L'art de la guerre
Gazoduc explosif en Méditerranée
Manlio Dinucci

Manlio
Dinucci. DR
Mardi 29 septembre 2020
En Méditerranée orientale, dans
les fonds de laquelle ont été découverts
de grands gisements offshore de gaz
naturel, est en cours un âpre
contentieux pour la définition des zones
économiques exclusives, à l’intérieur
desquelles (jusqu’à 200 miles de la
côte) chacun des pays riverains a les
droits d’exploitation des gisements. Les
pays directement impliqués sont Grèce,
Turquie, Chypre, Syrie, Liban, Israël,
Palestine (dont les gisements, dans les
eaux de Gaza, sont aux mains d’Israël),
Égypte et Libye. Particulièrement tendue
est la confrontation entre Grèce et
Turquie, toutes deux membres de l’OTAN.
La mise en jeu n’est pas
seulement économique. La véritable
partie qui se joue en Méditerranée
orientale est géopolitique et
géostratégique, et implique les plus
grandes puissances mondiales.C’est dans
ce cadre que s’insère l’EastMed, la
conduite qui amènera dans l’Ue une
grande partie du gaz de cette aire. Sa
réalisation a été décidée au sommet qui
s’est déroulé à Jérusalem le 20 mars
2019, entre le Premier ministre
israélien Netanyahou, son homologue grec
Tsipras et le président chypriote
Anastasiadès. Netanyahou a souligné que
“le gazoduc s’étendra d’Israël à
l’Europe travers Chypre et la Grèce” et
Israël deviendra ainsi une “puissance
énergétique” (qui contrôlera le couloir
énergétique vers l’Europe) ; Tsipras a
souligné que “la coopération entre
Israël, Grèce et Chypre, opérée au
sixième sommet, est devenue
stratégique”. Ce que confirme le pacte
militaire stipulé par le gouvernement
Tsipras avec Israël il y a cinq ans (il
manifesto, 28 juillet 2015).
Au Sommet de Jérusalem (dont les actes
sont publiés par l’Ambassade USA à
Chypre) a participé le secrétaire d’État
étasunien Mike Pompeo, en soulignant que
le projet EastMed lancé par Israël,
Grèce et Chypre,“partenaires
fondamentaux des USA pour la sécurité”,
est “incroyablement opportun” parce que
“Russie, Chine et Iran sont en train de
tenter de mettre pied en Orient et en
Occident”.
La stratégie US est
déclarée : réduire et enfin bloquer les
exportations russes de gaz en Europe, en
les remplaçant avec du gaz fourni ou en
tous cas contrôlé par les USA. En 2014
ils ont bloqué le SouthStream, qui à
travers la Mer Noire aurait apporté en
Italie le gaz russe à des prix
compétitifs, et ils tentent de faire la
même chose avec le TurkStream qui, à
travers la Mer Noire, apporte le gaz
russe dans la partie européenne de la
Turquie pour le faire arriver en Europe.
En même temps les USA
essaient de bloquer la Nouvelle Route de
la Soie, le réseau d’infrastructures
projeté pour relier la Chine à la
Méditerranée et à l’Europe. Au
Moyen-Orient, les USA ont bloqué avec la
guerre le couloir énergétique qui, sur
la base d’un accord stipulé en 2011,
aurait transporté, à travers l’Irak et
la Syrie, du gaz iranien jusque sur la
Méditerranée et en Europe.
Bien en rang dans cette
stratégie s’est placée l’Italie où (dans
les Pouilles) arrivera l’EastMed qui
apportera le gaz aussi dans d’autres
pays européens. Le ministre
Patuanelli (Mouvement 5 Etoiles), a
défini le gazoduc, approuvé par l’Ue,
comme un des “projets européens
d’intérêt commun”, et la sous-secrétaire
Todde (M5S) a porté l’adhésion de
l’Italie à l’East Med Gaz Forum, siège
de “dialogue et coopération” sur le gaz
de la Méditerranée orientale, auquel
participent -outre Israël, la Grèce et
Chypre- l’Égypte et l’Autorité
Palestinienne. En fait aussi partie la
Jordanie, qui n’a pas de gisements
offshore de gaz puisque elle n’a pas de
façade sur la Méditerranée, mais
l’importe d’Israël. Sont par contre
exclus du Forum le Liban, la Syrie et la
Libye, à qui revient une partie du gaz
de la Méditerranée orientale.
États-Unis, France et Ue ont pré-annoncé
leur adhésion. La Turquie n’y participe
pas à cause du contentieux avec la
Grèce, que l’OTAN cependant s’emploie à
résoudre : des “délégations militaires”
des deux pays se sont rencontrées déjà
six fois au quartier général OTAN de
Bruxelles.
Pendant ce temps, en
Méditerranée orientale et dans la Mer
Noire limitrophe, est en cours un
croissant déploiement des Forces navales
USA en Europe, dont le quartier général
est à Naples
Capodichino. Leur “mission”
est de “défendre les intérêts USA et
Alliés, et décourager l’agression”. Même
“mission” pour les bombardiers
stratégiques USA B-52, qui volent sur la
Méditerranée orientale flanqués par des
chasseurs grecs et italiens.
Édition de mardi 29 septembre 2020
d’il manifesto
https://ilmanifesto.it/gasdotto-esplosivo-nel-mediterraneo/
Traduit de
l’italien par M-A P
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