Opinion
South Stream bloqué,
la « claque » des USA à l'Europe
Manlio Dinucci
Photo:
D.R.
Mercredi 3 décembre 2014
« La Russie pour le moment est
obligée de se retirer du projet South
Stream, à cause du manque de volonté de
l’Union européenne de le soutenir et du
fait qu’elle n’a toujours pas reçu
l’autorisation par
la Bulgarie
de faire passer le gazoduc sur son
propre territoire» : voilà comment le
président russe Vladimir Poutine a
annoncé l’arrêt du projet South Stream,
le gazoduc qui aurait dû amener le gaz
russe dans l’Union européenne à travers
un corridor énergétique méridional, sans
passer par l’Ukraine. De cette façon,
écrit l’Ansa (principale agence de
presse italienne, ndt), Moscou
« donne une claque à l’Europe ». En
réalité c’est Washington qui donne une
autre forte claque à l’Europe, en
bloquant un projet de 16 milliards
d’euros qui aurait pu être de grande
importance économique pour les pays de
l’Ue, en commençant par l’Italie où
aurait dû être construit le terminal du
gazoduc.
Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut reprendre l’histoire du
South Stream. Le projet naît de l’accord
de partenariat stratégique, stipulé par
la compagnie publique russe Gazprom et
par l’italienne Eni en novembre 2006,
pendant le gouvernement Prodi II. En
juin 2007 le ministre pour le
développement économique, Pierluigi
Bersani, signe avec le ministre russe de
l’industrie et de l’énergie le
mémorandum d’entente pour la réalisation
du South Stream. Le projet prévoit que
le gazoduc sera composé d’un tronçon
sous-marin de
930 Km
à travers
la Mer Noire
(en eaux territoriales russes, bulgares
et turques) et par un tronçon sur terre
à travers Bulgarie, Serbie, Hongrie,
Slovénie et Italie jusqu’à Tarvisio
(Province d’Udine). En 2012 entrent
aussi dans la société par actions qui
finance la réalisation du tronçon
sous-marin la société allemande
Wintershall et la française Edf à
hauteur de 15% chacune, alors qu’Eni
(qui a cédé 30%) détient 20% et Gazprom
50% des actions. La construction du
gazoduc commence en décembre 2012, avec
l’objectif de lancer la fourniture de
gaz pour 2015. En mars 2014, Saipem (Eni)
s’adjudique un contrat de 2 milliards
d’euros pour la construction de la
première ligne du gazoduc sous-marin.
Entre temps, cependant, éclate la crise ukrainienne et les Etats-Unis
font pression sur les alliés européens
pour qu’ils réduisent les importations
de gaz et de pétrole russes. Premier
objectif étasunien : empêcher la
réalisation du South Stream. A cet effet
Washington exerce une pression
croissante sur le gouvernement bulgare
pour qu’il bloque les travaux du
gazoduc. D’abord il le critique pour
avoir confié la construction du tronçon
bulgare du gazoduc à un consortium dont
fait partie la société russe
Stroytransgaz, sujette à des sanctions
étasuniennes. Puis l’ambassadrice US à
Sofia, Marcie Ries, avertit les hommes
d’affaires bulgares d’éviter de
travailler avec des sociétés sujettes à
des sanctions de la part des USA. Un
grand coup de main est donné à
Washington par le président de
la Commission
européenne, José Manuel Barroso, qui
annonce l’ouverture d’une procédure Ue
contre la Bulgarie pour de présumées irrégularités dans les
appels d’offre du South Stream. Le
moment décisif est celui où, en juin
dernier, arrive à Sofia le sénateur
étasunien John McCain, qui rencontre le
premier ministre bulgare Plamen
Oresharski en lui transmettant les
ordres de Washington. Immédiatement
après Oresharski annonce le blocus des
travaux du South Stream, dans lequel
Gazprom a déjà investi 4,5
milliards de dollars.
En même temps la compagnie étasunienne Chevron commence les
perforations en Pologne, Roumanie et
Ukraine pour extraire les gaz de schiste
bitumineux, par la technique de
fracturation hydraulique : on injecte
dans les strates rocheuses profondes des
jets d’eau et de solvants chimiques à
haute pression. Cette technique est
extrêmement dangereuse pour
l’environnement et la santé, à cause
surtout de la pollution des nappes
phréatiques. Le projet de Washington de
remplacer le gaz naturel russe, importé
par l’Ue, par celui extrait des schistes
bitumineux en Europe et aux Etats-Unis,
est un véritable bluff, à la fois par
ses coûts élevés et par les dommages
environnementaux et sanitaires de cette
technique d’extraction. Et, en effet, en
Pologne et en Roumanie plusieurs
communautés locales se rebellent.
A la suite du blocus de South Stream, a annoncé Poutine, la Russie est obligée de
« réorienter ses fournitures de gaz ».
Celles destinées à la Turquie vont augmenter, à
travers le gazoduc Blue Stream. Et vont
augmenter surtout celles vers la Chine. Gazprom lui
fournira, d’ici 2018, 38 milliards de
mètres cubes de gaz par an, c’est-à-dire
environ un quart de celui qu’elle
fournit aujourd’hui à l’Europe. Se
servant aussi d’investissements chinois
prévus pour 20 milliards de dollars,
Moscou projette de potentialiser
l’oléoduc entre la Sibérie orientale et le Pacifique, en
l’accompagnant d’un gazoduc de
4000 Km pour
approvisionner la Chine. Pékin est aussi
intéressé pour des investissements en
Crimée, notamment pour la production et
l’exportation de gaz naturel liquéfié.
Les perdants sont les pays de l’Ue : la Bulgarie, par exemple, devra renoncer à des droits
de transit de l’ordre de 500 millions de
dollars annuels. En Italie, à peine
annoncée l’arrêt du projet South Stream,
l’action Saipem en bourse a subi, à la
suite des ventes, une chute continue,
descendant au niveau le plus bas des six
dernières années. Avec le blocus de
South Stream, Saipem perd, outre le
contrat pour la construction de la
première ligne du gazoduc sous-marin, un
autre contrat pour les travaux de
support de la seconde ligne, pour une
valeur totale de 2,4 milliards d’euros,
auxquels se seraient ajoutés d’autres
contrats si le projet avait été
poursuivi.
On prévoit de lourdes
répercussions sur l’emploi. A la suite
de l’effacement du projet South Stream
seront annulées ou re-dimensionnées les
nouvelles embauches que Saipem prévoyait
pour augmenter ses propres effectifs en
Italie. On n’exclut pas non plus une
coupe dans les effectifs actuels.
L’effacement du projet South Stream
assène donc un coup dur non seulement à
Saipem mais à d’autres secteurs de
l’industrie et des services, au moment
critique où chute la production et, en
conséquence, l’emploi. Il suffit de
penser que le terminal de Tarvisio,
prévu dans le projet originaire, aurait
pu être le hub de distribution du gaz
russe et donc source de fortes recettes
et augmentation de l’embauche.
Tout cela est à présent devenu
vain. Tandis que tirent avantage de cet
arrêt du South Stream les compagnies
étasuniennes comme Chevron, engagées à
remplacer le gaz russe fourni à l’Ue.
Il ne reste qu’à remercier « l’ami américain ».
Edition de mercredi 3 décembre de il
manifesto
sous le titre South Stream, USA e
getta
http://ilmanifesto.info/south-stream-usa-e-getta/
Traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio
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