Les pays
« occidentaux », c’est-à-dire les
États-Unis et leurs « alliés »,
adorent parler d’un « ordre
international fondé sur des règles »
qu’ils disent que tout le monde devrait
suivre. Cet « ordre fondé sur des
règles » est un concept bien plus vague
que l’état de droit réel :
Le G7 est uni par
ses valeurs communes et son engagement
en faveur d'un ordre international fondé
sur des règles. Cet ordre est remis en
cause par l’autoritarisme, les graves
violations des droits de l’homme,
l’exclusion et la discrimination, les
crises humanitaires et sécuritaires et
le mépris du droit et des normes
internationales.
En tant que membres
du G7, nous sommes convaincus que nos
sociétés et le monde ont récolté des
bénéfices remarquables d'un ordre
mondial fondé sur des règles et
soulignons que ce système doit avoir en
son cœur les notions d'inclusion, de
démocratie et de respect des droits de
l'homme, des libertés fondamentales, de
la diversité et de la primauté du droit.
Le fait que
« l’ordre international fondé sur des
règles » est censé inclure de vagues
concepts tels que « démocratie »,
« droits de l’homme », « libertés
fondamentales », « diversité » et plus,
rend plus facile de prétendre que telle
ou telle violation des règles s’est
produite. Ces violations peuvent ensuite
être utilisées pour imposer des
punitions sous forme de sanctions ou de
guerre.
Le fait que la
définition ci-dessus ait été donnée par
une minorité de quelques pays riches
montre déjà clairement qu’elle ne peut
pas être un concept global pour un monde
multilatéral. Cela nécessiterait un
ensemble de règles que tout le monde a
acceptées. Nous avions et avons encore
un tel système. Cela s’appelle le droit
international. Mais à la fin de la
guerre froide, «l’Occident» a commencé à
ignorer le droit international actuel et
à le remplacer par ses propres règles
que d’autres étaient alors censés
suivre. Cet hybris s’est retourné pour
mordre «l’Ouest».
L’article
récent d’Anatol Lieven, How the West lost, décrit cette défaite morale de
« l’Ouest » après sa « victoire »
douteuse lors de la guerre froide :
Accompagnant cette
idéologie politique et économique
extrêmement dominante, se trouvait une
vision géopolitique américaine tout
aussi grandiose en ambition et également
aveugle aux leçons de l'histoire. Cela a
été résumé dans le mémorandum sur les
«Directives de planification de la
défense 1994-1999», rédigé en avril 1992
pour l'administration Bush Senior par le
sous-secrétaire à la Défense Paul Wolfowitz et Lewis «Scooter» Libby, puis
divulgué aux médias. Son message central
était le suivant :
... Alors que ce
document de Washington de 1992 parlait
des «intérêts légitimes» d'autres États,
il impliquait clairement que ce serait
Washington qui définirait quels intérêts
étaient légitimes et comment ils
pourraient être poursuivis. Et encore
une fois, bien qu'elle n'ait jamais été
formellement adoptée, cette «doctrine»
est devenue en fait le mode opératoire
standard des administrations
ultérieures. Au début des années 2000,
lorsque son influence a atteint son
apogée de dangerosité, les élites
militaires et de sécurité l'ont formulée
en termes de «domination totale du
spectre». Comme le président Bush Jr l'a
déclaré dans son discours sur l'état de
l'Union en janvier 2002, qui a mis les
États-Unis sur la voie de l'invasion de
l'Irak : "Par la grâce de Dieu,
l'Amérique a gagné la guerre froide… Un
monde autrefois divisé en deux camps
armés reconnaît désormais une seule et
éminente puissance, les États-Unis
d’Amérique."
Mais ce pouvoir a
depuis échoué dans les guerres contre
l’Irak et l’Afghanistan, pendant la
crise financière de 2008, et maintenant
à nouveau dans la pandémie. Il a
également créé une nouvelle concurrence
qui conteste son rôle en raison de son
propre comportement :
D'une part, les
mesures américaines visant à étendre
l'OTAN aux pays baltes, puis - sans
succès - à l'Ukraine et à la Géorgie, et
à abolir l'influence russe en détruisant
les alliés russes au Moyen-Orient, ont
inévitablement produit une réaction
nationaliste russe féroce et largement
étendue ... D'un autre côté, la manière
"bienveillante et négligente" dont
Washington considérait la montée en
puissance de la Chine dans la génération
qui a suivi la guerre froide - par
exemple, la décision allègre d'autoriser
la Chine à rejoindre l'Organisation
mondiale du commerce - était également
enracinée dans l'arrogance. Le
triomphalisme occidental signifiait que
la plupart des élites américaines
étaient convaincues qu'en raison de la
croissance économique, l'État communiste
chinois se démocratiserait ou serait
renversé ; et que la Chine devrait
finalement adopter la version
occidentale de l'économie ou échouer.
Cela s'ajoutait à la conviction que de
bonnes relations avec la Chine pouvaient
être fondées sur l'acceptation par la
Chine d'un ordre international dit
«fondé sur des règles» dans lequel les
États-Unis établissaient les règles tout
en étant également libres de les
enfreindre quand ils le souhaitaient ;
quelque chose que personne n'ayant la
moindre connaissance de l'histoire
chinoise n'aurait dû croire.
L’ambassadeur
indien à la retraite M.K. Bhadrakumar
aborde les mêmes points dans une
excellente série sur la nouvelle
alliance sino-russe :
L’Alliance sino-russe arrive à
maturité –
Partie 1
L’Alliance sino-russe arrive à
maturité –
Partie 2
L’Alliance sino-russe arrive à
maturité –
Partie 3
Bhadrakumar décrit
comment «l’Occident», par son propre
comportement, a créé un bloc puissant
qui s’oppose désormais à ses diktats. Il
conclut :
Fondamentalement,
la Russie et la Chine contestent un
ensemble de pratiques néolibérales qui
ont évolué dans l'ordre international de
l'après-guerre, validant l'utilisation
sélective des droits de l'homme comme
valeur universelle pour légitimer
l'intervention occidentale dans les
affaires intérieures des États
souverains.
D'un autre côté,
ces deux pays acceptent et affirment
continuellement leur attachement à un
certain nombre de préceptes fondamentaux
de l'ordre international - en
particulier, la primauté de la
souveraineté des États et de l'intégrité
territoriale, l'importance du droit
international et la centralité des
Nations Unies et le rôle clé du Conseil
de sécurité.
Alors que les
États-Unis veulent un vague « ordre
international fondé sur des règles », la
Chine et la Russie insistent sur un
ordre international fondé sur l’État de
droit. Deux commentaires récents de
dirigeants chinois et russes le
soulignent.
Dans un discours en
l’honneur du 75e anniversaire
de l’ONU, Xi Jinping, le président
chinois, a
mis l’accent sur le multilatéralisme
fondé sur le droit :
La Chine soutient
fermement le rôle central des Nations
Unies dans les affaires mondiales et
s'oppose à tout pays agissant comme le
chef du monde, a déclaré lundi le
président Xi Jinping. ...
"Aucun pays n'a le
droit de dominer les affaires mondiales,
de contrôler le destin d'autrui ou de
conserver pour lui seul les avantages du
développement", a déclaré M. Xi.
Notant que l'ONU
doit rester ferme pour la justice, M. Xi
a déclaré que le respect mutuel et
l'égalité entre tous les pays, grands ou
petits, est le principe fondamental de
la Charte des Nations Unies.
Aucun pays ne
devrait être autorisé à faire ce qu'il
veut, à être hégémonique ou
intimidateur, a déclaré Xi.
"L'unilatéralisme est une impasse",
a-t-il déclaré. ...
Les lois
internationales ne doivent pas être
déformées ou utilisées comme prétexte
pour saper les droits et intérêts
légitimes d'autres pays ou la paix et la
stabilité mondiales, a-t-il ajouté.
Le ministre russe
des Affaires étrangères Sergueï Lavrov
est allé encore plus loin en
rejetant carrément les « règles
occidentales » qu’implique « l’ordre
international fondé sur des règles » :
Les idées selon
lesquelles la Russie et la Chine
joueront en toutes circonstances avec
des règles occidentales sont
profondément viciées, a déclaré le
ministre russe des Affaires étrangères,
Sergueï Lavrov, dans une interview à la
chaîne internationale de langue russe
RTVI basée à New York.
"Je lisais nos
politologues qui sont bien connus en
Occident. L'idée suivante devient de
plus en plus forte et prononcée :
il
est temps d'arrêter d'appliquer les
métriques occidentales à nos actions et
d'arrêter d'essayer d'être aimé par
l'Occident à tout prix. Ces
politologues sont des personnes très
réputées et cette déclaration est assez
sérieuse. Il est clair pour moi que
l'Occident nous pousse sciemment ou non
vers cette analyse. Il est probable que
cela se fasse sans le vouloir", a noté
Lavrov. "Cependant, c'est une grosse
erreur de penser que la Russie jouera de
toute façon selon les règles
occidentales, tout comme le penser à
propos de la Chine."
En tant qu’alliées,
la Chine et la Russie ont toutes les
matières premières, l’énergie,
l’ingénierie, les capacités
industrielles, l’agriculture, et les
populations nécessaires pour être
complètement indépendantes de
«l’Occident». Elles n’ont ni besoin ni
désir de suivre des règles douteuses
dictées par d’autres pouvoirs. Il n’y a
aucun moyen de leur imposer cela. Comme
M.K. Bhadrakumar
conclut :
Les États-Unis ne
peuvent pas détruire cette alliance à
moins de vaincre simultanément la Chine
et la Russie. L'alliance, quant à elle,
se trouve également du bon côté de
l'histoire. Le temps joue en sa faveur,
car le déclin des États-Unis en tant que
puissance globale et influenceurs
mondiaux ne cesse de se manifester et le
monde s'habitue au «siècle
post-américain».
— P.S.
Sur une note plus
légère : RT, la chaîne de télévision
internationale parrainée par l’État
russe, a récemment
embauché Donald Trump (vidéo). Il
animera bientôt sa propre émission de
télé-réalité sur RT. Le titre provisoire
serait : « Poutine’s Apprentice » [The
Apprenticeétait une série télé
produite par Trump, NdT] L’apprentissage
pourrait lui donner une chance
d’apprendre comment une nation faillie
peut retrouver son ancienne gloire.
Moon of Alabama
Traduit par jj,
relu par Wayan pour le Saker Francophone
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