L'art de la guerre
Une Italie souverainiste sans souveraineté
Manlio Dinucci
© Manlio
Dinucci
Mardi 4 septembre 2018
Le tourbillon politico-médiatique
soulevé par l’affrontement entre
“européistes” et “souverainistes” cache
ce qu’est au contraire la réalité : un
européisme sans Europe et un
souverainisme sans souveraineté.
Celui qui brandit
instrumentalement la bannière de
l’européisme en ce moment est le
président Macron, pour faire avancer la
puissance française non seulement en
Europe mais en Afrique. La France,
promotrice avec les USA de la guerre
OTAN qui en 2011 a démoli l’État libyen
(dans laquelle l’Italie joua un rôle de
premier plan), essaie par tous les
moyens de contrôler la Libye : ses
riches ressources -d’énormes réserves de
pétrole, gaz naturel et eau fossile- non
moins que son territoire, de grande
importance géostratégique.
À cet effet Macron appuie les milices qui combattent le “gouvernement” de
Fayez al Serraj, soutenu par l’Italie
qui avec l’Eni (Société nationale des
hydrocarbures) conserve de gros intérêts
dans le pays.
Ceci n’est qu’un des
exemples de la façon dont l’Union
Européenne, fondée sur les intérêts des
oligarchies économiques et financières
des plus grandes puissances, est en
train de s’effriter dans des oppositions
de nature économique et politique, dont
la question des migrants n’est que la
pointe de l’iceberg.
Face à la prédominance de France et Allemagne, le gouvernement italien 5
Stelle-Lega a fait un choix précis :
accroître le poids de l’Italie en la
liant encore plus étroitement aux
États-Unis. D’où la rencontre du
président du conseil Conte avec le
président Trump, à laquelle les médias
italiens n’ont donné que peu d’écho. Et
pourtant dans cette rencontre ont été
prises des décisions qui ont une
influence notable sur la position
internationale de l’Italie.
Avant tout il a été
décidé de créer “une cabine de régie
permanente Italie-USA en Méditerranée
élargie”, c’est-à-dire dans l’aire qui,
dans la stratégie USA/OTAN, s’étend de
l’Atlantique à la Mer Noire et, au sud,
jusqu’au Golfe Persique et à l’Océan
Indien.
En réalité la régie est aux mains des USA, spécifiquement du
Pentagone, alors qu’à l’Italie ne
revient qu’un rôle secondaire
d’assistant à la régie et de façon
générale le rôle de comparse.
Selon Conte, au contraire, “c’est une coopération stratégique, presque un
jumelage, en vertu de laquelle l’Italie
devient point de référence en Europe et
interlocuteur privilégié des États-Unis
pour les principaux défis à affronter”.
S’annonce ainsi un renforcement
ultérieur de la “coopération
stratégique” avec les États-Unis,
c’est-à-dire du rôle “privilégié” de
l’Italie comme pont de lancement des
forces étasuniennes, y compris
nucléaires, aussi bien vers le Sud que
vers l’Est.
“À
l’Italie l’administration américaine
reconnaît un rôle de leadership comme
pays promoteur de la stabilisation de la
Libye”, déclare Conte, annonçant
implicitement que l’Italie, et non pas
la France (moins fiable aux yeux de
Washington), a reçu de la Maison Blanche
la mission de “stabiliser” la Libye.
Reste à voir comment.
Il ne suffira pas de la
Conférence internationale sur la Libye,
qui devrait se dérouler à l’automne en
Italie, avant les “élections” libyennes
sponsorisées par la France qui devraient
se tenir en décembre. Il faudra du côté
italien un engagement militaire
directement sur le terrain, aux coûts
humains et matériels et aux issues
imprévisibles.
Le choix “souverainiste” du gouvernement Conte réduit donc ultérieurement
la souveraineté nationale, en rendant
l’Italie encore plus dépendante de ce
qui se décide à Washington, non
seulement à la Maison Blanche, mais au
Pentagone et à la Communauté
d’intelligence, composée de 17 agences
fédérales spécialisées en espionnage et
opérations secrètes.
Le véritable choix souverainiste est l’application réelle du
principe constitutionnel selon lequel
l’Italie répudie la guerre comme
instrument d’offense à la liberté des
autres peuples et comme moyen de
résolution des conflits internationaux.
Édition de mardi 4 septembre 2018 de
il manifesto
https://ilmanifesto.it/unitalia-sovranista-senza-sovranita/
Traduit de l’italien par M-A P.
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