Russie politics
Le système hospitalier ébranlé
par des
années de réformes néolibérales
Karine Bechet-Golovko
Samedi 25 avril 2020
La surcharge
momentanée liée à l'arrivée du
coronavirus, au-delà de l'étrange
méthode de décompte des cas (voir
notre texte d'hier) met en lumière
l'échec des réformes néolibérales, qui
se sont démultipliées ces dernières
années. Réduction des lits, réduction du
personnel soignant, endettement des
hôpitaux publics, privatisation, mise en
concurrence interne ... C'est la notion
même de service public qui a été
bafouée, pour faire de l'hôpital une
entreprise, dont le but n'est pas de
soigner au mieux la population, mais de
faire des économies faute de ne pouvoir
faire des bénéfices. Et répétons-le
c'est un échec. Nous le voyons
clairement aujourd'hui, avec des
structures, déjà saturées, qui ont du
mal à faire face à une poussée
supplémentaire. Pourtant, personne ne
cherche à évaluer "l'efficacité" de ces
réformes néolibérales, le cours
idéologique n'est pas remis en cause.
Retour sur ces réformes en France et en
Russie. En France,
l'histoire du
démantèlement de l'hôpital public
remonte aux années 80, quand avec la
réforme de 1983, le forfait journalier
met fin à la gratuité des soins.
Forrfait qui, depuis, n'a cessé
d'augmenter. La loi Evin de1991, sous
couverture d'autonomie, renforce
finalement les pouvoirs du préfet pour
fermer les lits et restructurer des
établissements. Ensuite, le plan
Juppé prépare un mouvement de
privatisation par l'obligation
d'austérité et confie les pleins
pouvoirs budgétaires à une Agence
régionale, dont le directeur peut
également décider du regroupement des
établissements et de leur privatisation.
Ce mouvement de privatisation se
poursuit et est même aujourd'hui
largement recommandé par la
Caisse des dépôts et consignations,
dans le langage creux du néomanagement:
"Dans son sabir
technocratique, la CDC préconise en
effet de “mettre en place des PPP -
Partenariat public-privé, ndlr. - vertueux
intégrant des démarches de développement
durable (construction, modernisation,
exploitation, …) particulièrement
innovantes et performantes”. Piqûre
de rappel : très populaires dans les
années 2000, les PPP permettent à une
collectivité locale ou à l’Etat de
confier à un seul opérateur privé - en
général, un consortium réunissant des
entreprises du BTP et des services - la
conception, la construction et le
financement d’un équipement public, mais
aussi son exploitation sur une longue
période allant de vingt-cinq à trente
ans. Pendant cette période,
l’utilisateur public paie un loyer,
avant de finalement devenir propriétaire
de l’équipement en question."
Cette pratique a
surtout permis de créer des surcoûts ...
donc il faut prévoir une aide de l'Etat
pour restructurer la dette des
établissements ... privés non lucratif,
bref privé. Le plan Juppé était assumé
comme devant faire de la place au
privé, rien n'a changé. Mais
continuons. La loi Aubry des 35 heures,
cumulée au plan Juppé, c'est-à-dire sans
l'embauche de personnels
supplémentaires, a mis l'hôpital public
en grande difficulté.
Ensuite, en 2007,
toujours plus vite, toujours plus loin,
un grand plan de réforme de l'hôpital
public est lancé, faisant entrer le
service public dans la logique
primaire du management, avec mise en
concurrence interne.
"La
réforme hospitalière instaurée en 2007
a entraîné le passage d'un financement
global à un financement par activité. En
clair, les ressources ne sont plus
distribuées à partir de la prise en
charge globale des patients sur
l'ensemble de leur séjour, mais en
fonction des actes réalisés. Les
différents pôles sont donc payés en
fonction de leur activité pendant
l'hospitalisation du patient. Ainsi,
plus le nombre d'actes effectués est
élevé, plus le financement le sera. Une
logique qui entraîne une inévitable
course à l'activité. Mais certains
services sont moins rentables que
d'autres et les hôpitaux se sont petit à
petit endettés. L'Etat les a donc priés
de réduire leur budget. Or, la masse
salariale en représente la majorité, ce
secteur a donc subit les principales
coupes. Les hôpitaux doivent économiser
l'équivalent de 22.000 postes en trois
ans, jusqu'en 2017."
Ainsi, la coupe
continue. Par ailleurs, le
refinancement prévu est conditionné à
des regroupements avec le privé ou à des
partenariats public-privé. C'est
donc une incitation à la privatisation
de l'hôpital public. La loi Bachelot
ensuite renforce le mouvement
d'austérité budgétaire en plus de la
logique du marché, les revenus du
directeur de l'Agence et des médecins
vont dépendre en partie de leur
"performance". La distinction public
/ privé s'efface, au profit du
privé. La réforme de 2012 n'arrange
rien, la
machine est lancée :
"Les trois lois de
financement de la Sécurité sociale
votées depuis 2012 n’ont fait
qu’aggraver la situation des
établissements hospitaliers. En 2013
et 2014, plus d’un milliard d’euros
supplémentaires ont été ponctionnés sur
les budgets de l’hôpital public.
Mais aujourd’hui c’est une « purge »
beaucoup plus violente qui est en cours
avec le « pacte de responsabilité ».
(...) 860 millions d’euros de
« maîtrise de la masse salariale » sont
annoncés dans ce document. Ils
équivalent à 22 000 suppressions de
postes (soit 2 % des effectifs de la
fonction publique hospitalière) en 3
ans."
L'hôpital n'est
plus un service public, mais une
entreprise. Il n'a plus vocation,
comme service public, à donner un soin
d'une meilleure qualité possible à la
population, mais à coûter le moins cher
possible, voire à faire du profit.
Dans cette logique,
l'hôpital doit continuer à soigner,
avec le moins possible de personnel et
le moins de lits :
"En 2018, 4172
lits en hospitalisation complète ont été
supprimés dans les quelque 3000
établissements de santé que compte
l’Hexagone (1356 hôpitaux publics, 681
établissements privés et 999 cliniques
privées). Cela représente une baisse de
1% sur un an et ramène le nombre de lits
disponibles à 395.693. «Depuis 2013,
ce sont 17.500 lits d’hospitalisation
complète qui ont ainsi été fermés,
soit une baisse de 4,2% en cinq ans»,
souligne la Drees."
Evidemment, ça ne
marche pas. On le voit depuis de
nombreuses années. C'est flagrant
aujourd'hui, au-delà de l'hystérie
socio-politique, qui est montée autour
du coronavirus, l'hôpital public a
objectivement été mis en situation de
survie.
La Russie a
suivi la même voie, avec les mêmes
conséquences. Le partenariat public -
privé est à la mode dans tous les
services publics, mais la manière dont "l'optimisation"
de la médecine a été conduite ces
dernières années, cumulée au culte du
tout-technologique remplaçant
l'humain, est un échec. Entre 2000
et 2015, le nombre d'établissements
médicaux publics est passé de 10 700 à 5
400 dans le pays. Pour ce qui
concerne l'infectiologie, domaine qui
est appelé à réagir en période dite de
pandémie virale, la coupe sèche fut pire
que dans la médecine générale.
Si la baisse des
médecins fut de 2% en général, des
spécialités ont quasiment disparu,
notamment les infectiologues,
allergologues, dermatologue - 10%.
Selon les données officielles, le
nombre de lits en infectiologie est
passé de 70 500 en 2010 à 59 000 en 2018.
Dans de nombreux cas, tout le
département a été fermé d'un coup. Il
reste environ 6 000 spécialistes
infectiologues dans le pays, surtout à
Moscou et Saint-Pétersbourg, mais
certaines régions ont des problèmes : 6
en Tchoukotka ou 2 dans la région des
Nenets, par exemple. C'est un secteur
sous-financé, à 2% du budget médical
(voir le journal Nasha Versia, 20-26
avril 2020, N°15, P. 16).
Aujourd'hui, la
pandémie idéologique du coronavirus
oblige à réagir. Et "l'optimisation"
mise en oeuvre soulève tout autant de
questions - qui pourtant ne sont pas
soulevées. En toute logique, lorsque des
corpus spéciaux étaient construits en
infectiologie, ils étaient isolés des
autres, afin d'éviter tout risque de
contagion. Maintenant, en plus de la
construction en vrac d'établissements
temporaires, des départements dans
certains hôpitaux sont reprofilés
vers le coronavirus. Selon le ministère
de la Santé, 100 000 lits existants
doivent être reprofilés.
Rappelons que grâce à la méthode
inclusive de dénombrement, il y a en
Russie aujourd'hui près de 60 000 cas,
que 80% d'entre eux n'est pas grave, que
50% des nouveaux cas sont carrément
asymptomatiques et que 0,016% des décès
en Russie sont liés au coronavirus. En
outre, ce virus n'est pas éternel - si
on laisse les gens s'immuniser. Mais en
jouant sur les statistiques, on peut
encore faire durer le phénomène.
Pendant ce
temps, les autres maladies existent
toujours, aussi incroyable que cela
puisse paraître ... Et certains
patients commencent à avoir des
difficultés d'accès aux soins. De
nombreux patients, de 18 régions
différentes, se sont plaint de
difficultés pour les maladies chroniques
de l'intestin, de la mucoviscidose ou de
l'hépatite B et C. Ils ne peuvent avoir
un accès régulier ni au médecin, ni au
traitement - ce qui peut être ici
réellement fatal. Le problème est que
ces traitements sont délivrés en milieu
hospitalier. Et certains établissements
se sont vus reprofilés vers le
coronavirus. Par exemple, à Moscou, le
Centre de traitement de l'hépatite
s'occupe désormais du Covid et les
patients malades de l'hépatite B et C ne
savent pas où s'adresser pour leur
traitement ... Dans d'autres secteurs,
en oncologie notamment, le délai
d'attente avant d'avoir accès aux soins
a été allongé. Ce peut aussi être une
méthode pour faire baisser la proportion
de décès liés au coronavirus - que
d'augmenter les autres ...
Etrangement,
personne ne s'interroge sur
"l'efficacité" des réformes néolibérales
dans nos pays, qui ont conduit à cette
situation aberrante ... Bien au
contraire, puisque ça ne marche pas,
allons encore plus loin.
Le sommaire de Karine Bechet-Golovko
Le dossier
Covid-19
Le dossier
politique
Les dernières mises à jour
|