Russie politics
Haro sur la liberté d'expression :
l'Occident en liberté surveillée
Karine Bechet-Golovko
Vendredi 21 décembre 2018
Ce qui faisait la
force du système libéral occidental,
c'était sa souplesse, c'est-à-dire sa
capacité à intégrer et digérer la
critique, la diversité de la parole.
Cette période est manifestement révolue,
tout ce qui sort de la pensée unique est
considérée comme de la désinformation
et la Russie est fautive. La
sanction est donc obligatoire,
logiquement pour préserver la "liberté
surveillée" orwellienne des peuples.
C'est ce que l'on voit de toute part
avec les nouvelles sanctions américaines
touchant des médias russes, les attaques
contre RT en Grande-Bretagne et la
validation de la loi dite contre les
Fake News, qui légitime le renforcement
du contrôle sur le contenu "exact"
des informations. Nos sociétés passent
en mode silence, les cuisines sont
réouvertes. Aucune voix ne doit
être dissonante et si jamais
l'expression de la volonté populaire
remet en question les dogmes
idéologiques, cela signifie que
l'opinion a été manipulée - évidemment
par la Russie. Trump n'a pu être élu,
les élections ont été bouleversées par
la Russie, qui a provoqué le Brexit,
manipulé la Catalogne, a failli faire
perdre Macron (dont la sincérité des
élections ne pourrait évidemment être
remise en cause, quelle idée ...). C'est
en tout cas ce que nous explique très
clairement le
ministère de la Culture et de la
propagande au sujet du but de cette loi
dite contre les Fake News :
Et qui est
responsable de tout ce "désordre"? :
Parmi ces
vecteurs de fausses nouvelles, on relève
plusieurs catégories : les médias
contrôlés par des États étrangers ; les
plateformes numériques, qui
se retranchent derrière leur statut de
simples "hébergeurs de contenus" pour ne
prendre aucune responsabilité sur les
contenus qu’elles diffusent, alors
qu’elles sont l’outil de viralité des
fausses nouvelles.
C'est pourtant
simple. Il y a deux responsables : les
médias étrangers (les médias nationaux
eux, manifestement, sont suffisamment
contrôlés) et les médias alternatifs. La
chasse est ouverte. La loi, dont le
texte définitif n'est toujours pas
accessible à ce jour ni sur Legifrance
ni sur le site de l'Assemblée nationale,
alors qu'elle a été adoptée le 20
novembre, met en place un système de
contrôle totalisant, car visant
finalement à déterminer ce qu'est la
vérité. Dans
l'explication fournie par le
Gouvernement, l'on voit ainsi que
plusieurs mécanismes sont mis en place
pour vérifier et réguler le contenu des
informations fournies dans les trois
mois avant toute opération de vote.
Cette loi s'applique à un contenu
déterminé de manière particulièrement
flou comme "un contenu d'information
se rattachant à un débat d'intérêt
général". Ce qui finalement ne veut
rien dire - ou tout selon la volonté en
jeu. Un recours en urgence devant le
juge est prévu (un référé) et les
pouvoirs de sanction du CSA sont
augmentés. Après l'adoption difficile et
discrète du texte par l'Assemblée
nationale, faisant suite au refus des
sénateurs, ceux-ci et des députés
d'opposition ont saisi le
Conseil constitutionnel, qui dans
l'ensemble a validé le texte. Il a
toutefois prévu certaines limitations à
l'emballement répressif de nos chers
députés :
D'une part, cette
procédure ne peut viser que des
allégations ou imputations inexactes ou
trompeuses d'un fait de nature à
altérer la sincérité du scrutin à venir.
Ces allégations ou imputations ne
recouvrent ni les opinions, ni les
parodies, ni les inexactitudes
partielles ou les simples exagérations.
Elles sont celles dont il est possible
de démontrer la fausseté de manière
objective. D'autre part, seule la
diffusion de telles allégations ou
imputations répondant à trois
conditions cumulatives peut être
mise en cause : elle doit être
artificielle ou automatisée, massive et
délibérée.
Dès lors, compte
tenu des conséquences d'une procédure
pouvant avoir pour effet de faire cesser
la diffusion de certains contenus
d'information, les allégations ou
imputations mises en cause ne sauraient,
sans que soit méconnue la liberté
d'expression et de communication,
justifier une telle mesure que si
leur caractère inexact ou trompeur est
manifeste. Il en est de même pour
le risque d'altération de la sincérité
du scrutin, qui doit également être
manifeste.
En dernier lieu, en
permettant au juge des référés de
prescrire toutes les mesures
proportionnées et nécessaires pour
faire cesser la diffusion des contenus
fautifs, le législateur lui a imposé de
prononcer celles qui sont les moins
attentatoires à la liberté
d'expression et de communication. Autrement dit, les
médias alternatifs seront sous l'épée de
Damoclès du référé, ils devront par
ailleurs ouvrir leurs sources, notamment
financières. En ce qui concerne les
médias étrangers, le CSA peut revoir
leur autorisation de diffusion, pour
différentes raisons, la plus amusante
est s'il y a risque pour la pluralité.
Comment un média supplémentaire
pourrait porter atteinte à la pluralité
d'expression et sa suppression la
garantir? C'est un mystère de la
pensée complexe et maintenant subtile.
Très concrètement, RT va pouvoir être
sous le feu du CSA, comme il l'est déjà
en Grande-Bretagne, grâce à cette
validation du Conseil constitutionnel :
Le dernier alinéa
du paragraphe I de l'article 33-1 ainsi
complété dispose que lorsque la
conclusion de la convention est
sollicitée par une personne morale
contrôlée par un État étranger, au sens
de l'article L. 233-3 du code de
commerce, ou placée sous l'influence de
cet État, le conseil peut, pour
apprécier la demande, tenir compte des
contenus que le demandeur, ses filiales,
la personne morale qui le contrôle ou
les filiales de celle-ci éditent sur
d'autres services de communication au
public par voie électronique.
Pour le Conseil
constitutionnel, le refus du CSA
d'octroyer une Convention n'est pas une
sanction, donc formellement, pas de
problème. Et puisque les décisions du
CSA peuvent être contestées devant le
juge administratif, les droits sont
protégés. Amen.
Cette approche
formaliste n'est pas à la gloire du
Gardien des libertés fondamentales, qui
vient de trahir sa fonction. Surtout,
lorsque l'on voit qu'en
Grande-Bretagne, RT vient encore de
se faire condamner pour son traitement
de l'information qui ne serait pas
suffisamment objectif, sur le Brexit, la
Syrie ou les camps d'entraînement nazis
des enfants en Ukraine ... L'objectivité
est un concept bien subjectif. Pour continuer dans
la série, les Etats-Unis viennent de
mettre sous sanction
4 médias russes :
Le régime dans
lequel nous vivons a atteint ses
limites, se rigidifie et se transforme
en caricature de lui-même. Cela ne veut
pas dire qu'il va tomber demain, cela
signifie simplement qu'il se radicalise
pour cacher sa faiblesse.
PS: L'organe
de contrôle russe vient d'annoncer
une opération de contrôle de BBC World
News .... La patience de la Russie
touche à son terme.
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