Russie politics
Etats-Unis: l'affaire Cohen
ou le
jusqu'auboutisme anti-Trump
Karine Bechet-Golovko
Lundi 27 août 2018
L'affaire Cohen
défraie la chronique depuis une semaine,
d'aucuns s'extasient sur les
"révélations" de l'ancien avocat du
Président américain, espérant en
sous-main l'apparition d'une procédure
d'impeachment qui tomberait à
point nommé avant les élections de
mi-mandat qui s'annoncent difficiles
pour les démocrates. Mais personne ne
semble choqué par la remise en cause de
la relation avocat-client qu'implique
cette affaire, pourtant au socle des
valeurs américaines. Pourquoi le système
politique américain est-il prêt à
remettre en cause ses valeurs, à se
discréditer, quitte à sombrer lui-même
espérant dans ce suicide collectif
entraîner le président Trump? Un scandale
qui tombe à pic
L'ancien avocat de
Donald Trump, Michael
Cohen, a conclu un accord avec la
justice américaine et plaide coupable.
Il a ainsi donné des informations
concernant le paiement par Trump de deux
femmes avec lesquelles Trump a eu des
relations sexuelles:
Michael Cohen,
l’ex-avocat personnel de Donald Trump, a
plaidé, mardi 21 août, coupable de huit
chefs d’accusation : cinq pour fraude
fiscale, deux pour violation des lois
sur le financement des campagnes
électorales et un pour fraude bancaire.Lors d’une audience
au tribunal fédéral de Manhattan, il a,
en outre, déclaré avoir payé
deux femmes affirmant avoir eu une
liaison avec M. Trump, « à la demande
du candidat », et « avec
l’intention d’influencer l’élection »présidentielle
2016. Interrogé par le juge William
Paule, il a affirmé leur avoir versé des
sommes de 130 000 et 150 000 dollars en
échange de leur silence.
L'on parle de faits
qui n'ont pas eu lieu lors de la
campagne, mais qui se situent vers ...
2006. Il y a 12 ans. Et qui ressortent -
maintenant.
Trump accuse son ex-avocat de
mensonges: rien n'a été fait à sa
demande et les fonds ne concernent pas
la campagne:
Contredisant le
témoignage sous serment de Michael
Cohen, Donald Trump a déclaré mercredi
sur Fox News qu'il n'avait pris
connaissance que "plus tard" des
paiements versés aux deux femmes. "Ce n'est
même pas une infraction" aux lois
électorales", a-t-il affirmé. Les
fonds "ne venaient pas de l'équipe
de campagne, ils venaient de moi".
Son ancien
lieutenant a "cédé" face à la
pression des enquêteurs, avait plus
tôt dénoncé M. Trump dans un tweet,
accusant le juriste d'avoir "inventé
des histoires afin d'obtenir" son
accord de négociation de peine.
Donald Trump a
aussi ironisé: "Si quelqu'un
cherche un bon avocat, je suggère
fortement que vous ne vous attachiez pas
les services de Michael Cohen!"
C'est certainement
immoral de coucher avec des
actrices pornos ou des playmates, de
leur donner de l'argent pour qu'elles se
taisent, mais quel est le rapport
avec l'élection de 2016, avec la
légalité? Deux adultes consentants
font ce qu'ils veulent. L'on pourrait
même voir les choses d'un autre point
de vue: pourquoi des femmes, 12 ans plus
tard, veulent faire des révélations sur
leurs relations avec un de leurs
nombreux amants, justement lorsque
celui-ci se présente à la présidence? Ca
ne ressemble pas un petit peu à du
chantage?
Il faut dire que
tout cela tombe à pic. Lorsque les
élections de mi-mandat s'approchent et
que les républicains sont donnés
favoris. Les
résultats économiques sont là, ce
qui finalement intéresse plus la
population: une hausse du PIB de 4,1%.
Ce qui ne s'était pas vu depuis 2014. Et
Trump garde la
confiance de son parti et de sa
base.
Deux
questions se posent:
Quid de la
relation avocat-client?
La première
question est celle de la sacrosainte
relation entre l'avocat et son client.
Dans le système libéral, elle est
comparable à celle qu'il est possible
d'avoir dans un système traditionnel
avec un prêtre: vous pouvez tout lui
dire, car rien ne sortira.
Le secret est la
base de la confiance. Or, dans un
système social fondé sur le business et
ultrajudiciarisé comme l'est le système
américain, l'attitude de Cohen,
encouragée par les enquêteurs et la
justice, qui a
enregistré son client à son insu,
qui viole le secret de son client pour
le marchander à ses propres fins, remet
en cause un des fondements de la société
américaine. Ce qui, semble-t-il, n'est
remarqué par aucun analyste ...
Car la vision n'est
pas systémique, elle est conjoncturelle,
la fin justifiant les moyens: faire
tomber Trump - à n'importe quel prix?
Quel prix le
système américain est-il prêt à payer
pour faire tomber Donald
Trump?
La question n'est
pas rhétorique. Trump est une "erreur"
du point de vue de la logique politique
électorale américaine. Dans tout
pays, les élections doivent permettre un
renouvellement des visages, pour que la
population ne se lasse pas, mais pas un
changement idéologique et certainement
pas un renouvellement des élites.
Les élites dirigeantes sont un corps
idéologiquement homogène, dont les
représentants se succèdent aux
différentes élections.
Si à chaque
élection les élites changeaient, le pays
serait ingouvernable en raison de
l'impossibilité de prévoir ce qui se
passera, de l'impossibilité de mettre en
place des politiques à long terme. Il y
a certes des changements, mais pas sur
le cours fondamental de la politique.
Ils sont techniques, augmenter ou
baisser le taux d'impôt, changer la
limitation de vitesse, etc. Ils ne
peuvent pas remettre en cause les axes
stratégiques, ils doivent au contraire
les renforcer. Ce que fait par exemple
Macron en France en renforçant
l'idéologie néolibérale portée par
l'Union européenne, quitte à être
impopulaire, car sa véritable mission
est portée par ces élites, non par les
Français.
Or, l'arrivée de
Trump aux Etats-Unis a remis en cause
les axes stratégiques et idéologiques du
système politique gouvernant: remise en
cause de traités de globalisation
(économiques, climatique etc.), du culte
des minorités (homosexuelles, ethniques,
etc.). S'il devait rester longtemps au
pouvoir, cela deviendrait dangereux pour
l'existence même de cette élite qui
garde encore le pouvoir institutionnel,
comme cela se voit avec la presse et la
justice.
Et justement pour
garder le pouvoir, cette élite est
obligée de remettre en cause le "voile
de protection" qui lui permettait d'agir
en coulisses tout en gardant les
apparences. Apparence de la liberté -
et de la diversité - de la presse
qui a volé en éclats, tous les médias
sont anti-Trump. Apparence de
l'indépendance absolue de la justice,
que l'on voit instrumentalisée contre
Trump. Maintenant, vole en éclats la
sacrosainte relation avocat-client,
fondamentale dans la société américaine.
Dans le même temps,
l'on remarque bien que tout ça tourne en
rond. C'est comme si le système
politique américain avait buggué en
2016, s'était arrêté et, incapable
d'avancer, cherchait à réécrire
l'histoire, le moment où il a perdu le
contrôle absolu. D'où cet
acharnement sur une mythique collusion
de Trump avec la Russie. Clinton et les
démocrates ne peuvent pas avoir perdu en
raison de leur faiblesse ou du rejet
populaire, il faut donc un responsable
extérieur. Le système idéologique ne
peut être remis en cause. Alors il
buggue et revient inlassablement sur la
même période. Or, l'on arrive aux
élections de mi-mandat et les
républicains continuent à avancer, et
Trump n'a toujours pas d'impeachment.
Bientôt il y aura les nouvelles
élections présidentielles et les
démocrates seront toujours bloqués sur
2016.
Dans tous les cas,
les démocrates et le système idéologique
qu'ils représentent sont dans l'impasse.
S'ils font tomber Trump ainsi, ils
peuvent faire chuter avec eux les
Etats-Unis dans sa version idéologique
2016 - ce qui a été est déjà passé et ne
reviendra jamais -, soit Trump est réélu
et avec un deuxième mandat ils
s'écrouleront de toute manière.
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