Russie politics
Syrie: Et si l'on parlait de Raqqa ?
Karine Bechet-Golovko
Une
habitante de Raqqa après la libération
de la ville par la coalition américaine
Mardi 27 février 2018
Alors que tous les
projecteurs des médias occidentaux sont
volontairement braqués sur la Ghouta (voir
notre texte ici), fief terroriste
que la Syrie et la Russie ont le malheur
de combattre, alors que des larmes de
crocodiles sont versées au rythme des
montages réalisés par les Casques blancs
sur un tempo donné par l'OSDH pour
ces pauvres enfants dans la poussière,
il est temps de rediriger le projecteur.
Le ministre russe
de la Défense propose ainsi une nouvelle
direction: Raqqa. Ville ravagée et
abandonnée à elle-même après les
bombardements de la coalition
américaine.
Bonnes âmes
occidentales, à vos mouchoirs, l'heure
est venue. Puisqu'une trêve
humanitaire est décrétée sur l'ensemble
du territoire de la Syrie, c'est le bon
moment pour se souvenir de Raqqa. Raqqa,
capitale de l'état islamique, qu'il a
bien fallu sacrifier après que la Russie
et l'armée syrienne régulière aient
libéré Alep, malgré les critiques de la
communauté internationale (voir notre
article ici sur
la bassesse des réactions
internationales). La coalition
américaine avait besoin d'une victoire
et en urgence. Ce ne fut pas très
rapide, même si le travail fut grossier
(voir l'article dans
Global Research de la journaliste
indépendante L. Gottesdiener sur
l'impact civil des bombardements
américains). Il a bien fallu tout
d'abord
évacuer ses terroristes et ensuite
détruire la ville. Une certaine
conception de la libération.
Selon l'ONU, 80%
de la ville a été détruite par les
bombardements et la population ne
peut pas revenir. Pour autant, le
responsable de
l'USAID pour cette ville explique
clairement que les Etats-Unis n'ont
absolument pas prévu la
reconstruction de la ville, mais la
stabilisation de la situation.
Quid du déminage, du déblaiement, du
retour de la population?
Cette position
soulève de sérieuses questions. L'armée
américaine, selon certains, a fait la
guerre plus contre la population civile
que contre Daesh et les destructions
(officielles uniquement) en Syrie suite
à ces raids laissent songeur (article du
30 juillet 2017, avant encore la chute
de Raqqa):
These human rights
groups and local reporters say that,
across Syria in recent months, the U.S.-led
coalition and U.S. Marines have bombed
or shelled at least 12
schools, including primary
schools and a girls’ high
school; a health clinic and
an obstetrics hospital;
Raqqa’s Science College;
residential neighborhoods; bakeries;
post offices;
a car wash;
at least 15 mosques;
a cultural center;
a gas station;
cars carrying civilians to the hospital;
a funeral;
water tanks;
at least 15 bridges;
a makeshift refugee
camp; the ancient Rafiqah
Wall that dates back to the eighth
century; and an Internet café in Raqqa,
where a Syrian media activist was killed as
he was trying to smuggle news out of the
besieged city.
The United
States is now one of the deadliest
warring parties in Syria. In May and
June combined, the U.S.-led coalition
killed more civilians than the Assad
regime, the Russians, or ISIS,
according to the Syrian Network for
Human Rights, a nongovernmental
organization that has been monitoring
the death toll and human rights
violations in Syria since 2011.
C'est peut-être
pour cela que la communauté
internationale, derrière la coalition
américaine a tant besoin de rendre Assad
et la Russie responsables de tous les
maux. Ils se dédouanent ainsi. C'est
aussi pour cela que les portes de Raqqa
sont fermées. Une chape de plomb semble
avoir été coulée sur la ville, pour
cacher les horreurs et les odeurs au bon
peuple qui doit s'indigner sur commande
pour soutenir les terroristes modérés
qui les feront ensuite exploser en
Europe. Bref, la coalition américaine
a repris la terre, les êtres qui
l'habitent ne l'intéresse pas. Elle mène
un combat de territoire, pas d'hommes.
Le ministre russe
de la Défense, S.
Choïgu, a lancé une idée en soi
excellente, sur plusieurs plans. Selon
les données du ministère de la Défense,
la situation humanitaire à Raqqa est
critique. Il existe des risques
épidémiologiques, liés au fait que les
travaux de déblaiement de la ville après
les bombardements n'ont pas été réalisés
jusqu'au bout et dans certains quartiers
n'ont même pas été débutés, des corps
gisent toujours sous les décombres, les
opérations de déminages n'ont pas été
menées de manière systématique alors que
les terroristes ont miné la
quasi-totalité des bâtiments avant
d'abandonner la ville. Par ailleurs, les
ONG et les journalistes n'ont pas accès
à la ville. Evidemment, dans ces
conditions, les gens ne peuvent pas
rentrer chez eux. Il est donc
nécessaire de mettre en place une
Commission d'expertise de la situation
sous l'égide de l'ONU.
Moment de terreur.
Comment? La Russie propose d'aller voir
sur place ce qui se passe après des
bombardements américains? Mais de quoi
se mêle-t-elle?
C'est en substance
la réaction du
porte-parole de la coalition
américaine qui répond ne pas voir
l'intérêt des efforts de la Russie
parallèlement à la trêve et le sens
d'une telle Commission. Point final, on
passe, il n'y a rien à voir.
When asked whether
they would support the creation of such
a commission, Operation Inherent Resolve
press office said, "The Coalition
supports a United Nations-sanctioned
peace process in Syria that will take
into account the equities of all parties
involved. We do not see value in a
parallel effort by Russia," the press
office said."
Comme l'écrivait Le
Figaro, la ville a été pulvérisée.
Maintenant, personne n'en parle. Pas un
seul article dans la presse. Pas
d'information, de problème. Le
projecteur est détourné de ce qui
dérange. La proposition russe ressemble
à un éléphant entrant dans un magasin de
porcelaine. Chaque chose est
délicatement posée à sa place, pourrie
tranquillement, les regards se
détournent pudiquement. Que demander de
plus? Si l'on expose un problème, il
faut donner des justifications, proposer
des solutions, ce qui n'entre absolument
pas dans les projets américains.
Stabilisation.
Le représentant
spécial de l'ONU De Mistura demande,
quant à lui, manifestement perturbé par
une telle incongruité, quelques
explications. Il ne comprend pas
très bien ce qu'entendait par là le
ministre russe.
En effet, quelle
drôle d'idée? Ce n'est pas la Russie qui
a bombardé, à quoi bon aller voir sur
place l'étendue des dégâts, comment la
population est laissée à elle-même, les
épidémies etc. Il y a d'autres urgences:
accuser Assad d'attaques chimiques,
partager la Syrie, relancer les groupes
terroristes un peu endormis pour
permettre d'atteindre ce but. Bref, il y
a beaucoup de travail.
PS: J'ai cherché
dans toutes les photos diffusées sur
Raqqa (et il n'y en a pas beaucoup), je
n'en ai pas vues une seule avec un
Casque blanc courant portant un
enfant dans les bras plein de sang et de
poussière blanche devant les caméras.
J'en déduis que les enfants ne sont pas
morts à Raqqa. En tout cas ceux sur
lesquels la communauté internationale
doit pleurer. D'un coté vous avez des
victimes, réelles ou mises en scène, de
l'autre des dégâts collatéraux.
Qui pleure des
dégâts collatéraux? Quelle idée!
Le sommaire de Karine Bechet-Golovko
Le
dossier Syrie
Les dernières mises à jour
|