Considérations
inactuelles n° 60
Un califat à utilité variable pour les
USA
Lucio Manisco
Mardi 4 novembre 2014
[Article
écrit avant les résultats des élections
étasuniennes « de moyen terme », NdT]
Victoires de l’Isis sur les démocrates
en Arkansas, Montana, Sud Dakota,
Virginie occidentale et Kentucky.
Déroute des armées électorales d’Obama
dans d’autres Etats. Retour au futur :
il y a 52 ans le Vietnam et Jack
Kennedy.
Lucio Manisco*
Le perfide et barbare Califat de l’Etat
Islamique a obtenu des victoires
significatives dans les Etats démocrates
de l’Arkansas, du Montana, du Sud
Dakota, et de Virginie occidentale, et,
avec de nombreux succès dans d’autres
Etats, il a probablement étendu le
contrôle du parti d’opposition de la Chambre des représentants
au Sénat en éclopant définitivement le
canard Obama dans les deux dernières
années de son mandat. Avant même la
confirmation officielle des résultats
des élections de moyen terme s’est élevé
de l’Atlantique au Pacifique le chœur
triomphal des troglodytes républicains :
« IUESSEA ! IUESSEA ! ».
Cette synthèse des involutions et
des contradictions de la croisade
proclamée par Obama pour « défaire et
détruire » l’ISIS est-elle paradoxale et
peu crédible ? Jusqu’à un certain
point : la « croisade » était et reste
un des objectifs de l’expansionnisme
géopolitique de l’ISIS au Moyen-Orient,
objectif marginalement atteint même avec
le recrutement de volontaires en
Occident. Massacreurs et égorgeurs sur
les champs de bataille ses dirigeants
ont fait preuve d’un exceptionnel flair
politique et une non moins
exceptionnelle connaissance des humeurs
et craintes de l’opinion publique
occidentale, étasunienne surtout : on
imagine, même si elle est passée sous
silence, leur satisfaction pour avoir
contribué à la défaite de leur ennemi[1]
numéro un, Barack Obama.
« Féroces Saladins » à part, il
existe d’autres causes et causes
concomitantes de la quasi certaine
défaite du Chef de l’Exécutif : la
désillusion sur les promesses non
tenues, l’économie qui malgré les
données édulcorées et faussées reste en
récession (le chômage tombé à 6% est une
fable fondée sur des relevés de quelques
échantillons bien choisis mais en
réalité démentie par le syndicat AFL-CIO
selon lequel il dépasse les 12%), la
fameuse réforme sanitaire de l’Obamacare
qui a laissé 13 millions de citoyens
sans aucune assistance médicale, les
salaires minima qui restent depuis dix
ans à 7 dollars de l’heure, équivalents
à 5,60 euros, c’est-à-dire moins que la
paye d’une femme de ménage en Italie,
les restrictions sévères sur les flux
d’immigrés qui ont conduit à la
déportation de dizaines de milliers
d’enfants de parents mexicains
clandestins aux USA, les scandales de
l’Agence des frontières et des services
secrets, la dégradation urbaine et les
villes mortes, les infrastructures en
pièces, le crédit restreint des banques,
refinancées depuis la crise jusqu’à hier
par le Gouvernement Fédéral et par la Banque Centrale
à coup de trillions et trillions de
dollars, la panique injustifiée pour
Ebola aux Etats-Unis.
Tout
ça ne suffit-il pas à motiver le
blackboulage de Barack et une
participation qui va descendre
au-dessous des 38% ?
Non, ça ne suffit pas : il y a la
politique extérieure, militaire,
vingt-trois années de guerre –dont six
accumulées par Obama avec un engagement
et un acharnement plus effréné que ses
prédécesseurs avant et après le 11/9-
fiascos diplomatiques sur fiascos
militaires camouflés par le Président
prix Nobel de la paix avec un équivalent
du « mission accomplie » de George Bush,
en janvier dernier -« la démocratie et
la paix assurées à l’Irak et à
l’Afghanistan »- et le consécutif
retrait des troupes des deux pays
dévastés par les arsenaux du grand
empire d’occident.
Apparemment le Président pensait
que la lutte contre le terrorisme avec
les seuls drones et une nouvelle guerre
froide contre
la Russie
de Poutine promue par le coup d’état
fasciste en Ukraine et par l’expansion
de l’Otan aux frontières de l’ancien
adversaire communiste auraient suffi à
faire gagner à son parti les élections
de moyen terme.
Et il n’en a pas été ainsi. Il
fallait une guerre véritable, avec ou
sans, au moins pour le moment,
les « boots on the ground » pour
rallumer les ferveurs patriotiques d’un
peuple et le convaincre de ne pas
défenestrer son chef.
Est alors sorti du chapeau des
fiascos militaires attestés du
Moyen-Orient non pas un lapin mais la
créature vénéneuse et sanguinaire de
l’ISIS, accouchée, armée et financée
jusqu’à hier par les Etats-Unis
d’Amérique et par leurs alliés au
Moyen-Orient.
Too late, trop tard, car
s‘il est vrai que les Américains (du
Nord, NdT) sont libres de dire ce
qu’ils pensent parce qu‘ils ne pensent
pas à ce qu’ils ne peuvent pas dire, il
est vrai aussi que cette fois la mise en
scène a été bâclée, à l’improviste, avec
un récit grossier, pour ne pas réveiller
de leur léthargie traditionnelle dans le
secret des urnes ces quelques millions
de votants qui ont décidé de dire non à
l’imposteur.
Ce qui ne veut pas dire que le
califat ISIS ne représente pas une
menace pour tout le Moyen-Orient, mais
les méthodes utilisées jusqu’à présent
par l’Administration Obama suivent le
modèle de celles qui ont bruyamment
échoué dans le passé : bombardements,
coalitions rafistolées et double face,
re-entraînement d’une armée irakienne
qui avec ses armes lourdes et à haute
technologie remises à l’ennemi s’est
volatilisée après une heure et quarante
minutes de tirs, et enfin les
conseillers, instructeurs et assistants
logistiques USA qui sont déjà deux mille
et continuent à augmenter et à se
transformer en « boots on the ground ».
Souvenirs d’un octogénaire :
l’auteur de ces lignes et le journaliste
anglo-saxon Bruce Rothwell en 1962
invités « en privé » par Jack Kennedy
par l’intermédiaire de Pierre Salinger à
Hyannis Port : « Au Vietnam il suffira
de trois mille military advisers
et green berets pour remettre sur
pied l’armée de Diem –nous dît le
président- peut-être avec quelques uns
de nos avions, mais pas de marines
ou autres troupes de terre à nous. Nous
ne commettrons pas les erreurs des
Français et en une, maximum deux années,
nous balaierons la guérilla Vietcong ».
Douze ans après 55.000 morts étasuniens,
deux millions et plus de morts au
Vietnam et au Cambodge, et la fuite en
hélicoptère des derniers officiers et
fonctionnaires USA d’un toit voisin de
l’ambassade pendant qu’on amenait la
bannière étoilée.
Lucio Manisco a été journaliste (télé,
radio et presse écrite) et correspondant
de plusieurs grands médias italiens aux
Etats-Unis pendant plusieurs dizaines
d’années. Trois mandats de député
européen pour le PRC (Partito della
Rifondazione comunista).
Article reçu de l’auteur le 5 novembre
2014,
luciomanisco@gmail.com
Traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio
Le
dossier Monde
Les dernières mises à jour
|