenance de
l'étranger plutôt que de se trouver
décapitées par la sottise et l'ignorance
des élites du cru. J'ai donné en outre
une liste de nos dirigeants les plus en
vue et qui ignorent avec un bel ensemble
qu'ils se sont laissé vassaliser par une
théologie de la démocratie américaine
enracinée dans le messianisme
monothéiste de l'Occident. Si la
psychanalyse post-freudienne n'explorait
pas l'inconscient du sacré chrétien, les
sciences humaines manqueront la mutation
cérébrale qu'attend le XXIe siècle.
Certes, pour
l'instant, l'existence même de l'empire
américain est censée se trouver validée
et aller autant de soi que celle de
l'empire romain aux yeux des Gaulois
sous Tibère. Mais quel sera le
rendez-vous de ce Continent avec la
puissance retrouvée de ses armes dès
lors que la guerre économique est
devenue mondiale et qu'elle dictera
nécessairement à la planète une
stratégie de remplacement de la foudre
nucléaire? Car, depuis 1945, la
dissuasion par l'apocalypse se révèle
obsolète sans qu'on en ait explicité les
raisons anthropologiques et
inconsciemment religieuses, tellement
cette caducité repose sur un monde
précérébralisé sur le modèle monopolaire
de la législation d'un seul génocidaire,
donc calqué sur la politique des
théologies monothéistes. La dissuasion
par le suicide nucléaire est
nécessairement monophasée dans les
souterrains d'un Zeus unique - elle ne
saurait se partager entre plusieurs
propriétaires du mythe le plus originel,
celui de l'extermination de l'humanité
par le saint Déluge, lequel se situe au
cœur de l'anthropologie politique et
scientifique de demain.
Je rappelle que si,
au XVIIe siècle, la contestation de la
sainteté du Déluge vous conduisait
encore au bûcher, c'est que la justice
de Dieu avait politiquement besoin de
sacraliser ses châtiments. Le refus
actuel de la sanctification de
l'apocalypse nucléaire témoigne de
l'affaiblissement des fondements
religieux des châtiments - mais, dans le
même temps, le réalisme politique
contribue à l'émancipation cérébrale des
détoisonnés.
5 - Entre le
trépas et la résurrection
L'essai sur
L'accélération de l'histoire,
paru en 1947, a dépassé les attentes de
son auteur: son génie d'anthropologue de
la bête semi-cérébralisée a permis à M.
Daniel Halévy de comprendre que
l'évolution d'une espèce désormais
empêtrée par la foudre qui lui est
tombée entre les pattes a pris le relais
d'une apocalypse biblique qui
préfigurait les conquêtes de l'atome
militaire Aussi l'axe
Tel-Aviv-Washington, qui paraissait
inébranlable il y a deux ans encore, se
trouve brisé dans l'œuf dès lors que le
mythe de la démocratie universelle, qui
se veut irénique et pacificateur,
ridiculise une civilisation dite des
droits d'un homme idéal et supposé
pensant, mais demeuré prisonnier de
l'inconscient biblique du nucléaire et
qui se cherche en vain une arche de Noé
de sa connaissance traditionnelle de
lui-même.
Du coup, l'empire
américain s'est vu contraint de
demander, lui aussi, la levée du blocus
de Gaza - il faut donner des gages au
nouvel Eden. Dès lors que l'accélération
de l'histoire rend multipolaire la
planète, et cela au sein même du mythe
du salut par la démocratie universelle,
il devient impossible à la Maison
Blanche de plaider continument pour la
vassalisation de l'Europe. Il aura suffi
de quatre jours à la contre-offensive
pourtant strictement économique, elle
aussi, de la Russie pour réduire à quia
une Union européenne rendue
virtuellement rebelle à sa spoliation
inlassable par son maître et prophète
d'outre-Atlantique - et l'on a vu courir
à bride abattue en direction du Kremlin
des nations du Vieux Continent indignées
de se voir amputées de leur souveraineté
économique par les dernières ruades du
cheval de Troie de Washington - une
Commission de Bruxelles sur le départ.
Du coup, la
politique militaire de l'Europe post
américaine prendra nécessairement la
forme d'une alliance stratégique
provisoire avec le Kremlin. Mais, dans
le même temps, la réflexion militaire
française se trouve dans la même impasse
anthropologique que celle du monde
entier - laquelle illustre précisément
la contradiction titanesque entre la
domestication d'une Europe usée et
fatiguée, d'un côté, et livrée, de
l'autre, à la difficulté d'esquisser les
contours de l'avenir inévitablement
trans-nucléaire de la mappemonde.
6 - La débilité
politique des dirigeants européens
Le 6 juin 2014, une
France subitement campée à nouveau sur
ses deux jambes saluait le rôle décisif
de la Russie dans la défaite du nazisme
et paraissait remettre, un instant
l'histoire du monde d'aplomb; mais un
mois seulement plus tard, l'Elysée se
ruait en aveugle dans ses ultimes
frasques collectives - celles d'une
politique des sanctions économiques
qualifiées de "punitives" - la Russie
était un garnement à châtier de quelques
coups de verge exigés en sous-main par
la pédagogie scolaire de l'instituteur
américain. Du coup, la coalition de
BRICS, qui flottait dans le vide,
(Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du
Sud) s'est placée en quelques jours au
cœur d'une économie mondiale enfin armée
d'une vocation politique clarifiée par
le réalisme d'une métazoologie; et le
Kremlin prendra en mains le timon d'une
planète économique résolument et
durablement scindée entre l'Occident et
l'Asie. L'affaire des Mistral n'y
changera rien.
Du coup, une Europe
vassalisée par une sacralité
bureaucratique qui l'a conduite, de
surcroît, à la débilité mentale, se
trouve contrainte de se poser la
question de l'avenir de sa souveraineté
politique et militaire. Il va falloir
choisir, le canon sur la tempe, entre le
trépas dans le messianisme pseudo
démocratique et la résurrection
cérébrale. Car il se trouve qu'une
alliance militaire unilatéralisée avec
la Russie et, par delà, avec la Chine,
n'aurait pas de sens non plus sur le
long terme, dès lors que la rivalité,
devenue polymorphe, des empires actuels
entre eux repose désormais et pour
longtemps, sur la masse de leur
population, l'étendue de leur territoire
et leur santé économique, tandis que la
puissance du glaive réduit à ses propres
forces renvoie à la massue de Naoh dans
La Guerre du feu. Le 28 août,
l'accord commercial conclu en roubles et
en yuan entre la Chine et la Russie
entrait en vigueur sans que la presse
atlantiste en pipât mot; mais les
quelques experts américains, qui n'ont
pas la bouche cousue, ont tous signalé
que le premier clou avait été planté
dans le cercueil du dollar.
C'est dire que la
dislocation du mythe de l'ubiquité
géographique et parareligieuse de la
monnaie américaine inaugure les
funérailles de l'ubiquité militaire et
parareligieuse de ce moyen de paiement
pseudo universelle; c'est dire également
qu'à l'heure de l'effondrement de cette
fausse sesterce, l'Amérique n'aura plus
de sceptre sacré et financier confondus
à brandir - le totem de l'or-papier ne
survivra pas au naufrage de sa
juridiction impériale. La postérité
sépulcrale de l'amende titanesque qui a
été infligée à la France par le roi d'un
billet vert célestifié ne fait que
commencer, parce que cette honte - et
celles qui suivront - seront aussi
impossibles à déglutir que le Déluge,
dont on sait qu'il reste dans la gorge
du Créateur depuis trois mille ans.
Mais n'est-ce pas
un immense privilège cérébral , pour une
civilisation née à Athènes avec les
premiers pas de la pensée rationnelle
mondiale, d'occuper à nouveau le
carrefour le plus décisif de
l'anthropologie scientifique de demain,
celle qui mettra, une fois encore, le
timon de la connaissance de l'évolution
du cerveau simiohumain entre les mains
de la nouvelle Europe trans-ptolémaïque?
7 - Une mutation
de la cervelle de Zeus
Et pourtant, le
monde moderne n'est pas près de
renoncer, du moins verbalement à une
apocalypse guerrière réduite à une
mythologie militaire, donc devenue
irrationnelle et inutilisable par nature
et par définition sur un champ de
bataille. Certes, la pesée de la
puissance politique des nations a
basculé dans une écoute de la
simianthropologie et de la métazoologie.
Mais la réflexion de l'Europe
post-américaine sur son avenir militaire
sera intimement liée à un
approfondissement accéléré des sciences
humaines, donc au destin intellectuel de
la civilisation de la pensée critique -
et les chemins de cette accélération
sont encore hasardeux.
C'est dire que la
philosophie moderne se voit contrainte
d'entrer par la grande porte dans la
postérité de Darwin et de Freud - sinon
elle manquera d'une connaissance
spéléologique du cerveau actuellement
théologisé, donc encore en friche des
semi évadés de la zoologie. Si l'Europe
devait se marginaliser davantage, soit
dans la méconnaissance de l'avenir du
lion américain agonisant, soit aux côtés
des Etats ascensionnels de demain et si
elle renonçait à sa vocation des prendre
la tête du "connais-toi" méta-zoologique
moderne, qu'adviendrait-il de l'animal
qui n'a pas encore vraiment appris à
prendre la mesure exacte de la dimension
de son corbillard dans le cosmos?
Savez-vous que la
sonde Rosetta , qui a mis dix ans à
seulement rejoindre la comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko
à la vitesse estimable de mille
kilomètres environ à la minute,
savez-vous, dis-je, que cette sonde
paresseuse n'a franchi que six petits
milliards de kilomètres, savez-vous que
Rosetta mettrait soixante douze mille
ans à tutoyer l'étoile la plus proche du
système solaire, située à trente six
mille milliards de kilomètres de nos
tombes, parce que la lumière court
dix-huit mille fois plus vite que
Rosetta, savez-vous que notre sonde
poussive mettrait deux cent cinquante
mille milliards d'années pour se rendre
aux confins du minuscule catafalque de
la matière que nous appelons le cosmos ?
Voilà un animal tellement borné et
aveugle que ses pattes et ses antennes
ignorent tout du mausolée de l'espace et
du temps dans lequel il se trouve
immergé et qui ne se demande même pas ce
qu'il fera de la foudre microscopique
qui l'alourdit, mais qui suffit d'ores
et déjà à le vaporiser dans le vide de
l'immensité ?
8 - Notre retour
sur la terre
Si vous faites
remarquer à nos astronomes des ténèbres
que l'errance éternelle qui frappe notre
espèce nous promène dans un silence noir
et que l'étendue se mettrait en
contradiction avec sa logique interne si
elle s'interdisait de se colleter avec
l'infini qui la dévore, vous verrez
soudain nos rois des étoiles s'affoler
derrière le miroir de leurs télescopes,
tellement les yeux de l'astronomie
actuelle ne capturent que de la matière
en voyage et ne se mesurent jamais avec
les mâchoires du temps. L'Europe
dira-t-elle aux nations qu'il leur
appartient de quitter le Moyen-âge de
leur science de l'humain et de faire
basculer l'Europe dans une Renaissance
des cervelles, donc dans un nouveau
Discours de la méthode, parce
que le Dieu traînard des ancêtres
n'aurait pas encore achevé la
construction d'un seul grain de sable
s'il travaillait au rythme qu'il nous
raconte. Décidément, nous sommes à la
veille d'un changement subit et
vertigineux de la pesée de la boîte
osseuse de la bête.
Mais l'heure
n'est-elle pas propice à l'apprentissage
d'un regard du dehors sur le chaudron en
fusion dans lequel la classe politique
mondiale fait bouillir notre histoire?
Le polythéisme est mort sans que le
monde antique eût conquis un regard sur
la minusculité de ses dieux. Et
maintenant, l'infini ridiculise nos
marmites célestes. A nous, pourtant, de
devenir un peu plus ascensionnels dans
le vide que sous le sceptre du Jupiter
qui traînait la patte dans le cosmos.
Regardez la cohorte
d'éclopés qui se sont précipités à
Berlin le 18 août 2014, puis à Minsk le
27 août pour affronter, aux côtés du
ministre des affaires étrangères de
Kiev, une Russie nullement intimidée par
des gesticulations économiques
anachroniques. Les Curiaces étaient fort
embarrassés devant un seul Horace. Ils
rêvaient de le contraindre à capituler
dans le Donbass, puisque, dans ce cas,
l'Europe retournait dare dare se blottir
auprès d'un "prix Nobel de la paix"
plus omniprésent que jamais et plus
solidement campé au cœur du Continent.
Puis, sous le parapluie des pucerons
tout revigorés de l'OTAN, un continent
plus ficelé à son maître que celui
d'hier et d'avant-hier irait docilement
bâtir des bases militaires américaines à
l'est et au nord de la Crimée. Mais si
l'Europe du Pont de la rivière
Kwaï et d'Une journée
d'Ivan Denissovitch se
réveillait et laissait la Russie
retrouver ses frontières de 1917, le
monde entier proclamerait qu'Hitler
serait ressuscité à Moscou, parce que
les vassaux se ruent en aveugles sur
l'ennemi dont leur maître leur montre du
doigt la casaque - celui qui permet à
leur vassalisateur d' étendre son
sceptre sur leur tête.
Puisse la
politologie pseudo scientifique de notre
temps observer la ruine de son échiquier
cosmique et se mettre à l'école de la
sonde Rosetta de la philosophie. Alors
nous visiterons le catafalque de notre
géopolitique d'insectes et nous dirons à
M. Poutine que, soixante douze ans
d'égarement de la Russie sur les arpents
de l'utopie marxiste ne sauraient priver
son illustre nation de son étendue
géographique naturelle - et que l'Europe
pensante soutiendra de toutes ses forces
le Kremlin de Pierre le Grand dans ses
droits de propriétaire spolié de ses
biens en 1991 par l'arbitraire du lion
rugissant de la démocratie américaine.
Post Scriptum
J'écrivais le 25
juillet: "A partir de cette date, et
compte-tenu qu'on ne luttera
efficacement contre le naufrage de la
langue française que si le Président de
la République et le Premier Ministre se
voient nommément mis en cause, je
relèverai quelques-unes de leurs
fautes."
M. Valls ignore qu'on
part pour..., et non à...
M Hollande ignore
qu'on ne circule pas en vélo,
mais à vélo.
Reçu de l'auteur pour publication
Le sommaire de Manuel de Diéguez
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