Russie politics
Internet : l'UE laisse le choix entre
la
censure et l'autocensure
Karine Bechet-Golovko
Le
commissaire européen Thierry Breton à
Bruxelles le 29 janvier. (Reuters)
Jeudi 20 février 2020
Ce 17 février, le
commissaire européen Thierry Breton
vient d'annoncer l'intention de l'UE de
prendre en main le champ d'internet,
encore quelque peu trop indépendant,
malgré une censure de plus en plus
forte, dès que l'on sort des photos de
vacances, des chats ou couchers de
soleil. Le message est clair : soit les
plateformes contrôlent elles-mêmes les
contenus haineux, illicites et les
mythiques "t;fake news", soit elles vont
faire l'objet de "mesures
contraignantes". Ah! Qu'en termes
galants ces choses-là sont mises!
Finalement, soit la ligne idéologique
est tenue, soit les plateformes vont
avoir des problèmes. Donc, nous aussi. Présenter internet
comme un lieu de liberté absolue est en
soi une aberration. Au minimum parce que
la liberté absolue n'existe pas
autrement que dans la loi du plus fort.
Et internet ne fait pas exception à la
règle. Autrement dit, qu'un contrôle des
contenus soit mis en place est normal,
afin de limiter la violence verbale qui
se déchaîne souvent dans les réseaux
sociaux, afin de sanctionner la
pédophilie, les groupes de suicide,
limiter les contacts entre membres de
groupes terroristes qui utilisent ces
plateformes pour communiquer, pour
lutter contre le trafic de drogues et
autres substances illicites., et toute
autre action illicite dans la vie
réelle. Internet fait partie de notre
monde, il en est un des espaces et ne
peut se trouver en dehors de la
législation.
L'impunité pénale
d'internet est impensable et ce n'est
pas cet aspect qui pose des difficultés
éthiques. Qu'internet dépende de l'Etat
est normal. Mais qu'internet dépende du
pouvoir, qui n'est pas obligatoirement
contrôlé par l'Etat, est plus dangereux.
Or, l'un est-il possible sans l'autre,
surtout aujourd'hui ?
Dans ce contexte,
les
déclarations du commissaire européen
Thierry Breton, après une rencontre avec
Mark Zuckenberg, laissent songeur.
e Commissaire
européen à l'Industrie, Thierry
Breton, a mis en garde lundi 17
février les plateformes contre des «mesures
contraignantes» si elles ne
s'autorégulent pas sur les contenus
haineux, illicites ou les fake news.
(...) «Les plateformes, notamment
Facebook, ont une responsabilité
évidente vis-à-vis de nos concitoyens
(...) vis-à-vis de la démocratie aussi»,
a-t-il souligné. «On a beaucoup parlé
(...) de la nécessité désormais de se
mettre en situation de contrôler
l'ensemble de ces activités», a-t-il
ajouté. Si l'ensemble des plateformes
qui opèrent sur le continent européen
n'interviennent pas en cas d'abus, «on
sera obligé d'intervenir de façon plus
stricte», a-t-il prévenu. (...) À la
fin de l'année, la Commission européenne
compte présenter un instrument
législatif sur les services numériques,
baptisé le «Digital Services Act».
«Il contiendra des mesures qui
pourront être contraignantes», a dit
M. Breton
Qu'est-ce qu'une "fake
news" ? Pour l'instant, personne ne
peut l'affirmer avec assurance dans tous
les cas. Une fausse information. Certes.
Cela est facile lorsqu'il s'agit de
faits : ils ont eu lieu ou non. Mais le
journalisme ne s'arrête pas à
l'énonciation de faits. Il y a la
présentation, le choix des faits, etc.
Sur les réseaux sociaux, les gens
expriment leur vision des choses et du
monde, sans être professionnels, comme
ils le faisaient au marché ou au PMU,
dans la salle de sport, dans le métro.
Sans plus de filtres, avec émotion.
Seulement, maintenant, leur parole sort
de la sphère privée. Mais pour autant,
comment cela peut-il constituer une
fake news?
Au-delà de cette
difficulté fondamentale, un autre danger
pointe le nez : la censure.
Beaucoup de blogs diffusent une vision
personnelle, hors des canons formatés du
main stream. C'est ce qui fait
leur intérêt. Il n'est pas nécessaire de
les sanctifier non plus, ils ne sont pas
là pour exprimer la "Vérité vraie". Mais
dans un monde de plus en plus
conformiste, pour donner un peu
d'oxygène et rappeler le principe
fondamental de nos démocraties qu'est le
pluralisme, ils sont utiles. Et ils sont
la première cible de cette mythique "fake
news", qui, si traduite en français
par fausse information, ne permettrait
pas de les saisir. Car l'information
factuelle peut être vraie ou fausse,
mais l'interprétation qui en est donnée
ne peut être appréhendée par ce
paradigme. Ce qui n'empêche pas de
l'appliquer.
Au regard de quel
critère une interprétation pourrait-elle
être considérée comme vraie ou fausse ?
Il n'en existe qu'un en ce domaine : le
dogme. Les blocages interviennent
très rapidement dès que l'on ose
relativiser l'un des quatres piliers du
monde global, car chaque religion doit
avoir son dogme, ses croyances et donc
ses cultes. Et le "globalisme" est notre
religion politique. Le phénomène de
croyance étant au fondement de tout
système de gouvernance, il est
incontournable. Il semblerait que le
"globalisme" repose sur le culte du
numérique, des minorités (LGBT,
ethniques, femmes etc), des migrants et
de l'écologie (avec le changement
climatique). Ces thèmes ne se discutent
pas, ils ont leurs prophètes et leurs
adeptes - l'hystérie et l'incantation
sont de mise pour remplacer l'analyse.
Or, la croyance
implique un discours posé et policé, non
pas de grands débats théologiques au
quotidien remettant en cause le
bien-fondé des croyances. En ce sens, la
pluralité du discours introduite par
internet pour compenser le formatage
opéré dans les médias institués
constitue un danger réel. Et les grandes
plateformes doivent jouer le jeu de la
soumission, non pas aux Etats mais à
l'idéologie globaliste, tout en gardant
les apparences de la liberté, car
l'apparence est essentielle à la
croyance. Ainsi, Facebook a-t-il annoncé
la mise en place de rien moins qu'une "Cour
suprême" (sic!) pour réguler
la question de ces contenus
dérangeants.
Le ridicule ne tue
pas - et parfois l'on en vient à le
regretter ... (ceci n'est pas un
contenu haineux, une simple poussée
momentanée de lucidité déjà passée, Amen).
Puisque l'anglosaxonisation est poussée
aux limites du bon sens, y aura-t-il
aussi cette merveilleuse procédure
contradictoire "à la Facebook" ? Y
aura-t-il un appel ? Une cassation, si
erreur de droit ? La décision
sera-t-elle argumentée ? Aura-t-on accès
à un ... "avocat" ? Si Facebook fournit
les "juges", va-t-il aussi fournir les
"enquêteurs" ? Non, évidemment, le
pseudo "juge" qui doit présider cette
étrange "cour" est le Britannique,
Thomas Hughes, à la tête de
l'organisation des droits de l'homme
Article 19. Mettre un activiste
comme "juge", c'est l'avènement du
postmodernisme et la fin des garanties
juridiques. Il ne reste que la parodie
de la justice, instrument incontournable
pour légitimer des décisions politiques.
Finalement, le
message de l'UE est très simple et, dans
sa grandeur naturelle, cette
organisation laisse le choix entre
l'autocensure et la censure. Merci.
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