Russie politics
Le Parlement européen acculé à renier
la liberté de la presse
Karine Bechet-Golovko
Vendredi 25 novembre 2016
La radicalisation de la rhétorique dans
les structures de l'Union européenne est
plus un aveu de faiblesse
institutionnelle que de vigueur de
l'institution. Il est possible d'accuser
la Russie de tous les maux, de voir "la
main du Kremlin" derrière la montée de
l'euroscepticisme malgré la propagande
médiatique soutenant à tour de bras la
route pavée d'or ouverte par l'UE. C'est
une possibilité. C'est le choix des
faibles, de ceux qui ne sont pas
capables de reconnaître leurs erreurs.
en d'autres termes, en adoptant la
résolution appelant à lutter contre la
guerre de l'information menée par la
Russie et l'état islamique contre l'UE,
le Parlement européen a enterré
l'illusion même d'un projet européen
commun.
La
guerre de l'information n'est pas une
nouvelle, mais il semble que les grandes
démocraties occidentales se retrouvent
acculées par les contradictions de leur
système idéologique: la gouvernance est
effectuée en fonction des intérêts et
des idées d'une minorité, pour
elle-même, ce qui conduit forcément au
rejet par la majorité, plus ou moins
silencieuse selon les cas. Pour tenir,
le système a besoin de maîtriser deux
éléments dont il ne peut pas se passer:
les élections et l'information. Il n'est
pas possible de revenir sur le mécanisme
électif tout en prétendant défendre la
démocratie. Si l'UE s'est, dans
l'ensemble, affranchie de cette
contrainte, elle reste indirectement
tributaire des élections nationales. Le
second élément, l'information, est donc
fondamental pour conduire les électeurs
à faire "le bon choix", même si cela ne
marche pas toujours, comme nous l'avons
vu avec l'élection de Trump ou le
premier tour des primaires ne
reconnaissant pas la victoire de Juppé,
vu comme le continuateur du système
après Hollande.
En
effet, malgré tous les efforts, l'UE n'a
pas la cote, comme le montre un sondage
publié cet été dans le Nouvel Obs:
En
moyenne, les opinions favorables
dépassent légèrement les
opinons défavorables (51% contre 47%).
Mais la tendance est inquiétante.
Après un rebond éphémère en 2013-2014,
la courbe des "opinions favorables" est
repartie vers le bas. On voit sur le
graphique suivant que les opinions
favorables des Français sont passées en
12 ans de 69% à 38% !
Heureusement, pour l'UE, il lui reste la
Pologne. Mais le problème est que ce
n'est pas elle qui pèse, elle, elle peut
être instrumentalisée. Comme ce fut le
cas pour l'adoption de cette résolution,
soutenue, avec tout le fanatisme
nécessaire à cette démarche, par la
député polonaise Anna Fotyga, qui
utilise manifestement cette assemblée
comme élément d'une thérapie de groupe.
Cette
résolution, finalement, n'a été
adoptée que par la minorité, avec le
consentement silencieux de la majorité.
304 pour, 179 contre et, avec tout le
poids de la lâcheté, 208 députés se sont
courageusement abstenus. Abstenus de
reconnaître qu'il est contraire à
l'éthique européenne - je ne parle pas
de l'UE, mais de l'Europe - de
considérer des opinions contraires comme
propagandistes, qu'il est contraire aux
principes de gouvernance européens de
vouloir utiliser l'enseignement, donc
les écoles, pour mieux former les
esprits, qu'il est contraire à la
liberté de la presse de vouloir rejeter
des agences d'information en fonction de
leur pays. Rappelons que s'il s'agit
d'un combat contre les médias publics,
il faudra également interdire la BBC,
l'AFP etc. Tous ces médias financés par
l'Etat. S'il s'agit d'un combar contre
les médias diffusant en plusieurs
langues, il faudra fermer, notamment,
tous les médias français diffusant à
l'étranger, ces médias du groupe France
télévision, qui sont financés par
l'Etat. L'absurdité de cette méthode est
flagrante. Elle est rétrograde et
sectaire, et je ne vois pas pourquoi les
pays européens doivent se rendre
prisonniers de la médiocrité de
certains.
Avec
cette résolution, l'UE reconnaît sa
défaite: elle n'arrive pas à convaincre.
Or, elle ne peut se remettre en cause
sur le fond. Son projet radicale
néo-trotskiste sur le plan des valeurs
et néolibérale sur le plan
politico-économique ne peut être
modifié, car il justifie son existence.
Or, n'entraînant que l'adhésion de la
minorité, malgré tout le poids de la
machine médiatique qui tourne à sens
unique, elle ne peut se permettre une
réforme institutionnelle: la
démocratisation entraînerait la fin.
C'est une impasse. Impasse qui explique
la radicalité et l'absurdité du
discours:
La
résolution souligne que l'Union
européenne doit lutter contre les
campagnes de désinformation et de
propagande de la part de pays comme la
Russie et d'acteurs non étatiques comme
l’État islamique, Al-Qaida et d'autres
groupes terroristes djihadistes
violents.
Donc
la Russie est mise sur le même plan que
l'état islamique, ce qui veut donc dire
que la Russie est perçue par les
instances européennes comme un état
terroriste.
La
propagande hostile contre l'UE et ses
États membres vise à dénaturer la
vérité, à provoquer le doute, à diviser
l'Union et ses partenaires
nord-américains, à paralyser le
processus décisionnel, à discréditer les
institutions européennes et à susciter
la peur et l'incertitude parmi les
citoyens européens.
En
traduction, c'est à cause de la
propagande russe que les pays européens
n'arrivent toujours pas à conclure de
traité transatlantique qui ferait leur
bonheur... et dont Trump ne semble plus
vraiment vouloir. Dommage, la résolution
était manifestement écrite par
l'administration américaine sortante.
Les
députés avertissent que le Kremlin a
intensifié sa propagande contre l'Union
européenne depuis son annexion de la
Crimée et la guerre hybride dans le
Donbass. Ils notent que "le gouvernement
russe utilise un large éventail d'outils
et d'instruments, tels que des groupes
de réflexion [...], des stations de
télévision multilingues (par exemple,
Russia Today), des pseudo-agences de
presse et des services multimédias
(Sputnik) [. ...], des réseaux sociaux
et des trolls Internet, afin de
s’attaquer aux valeurs démocratiques, de
diviser l'Europe, de s’assurer du
soutien interne et de donner
l’impression que les États du voisinage
oriental de l’Union européenne sont
défaillants". La résolution souligne que
le "Kremlin finance des partis
politiques et d'autres organisations au
sein de l'UE" et déplore "le soutien
russe des forces anti-UE" comme les
partis d'extrême droite et les forces
populistes.
Finalement, si les partis remettant en
cause le système et les valeurs de l'UE
obtiennent de plus en plus de voix,
c'est uniquement dû à l'action agressive
de la machine de guerre médiatique comme
RT ou Sputnik. C'est peut-être pour cela
qu'ils sont pratiquement les seuls à
parler, en français, de cette résolution
inique ... Si l'on ne prend en compte
RFI, qui soutient les députés
européens lorsqu'ils "fustigent" la
propagande anti-européenne du Kremlin,
je cite.
En
effet, il vaut mieux ne pas en parler,
pour ne pas fatiguer les bonnes gens
avec des questions inutiles avant les
fêtes de Noel, oups, les fêtes de fin
d'année, Noel ayant été déclassé.
Il
faut dire que le message passe très bien
dans d'autres pays, notamment les pays
baltes. A Riga, où chaque année défilent
des SS en costume d'époque, à la mémoire
de ces héros nationaux qui ont lutté
lors de la Seconde guerre mondiale
contre l'armée soviétique, et donc avec
les SS, l'on vient d'adopter une
nouvelle loi qui entre tout à fait dans
la logique de ces nouvelles valeurs
prônées par l'UE. Il s'agit d'une loi
sur la loyauté patriotique. Non, ce
n'est pas une plaisanterie, car on ne
plaisante pas avec le patriotisme SS à
Riga. Au sein de l'UE. Ainsi, tout
enseignant qui ne démontre pas
suffisamment de patriotisme, à savoir de
loyauté envers le pays et la
Constitution, sera démis de ses
fonctions et si le problème concerne
l'école en entier, elle sera fermée.
Cela s'inscrit dans le combat mené
contre l'histoire du pays, contre les
populations russophones et russophiles
qui y vivent.
De
cela non plus, la presse ne parle pas et
le Parlement européen a mieux à faire
que de lutter contre la glorification de
l'idéologie nazie. C'est simple: puisque
combattre aux côtés de Hitler signifie
contre l'Union soviétique, cela convient
tout à fait aux nouveaux maccarthystes.
Comme l'UE ne peut manifestement plus
fédérer autour d'un projet commun, elle
a besoin d'un ennemi commun.
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