Analyse
La lutte anticoloniale des Palestiniens
phagocytée par l’islamisme
Khider Mesloub
Dimanche 30 août 2020
Notre époque est cernée de toute part
par les forces réactionnaires.
Qu’elle s’exprime sous la forme
religieuse, nationale, raciale ou
ethnico-linguistique, la réaction a le
vent en poupe. Parmi les mouvements
rétrogrades les plus revendicatifs,
vindicatifs et actifs, apparus ces
dernières décennies sur la scène
internationale, l’islamisme occupe le
haut du podium dans le classement des
forces obscurantistes. L’idéologie
archaïque islamiste s’est mise à
s’agiter frénétiquement comme une bête
blessée au moment où les sociétés
semi-féodales, semi-coloniales des pays
musulmans étaient bousculées dans leurs
fondements. Au moment où leur base
sociale s’étiolait, à la faveur de
l’introduction de nouvelles structures
économiques, sociales, politiques et
idéologiques. Autrement dit, à la faveur
de la mutation de leur formation sociale
et économique, de l’implantation du
capitalisme, de la modernisation
balbutiante de ces régions.
Cependant, le
surgissement de l’islamisme dans les
pays musulmans a été impulsé et favorisé
également par la domination impérialiste,
par la multiplication des conflits
transplantés dans ces pays par les
puissances capitalistes en lutte pour le
contrôle de ces régions stratégiques et
pétrolières. Ces tensions impérialistes
se sont particulièrement exacerbées et
accentuées après la disparition de
L’URSS. En effet, au lendemain de
l’effondrement du bloc soviétique, la
nécessité de la réédition de la carte
géostratégique du monde s’est posée avec
acuité et invitée avec brutalité.
De manière
insistante, tout le monde soutient, y
compris les prétendus experts, que le
mouvement islamiste est la résultante de
la radicalisation de la religion
islamique. C’est une explication
purement idéaliste du phénomène
islamiste. Une chose est sûre: ce n’est
pas la conscience qui détermine l’être,
c’est l’être social qui détermine la
conscience. En d’autres termes,
l’esprit ne guide pas le monde. Ce sont
les conditions socio-économiques qui
impriment leurs marques à l’évolution
d’une société. Pour preuve, ce phénomène
des mouvements islamistes apparaît dans
une phase de domination mondiale
capitaliste corrodée par la
déliquescence. Il n’a pas surgi à
l’époque de sa glorieuse croissance, ou
à une tout autre période antérieure de
l’histoire. Notre époque décadente
favorise toutes les déviances sociales
et réactions politiques, toutes les
formes de violences à connotations
criminelle, sexuelle, politique ou
religieuse. Et l’islamisme s’inscrit
dans cette phase de dégénérescence du
système capitaliste.
En fait, dans ses
manifestations archaïques, l’islamisme
n’exprime phénoménologiquement que la
forme et non le fond de l’opposition que
ce courant représente. Dans son
expression politique, la réaction
intégriste islamiste est la forme ultime
qu’a prise la résistance nationaliste
chauvine dans ces pays économiquement et
industriellement arriérés, confrontés à
une crise systémique profonde, qui plus
est toujours en pleine transition
historique entre l’ancien monde féodal
qui peine à mourir et le nouveau mode
production capitaliste qui regimbe à
naître pleinement. De fait, l’islamisme,
expression religieuse d’un combat en
réalité politique, traduit la résistance
de ce monde ancien, produit du mode de
production archaïque féodal, à la
pression du mode de production
capitaliste conquérant, lui-même
travaillé par des contradictions
sociales et une crise économique
systémique.
Pareillement, dans
les pays occidentaux avancés du point de
vue des forces productives et des moyens
de production, confrontés à la crise
économique systémique, on assiste à
l’émergence du nationalisme chauvin
patriotique, exprimé sous la forme du
populisme.
Ces deux idéologies
superficiellement rivales et virales
(l’intégrisme islamique versus
l’intégrisme d’extrême-droite) mènent en
réalité un même combat d’arrière-garde
dans un contexte de crise économique
structurelle du
capitalisme. L’intégrisme
d’extrême-droite se développe dans tous
les pays du monde, aux États-Unis, en
Europe, et particulièrement en Israël.
C’est dans cette perspective de
décadence du système capitaliste
mondial, vecteur d’extrémismes religieux
et populistes, qu’il faut inscrire, de
manière générale, la maladie chronique
du monde arabe affecté par la
propagation pestilentielle de
l’islamisme. Et, corollairement, la
crise profonde du combat du peuple
palestinien, tout à la fois pollué par
le radicalisme islamique
et abandonné par le monde entier,
notamment par l’Arabie Saoudite et la
majorité des pays arabes, ralliés
officiellement au sionisme.
De manière
générale, le repliement hystérique
identitaire et le déploiement religieux
terroriste, dans leurs versions
islamique et judaïque (partiellement
chrétienne circonscrite à l’Amérique),
caractérisent notre époque affligée de
dérélictions protéiformes.
De fait, le projet
d’émancipation social ayant brûlé ses
vaisseaux, le monde, emporté par de
multiples naufrages économiques, en
proie aux tempêtes guerrières, aux
noyades sociales, au tsunami du chômage
endémique, aux pandémies virales
létales, au suicide collectif de la
morale complètement à la dérive, le
monde donc navigue à vue, sans capitaine
vertueux salvateur au gouvernail, sans
boussole politique libératrice, sans
promesse d’accostage un jour à bon port,
à la faveur d’un sursaut
révolutionnaire. Partout, dans de
nombreux pays, les deux
formes d’expression réactionnaires
populistes (identitaires) et religieuses
(islamistes) prennent en tenaille les
populations soumises à leur délétères
influences idéologiques.
Pour revenir à la
Palestine, il faut se rendre à
l’évidence : la Palestine n’est pas près
d’obtenir sa véritable indépendance
prolétarienne. Par la faute des arabes,
en particulier, et des musulmans, en
générale, la cause palestinienne est
discréditée, disqualifiée, dévoyée. La
cause palestinienne, problème colonial
par essence, a été métamorphosée en
guerre de religion entre
Juifs et musulmans, en combat intra
ethnique (entre la même population
sémitique déchirée uniquement par une
dissension religieuse, selon l’opinion
désormais communément admise). La cause
palestinienne a perdu son caractère
politique révolutionnaire – récupérée
par la bourgeoisie mondiale y compris
arabe et palestinienne.
Indubitablement,
ces trente dernières années, à la faveur
de l’expansion de l’islamisme, la
question palestinienne a été totalement
phagocytée par ces entités
réactionnaires islamistes. Elle
s’est diluée dans un combat religieux.
De problème colonial international, la
question palestinienne, par la faute des
islamistes, a été fondamentalement
dévoyée, transformée en guerre
confessionnelle entre musulmans et
Juifs. Aussi, a-t-elle perdu, aux yeux
de l’opinion publique internationale,
son caractère politique, sa matrice
colonialiste. Les Arabes, en
particulier, et les musulmans, en
général, sont responsables de cette
désaffection du soutien de l’opinion
publique au peuple palestinien, pourtant
victime d’occupation coloniale par les
sionistes. À cet égard, il n’est pas
inutile de rappeler que 95% des fervents
sionistes à l’échelle planétaire ne sont
pas Juifs. Ironie de l’histoire,
naguère, jusqu’aux années 80, à l’époque
progressiste du combat anti-impérialiste
et anticapitaliste, avant l’émergence
des mouvements islamistes, la cause
palestinienne était portée aux nues.
Elle constituait le ticket d’entrée de
l’engagement politique. Tous les partis
de gauche, socialiste et communiste,
étaient propalestiniens. Même au sein
des formations politiques de droite
s’exprimait une sympathie pour la cause
palestinienne. On peut affirmer que la
majorité de la population mondiale
soutenait la cause palestinienne.
Aujourd’hui, ces
dernières décennies, la donne a changé :
l’idéologie arabo-islamiste a dénaturé
cette lutte anticoloniale des
Palestiniens. Elle a sapé la cause
palestinienne. Elle a réduit la question
coloniale palestinienne à une lutte
religieuse islamique. Rendant ainsi
service à Israël, cette entité sioniste
raciste basée sur la religion. Dès lors,
aux yeux de l’opinion publique
internationale, le « conflit
israélo-palestinien » revêt désormais un
caractère religieux. Il s’inscrit dans
un affrontement confessionnel entre
Juifs et Musulmans, un « schisme
religieux séculaire », une « controverse
théologique », une « querelle de clocher
». La dimension coloniale du conflit
territorial est totalement obscurcie,
escamotée, éclipsée. Désormais, le
« problème palestinien » est appréhendé
avec des « lunettes religieuses ».
Aussi, est-il saisi comme une énième
guerre de religion dans une religion
historiquement ensanglantée par des
conflits confessionnels.
De ce fait, en
raison de la discréditation du monde
arabe, pollué par l’islamisme, confronté
à un terrorisme meurtrier massif,
accablé par des guerres sanguinaires,
accusé (à tort ou à raison) de répandre
le terrorisme partout dans le monde,
l’opinion publique internationale, du
fait de la transformation de la
question coloniale palestinienne en un
conflit religieux, s’est-elle
détournée de la cause palestinienne.
Pour l’opinion internationale le «
conflit Israélo-palestinien » ne
constitue pas un problème de
dépossession des terres palestiniennes,
d’occupation territoriale, de
déplacement de la population
palestinienne, mais une Guerre de
religion entre Juifs et musulmans.
(sic)
Par conséquent,
n’est-il pas surprenant que la majorité
de l’opinion publique internationale,
favorisée par la propagande sioniste,
ait fini par se rallier à la cause
d’Israël, érigé en victime – dans cette
guerre de religion où l’unique pays
juif, encerclé par des pays islamiques
ennemis déclarés d’Israël, est agressé
(sic) -, et, par extension, à adhérer au
sionisme.
C’est dans ce
contexte qu’il faut inscrire la
manipulation opérée par les sionistes
sur l’amalgame entre antisionisme et
antisémitisme, désormais imprimé dans
les consciences. Effectivement, c’est à
bon escient que le sionisme exploite
cette dénaturation du projet de lutte
anticoloniale du peuple palestinien
pour l’assimiler à de l’antisémitisme.
En particulier quand la lutte est portée
par des non Palestiniens, surtout des
musulmans, immédiatement taxés
d’antisémitisme. La réduction de la
lutte du peuple palestinien, spolié de
ses terres, victime de l’occupation
coloniale, à un conflit
interconfessionnel entre musulmans et
juifs a favorisé grandement cette
machination sioniste, orchestrée
notamment en France où
l’antisionisme est en voie de
criminalisation par son assimilation à
une forme d’antisémitisme, dans le
prolongement de la définition de
l’antisémitisme de l’Alliance
internationale pour la mémoire de
l’Holocauste (IHRA), entérinée par
plusieurs pays et défendue par Emmanuel
Macron devant le Conseil représentatif
des institutions juives de France
(CRIF).
A cet égard, pour
ce qui de la France, une étape
importante a été franchie le mardi 3
décembre 2019, avec le vote à
l’Assemblée nationale d’une résolution,
déposée par le député La République En
Marche (LREM) Sylvain Maillard, et
soutenue par le gouvernement,
assimilant toute critique à l’égard de
l’Etat d’Israël à de l’antisémitisme.
Désormais en France, depuis la loi du 3
décembre 2019, l’antisionisme est
caractérisé comme une forme
d’antisémitisme. (sic)
Ce n’est pas la
puissance du lobby sioniste qui a permis
le vote de cette résolution, mais
l’affaiblissement de la cause
palestinienne, phagocytée par les
mouvements islamistes. Par suite, le
lobby sioniste, épaulé par les
islamistes, est-il parvenu à étendre
l’épouvantail de l’antisémitisme pour
mieux subvertir la lutte antisioniste,
stigmatiser l’antisionisme. Par une
forme d’inversion accusatoire, les
sionistes deviennent les victimes. Leur
loi, confectionnée sur mesure et dans la
démesure de leur domination idéologique
impérialiste des consciences
malheureuses astreintes de subir
l’imposture et l’infamie, permet de
criminaliser désormais toute critique du
sionisme.
Plus
globalement, il ne suffit pas de
fustiger les islamistes. Les dirigeants
palestiniens sont également responsables
de cette dérive, coupables de la
désagrégation de la cause palestinienne.
Assurément, à observer la compromission
des principaux représentants officiels
palestiniens, le président Mahmoud Abbas
en tête, avec l’entité sioniste, pays
théocratique et raciste, on saisit
mieux les motifs de cette désaffection
de la cause palestinienne. En réalité,
la cause Palestinienne a toujours
constitué un simple tremplin politique
pour les dirigeants bourgeois
palestiniens, uniquement intéressés par
les sinécures et les prébendes
afférentes aux fonctions du pouvoir ; et
un instrument de manipulation
idéologique pour tous les gouvernants
des pays arabes et musulmans afin de
détourner l’attention de leurs
populations respectives des problèmes
socioéconomiques et politiques internes.
Tous ces gouvernants, valets de
l’impérialisme, après avoir
implicitement œuvré des décennies durant
à la perpétuation de l’occupation de la
Palestine, pour mieux pérenniser
leur maintien au pouvoir par
l’instrumentalisation, entre autres, de
la question palestinienne, aujourd’hui,
se sont explicitement résolus à s’allier
à Israël pour obtenir son aide afin de
tenter vainement de sauver leur régime
vacillant, contesté par des mouvements
de protestation récurrents.
Au final,
l’islamisme constitue le
meilleur soutien de l’État d’Israël,
du fait de son alliance et de sa
collusion avec l’impérialisme ; et le
meilleur garant de la conservation des
structures rétrogrades traditionnelles
des pays arabes, pays par ailleurs
incapables de rivaliser avec la haute
technologie israélienne
(Occidentale-Américaine) et la
supériorité militaire sioniste. Qui plus
est, l’islamisme considère tout Juif
comme un sioniste. Or, c’est exactement
ce que tente d’accréditer le
sionisme. Ainsi, l’islamisme renforce
davantage son alliance objective avec le
sionisme. En fait, le sionisme et
l’islamisme sont devenus, ces dernières
décennies, deux facettes d’un même
mouvement réactionnaire complémentaires,
mutuellement alliés.
Incontestablement,
la déconsidération et l’éclipse de la
cause palestinienne (favorisée par
l’idéologie réactionnaire islamiste)
s’inscrivent globalement dans le déclin
du combat progressiste internationaliste,
le reflux mondial de la lutte de la
classe ouvrière, la régression de la
conscience de classe, le remplacement de
l’appartenance de classe sociale par
l’identité religieuse, le développement
du communautarisme, l’essor des luttes
tribales ethnico-linguistique, le
dépérissement des partis
révolutionnaires, l’abâtardissement du
marxisme, en un mot dans l’affaissement
du projet d’émancipation humaine.
Seule la reprise de
la lutte radicale du mouvement ouvrier
international, des peuples opprimés, en
un mot du prolétariat mondial, dans une
perspective de rupture avec le
capitalisme, pourra redonner ses lettres
de noblesse au combat du peuple
palestinien, combat conduit dans une
optique à la fois anticapitaliste et
anticolonialiste contre l’entité
sioniste (et non contre les Juifs) et
contre la bourgeoisie arabe et
palestinienne, loin des scories
religieuses islamiques et des idéologies
nationalistes chauvines et
réactionnaires.
Mesloub Khider
Les dernières mises à jour
|