Opinion
La Russie et
l'Islam, partie 1 :
introduction et définitions
Le Saqr
Jeudi 7 novembre 2013
Aujourd’hui, je commence une série
d’articles traitant de la question
complexe de la Russie et de l’Islam, un
sujet qui est largement négligé en
Occident, ou, quand il est mentionné en
passant, est souvent totalement
incompris. Je fais des recherches sur ce
thème fascinant depuis plusieurs mois
déjà et il y a tellement de choses à
dire que j’ai décidé d’écrire une série
d’articles sur la question, chacun
couvrant un aspect spécifique du sujet.
La nature de la relation et de
l’interaction actuelle entre la Russie
et l’Islam est très complexe, avec des
aspects spirituels, politiques, sociaux,
économiques, historiques et
géostratégiques. Sans anticiper sur mes
conclusions, je dirais que la relation
dialectique entre la Russie et l’Islam
est en train de passer par des
changements
profonds et très dynamiques qui rendent
impossible de prédire son futur avec
certitude.
Mais d’abord, il est primordial
d’insister sur le fait que la Russie et
l’Islam ne sont pas des concepts
mutuellement opposés ou qui s’excluent
mutuellement. Alors que peu de russes
ethniques sont musulmans, la Russie a
toujours été un Etat
multi-ethnique, même quand elle n’était
qu’une petite
principauté centrée sur la ville de Kiev.
Le mot « russe » en anglais [et en
français] est utilisé pour exprimer deux
concepts russes très différents : le
mot « russkii » signifie « Russe » au
sens de « membre de l’ethnie ou de la
culture russe » tandis que le mot « rossiiskii »
signifie « membre de la nation de
Russie ». De même, quand les russes
parlent de « russkie », ils se réfèrent
à l’ethnicité Russe alors que quand ils
parlent de « rossiiskii », ils désignent
l’Etat-nation russe, une zone
géographique. Prenons par exemple
l’actuel ministre de la défense russe,
Sergei Choïgou. Il est de l’ethnie
des
Touvains de par son père (et de
l’ethnie Russe du côté de sa mère). Si
nous mettons de côté sa lignée
maternelle, on pourrait dire qu’il n’est
pas un Russe ethnique (russkii) mais
qu’il est un russe national (rossiiskii).
A noter en passant que Choïgou n’est pas
un chrétien orthodoxe comme la plupart
des russes ethniques, mais un
bouddhiste. De même, le ministre des
affaires étrangères russe de 2003 à 2011
était
Rachid Nourgaliev, de l’ethnie
Tatare, né musulman et finalement
converti à la foi orthodoxe. Même chose,
il serait considéré comme un « rossiianin »
(national russe) et non pas comme un « russkii »
– de l’ethnie Russe.
Ainsi, alors que très peu de russes
ethniques sont musulmans, il y a
toujours eu de nombreux autres
(non-russes) groupes ethniques inclus
dans la nation russe, dont de nombreux
musulmans, et ces groupes ethniques ont
souvent joué un rôle crucial dans
l’histoire de la Russie. Des Vikings qui
fondèrent le
Rus’ de Kiev aux
Mongols (majoritairement musulmans)
qui aidèrent
Saint Alexandre Nevski à vaincre les
Chevaliers Teutoniques des
Croisades Papistes Nordiques, en
passant par les
deux bataillons tchétchènes des forces
spéciales qui constituèrent le fer
de lance de la contre-offensive russe
contre l’armée géorgienne dans la
guerre du 08-08-2008, les russes
non-ethniques ont toujours joué un rôle
important dans l’histoire de la Russie,
et l’existence d’un « Islam russe »
historique pleinement légitime ne peut
être niée. En d’autres termes, si
« l’Islam russkii » (Islam des russes
ethniques) est en réalité un phénomène
mineur, presque privé, « l’Islam
rossiiskii » (Islam des autres ethnies
de Russie) est une constante de
l’histoire russe plus que millénaire, et
une composante à part entière de
l’identité de la Russie.
Il est particulièrement important de
garder cela à l’esprit lorsque l’on
entend les opinions mal informées de
ceux qui voudraient considérer la Russie
comme une partie de la soi-disant «
Chrétienté Occidentale ». Mettons les
choses au point, la forme la plus
fréquente et la plus significative de
l’interaction que la nation russe a eue
avec la Chrétienté occidentale a été la
guerre. Et chacune de ces guerres était
une guerre défensive contre une
agression occidentale.
Il est vrai qu’une bonne partie de la
noblesse impériale russe, qui était
souvent issue de l’ethnie germanique, et
presque entièrement composée de membres
actifs de la franc-maçonnerie, voulait
que la Russie devienne partie intégrante
de la civilisation occidentale.
Cependant, cela a toujours été une
tendance seulement parmi les riches
élites, les classes déjà très
occidentalisées, ce que Marx appellerait
la « superstructure » de la Russie. Les
masses russes orthodoxes, pour leur
part, étaient culturellement bien plus
proches de leurs voisins musulmans ou
bouddhistes que des élites occidentales
qui se sont emparés des rênes du
pouvoir au 18e siècle sous le tsar
Pierre Ier.
Alors qu’avant cette date, personne
n’aurait jamais pu soutenir sérieusement
que la Russie faisait partie de la
civilisation occidentale, après le 18e
siècle, il y eut un effort presque
constant de la part de certains membres
des classes supérieures russes pour
« moderniser » la Russie, ce qui
revenait en fait à l’occidentaliser. Du
tsar Pierre Ier
aux francs-maçons
décembristes, au régime de
Kerenski et aux années
Eltsine, les « occidentalistes »
russes n’abandonnèrent jamais leur lutte
pour transformer la Russie en un Etat
occidental. Je soutiendrais même que
toute l’expérience soviétique était
aussi une tentative d’occidentalisation
de la Russie, bien que ne suivant pas le
modèle papiste ou maçonnique, mais le
modèle marxiste. Ce que tous ces modèles
ont en commun est une aversion viscérale
pour la culture et la spiritualité
russes authentiques, et un désir
obsessionnel de « transformer la Russie
en Pologne » (c’est-à-dire transformer
la Russie Orthodoxe rebelle, qui tient
tête à l’Occident, en
une « Pologne » papiste
pro-Occidentalisée, contente d’être une
colonie obéissante de l’Oncle Sam).
L’expression parfaite de ce mépris et de
cette haine pour la culture et la nation
russe se retrouve dans les mots de
Napoléon : « Grattez le russe, et vous
trouverez le Tartare ». Venant de cet
« Empereur maçon » qui utilisait les
sanctuaires des églises orthodoxes
russes comme étables pour ses chevaux et
qui, par dépit, essaya de faire sauter
tout le Kremlin, ces mots révèlent les
racines de son véritable mépris pour le
peuple russe.
Par opposition, 500 ans avant, les
Mongols (majoritairement musulmans) qui
envahirent la Russie traitaient
généralement l’Eglise russe et le clergé
orthodoxe avec le plus grand respect.
Certes, ils n’hésitaient pas à bruler un
monastère et massacrer tous ceux qui s’y
trouvaient, mais seulement si le
monastère servait de base aux insurgés
russes qui luttaient contre
l’envahisseur. Et en effet, certains
Mongols forcèrent des princes russes à
marcher sur leur « feu de purification »
païen, mais ils n’étaient pas musulmans
mais païens. Le fait indéniable est que
quand les russes furent soumis à la
domination musulmane, le joug était
toujours moins cruel et barbare que ce
que les envahisseurs Papistes, Maçons ou
nazis firent chaque fois qu’ils
essayèrent d’envahir et de soumettre la
Russie. C’est pour cela qu’il n’y a pas
de véritable courant anti-Islam dans la
culture populaire russe, du moins pas
avant l’ère soviétique qui,
malheureusement, bouleversa radicalement
un équilibre délicat qui avait été
atteint avant 1917.
Dans le passé, les forces
occidentalistes se voyaient comme
« Européennes », opposées aux
« Asiatiques », et il est assez
remarquable de voir comment ces forces
occidentalistes sont devenues
anti-musulmanes de nos jours (j’en
parlerai plus en détail dans les
prochains articles). Alors qu’elles
supportent de tout leur cœur la liberté
d’organiser des soi-disant défilés de la
« Gay
Pride » ou les actions des « Pussy
Riot », ces
forces « occidentalistes » sont
catégoriquement opposées au droit des
jeunes musulmanes à porter un foulard à
l’école.
Franchement, je ne veux pas passer plus
de temps à parler des forces
pro-occidentales en Russie,
principalement car elles ont été
affaiblies jusqu’au point de représenter
moins de 1 ou 2% de la population
aujourd’hui. Je me dois de mentionner
ces forces ici principalement comme les
restes des tentatives sans succès
d’occidentaliser la Russie depuis
presque 300 ans, mais ce n’est pas en
leur sein que les « choses
intéressantes » se déroulent maintenant.
De nos jours, ce sont les débats houleux
sur l’Islam parmi les différents groupes
anti-occidentaux ou « patriotes » qui
sont très intéressants, et ce sera le
sujet d’un article à venir. Mais dans le
prochain article, nous aurons besoin
d’analyser la condition spirituelle
actuelle de la majorité du peuple russe.
Le Saqr (The Saker)
Article original en Anglais :
http://vineyardsaker.blogspot.com/2013/02/russia-and-islam-part-one-introduction.html
Traduction :
http://www.sayed7asan.blogspot.fr
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dossier Russie
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