The vineyard of
the Saker
Pourquoi les Ukrainiens ne se
soulèvent-ils pas
dans le reste de l’Ukraine ?
Où en est la contre-offensive de la
Nouvelle Russie ?
Le Saqr
Photo:
D.R.
Dimanche 24 août 2014
Un ami vient de m’envoyer ce mail et
voilà, ci-dessous, ce que je lui ai
répondu :
Cela fait quelque temps que je me
pose des questions concernant la
"guerre" en Ukraine et en Nouvelle
Russie. J’entends de temps en temps le
bruit courir que les Forces
d’Autodéfense de la Nouvelle Russie
(FAN) vont bientôt "prendre l’offensive"
(sans doute après un tournant décisif
quelconque ou après avoir atteint un
certain but). Et cela m’étonne qu’elles
n’aient pas encore monté de petites
opérations dans le reste de l’Ukraine et
spécialement à Kiev. Il me semble que
les FAN auraient les moyens de lancer
des opérations clandestines ciblées,
non ? De planifier des incidents à Kiev
et de procéder à des frappes éclairs qui
calmeraient les ardeurs guerrières de la
population qui (semble-t-il) est
largement indifférente. Ou est-ce que
les FAN pensent que cela ne servirait
qu’à raffermir la volonté de Kiev de
continuer le combat ? L’histoire montre
que ces tactiques sont courantes même si
je ne suis pas sûr à 100% de leur
efficacité. J’aimerais savoir ce que
vous en pensez ?
C’est une question très intéressante
et assez complexe. En réalité, on est
devant deux problèmes distincts :
a) pourquoi il n’y a apparemment pas
de résistance dans le reste de
l’Ukraine ?
b) où en est la contre-offensive
novorusse ?
Les deux problèmes ont un commun
dénominateur mais ils sont
qualitativement différents. On va les
prendre un par un :
Pourquoi il
n’y a apparemment pas de résistance dans
le reste de l’Ukraine ?
Premièrement, il faut reconnaître que
tous les Ukrainiens ne sont pas hostiles
à la nouvelle junte. En fait, ils le
sont sans doute, mais pas assez pour
manifester et encore moins se soulever.
D’abord, la plupart des Ukrainiens ont
été élevés dans un pays dont la
russophobie n’a fait que s’accentuer, de
l’Ukraine soviétique modérément
russophobe et nationaliste à l’Ukraine
violemment russophobe et nationaliste
d’après 1991 et à l’Ukraine à la
russophobie et au nationalisme délirants
d’après 2013 ; aujourd’hui, le climat
idéologique et politique officiel du
Banderastan est hystériquement
anti-Russe. Donc même les Ukrainiens qui
ne sont pas des groupies des néo-Nazis
ne sont pas nécessairement pro-Russes.
Deuxièmement, il y a un blackout sur
l’information dans le pays jusque dans
les médias "indépendants". Nous avons
tous vu sur You Tube les directeurs des
principales chaînes de TV se faire
tabasser par des nationalistes qui leur
reprochaient de ne pas diffuser des
émissions "comme il faut"*. On peut
s’imaginer le sort des médias moins
importants ! En fait, on raconte à la
population que l’armée ukrainienne se
bat contre, je ne blague pas, une
invasion russe ! On leur dit que le
Donbass est plein de forces Spetsnaz
russes et de tanks. J’ai même vu un
reportage montrant 30 tanks T-90 MBT
russes attaquant un village défendu par
l’armée ukrainienne. Le niveau de
propagande est hallucinant et la
zombification est tout simplement
inimaginable et donc, même si beaucoup
d’Ukrainiens n’aiment pas la junte au
pouvoir, ils ne veulent pas pour autant
que la Russie envahisse l’Ukraine.
Troisièmement, bien qu’on n’en parle
quasiment pas dans les médias
occidentaux ni dans la blogosphère, la
plupart des exilés ukrainiens soulignent
que la terreur règne dans
l’Ukraine-croupion, spécialement dans
les villes de Kharkov, Kiev et Odessa :
des centaines de personnes ont été
kidnappées, ont disparu et/ou ont été
torturées, battues, menacées ou
maltraitées d’une façon ou d’une autre.
Les donjons de la police et du SBU sont
pleins de personnes soupçonnées d’être
des "terroristes" des "traîtres" et des
"séparatistes". Les gens reçoivent des
coups de fil menaçants, les membres de
leur famille sont menacés dans la rue, à
l’école, au travail, etc. Les héritiers
spirituels de Stepan Bandera sont passés
maîtres dans l’art de terroriser la
population et comme les médias, les
organisations de droits humains et les
gouvernements internationaux ne se font
pas prier pour regarder ailleurs, les
commandos de la mort nazis de Ukieland
auraient tort de se gêner.
Quatrièmement, et c’est une chose
difficile à admettre, la plupart des
Ukrainiens, tout comme les Novorusses,
préfèrent rester tranquillement chez eux
en attendant de voir comment ça tourne.
Ces gens-là ne s’intéressent qu’aux
choses matérielles et pour eux la Russie
ou l’Ukraine, les Nazis ou les
démocrates, les Orthodoxes ou les Grecs
Catholiques - c’est du pareil au même.
Ce qui leur importe, c’est le contenu de
leur réfrigérateur, la voiture qu’ils
conduisent, le poste de TV dans leur
salle a manger. Si on leur disait qu’en
devenant un anarchiste Hare-Krishna
Zimbabwéen, ils gagneraient plus
d’argent, ils le feraient tout de suite.
Je ne tiens pas à rentrer dans le
"pourquoi" de la chose, disons
simplement que la passivité ukrainienne
n’est pas un mythe.
Pour toutes ces raisons, il n’y a pas
de protestations, de soulèvements ni de
sabotage dans le Banderastan. Ou alors,
c’est infime. La plupart des Ukrainiens
sont perdus, effrayés, ont le cerveau
partiellement lavé, et sont obligés de
se reposer sur des rumeurs. Tout cela ne
peut qu’engendrer la passivité. De ce
point de vue, la Crimée a été la
dernière preuve du contraire et le
Donbass se situe quelque part entre les
deux, ce qui explique les difficultés
que le Kremlin (et la Résistance
Novorusse) rencontre pour solutionner le
problème.
Quant aux forces de la Nouvelle
Russie, elles n’ont tout simplement pas
le loisir de préparer des opérations de
sabotage derrière les lignes ennemies.
Pour le moment, les forces de la
Résistance novorusses "jouent les
pompiers", elles courent d’un endroit à
l’autre pour "éteindre" les diverses
percées ukrainiennes dans le territoire
qu’elle contrôlent. Voyons cela d’un peu
plus près :
Où en est la
contre-offensive de la Nouvelle Russie ?
Les rumeurs d’une contre-offensive
novorusse circulent depuis des semaines
mais il n’y en a toujours pas.
Pourquoi ?
La clé ici réside dans la supériorité
numérique et technologique du camp
ukrainien. Je vous explique :
Pour les Novorusses l’équation est
simple : plus la ligne de contact (la
ligne de front si vous préférez) avec
l’ennemi est courte, mieux c’est. Plus
elle est longue, pire c’est.
Rappelez-vous la scène de Matrix où Neo
se bat contre une horde d’Agents Smith :
même si Néo est encerclé par des
centaines, voire des milliers d’Agents
Smith, il ne se bat qu’à 5 contre un à
la fois parce que seulement 5 agents
peuvent se caser dans son périmètre
immédiat. La vraie guerre n’est pas si
simple, bien sûr, mais l’idée de base
est la même et c’est une des raisons
pour lesquelles Strelkov a renoncé à
Slaviansk.
La seconde question que posent
beaucoup de lecteurs est celle-ci :
excusez-moi mais si les Ukrainiens sont
en train de perdre, pourquoi ne
cessent-ils pas d’avancer ? Ce n’est pas
contradictoire. La Résistance fait
régulièrement retraite pour laisser les
Ukrainiens avancer dans leur territoire
pour pouvoir les encercler et créer une
poche ou un "Chaudron". Les Ukrainiens
qui n’arrivent pas a se replier ont
toutes les chances d’y rester. N’oubliez
pas non plus que les médias annoncent
l’avancée de l’armée ukrainienne mais
jamais le repli qui suit. Les médias
occidentaux montrent au public des
cartes très "approximatives", en réalité
tout à fait fausses. En voilà une
relevée aujourd’hui sur le site Internet
de la BBC :
Comparez-la avec celle-ci qui est de la
même période :
La différence ne pourrait pas être
plus grande. Les presstitutes**
occidentaux font deux erreurs majeures :
d’abord ils assument que si une unité va
d’un point A à un point B cela signifie
que le point A reste sous leur contrôle.
Ce n’est pas du tout le cas. La plupart
du temps, lorsque l’unité X s’est
déplacée du point A au point B, l’autre
camps reprend A et encercle l’unité X.
Ensuite, les presstitutes pensent que
toutes les informations russes ou
novorusses sont de la "propagande"
tandis que les sources occidentales sont
fiables. C’est pourquoi ils vous
présentent des cartes comme celle de la
BBC : pire qu’inutiles elles sont
mensongères.
Au fait, il y a un gars du nom de
Dima Svets sur You Tube qui analyse avec
brio les cartes de combat (comme
celle-ci). Il parle russe mais si
vous voulez juste savoir à quoi
ressemble une vraie carte, ça vaut la
peine d’y aller voir.
Comme je l’ai dit plus tôt, pour le
moment les Novorusses "jouent les
pompiers" : les Ukrainiens attaquent sur
tous les fronts et dès qu’ils commencent
à repousser les lignes novorusses, le
commandement central envoie des renforts
qui stoppent leur progression et
essaient de les encercler avant qu’ils
ne reculent. Cette technique simple
marche pour deux raisons : les distances
sont très courtes et les capacités
stratégiques des Novorusses sont
infiniment supérieures.
Mais une contre-offensive est une
toute autre affaire. D’abord, il faut
concentrer ses forces à l’endroit où
vous voulez faire votre percée. De plus,
il faut aussi monter une attaque de
diversion dans un autre endroit : tout
cela exige beaucoup de forces. Comment
les Novorusses peuvent-ils concentrer
leur forces sans risquer une percée
ukrainienne sur leurs arrières ?
Par ailleurs, même en assumant qu’ils
y parviennent, une contre-attaque
novorusse impliquerait un allongement de
la ligne de contact et cela augmenterait
le risque d’être encerclé. C’est vrai
que les Ukrainiens ont l’inconvénient
d’avoir un immense territoire derrière
eux et qu’il leur est donc difficile de
savoir où placer leurs réserves, mais
ils ont assez d’unités motorisées pour
avancer rapidement et ils ont aussi
l’artillerie et l’aviation. Pour les
forces novorusses, une percée dans les
profondeurs du territoire ukrainien
pourrait se révéler très très
dangereuse.
La ligne de front entre les deux
camps n’est pas encore tout à fait
stabilisée mais les combats se sont
soldés par une sorte de match nul qui
laisse peu de place à l’initiative. Le
territoire contrôlé par la Résistance
s’est réduit à une dimension qui permet
à la Résistance de le défendre sans
problème et qui le rend imprenable.
A moins que quelque chose ne gèle la
ligne de front "telle quelle", les deux
camps continueront a avancer et reculer
avec de légers succès tactiques jusqu’à
ce qu’un des deux camps n’en puisse
plus. Si cela se produit, le camp à bout
de souffle ne pourra pas faire retraite,
il s’effondrera d’une seul coup. Pour le
moment, je ne sais pas quel est le camp
qui est le plus susceptible de
s’écrouler. Les Ukrainiens ont été
décimés en nombre épouvantable par la
Résistance, mais ils envoient toujours
plus d’hommes, de matériel et d’unités
au front. Je ne sais pas combien de
temps le régime peut continuer à faire
ça. Je sais que le mouvement de
protestation des "mère de conscrits" qui
s’est levé en Ukraine de l’ouest pour
dire "nous ne voulons pas mourir en nous
battant contre les Russes dans le
Donbass", prend de l’ampleur. La junte
ramène des corps des soldats ukrainiens
morts par wagons entiers mais elle n’a
pas d’argent pour les garder au frais et
encore moins pour leur offrir des
funérailles convenables. Ce sont les
familles qui doivent payer pour enterrer
leurs êtres chers, on leur dit souvent
d’emporter le corps comme elles peuvent,
elles doivent payer pour la
réfrigération, pour l’uniforme neuf dans
lequel elles vont l’enterrer et pour
l’enterrement lui-même. Vous imaginez
l’horreur et le désespoir de ces
familles ! Et leur nombre augmente
démesurément surtout dans l’ouest de
l’Ukraine parce que la junte croit que
les Ukrainiens de l’ouest ont moins de
chance de déserter ou de changer de
camp.
Je pense qu’il est important de ne
pas se concentrer seulement sur les
horribles massacres de civils novorusses
par les forces ukrainiennes mais aussi
sur l’horreur de la conscription forcée
(jusqu’à 60 ans ! Et depuis le début de
l’année la junte a déjà effectué 3
mobilisations partielles) d’hommes qui
sont envoyés comme chair à canon, à
l’est, pour y être tués par la
Résistance.
Si la Nouvelle Russie peut tenir
encore deux ou trois semaines, alors le
courant va se retourner définitivement
contre la junte. Pour le moment il n’y a
personne avec qui négocier et rien à
négocier. Mais comme l’a dit récemment
le politicien novorusse, Oleg Tsarev,
dès que les forces de la junte sentiront
venir leur première grande défaite, les
Européens vont brusquement exiger des
négociations et alors, il sera peut-être
possible de négocier quelque chose. Mais
tant que les forces novorusses n’ont pas
prouvé qu’on ne peut pas les écraser (et
elles ne l’ont pas encore prouvé) la
junte et ses commanditaires étatsuniens
ne négocieront pas sérieusement. Ils
feront peut-être semblant, comme ils
l’ont déjà souvent fait, mais c’est
tout. Tant que les Etats-Unis et la
junte espèrent écraser militairement la
Résistance, ils ne négocieront pas.
La Résistance se porte bien. Il ne
lui manque qu’un vrai succès, un succès
indéniable. En attendant la situation
est complètement bloquée.
The Saker
Note :
* En Français dans le texte.
**Contraction anglaise de presse et
prostituée.
Traduction : Dominique Muselet
© LE GRAND
SOIR - Diffusion non-commerciale
autorisée et même encouragée.
Merci de mentionner les sources.
Publié le 26 août 2014
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