Actualité
Henry Reeve,
capitaine de brigade
Luciano Del Sette
Lundi 25 mai 2020
Le
personnage.
Anti-esclavagiste confédéré,
révolutionnaire cubain. C’est son nom
que porte la Brigade de médecins cubains
venue au secours de l’Italie au moment
le plus critique de l’urgence Covid-19.
George
W. Bush, le président qui utilisait les
jumelles à l’envers, n’arriva pas cette
autre fois non plus, à voir plus loin
que le bout de son nez républicain et
férocement anti-communiste. Cette
fois-là c’était le 30 août 2005.
L’ouragan Katrina avait submergé les
States emportant avec lui 1800 morts
rien qu’à New Orleans, réduite à un amas
de décombres et de boue.
De Fidel
C’est là que George “Dabeliou”
reçut un appel téléphonique inattendu.
Au téléphone, Fidel Castro prêt à lui
offrir une Brigade de 1586 médecins
choisis parmi les milliers qui, Cubains
ou pas, apportaient leur aide dans le
monde. La santé publique avait été dès
le départ une des priorités du nouveau
gouvernement, et en quelques années le
service sanitaire à Cuba était devenu
partout synonyme d’excellence. En 1960,
le tremblement de terre de Valdivia, au
Chili, le plus grand jamais constaté par
son intensité, avait poussé Fidel à
lancer un projet d’internationalisme
médical sur une base strictement
volontaire.
Aujourd’hui ce réseau peut compter sur
55.000 médecins, dits first
responders, qui jusqu’à présent sont
intervenus dans environ 70 pays. Depuis
1999, la formation des volontaires se
fait à l’Elam, la Escuela
Latinoamericana de Medicina de La
Havane.
Mais
revenons au 30 août 2005. Evidemment et
de façon obtuse Bush refusa l’offre.
Pour toute réponse, Castro décida que la
Brigade allait constituer l’International
Contingent Specialized in Situations of
Disasters and Serious Epidemics, et
qu’elle porterait le nom d’Henry Reeve.
Baptême non dépourvu d’une pointe
d’ironie vénéneuse.
En quinze années d’activité, la Henry Reeve a été présente, par exemple,
en Guinée, Liberia et Sierra Leone pour
la crise Ebola de 2014 ; à Haïti pour
l’épidémie de choléra de 2010, où elle a
isolé la bactérie apportée là dans les
déchets d’une mission ONU. À l’hôpital
de Tararà, Cuba, elle a soigné plus de
20.000 enfants et 4.000 adultes,
victimes des radiations de Tchernobyl.
En Italie nous avons appris à la
connaître avec la diffusion du Covid-19.
Au mois de mars, à Crema, sont arrivés
63 de ses opérateurs (ils repartiront le
25 mai) ; 38 autres travaillent depuis
avril dans les locaux des ex-OGR,
Officine Grandi Reparazioni (Services
des Grandes Réparations) de Turin. Et si
nos médias ont raconté le travail de la
Brigade, aucun, sauf brève mention, ne
s’est jamais demandé qui était Henry
Reeve, tout au plus en le liquidant d’un
générique “Héros de la révolution
cubaine”. Héros, Henry sans aucun doute
le fut. Mais d’une guerre, celle des Dix
Ans, 1868/1878, contre les colonisateurs
espagnols.
Qui
était donc Henry Reeve et pour quelle
raison se trouva-t-il dans les combats
de quatre cent batailles, dans les rangs
puis à la tête de l’armée rebelle, et
subissant dix graves blessures ?
L’histoire requiert toujours un ordre de dates et d’événements. Partons
donc du 4 avril 1850, jour et année de
la naissance d’Henry à Brooklyn. Ses
parents, presbytériens, veulent pour lui
une solide formation scolaire et
culturelle. L’assassinat d’Abraham
Lincoln suscite chez le très jeune Reeve
un sentiment anti-esclavagiste très fort
qui le pousse à s’engager chez les
Confédérés et à participer à la Guerre
de Sécession. Au terme du conflit il
trouve du travail dans une boutique de
livres du quartier, où il entre en
contact avec les émigrés cubains qui
soutiennent les mouvements
indépendantistes de l’île. Leurs idéaux
libertaires le fascinent. À 19 ans
seulement il s’enfuit de chez lui pour
s’embarquer sur le navire Perrit
du général Nord-américain Thomas Jordan,
qui apporte à l’armée rebelle 300
hommes, des armes, munitions et vivres.
Reeve s’engage sous le faux nom d’Henry
Real. Il ne parle pas un mot d’espagnol,
son dictionnaire sera une édition de Don
Quichotte.
L’expédition accoste à la péninsule d’El
Ramón le 11 mai 1869, et là, le jour
même, Henry affronte le baptême du feu.
Le 20, harcelées par les Espagnols, les
troupes de Jordan sont obligées de se
retirer à Las Calabazas, théâtre d’un
affrontement dans lequel Reeve est fait
prisonnier et condamné à être fusillé.
Les quatre balles qu’il reçoit ne le
tuent pas. Il arrive à s’échapper et à
rejoindre le campement du général Luis
Figueredo. Une fois guéri, il obtient de
retourner avec Jordan, entre-temps nommé
chef d’état-major, charge qu’il quittera
en 1870, quand Henry entre dans
l’escadron de cavalerie de la Brigade
Norte de Camaguey et devient chef des
éclaireurs.
El
Inglesito
Commence alors pour lui
une impressionnante série de batailles.
À celle de Tana, qui lui vaudra la
seconde blessure, suivent, en moins de
deux ans, Hato, Potrero (autre
blessure), La Entrada, El Mulato, La
Redonda, San Ramón
de Pacheco, San Tadeo, La
Matilde, Sitio Potrero (quatrième
blessure)…Touché à l’abdomen pendant les
combats d’El Carmen il frôle la mort et
sera contraint à une longue
convalescence. La réputation d’El
Inglesito, surnom que les mambisa,
les rebelles, lui ont donné, croît avec
le nombre des batailles. Le 27 juillet
1873, le général Màximo Gomez le nomme
chef de la Première division de
cavalerie. Le 28 septembre, dans une
tentative de neutraliser un canon
espagnol, un coup de fusil atteint Reeve
à une jambe mais ne l’arrête pas. Les
ennemis sont obligés de s’enfuir. Mais
tout ce courage lui coûtera l’amputation
de la jambe, qu’il remplacera par une
prothèse.
Promu
commandant de Brigade, il doit rester
éloigné de la guerre pendant environ une
année. Le 4 juillet 1874, à San Antonio
de Camujiro, deux projectiles le
touchent à la poitrine et à une main. La
figure de l’Inglesito entrera dans la
légende le 4 août 1876, à Yaguaramas.
Les forces adverses écrasent celles des
mambisa, Henry donne l’ordre de
se retirer. Dans la manoeuvre de
couverture, deux rafales à la poitrine
et à l’aine le désarçonnent. Après avoir
refusé le cheval de son aide de camp, il
reste sur le champ de bataille,
machete et revolver au poing. Sa
dernière munition sera pour lui, El
Inglesito se tire une balle dans la
tête.
Internationalisme
Sept de ses vingt-six années, il les a
dédiées à la liberté de Cuba, qui paiera
un immense tribut de sang : 300.000
morts, militaires et civils. Henry Reeve
n’a pas de tombe. À sa mémoire et en son
honneur, Fidel a voulu faire construire
un monument entre Yaguaramas et
Horquitas, appelant l’endroit, non
fortuitement, “El Cayo del Inglés” (http://www.radiorebelde.cu/de-cuba-y-de-los-cubanos/el-cayo-ingles-20100429/
). Non loin de là, sur
une grande fresque le long de la route,
se trouvent le portrait d’Henry et
l’inscription “Exemple de solidarité et
d’internationalisme”.
Avec tout le respect dû à George W.
Bush. Et maintenant à Donald J. Trump.
Édition de
samedi 23 mai 2020 d’il manifesto
https://ilmanifesto.it/henry-reeve-capitano-di-brigata/
Traduit de l’italien par M-A P.
Le dossier Amérique latine
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