LUC MICHEL’S
GEOPOLITICAL DAILY
Géoidéologie aux origines du
néoeurasisme (I) :
Les conceptions géopolitiques de Jean
Thiriart,
le théoricien de la ʽnouvelle Romeʼ
Luc Michel
Jeudi 29 mars 2018
LUC MICHEL (ЛЮК
МИШЕЛЬ) &
EODE/
Luc MICHEL
pour EODE/
Quotidien géopolitique –
Geopolitical Daily/
2018 03 28/
« Nous croyons qu’il faut discuter de la
création d’un espace unique de
coopération économique et culturelle,
s’étendant de l’Atlantique au Pacifique.
J’en ai parlé à plusieurs reprises et
beaucoup de nos partenaires occidentaux,
notamment européens, ont appuyé cette
idée (…) L’UE et l’Union économique
eurasiatique (UEEA) devraient mener un
dialogue sur la création d’un espace
économique unique s’étendant de
l’Atlantique au Pacifique. Nous
saluerions le lancement d’un dialogue
substantiel entre l’Union eurasiatique
et l’Union européenne qu’on nous a
toujours refusé. Et je ne comprends pas
pourquoi, où est le problème ? »
- Vladimir Poutine (Sept. 2004,
11e réunion du Club Valdaï).
Vous êtes nombreux
à me questionner sur le Géopoliticien
Jean Thiriart (1922-1992), dont un
quotidien flamand a dit récemment qu’il
est « le belge préféré de Poutine » et
le « prophète militant » de « L’europe
de Dublin à Vladivostok » (« Poetins
favoriete Belg », in ‘De Standaard’,
décembre 2017). L’idée-force au cœur du
Néoeurasisme (1) …
Retour sur les
concepts géopolitiques créé par Jean
THIRIART, le fondateur de notre
Organisation transnationale, dès 1964,
avec un livre fondateur « L’EUROPE. UN
EMPIRE DE 400 MILLIONS D’HOMMES ». Où
THIRIART fixait déjà
les frontières de sa « Grande-Europe »
de Reykjavik à Vladivostok. Idées
d’avant-garde d’un grand précurseur.
Dans son livre prophétique, Thiriart,
dans lequel nous voyons le « Marx » de
la Révolution européenne, définissait
les conditions de la libération et de
l’unification de la Nation-Europe et
énonçait les conditions de base de sa
puissance : une dimension minimale de
400 millions d’Européens, une monnaie
unique, une Armée intégrée indépendante
de l’OTAN, des frontières géopolitiques
incluant la Méditerranée et l’Est
européen jusque Vladivostok, un exécutif
transnational. Le tout impliquant
l’expulsion des USA d’Europe.
Après l'idéologie
avec FUKUJAMA et l'Histoire comme
fondement opérationnel de l'action avec
HUNTINGTON, le troisième grand
théoricien de l'impérialisme américain
au XXIeme siècle est Zbigniew BRZEZINSKI
(2) dont le domaine est la géostratégie
et la géopolitique et qui publie "The
Grand Chessboard" en 1997, titré "Le
grand échiquier. L'Amérique et le reste
du monde" pour son édition française. La
réflexion de BRZEZINSKI est centrée sur
les conditions géopolitiques de la
puissance américaine et de son contrôle
sur l'Eurasie, le "grand échiquier" où
Washington doit éliminer tout rival
potentiel ou réel. On ignore souvent que
HUNTINGTON n'est pas le créateur du
concept des "guerrres civilisationnelles"
emprunté à un professeur marocain (3).
De même, BRZEZINSKI s'inspire largement
des Théories de Jean THIRIART !
I –
JEAN THIRIART :
UN GEOPOLITICIEN PROPHETIQUE
RECONNU EN RUSSIE ET
ETOUFFE EN OCCIDENT
En dehors des
cercles spécialisés, THIRIART est
méconnu en Europe occidentale où
l'impasse a été volontairement et
systématiquement faite sur ses thèses
(le même procédé m’a été appliqué en
europe occidentale, diabolisation et
étouffement). Il n'en va pas de même en
Russie où il inspire aussi bien les
théories géopolitiques et économiques
des nationaux-communistes de ZIOUGANOV,
que les concepteurs des thèses
eurasistes mises à l'honneur par le
président POUTINE, ou encore celles des
« eurasistes de droite » (ceux-ci très
loin des thèses originelles de Thiriart).
Le manuel d'instruction géopolitique
pour les officiers russes lui consacre
un long chapitre élogieux.
Au début des Années
80, THIRIART fonde l'Ecole
"euro-soviétique" de Géopolitique (Thiriart,
José Cuadrado Costa et Luc MICHEL) (4),
où nous prônons une unification
continentale de Vladivostok à Reykjavik
sur le thème de "l'Empire
euro-soviétique" et sur base de critères
géopolitiques.
Théoricien de
l'Europe unitaire, Thiriart a été
largement étudié aux Etats-Unis, où des
institutions universitaires comme le «
Hoover Institute » ou l' « Ambassador
College » (Pasadena) disposent de fonds
d'archives le concernant. Ce sont ses
thèses anti-américaines "retournées" que
reprend largement BRZEZINSKI,
définissant au bénéfice des USA ce que
THIRIART concevait pour l'unité
continentale eurasienne.
Le succès
médiatique des emprunts de HUNTINGTON ou
de BRZEZINSKI comparé au silence pesant
qui entoure en Occident des théoriciens
comme THIRIART ou moi-même s'explique
par le monopole médiatique américain. A
l'antique "ex Oriente lux" a visiblement
succédé un "Ex America lux".
LES THESES
GEOPOLITIQUES DE MACKINDER, MAHAN,
SPYKMAN ET THIRIART : « LA TERRE CONTRE
LA MER »
La géopolitique,
science née à la fois aux USA, en
Allemagne eten France à la fin du XIXeme
siècle, doit beaucoup aux concepts de
MACKINDER et de SPYKMAN.
L'amiral
britannique H.J. MACKINDER (1861-1947),
qui fut professeur de géographie à
Oxford puis à la London School of
Economics and Political Science, est le
fondateur de la géopolitique classique,
celle qui oppose la terre et la mer. Il
est connu notamment pour être l'auteur
de la théorie selon laquelle il
existerait au début du XXème siècle un
"pivot géographique du monde", le coeur
du monde (heartland) protégé par des
obstacles naturels (le croissant
intérieur, inner crescent, composé de la
Sibérie, du désert de Gobi, du Tibet, de
l'Himalaya) et entouré par les océans et
les terres littorales (coastlands).
Ce coeur du monde,
c'est la Russie, la Russie
Etat-continent qui est inaccessible à la
puissance maritime qu'est la
Grande-Bretagne. C'est pourquoi le « coeur
du monde » doit être encerclé par les
alliés terrestres de la Grande-Bretagne.
La Grande-Bretagne doit contrôler les
mers mais également les « terres
littorales » qui encerclent la Russie,
c'est à dire l'Europe de l'Ouest, le
Moyen-Orient, l'Asie du sud et de l'est.
La Grande-Bretagne elle-même, avec les
Etats-Unis et le Japon, constituent le
dernier cercle qui entoure le coeur du
monde. Selon MACKINDER ce qu'il faut
absolument éviter c'est l'union de la
Russie et de l'Allemagne, un concept que
THIRIART modernisera en "Empire
euro-soviétique", la constitution de ce
que MACKINDER appelle l'île mondiale
(world island), un puissant Etat ayant
d'immenses ressources et de vastes
étendues terrestres, ce qui permettrait
à la fois d'avoir de grandes capacités
territoriales de défense et de
construire une flotte qui mettrait en
péril l'Empire britannique.
Dès la fin du
XIXeme siècle, l'école géopolitique
américaine, dont les têtes de file sont
MAHAN et SPYKMAN, entendra substituer
les Etats-Unis à la Grande-Bretagne en
tant que puissance maritime hégémonique.
Disciple critique
de MAHAN, Nicholas J. SPYKMAN est son
continuateur en même temps que le
continuateur partiel et dissident de
MACKINDER. Comme le britannique
MACKINDER, N.J. SPYKMAN pense que le
monde a un pivot. Mais ce pivot du monde
n'est pas le heartland de MACKINDER, la
Russie. Le pivot du monde est composé
des terres littorales (les coastlands de
MACKINDER) qu'il appelle le bord des
terres, l'anneau des terres (rimland),
ces terres constituant un anneau tampon
entre le coeur, qui est soit la Russie
soit l'Allemagne, et la puissance
maritime britannique. Ces Etats tampons
furent, par exemple, la Perse et
l'Afghanistan utilisés par l'Angleterre
contre la Russie entre le XIXème et le
XXème siècle, comme la France fut
utilisée contre l'Allemagne entre la
deuxième moitié du XIXème siècle et la
deuxième guerre mondiale.
Après la victoire
sur l'Allemagne - SPYKMAN écrit avant
1943 - il faut donc contrôler ces Etats
tampons qui constituent le « rimland »,
le pivot, si l'on veut contrôler le
coeur du monde. Cette nécessité conduira
à la mise en place d'une politique
d'endiguement (containment) de la Russie
soviétique, l'Europe de l'Ouest et la
Turquie servant d'Etats tampons pour les
Etats-Unis.
THIRIART : LA
GEOPOLITIQUE DE L’EMPIRE EUROPEEN AUTOUR
DE LA FUSION ENTRE U.E. ET URSS-RUSSIE
Fondateur de
l'"Ecole euro-soviétique" au début des
Années 80, Jean THIRIART développe le
thème de la « dimension vitale des Etats
nécessaire pour garantir leur
indépendance » et qui requiert à
l'époque moderne la taille des « états
continentaux » (inspirée du
géopoliticien allemand Karl HAUSHOFER)
(5).
Théoricien de
« l'Etat unitaire paneuropéen » (appelé
aussi « Europe unitaire et
communautaire »), THIRIART étudie les
causes de l'échec de l'Union Soviétique,
qu'il pressent dès 1980 et dont il
stigmatise le fédéralisme. Face à la
superpuissance américaine, il plaide
pour la fusion de la Russie (sur ses
frontières sibériennes en Orient) avec
l'Europe occidentale dans le cadre d'un
Empire unitaire allant de Reykjavik à
Vladivostok et du Groenland à la
Méditerranée.
Géopoliticien de
l'Empire européen, Jean THIRIART axe ses
réflexions sur l'intégration de la
Russie et de l'Europe occidentale dans
un Etat continental eurasien unitaire :
1.
THIRIART insiste sur le fait
capital que tous les états issus de
l'implosion de l'URSS, sans aucune
exception, doivent faire partie de
l'Europe. Les frontières orientales,
caucasiennes et sibériennes, de l'URSS
devront demain être celles de la
Grande-Europe.
2.
THIRIART développe sa thèse sur
la construction de l'Europe contre les
Etats-Unis et son bras armé de l'OTAN.
L'Europe unitaire se fera dans le cadre
d'une « guerre de libération nationale
contre l'occupant américain et ses
collaborateurs "européens". »
3.
THIRIART insiste sur la nécessité
de l'organisation économique de l'Europe
sur une base autarcique, reprenant les
théories de Friedrich LIST.
4.
THIRIART dénonce les vues
limitées des politiciens européens, qui
à la suite du général de Gaulle,
envisagent une Europe tronquée jusqu'à
l'Oural. L'Empire européen devra inclure
la Sibérie et l'extrême-orient
ex-soviétique.
5.
THIRIART s'en prend aux
conceptions de l'Europe basées sur la
religion ou des théories
pseudo-racistes. Ce sont les impératifs
de la Géopolitique et de la Géoéconomie
qui déterminent les dimensions de la
Grande-Europe et par là les populations
qu'elle unifiera dans un Etat unitaire.
Pour lui, par exemple, « la Turquie
c'est aussi l'Europe ». Il insiste à ce
sujet sur l'exogamie au sein de peuple
européen.
6.
THIRIART qui conçoit l'Empire
européen comme « une nouvelle Rome », la
« Quatrième Rome » (dirai-je moi après
1992) qui fait écho au concept
messianique russe de la "Troisième Rome"
(Moscou après Rome et Bysanze), expose
la nécessité de faire de la Méditerranée
un « Lac européen », une nouvelle "Mare
nostrum".
II -
COMMENT BRZEZINSKI A RETOURNE LES THESES
DE THIRIART AU PROFIT DES USA : LES
FONDEMENTS GEOPOLITIQUES DE LA PUISSANCE
AMERICAINE
BRZEZINSKI
s'inspire directement des théories de
THIRIART pour définir les conditions de
la puissance américaine au XXIeme
siècle, la maintenir dans son rôle
hégémonique de garants du "Nouvel Ordre
Mondial" et péréniser la sujétion de
l'Europe occidentale.
LES CONDITIONS DU
LEADERSHIP AMERICAIN
Pour maintenir leur
leadership, qui n'est rien d'autre que
« la domination mondiale » annoncée par
James BURNHAM (le grand-père des
néoconservateurs américains) dès 1943,
les USA doivent avant tout maîtriser le
"grand échiquier" que représente
l'Eurasie, où se joue l'avenir du monde.
Cette maîtrise repose sur la sujétion de
l'Europe occidentale, étroitement liée
aux USA dans un ensemble
politico-économique occidental, la
« communauté atlantique » cadenassée par
l'OTAN. THIRIART parlait de l'OTAN non
comme d'un bouclier mais « d'un
harnais » pour l'Europe.
Elle repose aussi
sur l'isolement de la Russie qu'il faut
affaiblir irrémédiablement et démembrer.
Le danger mortel
pour les USA, puissance extra-européenne
à l'origine de par sa situation même,
serait d'être expulsée d'Europe
occidentale, sa tête de pont en Europe.
Dans cet objectif, tout rapprochement de
l'Europe et de la Russie, toute union
eurasienne, sans même parler de fusion
comme l'évoquait THIRIART, doit être
empêchée par tous les moyens.
Zbigniew BRZEZINSKI
écrit : "L'Europe est la tête de pont
géostratégique fondamentale de
l'Amérique. Pour l'Amérique, les enjeux
géostratégiques sur le continent
eurasien sont énormes. Plus précieuse
encore que la relation avec l'archipel
japonais, l'Alliance atlantique lui
permet d'exercer une influence politique
et d'avoir un poids militaire
directement sur le continent. Au point
où nous en sommes des relations
américano-européennes, les nations
européennes alliées dépendent des
Etats-Unis pour leur sécurité. Si
l'Europe s'élargissait, cela accroîtrait
automatiquement l'influence directe des
Etats-Unis. A l'inverse, si les liens
transatlantiques se distendaient, c'en
serait finit de la primauté de
l'Amérique en Eurasie."
DIVISER POUR REGNER : LA
"KLEINSTAATEREI" (FREDERIC GRIMM)
Nous avons déjà
évoqué le rôle de Henry KISSINGER comme
"Richelieu américain". Ce n'est
nullement une figure de rhétorique. Le
Cardinal de Richelieu est le premier
ministre de la France au moment où la
Guerre de trente ans ravage la Mittel
Europa. Son but est d'assurer à la
France des Bourbons la domination en
Europe en neutralisant l'Allemagne et
l'Empire des Habsbourg, tant en Espagne
qu'en Allemagne. Menant une politique
cynique et opportuniste, Richelieu
transforme une guerre de religion entre
protestants et catholiques en un grand
embrasement dont la France sort
victorieuse lors du Traité de Westphalie
(1648). Sous prétexte de préserver les
"libertés germaniques", la France impose
le démembrement du Ier Reich germanique
en plusieurs centaines de micro-états
inviables. La France, état unitaire, a
ainsi assuré sa prédominance en Europe
jusqu'au début du XIXeme siècle. Jusqu’à
Waterloo.
L'historien
allemand Frédéric GRIMM évoque à ce
propos dans son livre "Le testament de
Richelieu" de concept de "kleinstaaterei".
La leçon n'a pas
été perdue pour les Etats-Unis.
Aujourd'hui, sous prétexte de préserver
les droits des peuples - les nouvelles
"libertés européennes" -, Washington
impose la "kleinstaaterei" en Europe,
dans les Balkans, le Caucase et en
Russie même.
Depuis 1943, les
Etats-Unis théorisent et favorisent le
démembrement et la fragmentation des
grand états. En 1945, MORGENTHAU,
conseiller de Roosevelt, prône le
morcellement de l'Allemagne et sa
désindustrialisation. La partition de
fait en résulte. On ignore souvent que
STALINE était opposé à la division de
l'Allemagne et proposa jusqu'en 1948 une
Allemagne unifiée et neutre.
Ici la géopolitique
se rapproche du courant "réaliste" des
relations internationales, dont un des
fondateurs les plus célèbres est Hans J.
MORGENTHAU, dont elle partage nombre de
postulats.
Depuis 1989, les
Etats-Unis multiplient leur soutien à
l'éclatement des Etats dans les Balkans
et en Europe orientale. L'éclatement de
l'Union soviétique et de la IIe
Yougoslavie (Tito) en résulte
directement. Une nouvelle étape voit
ensuite le démembrement de la IIIe
Yougoslavie (Milosevic) née en 1991. Et
BRZEZINSKI vise enfin au démembrement
non seulement de la Fédération de Russie
mais aussi de la Russie historique
elle-même en trois entités.
Et c'est là
qu'intervient un théoricien comme Samuel
HUNTINGTON, dont le rôle est de fournir
des justifications historiques à cette
politique (6) . Comparer la vision
géopolitique de l'Europe de BRZEZINSKI à
la théorie des « aires de civilisation »
de HUNTINGTON est à ce sujet éclairant.
Il convient ici de
dresser un autre parallèlle : celui des
thèses de la géopolitique nazie - dont
le principal théoricien fut Alfred
Rosenberg, l'auteur du "MYTHE DU XXe
SIECLE" - avec les projets des
Etats-Unis en Europe. Le même plan est
appliqué que ce soit dans les Balkans ou
contre la Russie. Et les alliés
privilégiés actuels de Washington
étaient ceux du IIIeme Reich entre 1935
et 1944.
DOCTRINES DE
L'IMPERIALISME AMERICAIN (1) :LES
GEOPOLITICIENS AMERICAINS CLASSIQUES
En 1991 commence
une nouvelle ère pour les relations
internationales.
La situation mondiale est en effet
totalement changée. L'URSS, le principal
challenger de Washington, qui fut aussi,
il faut le dire, longtemps son meilleur
complice, a disparu, vaincue par la
compétition économique et la course aux
armements qu'elle s'était laissée
imposées par Washington. En l'espace de
quelques mois, la puissance américaine
est devenue l’unique superpuissance
mondiale et tente partout d'imposer son
"Nouvel Ordre Mondial" (NOM) avec son
cortège de guerres et d'inégalités.
Les théoriciens de
l'impérialisme américain défendent à ce
sujet la thèse du hasard. Les Etats-Unis
se seraient trouvés dans leur position
centrale et omnipotente par l'effet
d'une série de conjonctions heureuses.
Mais en rien la politique planétaire des
USA ne serait responsable de cette
situation d'hégémonie, résultant d'une
divine surprise. Cette thèse est
totalement fausse et contredite par
toute étude historique sérieuse.L'impérialisme
américain est planifié, pensé, théorisé
depuis plus d'un siècle et demi. Et la
victoire incontestable de 1991 est
l'aboutissement d'une politique
impérialiste conçue dès la fin du XIXeme
siècle.
Le premier grand
théoricien de cette vision impérialiste
qui vise à la domination mondiale est
l'amiral Alfred T. MAHAN, dont le livre
principal "THE INFLUENCE OF SEA POWER
UPON HISTORY" est publié à Boston en
1890. Alfred T. MAHAN (1840-1914) a
construit une géopolitique destinée à
justifier l'expansionnisme mondial des
Etats-Unis à une époque où le monde est
encore dominé par la Grande-Bretagne, un
expansionnisme qui doit se fonder sur la
puissance maritime ("sea power"). MAHAN
est convaincu que les Etats-Unis,
puissance industrielle contrôlant les
Amériques, peuvent, en imitant la
stratégie maritime qui fut celle de
l'Angleterre à partir du XVIème siècle,
obtenir la domination mondiale grâce à
la maîtrise des mers. Il leur faut pour
cela non seulement des bases, des ports,
mais surtout des bâtiments, des navires,
qui soient en permanence capables
d'intervenir partout dans le monde, et
donc constamment opérationnels. Donc, en
1897, MAHAN préconise la politique
stratégique suivante : il faut s'allier
à la Grande-Bretagne pour contrôler les
mers, il faut maintenir l'Allemagne sur
le continent européen et s'opposer à son
développement maritime et colonial, il
faut associer les américains et les
européens pour combattre les ambitions
des asiatiques et en particulier
surveiller de près le développement du
Japon.
Tous les grands
thèmes de la politique américaine du
Siècle naissant sont déjà présents :
stratégie planétaire, intervention en
Europe, isolement de la puissance
continentale (alors l'Allemagne). MAHAN
donne un corps idéologique à la vision
américaine d'une mission prédestinée des
USA dans le monde : la "manifest destiny".
Son oeuvre est
continuée par Nicholas J. SPYKMAN
(1893-1943), qui développe la notion de
"containment", consistant à organiser un
système d'états-tampons destiné à briser
la puissance russe. Après la victoire
sur l'Allemagne il faut donc contrôler
ces Etats tampons qui constituent le « rimland »,
le pivot (une notion de géopolitique),
si l'on veut contrôler le coeur du
monde. Cette nécessité conduira à la
mise en place d'une politique
d'endiguement (containment) de par la
constitution de l'Alliance atlantique
dominée par les Etats-Unis, face au
Pacte de Varsovie, dominé par la Russie
soviétique. Notez que tout cela est
pensé en 1941 et 42 - SPYKMAN meurt en
1943 - c'est-à-dire au moment même ou
l'URSS fait face aux armées nazies.
Le discipline de
SPYKMAN est Georges F. KENNAN, le
principal théoricien américain de la
guerre froide, auteur de "THE SOURCES OF
SOVIET CONDUCT".
Le plus brutal
théoricien de l'impérialisme américain
est James BURNHAM. Moins connu en dehors
des spécialistes des sciences politiques
(c'est le père des néo-machiavéliens
américains), c'est un ancien trotskyste
reconverti dans le néoconservatisme. Il
fonde notamment la "NATIONAL REVIEW". En
1945, il publie un livre fondamental
mais passé inaperçu en Europe dont le
titre anglais est "THE STRUGGLE FOR THE
WORLD". Le titre de l'édition française
(1947) est lui plus explicite encore :
c'est "POUR LA DOMINATION MONDIALE".
BURNHAM y donne les conditions de la
puissance destinée à assurer la
domination planétaire des Etats-Unis.
DOCTRINES DE
L'IMPERIALISME AMERICAIN (2)
DE NOUVELLES THEORIES IMPERIALISTES
AMERICAINES APRES 1991
La victoire
américaine de 1991, qui est largement
surestimée dans les cercles
conservateurs qui entourent le président
Bush I, va donner lieu à une nouvelle
théorisation de l'impérialisme yankee.
Les proches conseillers de Bush en
donnent immédiatement une nouvelle
définition : c'est le "Nouvel Ordre
Mondial" au nom duquel les USA reçoivent
la mission de "pacifier" le monde et d'y
imposer les pseudo-valeurs du "libre
commerce".
Les principaux
théoriciens de l'impérialisme américain
à l'aube du XXIeme siècle sont Francis
FUKUJAMA, Samuel P. HUNTINGTON et
Zbigniew BRZEZINSKI.
Leur théories,
médiatisées par leurs livres et leurs
articles dans les grandes revues
américaines de politique internationale,
prennent place dans un ensemble de
recherches et d'activités liées
directement au Pentagone et au State
Departement. En apparence, elles
présentent des contradictions entre
elles mais celles-ci ne sont
qu'apparentes. Elles sont en effet plus
liées qu'il n'y parait car elles
représentent différents niveaux de la
même pensée, notamment quand à leur
projection dans le temps.
FUKUJAMA est le
théoricien de la "fin de l'histoire" où
il prophétise que le "dernier homme"
sera celui de la vision idéologique
américaine. On présente souvent les
thèses de FUKUJAMA comme une vision trop
optimiste liée à la victoire de 1991 et
donc dépassée. C'est ignorer les travaux
ultérieurs de cet auteur. FUKUJAMA
représente au contraire la vision à long
terme de l'impérialisme yanquee. Celle
de ses buts ultimes (7).
HUNTINGTON (8)
théorise les justifications idéologiques
de l'affrontement de Washington avec le
reste du monde. C'est une oeuvre à
moyenne vision - les trois ou quatre
prochaines décennies - destinée bien
plus aux alliés supposés de Washington
qu'au public américain. Ses théories sur
"le choc des civilisations" visent à
dissimuler les pratiques cyniques de la
politique internationale américaine et à
fournir une justification à une nouvelle
politique de "containment", qui vise
surtout la Russie et la Chine mais aussi
l'Europe en voie d'unification, et à
pérenniser celle-ci (9).
Disciple de Henry
KISSINGER, souvent qualifié de
"Richelieu américain" pour sa politique
cynique et réaliste, BRZEZINSKI donne
lui les conditions de la puissance
américaine, destinées à assurer une
domination planétaire durable. C'est la
théorisation géopolitique de
l'impérialisme américain.
Dans ces théories
on trouve un curieux mélange de cynisme,
de brutalité et de faux moralisme. C'est
la traduction au XXIeme siècle de la "manifest
destiny". Les USA ont une mission à
accomplir. Ce qui est bon pour eux est
bon pour le monde. Et le "libre
commerce" assurera la paix mondiale.
Chez BRZEZINSKI celà frise parfois la
caricature, les plus brutales théories
géopolitiques voisinant avec des
réflexions idéalisantes sur la paix et
le bonheur des peuples.
III –
DERRIERE LES GEOPOLITIQUES OPPOSEES :
LE CHOC DES GEOIDEOLOGIES
On parle souvent
d'"Empire américain". A tord ! Parce que
l'idée impériale n'a pas grand chose à
voir avec l'impérialisme mercantile et
exploiteur de Washington, à propos
duquel le terme de néo-colonialisme est
plus approprié.
ROME OU CARTHAGE ?
La géopolitique
distingue clairement et oppose puissance
maritime (Thalassocratie) et puissance
terrestre. L'exemple le plus accompli en
furent les guerres puniques qui
opposèrent la Rome terrestre à Carthage,
puissance des mers. Aujourd'hui, les
Etats-Unis, puissance maritime, sont une
nouvelle Carthage accomplie : même
consumérisme, mêmes valeurs marchandes,
même horizon limité, même exploitation
des colonies, même oligarchie
ploutocratique aux commandes.
La puissance
continentale est encore à venir. C'est
contre elle qu'agissent les théoriciens
de l'impérialisme américain. Et ce sont
les conditions de son accomplissement
que THIRIART s’attachait, le premier, à
définir.
Le choc de Rome
contre Carthage est aussi celui de deux
idéologies, de deux Weltanschauung. Hier
comme aujourd'hui. Le but ultime de
THIRIART, le telos du « Communautarisme
européen », se situe au niveau de cet
enjeu historique fondamental.
Du côté des
Etats-Unis et des atlantistes existe une
large école ploutocratique pour qui
l'Europe doit être un des moyens du
renforcement du capitalisme et de la
Mecque de celui-ci qui se situe aux
Etats-Unis. Ce sont les fameuses
théories du « second pilier », qui
voient notamment dans une organisation
européenne de défense un pilier européen
rénové de l’OTAN. Il existe une autre
école, celle de Jean THIRIART, des
Néoeurasistes, pour laquelle l'Eurasie
se fera inexorablement contre les
Etats-Unis, pour qui il est impératif
qu'elle se fasse contre Washington. Si
THIRIART veut détruire politiquement les
Etats-Unis, c'est parce qu'il leur
oppose une vision du monde qui se situe
aux antipodes de l'économisme
consumériste prôné par Washington.
L'Empire européen est pour lui avant
tout une « esthétique de l'homme », une
solution et une alternative à proposer à
toute l'Humanité.
QUELLE REPONSE POUR
LES PEUPLES ?
DE LA « TRICONTINENTALE » A LA
« QUADRICONTINENTALE » …
Depuis plus d'un
siècle, Washington se heurte à la cause
des peuples qui ne veulent pas d'une
« destinée manifeste » imposée contre
leur culture et leur liberté. Face à
l'anti-civilisation des "chiens heureux"
annoncée cyniquement par FUKUJAMA (10),
et qui pointe à l'horizon lointain de
l'impérialisme yankee, la réponse des
peuples est une nécessité brûlante.
Parce que les
Etats-unis règnent en divisant, elle
implique l'unité et la solidarité des
peuples.
Cette problématique
de l'unité des peuples face à
l'impérialisme n'est pas nouvelle. En
1967, à La Havane, Castro lançait en
compagnie de la Chine de Mao Zedong, et
contre l'avis de Moscou, la
"TRICONTINENTALE". Cette fameuse
"TRICONTINENTALE" dont on rêvait à Hanoi
où à la Havane vers 1967, a échoué. Elle
n'a pas eu et n'aura jamais la force de
venir à bout de la puissance américaine,
même si hier la victoire du peuple
vietnamien a permis de contester
celle-ci.
Dès 1967, THIRIART
proposait l’alternative : le « Front
Quadricontinental ».
Aujourd'hui plus
que jamais, il faut une alliance
quadricontinentale contre
l'impérialisme. La seule Europe
occidentale détient aujourd'hui, comme
en 1967, des moyens de puissances
infiniment supérieurs à la
"TRICONTINENTALE" (Asie/Afrique/Amérique
latine). L'erreur commise hier à Cuba, à
Alger, ou à Hanoi, a été de n'avoir
voulu introduire la révolution que dans
les pays pauvres, de ne pas avoir vu
qu'il fallait introduire l'action
révolutionnaire dans la colonie la plus
riche des Etats-Unis, l'Europe. Le
dogmatisme qui inspirait hier les
capitales anti-américaines au nom d'une
solution idéale les a conduit à
l'immobilisme.
« LA PUISSANCE
INDUSTRIELLE AMERICAINE, RENFORCEE DE LA
PUISSANCE INDUSTRIELLE EUROPEENNE, FAIT
DE CELLE-CI UNE SUPER-PUISSANCE
MONDIALE » (THIRIART)
L’analyse de
THIRIART est incontournable : « La
puissance industrielle américaine,
renforcée de la puissance industrielle
européenne, fait de celle-ci une
super-puissance mondiale ». C'est cette
alliance des deux industries mondiales
les plus avancées qui a contraint à la
capitulation complète, économique et
militaire, une URSS débile et asphyxiée.
L'URSS est aujourd'hui disparue, le
mythe communiste est usé, l'URSS a été
battue à plat de couture sur le terrain
de l'économie pure par le
néo-capitalisme américain renforcé de sa
colonie européenne.
La victoire finale
contre les USA ne pourra être remportée
qu’en Europe ! Le rôle de l'Europe dans
la lutte contre les Etats-Unis est le
rôle primordial, le rôle capital. Pour
déséquilibrer le colosse américain, il
faut lui faire perdre son terrain
d'action européen.
Au nom de la
géopolitique, de la géostratégie et de
la géoéconomie, indissolublement liées,
BRZENZINSKI ne nous dit pas autre chose.
Le sort de la superpuissance yankee se
joue ici en europe. Et l'unité entre
l'Europe et la Russie est le péril qui
lui donne le plus d'angoisses.
Au nom de
l'histoire et d'une vision occidentale
de la civilisation et de la culture,
HUNTINGTON décrit les "guerres de
civilisations". D’autres, dans cette
ligne, parlent de «
Djihad versus Mc World ». Et si le choc
des civilisations était celui qu'il
n'attend pas - ou plutôt ne veut pas
attendre - celui de l'Humanisme européen
- qui implique le respect de toutes les
cultures - et de l'anti-civilisation
yankee, le Mc World ...
A L'HORIZON DU XXIe
SIECLE :
L'ANTICIVILISATION DES "CHIENS HEUREUX"
OU L'"ETAT UNIVERSEL"
HUNTINGTON confond
la langue avec la culture, les
institutions imposées en Europe depuis
1918 par la force des armes et encore
plus celle du dollar avec le choix des
peuples, le conformisme social et le
consumérisme imposé médiatiquement avec
la civilisation. Depuis quatre siècle,
les Etats-Unis sont une anti-Europe, une
machine à récupérer les idées de
l'Europe et les retourner comme armes
contre elle. Comme HUNTINGTON, comme
BRZENZINSKI, James BURNHAM dans son
livre "Pour la domination mondiale" a
récupéré une idée née en Europe.
En 1932, Ernst
JUNGER publiait son essai retentissant
et souvent mal compris sur "LE
TRAVAILLEUR" - DER ARBEITER -, où il
prophétisait l'affrontement final de
gigantesques Etats impériaux pour la
domination mondiale et le triomphe de
visions du monde antithétiques. Une
vision précisée par Jünger dans "L'ETAT
UNIVERSEL" publié en 1946. Les théses de
Jean THIRIART, et les nôtres, sur
l'"Etat géo-idéologique", stade avancé
de l'Etat continental géopolitique
mettant en oeuvre sa vision du monde, et
publiées dès 1965, s'inscrivent dans la
perspective ouverte par JUNGER.
FUKUJAMA avec son
horizon planétaire uniformisé de "chiens
heureux" aussi. Hélas !
Le choix sera bien celui là. Où le
cauchemar américain imposant aux masses
abruties l'illusion du bonheur
consumériste. Où l'Humanisme européen,
né en Grèce il y a 2.500 ans, et offrant
aux peuples un destin. Le choc bien réel
de l'anti-civilisation yankee - le Mc
World - et des cultures.
Les théoriciens de
l'impérialisme américain dans leur
arrogance nous avertissent des enjeux
qui se jouent. L'avenir n'est
heureusement jamais écrit dans les
livres mais dans le combat des peuples.
On semble l'ignorer à Washington ou à
Wall-Street. Jean THIRIART nous le
rappelait inlassablement. Puissions-nous
ne jamais l'oublier !
NOTES :
(1) Cfr. un article
de la Série ‘PCN-NCP TIMELINE’ qui
explique la genèse de la renaissance de
l’idée eurasiste :
PCN-TIMELINE / IDEOLOGIE / 1984 : LE PCN
REINVENTE L’‘EURASISME’ MODERNE
sur
http://www.lucmichel.net/2014/05/30/pcn-timeline-ideologie-1984-le-pcn-reinvente-leurasisme-moderne/
(2) Disciple de
Henry KISSINGER et adepte de la "real
politique" comme lui, BRZEZINSKI,
d'origine polonaise, était expert au
Center for Strategic and International
Studies (Washington DC) et professeur à
l'Université Johns Hopkins de Baltimore.
Il fut conseiller du président des
Etats-Unis de 1977 à 1981, puis de Obama.
(3) Il faut noter
que HUNTINGTON n'est nullement
l'inventeur de sa thèse. En effet, le
professeur marocain (Université Mohamed
V de Rabat) Mahdi Elmandjra revendique
l'antériorité de la prophétie exposée à
propos de la guerre du Golfe dans son
ouvrage "PREMIERE GUERRE
CIVILISATIONNELLE" (Casablanca, 1992).
Il emprunte aussi les thèses de
l'historien français BRAUDEL sur la
pérennité des civilisations sur les
Etats et les Nations.
(4) Au début des
Années 80, THIRIART fonde avec José
QUADRADO COSTA et moi-même l’« Ecole de
géopolitique euro-soviétique » où nous
prônons une unification continentale de
Vladivostok à Reykjavik sur le thème de
« l’Empire euro-soviétique » et sur base
de critères géopolitiques.
Sur l’Ecole de
géopolitique euro-soviétique, cfr. :
* José CUADRADO COSTA, Luc MICHEL et
Jean THIRIART, TEXTES EURO-SOVIETIQUES,
Ed. MACHIAVEL, 2 vol. Charleroi, 1984 ;
* Version russe : Жозе КУАДРАДО КОСТА,
Люк МИШЕЛЬ и Жан ТИРИАР, ЕВРО-СОВЕТСКИЕ
ТЕКСТЫ, Ed. MACHIAVEL, 2 vol.,
Charleroi, 1984.
Ce recueil de textes fut édité en
langues française, néerlandaise,
espagnole, italienne, anglaise et russe.
* Et : Жан ТИРИАР, « Евро-советская
империя от Владивостока до Дублина », in
ЗАВТРА ЛИ ТРЕТЬЯ МИРОВАЯ ВОЙНА ? КТО
УГРОЖАЕТ МИРУ ?, n° spécial en langue
russe de la revue CONSCIENCE EUROPEENNE,
Charleroi, n° spécial, décembre 1984.
(5) Karl Haushofer
(1869-1946) est le pèredu concept
géopolitique d’Etat continental ».
Il est issu d'une famille d'artistes et
d'universitaires. Il épouse en 1886
Martha Mayer-Doss, dont la famille est
munichoise d'origine juive.
Influencé par les travaux de Friedrich
Ratzel, Rudolf Kjellén et Halford John
Mackinder, Haushofer développe ses
théories géopolitiques et fonde en 1924
la revue « Zeitschrift für Geopolitik »
(La Revue de Géopolitique). Ouverte aux
chercheurs en géographie de nombreux
pays, notamment l'Union soviétique,
celle-ci obtient rapidement une audience
internationale. S'adressant à un large
public, la revue ne présente cependant
que la position de la géopolitique
allemande, les membres du comité de
rédaction se montrant tous favorables à
la révision des clauses territoriales
des traités mettant un terme au Premier
conflit mondial. Durant ces années,
Haushofer souhaite faire de son approche
« une science appliquée et
opérationnelle ». Partisan d'une
alliance avec l'Union soviétique, il la
défend dans les colonnes de son journal;
il réserve un accueil chaleureux au
pacte germano-soviétique, puis,
cohérent, condamne le déclenchement de
la guerre à l'Est, ce qui entraîne
l'arrêt de la publication de son journal
en 1941.
Après 1941, sa famille et lui-même
deviennent suspects. Son fils Albrecht,
professeur à l'université de Berlin et
collaborateur du cabinet du ministre des
affaires étrangères, Joachim von
Ribbentrop, est brièvement arrêté. Karl
Haushofer est, lui également, convoqué
par la Gestapo. Après la tentative
d’assassinat de Hitler et le putsch du
20 juillet 1944 (OpérationWalkirie), la
Gestapo fait interner Karl Haushofer à
Dachau tandis qu'Albrecht Haushofer, son
fils, lié aux conspirateurs, disparaît
dans la clandestinité. Ce dernier est
toutefois arrêté quatre mois plus tard.
Deux semaines avant la fin du conflit,
un commando SS l'exécute, de nuit en
pleine rue. On retrouve sur lui le
recueil de poèmes Les sonnets de Moabit
— du nom de la prison berlinoise où il a
été incarcéré — qui est considéré comme
un témoignage important de la
littérature résistante allemande.
Déchu de son titre de professeur
honoraire, privé de sa pension, il se
suicide le 10 mars 1946 en compagnie de
son épouse Martha.
(6) Il ne faut pas
oublier le but des thèses de HUNTINGTON
et leur rôle dans la diffusion et le
défense de l'impérialisme américain. Car
HUNTINGTON vise un but opérationnel
direct : théoriser et justifier la
confrontation entre les Etats-Unis et le
reste du monde.
Certaines réactions ne laissent aucun
doute. Kissinger voit dans "LE CHOC DES
CIVILISATIONS" "le livre le plus
important depuis la fin de la guerre
froide" et BRZEZINSKI "un tour de force
intellectuel : une oeuvre fondatrice qui
va révolutionner notre vision des
affaires internationales". Huntignton a
en effet à leur yeux le mérite de
proposer une vision des civilisations
qui recoupe étroitement les conceptions
géopolitiques des deux penseurs
américains.
Sa vision de l'Occident qui unit
étroitement et indissolublement
Etats-Unis et Europe occidentale
pérennise la mainmise américaine sur
notre continent.
Sa thèse sur la civilisation orthodoxe,
radicalement séparée de l'héritage
gréco-romain commun partagé avec
l'Europe occidentale et centrale,
empêche toute union eurasienne de
l'Atlantique à Vladivostok et combat les
thèses sur la "Troisième Rome" et la
mission de la Russie, antithétique de la
"manifest destiny" américaine. Elle
confine la Russie au mieux à un rôle de
puissance régionale et au pire, un pire
souhaité et théorisé à Washington, au
démembrement. Ce n'est nullement un
hasard si BRZEZINSKI a fait paraître
dans la revue de HUNTINGTON en 1999 un
article proposant le démembrement de la
Russie en trois états (Russie
occidentale, Caucase et Sibérie). Un
article qui répond directement aux
thèses eurasiennes adoptées par le
président POUTINE et qui fit scandale en
Russie, où l'on souligna que ce projet
était déjà celui de HITLER et de
ROSENBERG, le théoricien nazi du racisme
et de l’expansion à l’Est du Germanisme.
Enfin, l'opposition proclamée entre
Occident et islamo-confucéens empêche
tout rapprochement euro-arabe et toute
union méditerranéenne. HUNTINGTON oublie
là fort à propos l'utilisation par
Washington d'un certain islamisme
radical contre l'Europe (Bosnie,
Albanie), la Russie (Afghanistan,
Tchétchénie, etc.) et les pays arabes
opposés à sa politique, comme la Libye
ou l'Irak.
(7) Francis
FUKUJAMA publie en 1992 "LA FIN DE
L'HISTOIRE ET LE DERNIER HOMME", où il
développe la fameuse thèse qu'il avait
émise en 1989 dans la revue «THE
NATIONAL INTEREST».
Qu'entend FUKUJAMA par «fin de
l'histoire» ? A la suite des philosophes
HEGEL et KOJEVE, il considère que
l'histoire résulte des antagonismes
entre les différentes idéologies et
formes d'organisations sociales, qui
luttent chacune pour la reconnaissance.
Or, avec la chute du Mur, l'effondrement
du communisme et la victoire de la
démocratie libérale, l'histoire, prise
dans ce sens, s'abolit. Preuve est faite
que le destin de l'humanité, c'est la
démocratie libérale moderne, idéologie
politique de l'impérialisme américain,
qui, à défaut d'être parfaite, offre
selon FUKUJAMA le « meilleur des
mondes » possibles.
En 1997, avec "LA
CONFIANCE ET LA PUISSANCE", Francis
FUKUJAMA précise sa pensée et souligne
que la majorité des nations s'oriente
politiquement vers la démocratie et
économiquement vers l'économie de
marché. Dans ce nouveau livre, il
développe une justification idéologique
de la supériorité du modèle social
américain et entreprend de démontrer
qu'une corrélation existe entre «vertus
sociales et prospérité économique»,
celles-là engendrant celle-ci.
L'Etat-providence ayant dû battre en
retraite. Il y prétend qu'il y a des
pays plus aptes que d'autres au
développement. Il oppose les sociétés
familiales, comme la France, l'Italie ou
la Chine, à faible degré de confiance
généralisée, ce qui implique une forte
intervention de l'Etat, et les sociétés
de confiance, automatiquement plus
prospères, comme le Japon, l'Allemagne
et les Etats-Unis.
Mais FUKUJAMA est
surtout l'idéologue du projet de société
américain à long terme, qu'il prétend
être l'avenir ultime de l'humanité.
C'est tout simplement l'accomplissement
ultime de la "manifest destiny". Et
c'est surtout une vision de cauchemar
d'une société où le Politique et l'homme
en tant qu'acteur de l'Histoire ont
disparu, où le destin des hommes et des
peuples est remplacé par un monde
unifié, gris et sale, où le consumérisme
accompli tient lieu d'ultime horizon.
Alors triomphera le dernier Homme, plus
soucieux d'assurer son bien-être que
d'affirmer sa valeur par des oeuvres
géniales ou par des guerres.
(8) Professeur à
l'Université d'Harvard, HUNTINGTON a
dirigé le "John M. Olin Institue for
Strategic Studies" et a été expert
auprès du Conseil National Américain de
Sécurité sous l'administration Carter.
Il est aussi le fondateur et l'un des
directeurs de la revue "Foreign Policy",
où ont été exposées initialement ses
thèses sur le choc des civilisations.
(9) Samuel P.
HUNTINGTONest est venu corriger
FUKUJAMA, le compléter. La fin de
l'Histoire n'étant pas immédiate et les
peuples étant résistants au "Nouvel
Ordre Mondial" et à son horizon
avilissant de "chiens heureux", il
fallait théoriser les affrontements
persistants et persuader les alliés plus
ou moins forcés de Washington du bien
fondé de la domination planétaire du
système américain.
Il publie en 1996 "THE CLASH OF
CIVILIZATIONS AND THE REMAKING OF WORLD
ORDER". Selon HUNTINGTON :
"L'histoire des hommes, c'est l'histoire
des civilisations, depuis les anciennes
civilisations sumériennes et égyptiennes
jusqu'aux civilisations chrétiennes et
musulmane, en passant par les
différentes formes des civilisations
chinoises et hindoue". On distingue
généralement, nous dit HUNTINGTON, la
"civilisation", un concept français du
XVIIIème siècle qui s'oppose au concept
de "barbarie", des "civilisations", un
concept anthropologique qui s'applique à
"l'entité culturelle la plus large que
l'on puisse envisager". "Les empires
naissent, nous dit-il, et meurent, alors
que les civilisations "survivent aux
aléas politiques, sociaux, économiques
et même idéologiques" (Braudel), pour en
définitive succomber à l'invasion de
tiers".
HUNTINGTON nous dit que pendant trois
mille ans les civilisations séparées par
le temps et par l'espace se sont
ignorées. Puis la civilisation
occidentale domina le monde jusqu'au
XXème siècle. Mais l'influence de
l'Occident ne cesse de se réduire : "la
puissance économique se déplace vers
l'Extrême-Orient, dont l'influence
politique et la puissance militaire vont
croissant. L'Inde est en passe de
décoller. L'hostilité du monde musulman
va croissant envers l'occident dont les
sociétés non occidentales n'acceptent
plus comme jadis les diktats et les
sermons". "Peu à peu l'Occident perd sa
confiance en soi et sa volonté de
dominer". L''Occident restera le numéro
un mondial pendant le XXIème siècle,
mais inéluctablement "l'occident
continuera à décliner" et "sa
prépondérance finira par disparaître".
Donc conclut HUNTINGTON, "l'affrontement
est programmé" au travers de "guerres
civilisationnelles" entre la
civilisation Occidentale et les autres
civilisations du Monde. Parmi les
adversaires principaux de l'Occident
américain, les civilisations orthodoxe,
islamiste et confucéenne (Chine et
Asie).
(10) Dans une
interview retentissante au quotidien "LE
MONDE" (Paris) du 17 juin 1999, FUKUJAMA
précise sa vision du "dernier homme",
qui est incontestablement "la fin de
l'histoire" :
"Le caractère ouvert des sciences de la
nature contemporaines nous permet de
supputer que, d'ici les deux prochaines
générations, la biotechnologie nous
donnera les outils qui nous permettront
d'accomplir ce que les spécialistes
d'ingénierie sociale n'ont pas réussi à
faire. A ce stade, nous en aurons
définitivement terminé avec l'histoire
humaine parce que nous aurons aboli les
êtres humains en tant que tels. Alors
commencera une nouvelle histoire,
au-delà de l'humain."
C'est brutalement exposé le projet de
société ultime de l'oligarchie
américaine.
Dans la même interview, il précise par
ailleurs la continuité de sa thèse sur
"la fin de l'histoire" avec son projet
orwellien de société : "Quand j'ai
publié "La fin de l'histoire", en 1992,
j'ai été submergé de critiques, mais je
ne parlais pas de la même histoire que
mes censeurs. Je voulais dire qu'avec
l'écroulement du bloc de l'Est, de
nombreuses questions fondamentales sur
le plan de l'idéologie et des
institutions qui avaient sous-tendu
l'histoire pendant des décennies ont été
plus ou moins réglées, du moins dans les
pays développés. Aujourd'hui, les vrais
problèmes se situent au niveau des
structures sociales, religieuses, et de
la culture."
L'homme sera alors devenu un "chien
heureux" constate FUKUJAMA : «Un chien
est heureux de dormir au soleil toute la
journée, pourvu qu'il soit nourri, parce
qu'il n'est pas insatisfait de ce qu'il
est. Il ne se soucie pas que d'autres
chiens fassent mieux que lui, ou que sa
carrière de chien soit restée stagnante.
Si l'homme atteint une société dans
laquelle il aura réussi à abolir
l'injustice, sa vie finira par
ressembler à celle du chien». FUKUJAMA
reste muet sur ceux qui seront les
maîtres de ces chiens heureux, qui les
tiendront en laisse ...
(Sources :
Luc Michel – PCN-Timeline – CEPSE – EODE
Think-Tank)
Photo :
Thiriart à l’Université de Moscou en
août 1992.
Thiriart et Luc Michel, forêt de
Compiègne (France 1983).
Le livre de Thiriart « L’Europe. Un
empire de 400 millions d’hommes »
(1964). Le concept géopolitique de
« l’Europe jusque Vladivostok », la
genèse du Néoeurasisme.
LUC MICHEL (ЛЮК
МИШЕЛЬ) & EODE
* Avec le Géopoliticien de l’Axe
Eurasie-Afrique :
Géopolitique – Géoéconomie –
Géoidéologie – Géohistoire –
Géopolitismes - Néoeurasisme –
Néopanafricanisme
(Vu de Moscou et Malabo) :
PAGE SPECIALE Luc MICHEL’s Geopolitical
Daily
https://www.facebook.com/LucMICHELgeopoliticalDaily/
* Luc MICHEL (Люк
МИШЕЛЬ) :
WEBSITE
http://www.lucmichel.net/
PAGE OFFICIELLE III –
GEOPOLITIQUE
https://www.facebook.com/Pcn.luc.Michel.3.Geopolitique/
TWITTER
https://twitter.com/LucMichelPCN
* EODE :
EODE-TV
https://vimeo.com/eodetv
WEBSITE
http://www.eode.org/
Le sommaire de Luc Michel
Le
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