Actualité
Une loi contre la haine anti-Macron ?
La Quadrature du Net
Samedi 18 mai 2019
Il y a 6 semaines, la députée En Marche
Laetitia Avia déposait une
proposition de loi « contre la haine
sur Internet ». Sa mesure phare est
d’exiger des grandes plateformes
qu’elles suppriment en 24 heures
les propos de nature « haineuse » et
« manifestement » illicites que leur
signaleront le public ou la police, sous
peine d’une amende de 4% de leur chiffre
d’affaire.
Le but est purement et simplement de
remplacer la justice publique par
Facebook, Google et Twitter, en les
laissant seuls maîtres de ce qui peut ou
non être dit sur le Web. C’était déjà
exactement la démarche prise dans le
règlement antiterroriste récemment
adopté en première lecture au Parlement
européen (lire notre
bilan sur ce texte).
Avant de quitter le
secrétariat d’État au numérique, Mounir
Mahjoubi actait déjà aux côtés de
Marlène Schiappa cette alliance de
l’État dans les bras de Facebook,
présenté comme héros de l’Internet à la
sagesse duquel nous devrions évidemment
tous nous soumettre ! (lire notre
analyse) Son successeur, Cédric O,
n’a manifestement
rien à redire à la trahison opérée
par cette loi « anti-haine ». L’ensemble
des députés brillent aussi par un
silence coupable.
De son côté, le
ministère de la justice, entièrement
humilié et mis de côté dans ce grand
chantier, vient de lancer son chant du
cygne. Dans une
circulaire publiée en avril dernier,
il appelle à recourir davantage au juge
pour lutter contre la haine en ligne,
dénonçant l’ « usage abusif »
pouvant être fait des « dispositions
permettant d’engager la responsabilité
des acteurs d’Internet ». En effet,
alors que le gouvernement propose de
contourner le juge pour gagner en
« efficacité », cette circulaire
constate que le ministère public ne
saisit que bien trop peu la justice dans
ces affaires.
Alors pourquoi
confier la mission de justice à Facebook
et Google, leur donnant autant de
légitimité et de pouvoirs alors même
qu’ils n’ont de cesse de violer la loi,
de mentir et de détruire notre
écosystème numérique ? L’analyse du
règlement antiterroriste, qui repose sur
la même volonté politique, donne une
première piste : la notion européenne de
« terrorisme » est tellement vague que
ce règlement pousserait notamment
Facebook et Google à censurer
largement les revendications des
mouvements sociaux (voir notre
analyse appliquée aux gilets jaunes,
dont les propos en ligne pourraient
tomber sous la censure
« anti-terroriste »).
Quand la police
demande aux géants de défendre Macron
Un autre événement,
cette fois-ci en matière de « haine »,
est encore plus éclairant : en début
d’année, nos amis de NextInpact
révélaient que la police française
avait signalé à Google une caricature
présentant Emmanuel Macron et son
gouvernement sous les traits du
dictateur Pinochet et de ses proches.
Nous avons fait une demande CADA à la
police pour comprendre les raisons de ce
signalement et venons d’en recevoir la
réponse.
Le 13 janvier 2019,
vers 21h, une personne anonyme a signalé
cette caricature et le message
l’accompagnant à la police via sa
plateforme PHAROS, dans la catégorie
« incitation à la haine raciale ou
provocation à la discrimination de
personnes en raison de leurs origines,
de leur sexe, de leur orientation
sexuelle ou de leur handicap ». En
réaction et en moins de 24 heures
(tel que l’indique
le site Lumen), la police a signalé à
Google cette image, enregistrant son
signalement dans la catégorie « injures
et diffamations xénophobes ou
discriminatoires » (voir la « fiche de
signalement » ci-dessous).
Capture d’écran
transmise par la police (cliquer pour
agrandir)
Comment
expliquer un tel zèle de la police
pour une caricature aussi triviale, et
ce alors que ses services
comprenaient fin 2018 moins de
trente agents pour recevoir quatre à
cinq centaines de signalements par
jours ? Comment expliquer les catégories
pénales retenues ici — injures et
diffamations xénophobes ou
discriminatoires — alors qu’il ne
s’agissait que d’une caricature critique
du Président et de son gouvernement ?
Fait révélateur, la police nous indique
ne pas avoir saisi la justice de cette
caricature qu’elle qualifiait pourtant
d’infraction : elle en a laissé la
censure à la libre appréciation de
Google.
Fiche de
signalement transmise par la police
(cliquer pour agrandir)
À l’époque, Google
n’avait pas censuré l’image (elle était
publiée sur Google+ qui a fermé peu
après). Toutefois, avec cette nouvelle
proposition de loi « contre la haine »,
qui vise précisément le type
d’infractions visées dans cette affaire,
Google ou Facebook devront
obligatoirement censurer en 24 heures
les contenus « manifestement » illicites
qui leur seront signalés, sous peine de
sanctions allant jusqu’à 4% de leur
chiffre d’affaire. Dans ces conditions,
seront-ils vraiment capable de refuser
de censurer les contenus signalés par la
police ?
La justice
indépendante, même si elle se fait
parfois complice, est généralement mieux
armée pour résister aux pressions du
gouvernement. Elle doit être la seule à
pouvoir actionner la censure publique.
Toute alternative serait un
renoncement plein et entier à la
séparation des pouvoirs et à tout
principe démocratique. En face,
l’indépendance de Google et de Facebook
est nulle : le président de Facebook,
après avoir
expliqué construire la régulation du
Net main dans la main avec Emmanuel
Macron, sera une nouvelle fois reçu
demain comme un chef d’État à l’Élysée.
Tout acteur
politique, de la majorité comme de
l’opposition, qui ne s’opposera pas
immédiatement et frontalement à cette
privatisation de la justice en sera tenu
responsable et dénoncé comme tel.
Lutter contre cette
loi occupera lourdement La Quadrature du
Net pour les mois à venir, et il nous
reste bien d’autres aspects à aborder,
tels que la promotion de la censure
automatisée, du rôle du CSA ou de la
censure administrative. Pourtant, notre
budget annuel n’est aujourd’hui financé
qu’à 70%, donc, au passage, vous pouvez
nous
faire un don pour nous permettre de
continuer.
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