Monde
L’armée de Trump largue une bombe toutes
les 12 minutes, et personne n’en parle
Lee Camp
Mardi 4 septembre 2018
Source :
Truthdig, 19-06-2018
Nous vivons dans un état de guerre
perpétuelle, et nous ne le percevons
jamais. Pendant qu’on vous sert votre
glace dans cet endroit sympa où ils
mettent ces jolies petites feuilles de
menthe sur le côté, quelqu’un est
bombardé en votre nom. Pendant que vous
vous disputez au cinéma avec le jeune de
17 ans qui vous a donné un petit sac de
pop-corn quand vous avez payé pour un
gros, quelqu’un est anéanti en votre
nom. Pendant que nous dormons, mangeons,
faisons l’amour et protégeons nos yeux
par une journée ensoleillée, la maison,
la famille, la vie et le corps de
quelqu’un sont pulvérisés en mille
morceaux en notre nom.
Toutes les 12
minutes
L’armée américaine
lâche une bombe d’une puissance que vous
pouvez difficilement imaginer une fois
toutes les 12 minutes. Et c’est bizarre,
parce que techniquement, nous sommes en
guerre avec – voyons-voir – zéro pays.
Cela devrait donc signifier qu’aucune
bombe n’est larguée, non ?
Eh bien, non ! Vous
avez fait l’erreur commune de prendre
notre monde pour une sorte de monde
rationnel et cohérent dans lequel notre
complexe militaro-industriel est sous
contrôle, l’industrie de la musique est
basée sur le mérite et le talent, les
Legos ont des bords doucement arrondis
(donc quand vous marchez dessus pieds
nus, cela ne ressemble pas à une balle
perforante qui vient droit dans votre
sphincter), et les humains font face au
changement climatique comme des adultes
plutôt que de s’enterrer la tête dans le
sable tout en essayant de se convaincre
que le sable autour de leur têtes ne
devient pas vraiment très, très chaud.
Vous pensez à un
monde rationnel. Ce n’est pas là que
nous vivons.
Au lieu de cela,
nous vivons dans un monde où le
Pentagone est complètement hors de tout
contrôle. Il y a quelques semaines,
j’ai écrit sur les 21 billions de
dollars [1 billion = 1 millier de
milliards, NdT] (ce n’est pas une
coquille) qui ont disparu au Pentagone.
Mais je n’ai pas pris en considération
le nombre de bombes que nous achetons
avec cette somme ridicule. Les
militaires du président George W. Bush
ont largué 70 000 bombes sur cinq
pays. Mais sur ce nombre scandaleux,
seulement 57 ont vraiment affecté la
communauté internationale.
Parce qu’il y a eu
57 frappes au Pakistan, en Somalie et au
Yémen – pays avec lesquels les
États-Unis n’étaient ni en guerre ni en
conflit permanent. Et le monde était
plutôt horrifié. Il y eu beaucoup de
propos du genre : « Attends une minute.
On bombarde des pays en dehors des zones
de guerre ? Est-ce que ça ne serait pas
une pente savonneuse qui nous mène à
passer notre temps à bombarder, bordel
de m…? (Pause gênée.)… Nan. Quel que
soit le président qui suivra Bush, ce
sera un adulte normal (avec quelque
chose ressemblant à un tronc cérébral
fonctionnel) et il mettra donc fin à ces
foutaises ».
Nous étions si
mignons et naïfs à l’époque, comme un
chaton lorsqu’il se réveille pour la
première fois le matin.
Le
Bureau du journalisme d’investigation
[Bureau of Investigative Journalism, ONG
britannique consacrée à la production
d’articles d’investigation, NdT] a
rapporté que sous le président Barack
Obama, il y a eu « 563 frappes, en
grande partie par des drones, qui
visaient le Pakistan, la Somalie et le
Yémen… »
Ce n’est pas
seulement le fait que le bombardement à
l’extérieur d’une zone de guerre est une
horrible violation du droit
international et des règles mondiales.
C’est aussi le ciblage moralement
répréhensible de personnes pour le
pré-crime, ce que nous faisons et ce
contre quoi le film Minority Report
avec Tom Cruise [film de Steven
Spielberg, NdT] nous a mis en garde.
(Les humains sont très mauvais pour
suivre les conseils des dystopies de
science-fiction. Si nous avions écouté
1984, nous n’aurions pas permis
l’existence de la NSA. Si nous avions
écouté Terminator, nous n’aurions
pas permis l’existence d’une guerre de
drones. Et si nous avions écouté
Matrix, nous n’aurions pas permis à
la grande majorité des humains de se
perdre dans une réalité virtuelle de
spectacle et de bêtises insipides alors
que les océans meurent dans un
marécage de déchets plastiques… Mais
vous savez, qui s’en soucie?)
En fait il y a eu
un black-out médiatique pendant qu’Obama
était président. On peut compter sur les
doigts de la main le nombre de
reportages dans les médias grand public
sur les campagnes quotidiennes de
bombardement du Pentagone sous Obama. Et
même lorsque les médias en ont parlé, le
sentiment sous-jacent était « Oui, mais
regardez avec quelle courtoisie Obama
donne son feu vert pour des destructions
sans fin. Il est comme le Steve McQueen
de la mort par frappes aériennes ».
Et prenons un
moment pour effacer l’idée que notre «
armement avancé » ne touche que les
méchants.
Comme l’a dit David DeGraw, « Selon
les documents de la C.I.A., les
personnes figurant sur la liste des
personnes tuées, qui ont été ciblées
pour la “mort par drone”, ne
représentaient que 2 % des décès causés
par les frappes de drones ».
Deux pour cent.
Vraiment, le Pentagone ? Vous avez eu 2
au test ? Mais on a cinq points rien que
pour avoir bien épelé son nom.
Mais ces 70 000
bombes larguées par Bush – c’était de la
gnognotte. DeGraw à nouveau : « Obama a
largué 100 000 bombes dans sept pays. Il
a battu Bush de 30 000 bombes et 2 pays.
»
Il faut admettre
que c’est effroyablement impressionnant.
Cela place Obama dans le club très
élitiste des lauréats du prix Nobel de
la paix qui ont tué autant de civils
innocents. Les rencontres se font
uniquement entre lui et Henry Kissinger
[l’autre politique américain prix Nobel
de la Paix : NdT] portant de petits
badges dessinés à la main et grignotant
des œufs mimosa.
Cependant, nous
savons maintenant que le gouvernement de
Donald Trump fait rougir de honte tous
les présidents précédents. Les chiffres
du Pentagone montrent qu’au cours des
huit années de George W. Bush, il a
largué en moyenne 24 bombes par jour,
soit 8 750 par an. Au cours du mandat de
M. Obama, ses militaires ont largué 34
bombes par jour, soit 12 500 par an. Au
cours de la première année de mandat de
Trump, il a largué en moyenne 121 bombes
par jour, pour un total annuel de 44 096
bombes.
L’armée de Trump a
largué 44 000 bombes au cours de sa
première année au pouvoir.
Il a permis au
Pentagone de ne plus prendre de gants,
et enlevé la laisse d’un chien déjà
enragé. Le résultat final est une armée
qui se comporte comme un
Lil Wayne croisé avec
Conor McGregor. Vous regardez
ailleurs pendant une minute, vous vous
retournez et vous dites quelque chose
comme : « Qu’est-ce que vous venez de
faire, bordel ? J’étais parti une
seconde, quoi ! »
Sous Trump, cinq
bombes sont larguées par heure – chaque
heure de chaque jour. Ça fait en moyenne
une bombe toutes les 12 minutes.
Et qu’est-ce qui
est le plus révoltant – la quantité
folle de morts et de destructions que
nous semons dans le monde entier, ou le
fait que les grands médias, en fait,
n’en parlent JAMAIS ? Ils parlent des
défauts de Trump. Ils disent que c’est
un idiot raciste à grosse tête et
égocentrique (ce qui est tout à fait
exact), mais ils ne critiquent pas le
perpétuel massacre à la Amityville que
nos militaires perpétuent en larguant
une bombe toutes les 12 minutes, la
plupart d’entre elles tuant 98 % de
personnes non ciblées.
Quand on a un
ministère de la guerre dont le budget
n’a aucun compte à rendre – comme nous
l’avons vu avec les 21 billions de
dollars – et qu’on a un président qui
n’a que faire de surveiller le nombre de
morts causés par le ministère de la
guerre, alors on finit par larguer
tellement de bombes que le Pentagone a
signalé que
nous sommes à court de bombes.
Oh, mon Dieu. Si
nous n’avons plus de bombes, comment
allons-nous empêcher tous ces civils
innocents de… cultiver leurs terres ?
Pensez à toutes les chèvres qui seront
autorisées à vaquer à leurs occupations.
Et, comme pour les
21 billions de dollars, le leitmotiv
semble être « on ne sait pas ».
Le journaliste
Witney Webb
a écrit en février : « Chose
choquante, plus de 80 pour cent des
personnes tuées n’ont jamais été
identifiées et les documents de la
C.I.A. elle-même ont montré qu’ils ne
savent même pas qui ils tuent – évitant
ainsi la question du signalement des
morts civiles en désignant tous ceux qui
se trouvent dans la zone de frappe comme
combattants ennemis. »
C’est ça. Nous ne
tuons que les combattants ennemis.
Comment savons-nous que ce sont des
combattants ennemis ? Parce qu’ils
étaient dans notre zone de frappe.
Comment savions-nous que c’était une
zone de frappe ? Parce qu’il y avait des
combattants ennemis. Comment avons-nous
découvert qu’il s’agissait de
combattants ennemis ? Parce qu’ils
étaient dans la zone de frappe… Tu veux
que je continue, ou tu saisis ? J’ai
toute la journée.
Il ne s’agit pas de
Trump, même si c’est un maniaque. Il ne
s’agit pas d’Obama, même si c’est un
criminel de guerre. Il ne s’agit pas de
Bush, même s’il a l’intelligence du chou
bouilli. (Ça fait à peu près huit ans
que je n’ai pas fait une blague sur
Bush. Ça m’a fait du bien. Peut-être que
je m’y remettrai.)
Il s’agit d’un
complexe militaro-industriel
incontrôlable que notre élite dirigeante
est plus qu’heureuse de laisser
échapper. Presque personne au Congrès ou
à la présidence n’essaie de maîtriser
nos 121 bombes par jour. Presque
personne dans un média grand public
n’essaie d’amener les gens à s’en
préoccuper.
Récemment, le
hashtag #21Trillion [21 billions, NdT]
pour l’argent non comptabilisé du
Pentagone a remporté un certain succès.
lançons-en un autre : #121BombsADay [121
bombes par jour, NdT].
Une toute les 12
minutes.
Vous savez où ils
frappent ? Qui ils tuent ? Pourquoi ?
Cent vingt et une bombes par jour
déchirent la vie des familles à l’autre
bout du monde – en votre nom et en mon
nom et au nom du gamin qui distribue des
sachets de maïs soufflé de la mauvaise
taille au cinéma.
Nous sommes un pays
voyou avec des militaires voyous et une
élite dirigeante qui n’a aucun compte à
rendre. Le gouvernement et les
militaires que vous et moi entretenons
en faisant partie de cette société
assassinent des gens toutes les 12
minutes, et en réponse, il n’y a rien
d’autre qu’un silence sinistre. Il est
indigne de nous, en tant que peuple et
espèce, de n’accorder à ce sujet que le
silence. C’est un crime contre
l’humanité.
Source :
Truthdig, 19-06-2018
Traduit par les
lecteurs du site
www.les-crises.fr. Traduction
librement reproductible en intégralité,
en citant la source.
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