Le Saker
Les États-Unis menacent de procéder à de
nouveaux essais nucléaires pour pousser
la Chine
à signer un traité dont elle ne
veut pas
Moon of Alabama
Mardi 26 mai 2020 Par
Moon of Alabama – Le 23 mai 2020
L’administration
Trump est hostile à tout accord qui
limiterait ses capacités à construire,
tester et déployer des armes nucléaires.
Elle a quitté
l’accord sur les forces nucléaires à
portée intermédiaire (FNI) qui limitait
les déploiements de missiles nucléaires
en Europe. Elle l’a fait après avoir
accusé la Russie de déployer des
missiles dépassant la portée autorisée
par le traité FNI. Elle n’a jamais
apporté la preuve de cette accusation.
Récemment,
l’administration a annoncé qu’elle
quitterait le traité « Ciel ouvert »
qui permet des vols de reconnaissance
mutuelle pour ses 34 pays membres. Elle
a accusé la Russie d’avoir limité les
demandes américaines pour de tels vols
au-dessus de certaines zones russes. Le
gouvernement russe
a démenti ces affirmations.
L’administration
Trump prend intentionnellement tout son
temps avant de renouveler le
nouveau traité START qui limite les
plateformes nucléaires stratégiques
déployées par les États-Unis et la
Russie. Le traité
expirera le 5 février 2021. La
Russie a proposé de le renouveler pour
cinq ans sans aucune condition. Les
États-Unis ont rejeté cette offre. Ils
disent que la Chine doit être intégrée
au traité, même si cela n’a aucun sens.
En plus de tout
cela, Trump pense maintenant
à rompre le
traité d’interdiction totale des
essais nucléaires que les États-Unis ont
signé mais pas ratifié :
L'administration
Trump a discuté de l'opportunité de
procéder au premier essai nucléaire
américain depuis 1992, dans une démarche
qui aurait des conséquences importantes
sur les relations avec les autres
puissances nucléaires et renverserait un
moratoire de plusieurs décennies sur de
telles actions, a déclaré un haut
fonctionnaire de l'administration et
deux anciens fonctionnaires familiers
des délibérations.La question a été
soulevée lors d'une réunion de hauts
fonctionnaires représentant les plus
hautes agences de sécurité nationale le
15 mai, suite aux accusations de
fonctionnaires de l'administration selon
lesquelles la Russie et la Chine
procèdent à des essais nucléaires de
faible puissance - une affirmation qui
n'a pas été étayée par des preuves
accessibles au public et que les deux
pays ont démenti.
L’affirmation selon
laquelle la Russie et la Chine ont
procédé à des essais de faible puissance
est presque certainement
fausse et ne constitue qu’un
prétexte pour éviter la ratification du
traité d’interdiction des essais.
La grande blague,
cependant, est que l’administration
prétend qu’elle pourrait avoir besoin de
tester à nouveau des dispositifs
nucléaires pour
aider au renouvellement du nouveau
traité START :
Un haut
fonctionnaire de l'administration, qui
comme d'autres s'est exprimé sous le
couvert de l'anonymat pour décrire les
discussions nucléaires sensibles, a
déclaré que démontrer à Moscou et à
Pékin que les États-Unis pouvaient
"faire des tests rapides" pourrait
s'avérer utile du point de vue des
négociations alors que Washington
cherche à conclure un accord trilatéral
pour réglementer les arsenaux des plus
grandes puissances nucléaires.
Il n’y aura pas d’« accord
trilatéral ». Les États-Unis
prétendent vouloir renouveler le nouveau
traité START en y incluant la Chine.
Mais la Chine n’a absolument aucune
raison de conclure un tel accord. Ce
graphique de l’Association pour le
contrôle des armements explique pourquoi
:
La Russie et les
États-Unis ont tous les deux plus de
6 000 ogives nucléaires. Le nouveau
traité START entre les États-Unis et la
Russie limite à environ 1 400 le nombre
de plates-formes – missiles, bombardiers
et sous-marins – que chaque partie peut
utiliser pour lancer des armes
nucléaires stratégiques. La Chine
possède moins de 300 ogives nucléaires
et encore moins de plateformes à partir
desquelles elles pourraient être
lancées. Les États-Unis prétendent que
la Chine
doublera le nombre de ses ogives et
de ses plates-formes au cours des dix
prochaines années, mais il n’y a là
encore aucune preuve à l’appui de cette
affirmation.
Pourquoi la Chine,
qui dispose de moins de capacités
nucléaires que la France et la
Grande-Bretagne, devrait-elle adhérer à
un traité qui limiterait ses capacités
alors que les États-Unis et la Russie en
ont tous deux plus de vingt fois le
nombre. Cela n’a aucun sens.
Il est évident que
l’administration Trump utilise
simplement la Chine comme excuse pour
laisser expirer le Nouveau Traité START.
Le véritable espoir
de cette administration est peut-être de
relancer une course aux armements
nucléaires. C’est ainsi que j’interprète
cet
argument circulaire :
Le négociateur du
président américain Donald Trump en
matière de contrôle des armements a
déclaré jeudi que les États-Unis sont
prêts à faire passer la Russie et la
Chine "aux oubliettes" afin de
gagner une nouvelle course aux armements
nucléaires."Le président a
clairement indiqué que nous avons ici
une pratique qui a fait ses preuves.
Nous savons comment gagner ces courses
et nous savons comment réduire
l'adversaire au néant. S'il le faut,
nous le ferons, mais nous préférons
certainement l'éviter", a déclaré
l'envoyé spécial du président, Marshall
Billingslea, lors d'une présentation en
ligne à un groupe de réflexion de
Washington.
La « menace »
d’une nouvelle course aux armements
nucléaires est faite pour impressionner
la Russie afin qu’elle
oblige la Chine à adhérer à un
nouveau traité « New Start » :
Marshall
Billingslea, qui a été nommé le mois
dernier envoyé spécial du président pour
le contrôle des armements, a déclaré
jeudi qu'il avait eu son premier appel
téléphonique sécurisé avec un homologue
à Moscou, le vice-ministre russe des
affaires étrangères Sergei Ryabkov.
Billingslea a déclaré qu'ils étaient
d'accord pour se rencontrer, parler de
leurs objectifs et trouver un moyen
d'entamer les négociations."Ce n’est rien
de le dire, ce ne sera pas facile. C'est
nouveau", a déclaré M. Billingslea,
ajoutant que les États-Unis
s'attendent à ce que la Russie aide à
amener la Chine à la table des
négociations. ...
Un porte-parole du
ministère chinois des affaires
étrangères, Geng Shuang, a déclaré en
janvier que la Chine n'a "aucune
intention de participer" aux
négociations trilatérales sur le
contrôle des armes. Billingslea,
cependant, est optimiste quant à la
volonté de Pékin de se joindre à ces
négociations et d'être considéré comme
une puissance mondiale.
La Russie
« n’amènera jamais la Chine à la table
des négociations » même si elle le
pouvait. Les États-Unis et la Russie
sont des superpuissances de premier
ordre. La Chine n’en est pas encore là.
La menace de
Billingslea d’une nouvelle course à
l’armement n’est pas crédible. La Russie
a déjà anticipé une telle course
en introduisant une génération
d’armes complètement nouvelles que les
États-Unis ne peuvent pas du tout
contrer. La relance par Trump du projet
Star Wars de Reagan ne changera rien
à cela.
La Russie ne
participera pas à une nouvelle course
aux armements car elle dispose déjà de
tout ce dont elle a besoin pour répondre
à une première frappe américaine par une
contre-attaque qui garantit la
destruction des États-Unis. Cette
capacité est indépendante du nombre de
têtes nucléaires et de lanceurs que les
États-Unis déploient.
La Chine n’a pas
pris part à la course aux armements de
la guerre froide. Elle a toujours cru
qu’elle disposait de capacités
suffisantes pour menacer les États-Unis
d’une contre-attaque, quoi qu’il arrive.
On peut voir cette attitude dans cet
aperçu :
Il y a un peu plus
de dix ans, lors d'une réunion
américano-chinoise intitulée "Track
II" à Pékin, les participants
américains auraient fait pression sur
leurs homologues chinois au sujet des
limites de l'engagement de la Chine en
matière de non-utilisation en premier du
nucléaire (NFU). L'un d'eux a évoqué la
possibilité de frappes conventionnelles
américaines contre les forces nucléaires
chinoises : que se passerait-il alors ?
La Chine adhérerait-elle à la NFU au
sens le plus strict du terme, ou
utiliserait-elle les armes nucléaires
qui lui restent pour riposter à une
attaque conventionnelle ? L'un des
participants chinois, un haut
fonctionnaire militaire à la retraite,
aurait répondu : "Essayez et vous
verrez".
Rien n’indique que
la pensée chinoise ait changé.
« Faire passer
l’adversaire aux oubliettes », comme
le menaçait Billingslea, aurait
également
un certain coût. Il est fort douteux
que les États-Unis soient capables ou
désireux de
financer cela.
Billingslea est
d’ailleurs un fou dangereux. Sous
l’administration Bush, il était le
principal sous-secrétaire adjoint à la
défense pour les opérations spéciales et
les conflits de faible intensité et le
civil responsable du régime de guerre
contre le terrorisme et la torture mené
par les opérations spéciales
américaines.
S’il croit que la
torture peut aider à lutter contre le
terrorisme, ou que les essais nucléaires
peuvent faire avancer les négociations
sur le contrôle des armements, il peut
aussi croire que la menace irréaliste
d’une course aux armements pousserait la
Chine à conclure un traité dont elle ne
veut pas. En réalité, cela ne
fonctionnera pas.
Mais cela pourrait
bien correspondre aux plans de Trump qui
visent à rendre caducs tous les traités
de contrôle des armement.
Se retirer des
régimes de contrôle des armes a déjà un
prix élevé, même si aucune nouvelle arme
n’est achetée. À chaque mesure que
l’administration a prise à cet égard,
elle n’a pas gagné de nouvelles
capacités mais a perdu de vue les
capacités de ses ennemis présumés. Le
traité FNI, celui du New Start,
l’interdiction des essais nucléaires et
le traité Ciel ouvert disposaient
tous d’instruments de vérification et de
régimes d’inspection qui permettaient à
toutes les parties de se faire une idée
des capacités et de l’intention des
autres.
Dans quelques
années, les États-Unis auront perdu
beaucoup d’informations sur les armes et
les intentions russes. L’insécurité
ainsi créée pourrait bien revenir les
hanter.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan,
relu par Jj pour le Saker Francophone
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