Monde
Pourquoi la fin du traité INF ne
déclenchera pas
une nouvelle course aux armements
Moon of Alabama
Lundi 5 août 2019 "Si
les États-Unis veulent commencer une
nouvelle course aux armements avec la
Russie ou la Chine, ils seront les seuls
à courir. Ils vont devoir courir vite
pour se rattraper eux-mêmes."...Dit
autrement, ils ont déjà perdu.
Hier, les
États-Unis ont quitté le traité sur les
forces nucléaires à portée intermédiaire
(INF). La fin de ce traité et d’autres
traités qui ont éliminé ou limité le
déploiement de systèmes nucléaires est
considérée par certains comme le début
d’une nouvelle course aux armements :
William J. Perry -
@ SecDef19 -
19h37 · 2 août
2019
Le retrait américain
du traité INF aujourd'hui porte un grand
coup à la maîtrise des armes nucléaires
et à la sécurité mondiale : nous
marchons, comme des somnambules,
vers une nouvelle course aux armements.
L’ancien secrétaire
à la Défense a tort. La course n’aura
pas lieu parce que la Russie – et la
Chine – ne courront pas. Dit autrement,
ils ont déjà gagné.
Pour comprendre
pourquoi nous devons examiner
l’historique des traités sur le
nucléaire, et leur fin.
En 1976, l’Union
soviétique a commencé à déployer des
missiles à portée intermédiaire SS-20
(RSD-10 Pionnier) à ogive nucléaire
en Europe. Les Européens de l’Ouest, en
particulier l’Allemagne, craignaient que
ces missiles découplent les États-Unis
de l’Europe occidentale. L’Union
soviétique pourrait dire aux États-Unis
qu’elle n’utiliserait pas ses missiles
nucléaires intercontinentaux contre le
continent américain tant que les
États-Unis ne tireraient pas leurs
missiles intercontinentaux sur l’Union
soviétique. Elle pourrait ensuite
utiliser le SS-20 pour attaquer l’OTAN
en Europe, tandis que les États-Unis
s’abstiendraient de contre-attaques
nucléaires sur l’Union soviétique.
L’Europe deviendrait un champ de
bataille nucléaire tandis que les
États-Unis et l’Union soviétique
resteraient intacts.
Le chancelier
allemand Helmut Schmidt a exhorté les
États-Unis à installer des missiles à
portée intermédiaire et à ogive
nucléaire en Europe occidentale afin de
faire pression sur les Soviétiques pour
qu’ils éliminent le SS-20. En 1979,
l’OTAN a pris une décision à double
détente. Elle déploierait des missiles
Pershing II de fabrication
américaine en Europe et offrirait en
même temps à l’Union soviétique un
traité interdisant toutes ces armes de
portée intermédiaire. L’effort a réussi.
Le Traité de 1987
sur les forces nucléaires à portée
intermédiaire (INF) conclu entre les
États-Unis et l’Union soviétique – plus
tard la Russie – interdisait les
missiles balistiques terrestres, les
missiles de croisière et les lanceurs de
missiles des deux pays, d’une portée de
500 à 5 500 km (310 à 3 420 miles). Tous
les missiles SS-20 et Pershing II ont
été retirés et détruits. Une guerre
nucléaire en Europe devint moins
probable.
Un autre traité
de 1972, sur les missiles
anti-balistiques défensifs (ABM), avait
été couronné de succès. Il interdisait
aux deux parties de déployer de nouveaux
système ABM. C’était nécessaire parce
que le camp qui pensait disposer d’une
défense antimissile balistique efficace
pouvait lancer une première frappe
massive, détruire la plupart des forces
adverses et se défendre contre la frappe
de représailles de moindre envergure qui
allait suivre. Il était préférable pour
les deux parties d’interdire les
missiles ABM en général et de s’en
remettre à la
destruction mutuellement assurée
(MAD) pour prévenir une guerre
nucléaire.
En juin 2002, le
président américain George W. Bush, sous
l’influence d’un certain John Bolton,
s’est retiré du traité ABM qui a conduit
à son annulation de facto. Les
États-Unis ont déployé le système ABM en
Alaska et en Californie, mais lors des
tests, ils se sont révélés peu fiables.
Les États-Unis
avaient alors affirmé que les ABM
étaient nécessaires pour se défendre
contre les missiles nucléaires de la
Corée du Nord et de l’Iran. C’était
depuis toujours un non-sens évident. À
cette époque, la Corée du Nord n’avait
pas de missile pouvant atteindre les
États-Unis et l’Iran n’avait pas d’armes
nucléaires et limitait la portée de ses
missiles à 2 000 kilomètres.
La Russie voyait,
dans la démarche américaine, une
tentative pour pouvoir réaliser une
première frappe contre elle. Elle a
immédiatement lancé le développement
d’un nouveau système qui rendrait la
défense antimissile américaine inutile.
Les États-Unis ont
également demandé à l’OTAN de déployer
des systèmes ABM en Europe. L’Iran a de
nouveau été cité comme le principal
danger. Des plans ont été développés
pour déployer les systèmes antimissiles
Patriot et THAAD en Pologne et en
Roumanie. Ceux-ci n’ont pas
immédiatement mis en danger la Russie.
Mais en 2009, le président Obama a
annulé le déploiement et présenté un
plan plus diabolique. Le système AEGIS
utilisé sur de nombreux navires de
guerre américains serait converti en une
version terrestre et déployé dans un
prétendu but défensif. AEGIS comprend un
radar, un système de gestion de combat
et des lanceurs de missiles. Le gros
problème est que ses rampes de lancement
peuvent projeter des types de missiles
très différents. Alors que le missile
standard 2 ou 3 peut être lancé à partir
de rampes ayant un rôle défensif, ces
mêmes rampes peuvent également lancer un
missile de croisière à ogive nucléaire
d’une portée de 2 400 kilomètres.
La Russie n’avait
aucun moyen de détecter le type de
missile que les États-Unis déploieraient
sur ces sites. Elle pouvait supposer que
des missiles nucléaires à portée
intermédiaire seraient installés sur ces
rampes. En 2016, les États-Unis ont
activé le premier de ces systèmes
terrestres AEGIS en Roumanie. C’est
cette étape qui a brisé le traité INF.
Le fait qu’Obama
ait précédemment signé un accord
nucléaire avec l’Iran, garantissant
que celui-ci ne construirait jamais
d’armes nucléaires, a clairement
montré que la Russie était la seule
et unique cible de ces systèmes :
Lors d'une visite
en Grèce destinée à rétablir les liens
avec l'UE, Vladimir Poutine a déclaré
que la Russie n'avait
"pas d'autre
choix" que
de cibler la Roumanie, qui a récemment
installé une base de défense antimissile
de l'OTAN, et la Pologne, qui prévoit de
le faire d'ici deux ans.
"Si hier, les gens
ne savaient tout simplement pas ce que
signifie être dans le collimateur dans
ces régions de Roumanie, nous sommes
obligés aujourd'hui de prendre certaines
mesures pour garantir notre sécurité. Et
ce sera la même chose avec la Pologne",
a déclaré Poutine lors d'une conférence
de presse conjointe avec le Premier
ministre grec Alexis Tsipras à Athènes
vendredi. ...
«En ce moment, les
missiles intercepteurs installés ont une
portée de 500 km, bientôt 1 000 km. Pire
encore, ils peuvent être armés avec des
missiles offensifs d'une portée de
2 400 km, déjà aujourd’hui. Et cela peut
être fait par un simple changement du
logiciel, afin que même les Roumains ne
le sachent pas»,
a déclaré Poutine, qui se trouve en
Grèce pour une visite de deux jours.
La Russie a exhorté
les États-Unis à négocier sur la
question, mais les États-Unis ont
refusé. Un an après que ceux-ci ont
déployé leur système en Roumanie, ils
ont
allégué que la Russie elle-même
enfreignait le traité INF. Ils ont
affirmé que la Russie avait
déployé le missile 9M729, une
version à longue portée d’un précédent
missile, dont la portée dépassait les
limites du traité INF. La Russie affirme
que le missile est simplement une mise à
niveau technique d’un ancien modèle et a
une portée maximale inférieure à 500
kilomètres. Les États-Unis n’ont jamais
fourni d’éléments de preuve à l’appui.
En janvier 2019,
les États-Unis ont
rejeté une offre russe proposant
d’inspecter le nouveau missile russe et
ont commencé à se retirer du traité INF.
Ils ont donné un préavis de six mois le
2 février et hier, le traité INF a été
abrogé.
Ni la
notice nécrologique du
traité dans le New York Times, ni
la
rédaction de CNN ne mentionnent les
systèmes ABM en Roumanie et en Pologne
qui ont été les premiers à violer le
traité. Les deux réitèrent l’affirmation
non prouvée selon laquelle la Russie
aurait effectivement déployé de nouveaux
systèmes à portée intermédiaire.
Les Européens de
l’OTAN ne sont pas
contents de la fin du traité :
La fin officielle
d'un pacte historique de maîtrise des
armements entre les États-Unis et la
Russie est un
"mauvais jour"
pour la stabilité en Europe, a déclaré
vendredi à
CNN le
secrétaire général de l'OTAN, Jens
Stoltenberg, quelques heures après le
retrait des États-Unis du pacte.
S'adressant à Hala
Gorani de
CNN, le
politicien norvégien a qualifié la
"fin du
traité sur les forces nucléaires à
portée intermédiaire (INF) avec Moscou"
de "grave
revers".
"Je fais partie
d'une génération politique formée dans
les années 1980, où nous étions tous
préoccupés par le risque de guerre
nucléaire, et où nous étions en mesure
de ratifier un traité INF qui non
seulement réduisait les missiles, mais
interdisait toutes les armes
intermédiaires.",
a-t-il déclaré.
Stoltenberg a
ensuite blâmé la Russie sans mentionner
les « faux sites américains ABM »
en Roumanie et en Pologne.
C’est John Bolton
qui était à l’origine de la fin du
traité ABM et c’est encore lui qui a
convaincu Trump de mettre fin au traité
INF. Avec Bolton à la manoeuvre, le
traité New Start, qui limite les
systèmes intercontinentaux, mais se
termine en 2021, ne sera probablement
pas
reconduit. Bientôt, tout le système
de traités limitant les américains et
les russes dans la production d’armes
nucléaires, et des moyens de les
lancer, auront disparu.
Pourquoi les
États-Unis sont-ils si désireux de
mettre fin à tout cela ? Il est connu
que John Bolton déteste tout ce qui
restreint les États-Unis, mais il existe
également une stratégie plus large
derrière. Les États-Unis estiment avoir
vaincu l’Union soviétique en provoquant
une course aux armements perdue par les
Soviétiques. Ils espèrent pouvoir faire
de même avec une Russie récalcitrante.
Mais ce calcul est erroné. Le président
Poutine a depuis longtemps
déclaré que la Russie ne marcherait
pas dans la combine :
Moscou ne
s'engagera pas dans une course aux
armements épuisante et les dépenses
militaires du pays diminueront
progressivement, la Russie ne cherche
pas à jouer un rôle de
"gendarme mondial",
a déclaré le président Vladimir Poutine.
Moscou ne cherche
pas à s’engager dans une nouvelle course
aux armements
"inutile",
et s’en tiendra à des
"décisions
intelligentes"
pour renforcer ses capacités de défense,
a déclaré Poutine vendredi lors d’une
réunion annuelle élargie du conseil
d’administration du ministère de la
Défense.
Comme Patrick
Armstrong l’explique
bien:
Poutine & Cie ont
appris : la
Russie n'a pas de vocation historique
dans le monde
et son armée est réservée à sa propre
défense. Ils comprennent ce que cela
signifie pour les forces armées russes,
Moscou n'a
pas à rivaliser avec l'armée américaine,
il lui suffit de la tenir en échec.
Et la Russie n’est
pas obligé de la tenir en respect
partout, seulement chez elle. L'US Air
Force peut se déchaîner n'importe où
mais pas dans l'espace aérien de la
Russie ; la marine américaine peut aller
n'importe où mais pas dans les eaux
russes. C'est un travail beaucoup plus
simple et qui coûte beaucoup moins cher
que ce que tentaient de faire Staline,
Khrouchtchev et Brejnev ; c'est beaucoup
plus facile à réaliser, à planifier et à
gérer. L’exceptionnaliste
interventionniste doit planifier pour
tout ; le nationaliste pour Une seule
chose.
La Russie a déjà
toutes les armes nécessaires pour se
défendre. La guerre américaine dépend de
la communication par satellite, de la
supériorité aérienne et des missiles.
Mais les systèmes de défense aérienne et
de guerre électronique de la Russie sont
de première classe. Ils ont démontré en
Syrie que leurs capacités dépassaient
tous les systèmes américains.
Lorsque les
États-Unis ont quitté le traité ABM, en
2002, la Russie,i> [ après avoir
prévenu, NdT ], a commencé à
développer de nouvelles armes. En
2018, elle était prête et
montrait des systèmes capables de
vaincre toutes les défenses ABM. Les
États-Unis ne peuvent plus espérer
surprendre avec une première frappe
contre la Russie, quel que soit le
nombre de systèmes ABM et d’armes
nucléaires qu’elle déploie. Il n’existe
aucune défense contre les systèmes
hypersoniques, les torpilles nucléaires
ou les missiles de croisière à
propulsion nucléaire à portée illimitée.
Si les
États-Unis veulent commencer une
nouvelle course aux armements avec la
Russie ou la Chine, ils seront les seuls
à courir. Il vont devoir courir vite
pour se rattraper eux-mêmes.
Contrairement aux
États-Unis, ni la Russie ni la Chine
n’essaient d’atteindre une hégémonie
mondiale. Ils ont seulement besoin de
défendre leurs territoires. La menace
américaine contre eux en a fait des
alliés. Si la Chine a besoin de plus de
capacités de défense, la Russie se fera
un plaisir de les lui fournir. Une
attaque nucléaire contre l’un ou l’autre
d’entre eux, venant d’Europe, du Japon
ou des États-Unis eux-même, provoquera
une attaque nucléaire contre le
continent américain. Les États-Unis
n’ayant pas la capacité de se défendre
des nouveaux systèmes russes, ils
continueront d’être dissuadés.
Moon of Alabama
Traduit par jj,
relu par Wayan pour le Saker Francophone
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