Algérie
A qui appartient la souveraineté
nationale :
au peuple ou à l’état-major ?
Lahouari Addi
Manifestation du 5 avril 2019. DR.
Mercredi 10 avril 2019
L’un des premiers résultats de la
contestation populaire du 22 février est
d’avoir mis à nu le système politique
algérien dans lequel il y a désormais
deux acteurs politique visibles qui se
font face : le peuple qui occupe la rue
chaque vendredi et l’état-major qui
espère une baisse de la mobilisation
pour reprendre l’initiative.
Engagés dans un rapport de force sans
concessions, ces deux acteurs cherchent
à influer sur le cours des événements
pour atteindre leurs objectifs
respectifs divergents. Le peuple veut
enlever à l’état-major l’attribut de la
souveraineté nationale qui lui a permis
jusqu’à présent de désigner le président
à travers des élections truquées et de
choisir les députés qui représentent la
population.
En s’attribuant une
prérogative qui appartient au peuple,
l’état-major se comporte comme le Bureau
Politique d’un parti stalinien et non
comme le commandement militaire d’une
armée républicaine. En confiant au DRS
la mission de gérer le champ politique,
le commandement militaire a coupé l’Etat
de ses racines sociales et idéologiques
et l’a orienté vers la corruption
généralisée.
L’objectif du
peuple est de casser ce mécanisme qui
empêche les institutions de l’l’Etat
d’être représentatives de la population.
Il veut que l’Etat se réarticule à la
société et qu’il tienne compte de ses
demandes. Le peuple veut le transfert de
la légitimité militaire, héritée des
vicissitudes de l’histoire, à la
légitimité populaire véhiculée par
l’alternance électorale.
Face à la
revendication exprimée par des millions
d’Algériens depuis le 22 février,
l’état-major a donné l’impression
d’avoir entendu le peuple, et a congédié
le cadre à la chaise roulante qui
faisait fonction de chef d’Etat. Le
général Gaid Salah a même affirmé son
attachement à l’article 7 de la
constitution stipulant que le peuple est
la seule source du pouvoir.
Les
révolutionnaires du 22 février avaient
le sourire en croyant que la fibre
nationaliste et l’amour de la patrie
avaient enfin pénétré les bureaux du
ministère de la défense. Mais la
désignation le 9 avril de Bensalah comme
président intérimaire, sur instruction
de l’d’état-major à ses marionnettes du
FLN et du RND, a montré quelles étaient
les véritables intentions de la
hiérarchie militaire.
Avec le recul, la
stratégie de l’état-major devient plus
claire ; elle cherche à remplacer les
anciennes marionnettes discréditées et
démonétisées par des marionnettes qui
n’ont jamais servi. Ce qui signifie que
le général Gaid Salah a menti, et qu’il
a confié à Bensalah la mission de mener
une transition avec un nouveau personnel
coopté à travers des élections truquées.
Ceci n’est pas un
procès d’intention puisque le président
par intérim n’avait pas de légitimité en
tant que président du Conseil de la
nation. En tant que sénateur, il n’était
pas représentatif de la circonscription
où il habite. Par conséquent, la
transition ne peut être menée par le
personnel discrédité et illégitime de
l’ère Bouteflika. Le peuple parle de la
légitimité et l’état-major parle de la
légalité. Mais quelle est la source de
la légalité si ce n’est pas la
légitimité populaire ?
C’était cependant
naïf de croire que les généraux allaient
accepter une transition réelle vers
l’Etat de droit qui signifie la
séparation des pouvoirs et la liberté de
la presse. Non pas qu’ils soient opposés
à l’Etat de droit pour des raisons
idéologiques. La réalité est qu’ils ont
peur que le nouveau régime leur demande
des comptes sur les violations de droits
de l’homme et sur la corruption. Ils
comptent sur une décrue de la
mobilisation pour faire sortir les chars
à Alger. Les généraux jouent avec le feu
car ni l’Etat et encore moins l’armée ne
leur appartient. Ils font face à un
problème politique qui demande une
réponse politique. Et les Algériens sont
décidés à entrer en possession de ce qui
leur appartient : l’Etat et l’armée.
Les généraux
répondent par la ruse en attendant
d’utiliser la force. En pleine tempête
révolutionnaire, comme tout régime sur
le point de s’effondrer, ils se
réfugient derrière « leur »
constitution. Mais les Algériens savent,
par expérience, que la constitution a
toujours été invoquée pour réprimer
leurs revendications légitimes. La
constitution algérienne a été conçue
pour protéger le pouvoir exécutif et non
le peuple ; c’est un texte qui donne une
base juridique à l’autoritarisme du
pouvoir exécutif et qui lui permet
d’emprisonner les syndicalistes et de
poursuivre devant les tribunaux les
défenseurs des droits de l’homme.
En invoquant la
légalité constitutionnelle pour
remplacer Bouteflika par Bensalah,
l’état-major se coupe de la nation et
prend la direction de la
contre-révolution. Les généraux
devraient demander à Vaujour et à Massu
ce qui se passe quand un peuple entre
dans une phase révolutionnaire.
*Lahouari
Addi est Universitaire
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