Le Saker
Les États-Unis rompent leur accord
signé
la veille avec les talibans
Moon of Alabama
Vendredi 6 mars 2020 Par
Moon of Alabama − Le 4 mars 2020
Aujourd’hui, un
avion de chasse américain a
bombardé une unité Talibane qui se
battait à un point de contrôle du
gouvernement afghan.
L’attaque
aérienne est survenue juste un jour
après que le président américain Trump
eut eu un appel téléphonique avec les
dirigeants Talibans à Doha. Les Talibans
verront probablement cela comme une
violation du récent accord de
cessez-le-feu entre les États-Unis et
les Talibans.
L’envoyé
présidentiel russe pour l’Afghanistan
Zamir Kabulov soutient ce point de vue :
"Il s'agit d'une
violation du traité, parce que les
États-Unis et les Talibans ont pris des
engagements juridiquement contraignants
de ne pas attaquer. Les Talibans n'ont
pas attaqué les Américains ou d'autres
forces étrangères. Si les États-Unis ont
fait cela, ils ont violé l'accord de
manière flagrante", a souligné le
diplomate.
Les Russes ont déjà
qualifié les États-Unis de
« nedogovorosposobny »
(недоговороспособны) qui se traduit par
« incapables d’un accord » c’est
à dire incapables de conclure puis de
respecter un accord.
L’attaque
d’aujourd’hui l’a encore démontré.
Le samedi 29
février, le représentant spécial des
États-Unis pour l’Afghanistan Zalmay
Khalilzad et une commission de hauts
Talibans ont signé l’Accord pour
ramener la paix en Afghanistan entre
l’émirat islamique d’Afghanistan, qui
n’est pas reconnu par les États-Unis en
tant qu’État – mais est connu sous le
nom de Taliban – et les États-Unis
d’Amérique .
Oui, c’est le vrai titre.
Les Talibans
étaient
très satisfaits de l’accord :
Des dizaines de
membres des Taliban avaient auparavant
organisé une petite marche de la
victoire au Qatar au cours de laquelle
ils ont brandi les drapeaux blancs du
groupe militant, selon une vidéo
partagée sur les sites Web des Talibans.
"Aujourd'hui est le jour de la
victoire, qui est venue avec l'aide
d'Allah", a déclaré Abbas Stanikzai,
l'un des principaux négociateurs des
Talibans, qui a rejoint la marche.
Peu de temps après,
Stanikzai a été vu serrant la main du
secrétaire d’État Pompeo.
Jessica Donati
@jessdonati - 18:30 UTC · 3 mars 2020
Nous avons obtenu
une copie de la seule photo connue du
Secrétaire d’État Pompeo serrant la main
au haut négociateur #Taliban Stanekzai -
ici c'est #Doha. Les États-Unis ont dit
au #Qatar d'éloigner Pompeo des insurgés
pour éviter les séances de photos.
Au moment de la
signature de l’accord de Doha, le
secrétaire américain à la Défense,
Esper, et le secrétaire général de
l’OTAN, Stoltenberg, étaient à Kaboul et
ont
signé une déclaration conjointe
entre la République islamique
d’Afghanistan et les États-Unis
d’Amérique pour ramener la paix en
Afghanistan.
Ni l’accord
américain avec les Talibans ni la
déclaration conjointe avec le
gouvernement afghan ne constituent un
cessez-le-feu entre le gouvernement
afghan et les Talibans. Les deux accords
sont conçus pour faciliter les
négociations directes de cessez-le-feu à
venir entre le gouvernement afghan et
les Talibans.
La déclaration
conjointe comprend des engagements
quelque peu vagues de soutien militaire
et économique supplémentaire au
gouvernement de Kaboul et à ses troupes.
Mais cela ne comprend visiblement aucun
engagement à recourir à la force pour
soutenir les opérations du gouvernement
afghan contre les Talibans. Le passage
pertinent dit dans la première partie,
points 2 et 3 :
Les États-Unis
réaffirment leurs engagements concernant
le soutien aux forces de sécurité
afghanes et aux autres institutions
gouvernementales, y compris par le biais
d'efforts continus pour renforcer la
capacité des forces de sécurité afghanes
à décourager et à répondre aux menaces
internes et externes, conformément à
leurs engagements au titre des accords
de sécurité existants entre les deux
gouvernements. Cet engagement comprend
un soutien aux forces de sécurité
afghanes pour empêcher al-Qaida, ISIS-K
et d'autres groupes terroristes ou
individus terroristes internationaux
d'utiliser le sol afghan pour menacer
les États-Unis et leurs alliés.
Les États-Unis
réaffirment leur volonté de continuer à
mener des opérations militaires en
Afghanistan, avec le consentement de la
République islamique d'Afghanistan, afin
de perturber et de dégrader les efforts
d'Al-Qaida, de État islamique et
d'autres groupes ou individus
terroristes internationaux pour
mener des attaques contre les États-Unis
ou leurs alliés, conformément à ses
engagements au titre des accords de
sécurité existants entre les deux
gouvernements et étant entendu que les
opérations de lutte contre le terrorisme
des États-Unis visent à compléter et à
soutenir les opérations de lutte contre
le terrorisme des forces de sécurité
afghanes, dans le plein respect de la
souveraineté afghane et plein respect de
la sûreté et de la sécurité du peuple
afghan et de la protection des civils.
En énumérant
al-Qaïda, État islamique et les
« groupes terroristes internationaux »,
les États-Unis ont intentionnellement
omis les attaques par les Talibans.
La première partie
du point F de l’accord américain avec
les Talibans dit :
Les États-Unis et
leurs alliés s'abstiendront de toute
menace ou recours à la force contre
l'intégrité territoriale ou
l'indépendance politique de
l'Afghanistan ou d'intervenir dans
ses affaires intérieures.
La lutte entre les
Talibans afghans et les forces
gouvernementales afghanes est
certainement une «affaire intérieure».
En vertu de cet accord, les États-Unis
n’avaient pas le droit d’intervenir.
Ceux qui défendent
l’attaque américaine actuelle contre les
Talibans soutiendront que les Talibans
ont rompu l’accord en attaquant un
« allié américain ». L’accord
américain avec les Talibans dit dans la
deuxième partie Point 1 :
L'Émirat islamique
d'Afghanistan, qui n'est pas reconnu par
les États-Unis en tant qu'État et connu
sous le nom de Taliban, ne permettra à
aucun de ses membres, à d'autres
individus ou groupes, y compris
Al-Qaida, d'utiliser le sol afghan pour
menacer la sécurité des États-Unis et
de leurs alliés.
L’Accord
stratégique entre les ÉTATS-UNIS
D’AMÉRIQUE et l’AFGHANISTAN signé à
Kaboul le 2 mai 2012 désigne
l’Afghanistan comme un « allié majeur
non OTAN » des États-Unis.
L’argument est donc que les attaques des
Talibans contre les forces du
gouvernement afghan sont des attaques
contre un allié américain dont les
Talibans devraient s’abstenir.
Ma lecture
juridique est toujours que l’accord
américain le plus récent avec les
Talibans ainsi que la déclaration
conjointe avec le gouvernement afghan
remplacent ceux concernant les combats
en Afghanistan intérieur qui sont
clairement une « affaire intérieure ».
Le fait que les
États-Unis ne soient pas un partenaire
honnête est également visible dans
d’autres parties de ses récents accords
sur l’Afghanistan.
La première partie
C de l’accord américain avec les
Talibans dit :
Les États-Unis sont
déterminés à commencer immédiatement à
travailler avec toutes les parties
concernées sur un plan de libération
rapide des prisonniers au combat et des
prisonniers politiques comme mesure de
confiance avec la coordination et
l'approbation de toutes les parties
concernées. Jusqu'à cinq mille (5 000)
prisonniers de l'émirat islamique
d'Afghanistan, qui n'est pas reconnu par
les États-Unis comme État et connu sous
le nom de Taliban, et jusqu'à mille
(1 000) prisonniers de l'autre côté
seront libérés d'ici le 10 mars 2020,
[...]. Les États-Unis s'engagent à
atteindre cet objectif.
Ce qui est
intéressant, c’est que les 5 000
prisonniers sont en fait des prisonniers
du gouvernement afghan. Le fait que les
États-Unis se soient engagés à libérer
les prisonniers sur lesquels ils n’ont
aucun contrôle direct est assez curieux.
Elle est également
contredite par la déclaration conjointe
avec le gouvernement afghan qui a été
signée au même moment. La deuxième
partie, point 4, dit :
Pour créer les
conditions permettant de parvenir à un
règlement politique et à un
cessez-le-feu permanent et durable, la
République islamique d'Afghanistan
participera à une discussion facilitée
par les États-Unis avec les
représentants des Talibans sur les
mesures de confiance, notamment pour
déterminer la faisabilité de la
libération d'un nombre important de
prisonniers des deux côtés.
Un vague engagement
du gouvernement afghan à « participer
aux discussions » sur l’échange de
prisonniers semble contredire la
promesse forte d’une date fixe faite par
les États-Unis dans l’accord avec les
Talibans.
Lorsque le
gouvernement américain signe deux
accords avec des parties différentes qui
se contredisent le même jour, il n’est
clairement pas en mesure de conclure un
accord.
Pourquoi le
gouvernement afghan devrait-il
maintenant accepter un échange de
prisonniers qui favoriserait clairement
les Talibans ?
Le président afghan
en exercice, Ashraf Ghani, a
immédiatement fait valoir ce point :
Pajhwok Afghan News
@pajhwok - 4:27 UTC · 2 mars 2020
L'accord
américano-Taliban, qui met en branle le
potentiel d'un retrait total des troupes
américaines d'Afghanistan, prévoit la
libération de 5 000 prisonniers
Talibans.
«Nous n'avons
pris aucun engagement», a déclaré le
président afghan. "C'est une décision
souveraine afghane", a-t-il déclaré
à @CNN.
Les Talibans
demandent la libération des
prisonniers avant de s’asseoir avec le
gouvernement afghan pour des
négociations de cessez-le-feu.
Ghani se bat
actuellement avec le chef de la
direction du gouvernement afghan,
Abdullah Abdullah, pour savoir qui a
remporté
l’élection bâclée en Afghanistan.
Les États-Unis n’ont pas encore accepté
l’un d’eux en tant que président
nouvellement élu. Ghani sabotera la
libération des prisonniers jusqu’à ce
que Trump le reconnaisse officiellement
comme le nouveau président afghan.
Les Talibans feront
pression sur les États-Unis pour qu’ils
acceptent son accord et pour qu’ils
poussent Ghani à libérer leurs amis.
Tant que cela ne se produira pas, ils
continueront de se battre :
Une lettre des
Talibans partagée lundi avec Stars
and Stripes par une personne ayant
des liens avec le groupe militant a
appelé les combattants à attaquer les
forces afghanes, mais pas les forces
américaines ou étrangères.
"Après la
signature de l'accord, une fois de plus,
les moudjahidin (combattants) de
l'émirat islamique sont invités à lancer
leurs attaques contre l'administration
fantoche de Kaboul", a indiqué la
lettre des Talibans, que la personne a
fournie sous couvert d'anonymat. ...
Les hauts
responsables du Pentagone ont indiqué
lundi qu'ils n'étaient pas surpris que
les Talibans reviennent à l'attaque des
forces afghanes, mais ils ont appelé le
groupe à réduire progressivement la
violence à travers l'Afghanistan à
mesure que le nouvel accord sera mis en
œuvre. ...
"Ce sera une
route longue, sinueuse et cahoteuse",
a déclaré Esper aux journalistes. "Il
y aura des hauts et des bas. Nous allons
arrêter et recommencer. Ce sera comme
cela au cours des prochains jours,
semaines et mois."
Hier, Trump a eu un
appel téléphonique de 35 minutes avec le
chef adjoint de la commission de paix
des Talibans à Doha Mullah Abdul Ghani
Baradar. Les Talibans ont compris que
les États-Unis devaient respecter leur
accord. La lecture de l’appel par les
Talibans
comprend cet échange:
Le mollah Baradar a
déclaré:
"Monsieur le
Président!
Prenez des
mesures déterminées en ce qui concerne
le départ des forces étrangères
d'Afghanistan et ne permettez à personne
de prendre des mesures qui violent les
termes de l'accord, vous entraînant
ainsi encore plus dans cette guerre
prolongée." ...
Le président des
États-Unis, Donald Trump, a déclaré :
"C'est un
plaisir de vous parler. Vous êtes un
peuple dur et vous avez un grand pays et
je comprends que vous vous battez pour
votre patrie. Nous sommes là depuis 19
ans, c'est une très longue période et le
retrait des forces étrangères
d'Afghanistan est maintenant dans
l'intérêt de tous."
Le président Trump
a ajouté :
"Mon secrétaire
d'État s'entretiendra bientôt avec
Ashraf Ghani afin de lever tous les
obstacles auxquels se heurtent les
négociations intra-afghanes."
Il a déclaré que
nous participerons pleinement à la
future réhabilitation de l'Afghanistan.
Des discussions
approfondies ont également eu lieu sur
la mise en œuvre de l'accord conclu par
les deux parties.
La Maison Blanche
n’a pas publié de compte rendu de
l’appel mais les médias américains le
mentionnent :
Par la suite, il a
déclaré aux journalistes que sa
"relation" avec Baradar était
"très bonne ... nous avons eu une bonne
et longue conversation aujourd'hui et,
vous savez, ils veulent mettre fin à la
violence. Ils aimeraient également
mettre fin à la violence".
Ce n'est pas vrai.
Lundi, le porte-parole du groupe a
déclaré que les attaques reprendraient
contre les forces gouvernementales
afghanes mais pas contre les forces
américaines. Lundi et mardi, il y a eu
33 attaques dans 16 provinces, tuant six
personnes et en blessant 14, a déclaré à
ABC News un porte-parole du
ministère afghan de l'Intérieur. Selon
Reuters, cinq policiers afghans auraient
également été tués lors d'une attaque
contre un poste de contrôle de sécurité.
Après l’appel
téléphonique, l’armée américaine a
annoncé qu’elle continuerait
d’attaquer les Talibans :
TOLOnews @TOLOnews
-
8 h 38 · 4 mars 2020
Vidéo [anglais]: le
général américain Miller en interview
exclusif avec TOLOnews le mardi a dit
que les États-Unis défendront les forces
afghanes, la situation est "fragile",
l'objectif de réduction de la violence,
si les Talibans ne respectent pas les
obligation, les États-Unis répondront.
#Afghanistan
Les Talibans n’ont
aucune obligation de cesser de combattre
le gouvernement afghan. L’accord
américain avec eux ne contient aucune
clause de ce type.
Le général a
annoncé que les États-Unis
poursuivraient leur soutien aérien aux
forces gouvernementales afghanes et a
exigé que les Talibans « réduisent
leur violence ».
Ce n’est pas ce que
les Talibans attendaient de l’accord qui
a été signé. De leur point de vue, un
cessez-le-feu avec le gouvernement
afghan est encore loin et ils n’ont
aucune obligation de déposer leurs
armes. Ils vont probablement intensifier
les attaques contre les troupes
étrangères dans leur pays.
Il y avait des
rumeurs selon lesquelles l’accord
américain avec les Talibans comportait
quatre
annexes secrètes qui permettraient
aux troupes américaines de rester dans
le pays. Les rumeurs en Afghanistan
disent également que les États-Unis ont
l’intention de laisser les Talibans
prendre le pouvoir et de les utiliser
ensuite à leurs fins contre l’Iran, le
Pakistan et en Asie centrale.
Le secrétaire
d’État Pompeo a
nié de tels accords parallèles :
Dimanche, dans une
interview accordée à Face the Nation,
CBS News, le secrétaire d'État
américain Mike Pompeo a déclaré qu'avec
le document public de l'accord
américano-Taliban publié samedi,
"deux codicilles de mise en œuvre seront
fournis. Ils sont secrets."
"Ce sont des
documents de mise en œuvre militaire qui
sont importants pour protéger nos
soldats, marins, aviateurs et marines",
a déclaré Pompeo.
"Ils sont
classés, secrets. Il n'y a pas d'accords
parallèles."
C’est un rare cas
dans lequel je crois Pompeo. Les
Talibans ne respecteraient aucun accord
parallèle après que les États-Unis se
soient révélés incapables de conclure un
accord en ce qui concerne l’accord
principal. S’il y avait des accords
parallèles de quelque importance que ce
soit, les États-Unis ne méconnaîtraient
pas l’accord qui vient d’être signé
aussi ouvertement qu’aujourd’hui.
Trump ne se soucie
de rien de ce qui précède. Il avait
besoin de l’accord pour justifier un
retrait des troupes américaines
d’Afghanistan. Il utilisera
ce retrait pour affirmer qu’il a tenu sa
promesse électorale de 2016 de retirer
les troupes américaines d’Afghanistan.
Cela même lorsqu’il y aura en fait
toujours le même nombre de soldats en
Afghanistan que lors de son investiture.
Le printemps arrive
et avec lui la saison de campagne des
Talibans. Avec la rupture de l’accord
avec eux, les États-Unis risquent de
perdre plus de soldats. Le fait de ne
pas être en mesure de conclure un accord
a généralement un prix élevé.
Moon of Alabama
Traduit par jj,
relu par Wayan pour le Saker Francophone
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