LUC MICHEL’S
GEOPOLITICAL DAILY
Soft power (III) : le ʽsoft powerʼ
américain
ʽbras culturelʼ du Pentagone
et du State department
Luc Michel
Dimanche 19 novembre 2017
LUC MICHEL (ЛЮК МИШЕЛЬ) & EODE/
Luc MICHEL pour EODE/
Flash géopolitique – Geopolitical Daily/
2017 11 18/
« Le soft power est l'art de faire
passer la puissance des Etats-Unis sans
qu'on s'en rende compte, via la culture,
la télé, le cinéma, de manière plus
efficace qu'une bombe. C'est comme cela
que nous consommons tous à travers la
planète les valeurs américaines,
véhiculées par Disney - entre autres -
ou par la télévision »
- Frédéric Martel (auteur de Mainstream),
Le spécialiste du softpower en France et
producteur à France Culture.
« Ce terme de soft
power possède une connotation
particulière : il sous-entend
l’expansion, la violence, la contrainte.
Ce n’est pas par hasard que cette notion
va de pair avec le hard power. Et ce
n’est pas par hasard, non plus, que ce
terme nous vient des États-Unis »
- Alexandre Orlov, ambassadeur de la
Fédération de Russie en France.
Les USA sont les
concepteurs de la notion de « soft power
», conçu comme un des moyens de la
domination impérialiste américaine, le «
bras culturel » du Pentagone (ce
qu’était déjà depuis longtemps
Hollywood) et du State Department. Et
son côté obscur la « guerre cultutelle »
…
L’INVENTEUR DU
‘SOFT POWER’ AMERICAIN : JOSEPH NYE,
THEORICIEN DE L’HEGEMONIE ET DU
LEADERSHIP DES USA
L’inventeur de la
notion de « soft power », version
américaine, est Joseph Nye. Il sert
comme adjoint au sous-secrétaire d'État
dans l'administration Carter et il
occupa le poste de secrétaire adjoint à
la Défense sous l'administration Clinton
(1994-1995) (donc un membre dirigeant de
l'appareil militaro-industriel), « il
était considéré par beaucoup de
personnes comme le probable conseiller à
la sécurité nationale en cas d'élection
de John Kerry lors de la campagne
présidentielle de 2004 ». Il est reconnu
comme « l'un des plus éminents penseurs
libéraux de la politique étrangère et
est considéré par plusieurs comme
l'homologue libéral du politologue
conservateur Samuel P. Huntington » (le
« choc des civilisations »).
Pour Joseph Nye, «
la position hégémonique des États-Unis
diminuerait sous l'effet d'une
combinaison de facteurs (concurrence
commerciale, spatiale, enlisements
militaires au Viêt Nam et en Irak...) ».
C’est l’annonce des « théories
déclinistes » sur l’impérialisme
américain (Paul Kennedy et en France
Emmanuel Todd et ses suiveurs). « Bien
que l'avance américaine amoindrisse la
perception de ce déclin, Joseph Nye
propose de restituer la puissance
américaine dans un contexte
d'interdépendance de plus en plus
incontournable ». Énonçant «
l'impossibilité d'un retrait unilatéral
des États-Unis des relations
internationales » (comme Trump,
prisonniers des généraux et des lobbies
qui l’ont fait élire, s’est vu
immédiatement imposer un renoncement à
ses opportunistes promesses électorales,
dès janvier 2017), Joseph Nye prône « le
leadership face à l'hégémonie ». Ceci
l'amène à développer le concept du «
soft power ».
THEORIES DU « SOFT
POWER » AMERICAIN : UN CONCEPT
ANGLO-SAXON
Le « soft power »
(traduisible en français par la «
manière douce » ou le « pouvoir de
convaincre », opposé à la puissance
brutale du « hard power ») est un
concept utilisé en relations
internationales. « Développé par le
professeur américain Joseph Nye, il a
été repris depuis une décennie par de
nombreux dirigeants politiques ». Colin
Powell l'a employé au Forum économique
mondial en 2003 « pour décrire la
capacité d'un acteur politique — État,
firme multinationale, ONG, institution
internationale (comme l'ONU ou le FMI),
voire réseau de citoyens (comme le
mouvement altermondialiste) —
d'influencer indirectement le
comportement d'un autre acteur ou la
définition par cet autre acteur de ses
propres intérêts à travers des moyens
non coercitifs (structurels, culturels
ou idéologiques) ».
Si le concept a été
développé aux États-Unis vers 1990, la
notion est née au XIXe siècle au
Royaume-Uni. C'est, en partie, à travers
la culture britannique, sa littérature
(Shakespeare, les enquêtes de Sherlock
Holmes, Lewis Carroll ou Alice au pays
des merveilles) ou, par l'adoption par
de nombreux pays, de normes comme les
notions de « fair-play » (que l'on doit
à Thomas Arnold, un préfet des études du
collège de Rugby), que le Royaume-Uni a
pu exercer au XIXe siècle et au début du
XXe une forte influence. Ne pas oublier
que l’impérialisme britannique (auquel à
succédé l’américain, les « cousins »,
entre 1917 et 1943) étai dirigé par des
gentlemen utilisant des voyous et des
pirates pour une politique mondiale de
voyous et de pirates !
LE « SOFT POWER »
CONTRE LE DECLIN DES USA ET LES THEORIES
« DECLINISTES »
Le concept fut
proposé par Joseph Nye en 1990 dans «
Bound to Lead » (*), « un ouvrage écrit
en réaction aux thèses qui évoquaient le
déclin de la puissance américaine »
(notamment de Paul Kennedy, dans son
ouvrage « Naissance et déclin des
grandes puissances : transformations
économiques et conflits militaires entre
1500 et 2004 »). Nye affirmait que « la
puissance américaine n'était pas en
déclin puisque le concept de puissance
n'était plus le même et devait être
reconsidéré. D'une part, les États-Unis
étaient et resteraient longtemps la
première puissance militaire, et d'autre
part le « rattrapage » économique par
l'Europe et le Japon était une
conséquence prévisible d'un retour à la
normalité après les inégalités dues à la
Seconde Guerre mondiale » (à l’époque,
les USA, qui avaient gagné la Guerre
froide et fait imploser l’URSS et le
Bloc de l’Est, voyaient l’ennemi dans la
cadre des « guerres commerciales » dans
l’UE et le Japon. Et pas dans une Russie
pas encore rétablie ou une Chine pas
encore émergée).
Mais surtout,
Joseph Nye soutient que « désormais les
États-Unis disposent d'un avantage
comparatif nouveau et amené à jouer un
rôle croissant à l'avenir : la capacité
de séduire et de persuader les autres
États sans avoir à user de leur force ou
de la menace ». Pour Joseph Nye, il
s'agit « d'une nouvelle forme de pouvoir
dans la vie politique internationale
contemporaine, qui ne fonctionne pas sur
le mode de la coercition (la carotte et
le bâton), mais sur celui de la
persuasion, c'est-à-dire la capacité de
faire en sorte que l'autre veuille la
même chose que soi ». Selon Joseph Nye,
le « soft power » ou la « puissance de
persuasion » reposent sur « des
ressources intangibles telles que
l'image ou la réputation positive d'un
État, son prestige (souvent ses
performances économiques ou militaires),
ses capacités de communication, le degré
d'ouverture de sa société, l'exemplarité
de son comportement (de ses politiques
intérieures mais aussi de la substance
et du style de sa politique étrangère),
l'attractivité de sa culture, de ses
idées (religieuses, politiques,
économiques, philosophiques), son
rayonnement scientifique et
technologiques ».
LE « SOFT POWER »
AU SERVICE DE LA DOMINATION DE L'ACTEUR
INTERNATIONAL LE PLUS PUISSANT, LES USA
Le soft power ne
correspond pas à « une qualification de
la nature du pouvoir exercé dans
l'économie mondiale, il décrit un type
de ressources particulières parmi
d'autres, mais dont le poids est devenu
prépondérant. Les ressources de pouvoir
dont dispose un acteur lui permettent
ensuite d'exercer différents types de
pouvoir tout au long d'un continuum ».
Le « pouvoir de
commandement », « capacité de changer ce
que les autres font, peut s'appuyer sur
la coercition ou l'incitation » (par la
promesse d'une récompense). Le « pouvoir
de cooptation », « capacité de changer
ce que les autres veulent, peut
s'appuyer sur la séduction ou sur la
possibilité de définir la hiérarchie des
problèmes politiques du moment de façon
à empêcher les autres d'exprimer des
points de vue qui paraîtraient
irréalistes face aux enjeux du moment ».
La place d'un État au sein des
institutions internationales lui
permettant de contrôler l'ordre du jour
de ses débats (et donc de décider de ce
qu'il est « légitime » de discuter ou
non) et de « figer des rapports de
puissance au moment où ils lui sont le
plus favorables ».
Alors que la «
théorie des régimes »avait été inventée
« pour comprendre comment le monde
pouvait être stable en l'absence de
leader mondial ». Nye affirme que « es
États-Unis n'ont en fait jamais cessé
d'être l'acteur international le plus
puissant » ! Le « soft power
compléterait ainsi la puissance
traditionnelle de contrainte (hard
power) et serait aujourd'hui la forme de
puissance ayant le plus d'importance,
notamment du fait des bouleversements
liés à la mondialisation » (ouverture
des frontières, baisse du coût des
communications, multiplications des
problèmes transnationaux auxquels on ne
peut qu'apporter une réponse globale :
terrorisme, réchauffement climatique,
trafic de drogue, pandémies
internationales ...).
CARACTERISTIQUES ET
ETAT DES LIEUX DU « SOFT POWER »
AMERICAIN
I. Un modèle
mondial :
* La culture et le
mode de vie américains, l’« American way
of life », largement diffusés par le
cinéma (Hollywood) et la télévision
(séries) sont devenus une référence pour
l'essentiel de la population mondiale.
Les industries culturelles américaines
(symbolisées par Hollywood, Disney, mais
aussi Mc Do et Coca Cola) sont fortement
exportatrices et dominent l'essentiel
des marchés mondiaux avec leurs «
blockbusters » à forte rentabilité et
leurs habitudes culturelles américaines
(la « malbouffe »). Sur la plupart des
marchés mondiaux développés, le cinéma
américain oscille entre 50 et 80 % de
parts de marché.
* Cette puissance de l'image est relayée
par la publicité des firmes américaines
et l'emploi de l'anglais comme langue
véhiculaire. « Les États-Unis exercent
ainsi une influence prédominante sur
l'imaginaire mondial ». Le modèle
américain est largement diffusé dans le
monde et les pseudo « valeurs
américaines » — ou du moins revendiquées
par les États-Unis, comme la liberté de
pensée ou d'expression, la propriété
privée, la libre entreprise, la
recherche du bonheur — sont communément
partagées.
* L'aide américaine notez qu’une des «
vitrines légales de la CIA » est l’US
AID), le plus souvent bilatérale
(c'est-à-dire directe, sans passer par
les institutions internationales), aux
pays les plus pauvres est aussi un
élément d'influence. Cette aide est
parfois publique, d'origine
gouvernementale, mais aussi souvent
privée. Bon nombre de milliardaires
américains mettent en œuvre des
fondations dites « philanthropiques »
(le but réel étant l’évasion fiscale et
l’influence politique, en liaison avec
les dites « vitrines légales de la CIA
»), organisations non gouvernementales à
but caritatif. La fondation Bill et
Melinda Gates, par exemple, fondée en
1994 par le créateur et l'ancien patron
de Microsoft — qui a été l'homme le plus
riche du monde — , où les réseaux du
spéculateur Georges Sorös. Le
spéculateur Warren Buffet, autre célèbre
multimilliardaire américain, lui « a
donné 37 milliards de dollars en 2006.
Cette fondation est ainsi devenue la
fondation la plus richement dotée de la
planète. Ses dépenses d'intervention
annuelles sont supérieures à celles de
l'Organisation Mondiale de la santé,
l'agence spécialisée de l'ONU ! »
II. Une attraction
planétaire :
* Les États-Unis
sont le premier pôle d'immigration au
monde, avec plus d'un million d'entrées
annuelles. Le pays attire des migrants
et des étudiants du monde entier, qui
viennent y chercher du travail, de
meilleures conditions de vie ou d'étude
: 22 % des migrants internationaux dans
le monde se rendent aux États-Unis.
L’arrivée au pouvoir du Régime Trump a
lourdement écorné cette attraction !
* Les universités américaines trustent
d'ailleurs 17 des 20 premières places du
classement mondial des universités
(classement de l'université Jiao Tong de
Shanghai) : « le monde entier rêve
d'aller faire ses études supérieures à
Harvard, Stanford ou au MIT ».
L'immigration qualifiée est une forte
composante de l'immigration totale vers
les États-Unis : le « brain drain » («
drainage des cerveaux ») assure un flot
constant de jeunes cerveaux formés ou à
former dans un pays où, prétend la
propagande US, « l'économie de la
connaissance » prend tout son sens.
III. Un soft power
en déclin ?
• Le « soft power
américain » semble cependant marquer le
pas. Il existe des contre-modèles, pas
tous universels, mais qui remettent en
question l'hégémonie culturelle
américaine : le « Cool Japan », l' «
exception culturelle française », le
nouveau « ésoft power russe » ou, sur un
plan plus politique, l'islamisme ou le «
socialisme de marché » chinois. Il
existe donc, dans le monde, de la place
pour des modèles qui ne sont pas
américains. La mondialisation qui se
veut « une américanisation sans limite
», et la « guerre culturelle » ont
généré des anti-coprs mondiaux.
• « L'élection du président Obama aurait
pu marquer le retour du soft power,
après le hard power dont avait fait
preuve l'administration précédente »
(mandats Bush II). Mais l'image des
États-Unis dans le monde a souffert de
la brutalité et de l'immoralité de
certains gestes, de certaines décisions
: la prison de Guantanamo et sa
législation spéciale, les traitements
dégradants infligés à des détenus dans
la prison irakienne d'Abou Ghraib, les
expéditions guerrière d’Obama et
d’Hillary Clinton ‘Libye, Syrie,
Afrique) qui valenbt celles du régime
Bush II, etc.
DE LA « GUERRE
CULTURELLE » AU « SOFT POWER » :
HOLLYWOOD AU SERVICE DE L’IMPERIALISME
AMERICAIN
Le cinéma constitue
ainsi un exemple majeur d'outil du «
soft power » :
« Par exemple, le long-métrage ‘Zero
Dark Thirty’ de l'américaine Kathryn
Bigelow — la première réalisatrice à
remporter l'Oscar du meilleur film à
Hollywood pour Démineurs, en 2010 —,
raconte la traque, et la mort, du chef
d'Al-Qaïda, Oussama ben Laden, entamée
par les Américains il y a dix ans, après
les attentats du 11 septembre 2001.
Alors que la sortie du film est prévue
le 12 octobre 2012, soit, à temps pour
participer aux Oscars, mais également
trois semaines avant l'élection
présidentielle qui verra Barack Obama
dans la course pour un second mandat,
les milieux conservateurs américains
polémiquent sur le timing d'un film qui
se termine sur la décision
présidentielle d'un raid victorieux des
Navy Seals et la mort du terroriste ».
Le Pentagone a une
longue tradition de collaboration avec
les cinéastes d'Hollywood, « par exemple
pour le film ‘Top Gun’ où l'armée
vantait les forces de ses troupes à la
sortie des projections ». Les militaires
ont l'habitude de fournir des conseils
ou du matériel de guerre. « Par exemple
pour le tournage de ‘La Chute du faucon
noir’ (Black Hawk Down, 2001) de Ridley
Scott, montrant un revers des soldats
américains en Somalie, l'armée a même
prêté ses hélicoptères et ses pilotes.
Cependant parfois, l'armée a refusé
d'apporter son aide. Ce fut le cas d'
‘Apocalypse Now’ de Francis Ford
Coppola, qui a alors dû trouver d'autres
soutiens financiers et politiques dans
d'autres pays ».
(*) Cfr. J. Nye,
Bound to Lead: The Changing Nature of
American Power, New York, Basic Books,
1990.
Photo :
USA 2016 : Joseph Nye, inventeur du
concept de softpower à une conférence de
Chatham House, London (une des «
vitrines légales du Mi5 et du Mi6 », la
version britannique des « vitrines
légales de la CIA »).
LUC MICHEL (ЛЮК
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