Le Saker
Pour achever l’accord sur le nucléaire
iranien,
les États-Unis veulent y
adhérer de nouveau
Moon of Alabama
Mercredi 29 avril 2020 Par
Moon of Alabama − Le 27 avril 2020
Le 8 mai 2018,
les États-Unis ont cessé de participer
au Plan d’action global conjoint
(JCPOA), dit Accord sur le nucléaire
iranien. Le New York Times
rapporte que les États-Unis veulent
maintenant y
revenir pour une raison maligne :
Le secrétaire
d'État Mike Pompeo prépare une argutie
légale disant que les États-Unis sont
toujours participants à l'Accord
nucléaire iranien auquel le président
Trump a renoncé, dans le cadre d'une
stratégie complexe visant à faire
pression sur le Conseil de sécurité des
Nations unies pour qu'il prolonge un
embargo sur les armes à destination de
Téhéran ou qu'il impose à nouveau des
sanctions beaucoup plus sévères contre
ce pays. ...
Pour forcer les
choses, M. Pompeo a approuvé un plan,
qui ne manquera pas de susciter
l'opposition de nombre de ses alliés
européens, en vertu duquel les
États-Unis prétendraient, en substance,
qu'ils restent légalement un "État
participant" à l'accord nucléaire
que M. Trump a dénoncé - mais seulement
dans le but d'invoquer un "retour à
la case départ" qui permettrait de
rétablir les sanctions de l'ONU contre
l'Iran, les mêmes qui étaient en place
avant l'accord.Si l'embargo sur
les armes n'est pas renouvelé, les
États-Unis exerceraient ce droit en tant
que membre originel de l'accord. Cette
mesure obligerait à rétablir le large
éventail de sanctions qui interdisaient
les ventes de pétrole et les
arrangements bancaires avant l'adoption
de l'accord en 2015. L'application de
ces anciennes sanctions serait, en
théorie, contraignante pour tous les
membres des Nations unies.
L’objectif réel de
l’administration Trump est bien sûr
beaucoup plus large :
Calculs politiques
mis à part, l'administration veut aller
au-delà de l'imposition de sanctions
plus sévères à l'Iran. Il s'agit
également de forcer Téhéran à renoncer à
toute prétention de préserver l'accord
de l'ère Obama. Ce n'est qu'en le
brisant, disent de nombreux hauts
fonctionnaires de l'administration, que
l'ayatollah Ali Khamenei et le président
Hassan Rouhani seront contraints de
négocier un tout nouvel accord plus au
goût de M. Trump.
L’idée est idiote
et elle ne fonctionnera pas. Il n’y aura
pas de « retour à la case départ »
pour les sanctions et l’Iran s’en
tiendra à l’accord.
L’option de retour
à la case départ fait partie du
mécanisme de règlement des différends
prévu aux articles 36 et 37 de
l’accord du JCPOA. Le site UN
Dispatch en donne une
brève description :
L'accord signé ce
matin crée un panel de huit membres,
appelé "Commission conjointe",
qui servira de mécanisme de résolution
des litiges. Les membres de ce panel
sont les cinq membres du Conseil de
sécurité ayant le droit de veto, plus
l'Allemagne, l'Iran et l'Union
européenne. Il y a huit membres au
total. Si une majorité (5) estime que
l'Iran a triché, la question est
renvoyée au Conseil de sécurité. Aucun
pays ne dispose d'un droit de veto.Et c'est là que les
choses deviennent intéressantes. Le
libellé de l'accord nucléaire dit que le
vote au Conseil de sécurité ne serait
pas pour réimposer des sanctions. Au
contraire, le Conseil de sécurité doit
décider s'il continue ou non à lever les
sanctions. Et s'il ne le fait pas, les
anciennes sanctions sont remises en
place. Ce cadre évite la perspective
d'un veto russe et garantit que si les
pays occidentaux pensent que l'Iran
triche, les sanctions seront
automatiquement réimposées.
Les États-Unis ne
participent plus à la « commission
mixte » et ne peuvent donc pas
déclencher le processus. Il n’y aura pas
non plus de majorité pour soumettre le
désaccord au Conseil de sécurité des
Nations unies. Dans sa
résolution 2231, le Conseil de
sécurité des Nations unies a également
établi que seuls les participants au
JCPOA peuvent déclencher un processus de
retour en arrière :
11. Décide, en
vertu de l'article 41 de la Charte des
Nations Unies, que dans les 30 jours
suivant la réception d'une
notification par un État participant au
JCPOA d'une question qui, selon l'État
participant au JCPOA, constitue une
inexécution importante des engagements
pris dans le cadre du JCPOA, il votera
sur un projet de résolution visant à
maintenir en vigueur les résiliations
prévues au paragraphe 7 a) de la
présente résolution [...].
Le fait que les
États-Unis vont maintenant prétendre
être toujours un État participant au
JCPOA sera considéré comme une
plaisanterie par tous ceux qui se
souviennent des remarques de
l’administration Trump concernant la
cessation de sa participation.
Le 8 mai 2018, la
Maison Blanche a
publié un « Mémorandum
présidentiel » qui titrait :
Mettre fin à la
participation des États-Unis au JCPOA
et prendre des mesures supplémentaires
pour contrer l’influence malveillante de
l’Iran et lui refuser toute possibilité
de se doter d’une arme nucléaire.
Dans la section 2,
le mémorandum ordonne :
Le secrétaire
d'État doit, en consultation avec le
secrétaire au Trésor et le secrétaire à
l'Énergie, prendre toutes les mesures
appropriées pour mettre fin à la
participation des États-Unis au JCPOA.
Lors du point de
presse de ce jour-là, le conseiller à la
sécurité nationale de l’époque, John
Bolton, insistait sur le fait que les
États-Unis avaient abandonné l’accord et
ne pouvaient donc plus déclencher la
disposition de « retour à la case
départ » de la résolution 2231 du
Conseil de sécurité des Nations unies.
En parlant des sanctions, il a dit :
AMBASSADEUR BOLTON:
[...] Cette éventualité est affichée sur
le site web du département du Trésor
depuis 2015 en raison de la possibilité
d'utiliser les dispositions de la
résolution 2231, que nous n'utilisons
pas parce que nous sommes sortis de
l’accord. [...]Q: Mais cela ne
sera pas négocié - pour ceux qui
existent ?
AMBASSADEUR BOLTON:
Nous sommes sortis de l'accord.
Q: Nous en
sommes sortis ?
AMBASSADEUR BOLTON:
Nous en sommes sortis. Nous en sommes
sortis.
Q: Nous en
sommes sortis ?
AMBASSADEUR BOLTON:
Vous avez compris.
Le lendemain, le
Washington Post publiait un article
de Bolton. Sa première phrase dit :
Mardi, le président
Trump a annoncé sa décision de se
retirer de l'accord nucléaire iranien
déchu.
Le
décret 13846 du 6 août 2018 qui a
réintroduit les sanctions américaines
contre l’Iran dit :
Je, DONALD J.
TRUMP, Président des États-Unis
d'Amérique, à la lumière de ma décision
du 8 mai 2018, de mettre fin à la
participation des États-Unis au Plan
d'action global conjoint du 14 juillet
2015 (JCPOA), [...] ordonne par la
présente : [...]
Il y a tout juste
six semaines, le représentant spécial
des États-Unis pour l’Iran, Brian Hook,
reconfirmait que les États-Unis
étaient sortis de l’accord et ne
pouvaient donc pas déclencher le retour
à la case départ:
Hook semble, pour
l'instant du moins, avoir mis un terme à
toute spéculation selon laquelle les
États-Unis pourraient tenter de revenir
sur l'accord, en revendiquant sa
participation malgré le retrait, pour
déclencher le retour à la case départ."Nous sommes
sortis de l'accord", a-t-il
déclaré lorsqu'on lui a demandé, "et
donc les pays qui sont restés dans
l'accord prendront des décisions qui
sont dans leur capacité souveraine".
Après toutes ces
déclarations et confirmations que les
États-Unis ne participent plus au JCPOA,
les autres parties à l’accord ne seront
certainement pas d’accord avec les
arguments des États-Unis pour prétendre
qu’ils sont toujours
dans le coup :
Un diplomate
européen de haut rang, qui s'est exprimé
sous le couvert de l'anonymat, a rejeté
cette stratégie, estimant qu'elle
poussait les termes de l'accord bien
au-delà de leur contexte logique.
Mais l’auteur de
l’article du NY Times, David
Sanger, affirme que la stratégie
pourrait fonctionner malgré tout :
Mais la stratégie
de l'administration pourrait bien
fonctionner, même si d'autres membres
des Nations unies ignoraient cette
initiative. A ce moment-là, sur le
papier du moins, les Nations Unies
retourneraient à toutes les sanctions
contre l'Iran qui existaient avant que
M. Obama ne conclue l'accord avec
Téhéran.
Non, cela ne peut
pas fonctionner. Seuls les participants
à l’accord peuvent déclencher le
processus de retour à la case départ.
Les États-Unis ne sont plus reconnus en
tant que participant.
Avant qu’un retour
en arrière ne puisse avoir lieu, il
existe en fait des processus formels au
sein de la « Commission conjointe »
et du Conseil de sécurité des Nations
unies qui doivent être suivis. Ces
processus n’auront pas lieu parce que
les autres membres de la JCPOA et du
CSNU ignoreront simplement la tentative
américaine de les déclencher.
Certains membres de
l’accord pourraient néanmoins le faire.
Mais il est peu probable que les
Européens prennent le parti des
États-Unis sur cette question. En
janvier, ils ont fait savoir
qu’ils déclencheraient le mécanisme
de règlement des différends de la JCPAO,
qui se termine par une remise en place
des sanctions, parce que l’Iran a
dépassé certaines limites formelles de
l’accord. Mais l’Iran a répliqué en
faisant valoir qu’il était toujours dans
les limites de l’accord et a ensuite
menacé de quitter le traité de
prolifération nucléaire si les Européens
continuaient dans cette voie.
Les Européens, ne
voulant pas prendre ce risque, se
taisent depuis.
Le clown qui dirige
le département d’État devra trouver de
meilleures idées.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan,
relu par jj pour le Saker Francophone
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