Russie politics
Affaire des supporters russes:
les dérapages de la justice française
Karine Bechet-Golovko
Jeudi 16 juin 2016
S'indigner de la
convocation de l'ambassadeur de France
en Russie par le ministère russe des
affaires étrangères suite à
l'arrestation, pour le moins sommaire,
des supporters russes dans le bus à
Cannes relève soit de la mauvaise foi,
soit de l'hypocrisie. Le fait que la
France ait suspendu la Convention
européenne des droits de l'homme et
applique la loi sur l'état d'urgence n'a
ici aucune incidence. La France ne
s'autorise pas pour autant à suspendre
toutes les conventions internationales
et à bafouer la législation nationale.
Revenons sur certains aspects juridiques
de ce triste évènement.
Il semblerait que
les autorités françaises aient réussi à
violer tant le droit international que
la législation nationale. Prenons donc
les choses dans l'ordre.
Sur le plan
international
Lorsque les forces
de l'ordre françaises interpellent le
bus, rappelons que le Consulat russe n'a
pas été informé du sort de ses
ressortissants, ce qui est obligatoire.
Les diplomates russes en France l'ont
appris par la presse, car le sulfureux
Chpriguine, président de l'association
russe des supporters de foot se trouvant
dans le bus, a contacté la chaîne russe
d'informations continues notamment Life
News immédiatement par téléphone.
Celle-ci a diffusé l'information,
publicité qui ne semblait pas entrer
dans le plan des autorités françaises.
Les supporters russes n'ont pas eu
droit à un interprète non plus, ce
qui est prévu non seulement par la
Convention de Vienne sur les relations
diplomatiques, mais également par la
législation nationale (art.
63-1 3° du Code de procédure
pénale).
Ce sont au moins
ces deux éléments qui permettent de dire
que la France a violé ses engagements
internationaux lors de l'interpellation
des supporters russes, comme le rappelle
le
ministe russe des affaires étrangères S.
Lavrov. Ce qui pose déjà la question
de la légalité, en conséquence, des
actes juridiques qui en découlent.
C'est dans ce cadre
que l'ambassadeur de France, qui
représente la France à l'étranger, a
donc été convoqué pour donner des
explications.
Par ailleurs, S.
Lavrov a envoyé une note
diplomatique aux autorités françaises
leur demandant de ne pas fermer les yeux
sur les actes et provocations des
supporters anglais à l'égard des
supporters russes. Notamment lorsqu'ils
ont piétiné le drapeau russe. Autrement
dit, il est demandé aux autorités
françaises de contrôler la situation
pour éviter que ça ne se reproduise.
Vue la manière dont
les supporters anglais se sont comportés
à Lille hier soir après le match
Russie/Slovaquie, alors qu'ils ne
jouaient pas dans la ville, les
autorités françaises ne peuvent ou ne
veulent contrôler la situation.
Sur le plan
intérieur
Selon l'article
63 du Code de procédure pénal tel
qu'en vigueur:
Seul un officier de
police judiciaire peut, d'office ou sur
instruction du procureur de la
République, placer une personne en garde
à vue.
Or, fait
intéressant, après avoir finalement
fouillé le bus et n'avoir strictement
rien trouvé, et contrôlé l'identité de
chacun des supporters qui étaient tous
en règle, les gendarmes de Cannes
veulent libérer les supporters russes.
On notera qu'ils cherchaient des armes
et de la drogue, comme dans les chambre
d'hôtel la veille. Nous sommes bien dans
le cadre de l'extrémisme. Il
semblerait que soit la Gendarmerie
française ait été malheureusement mal
informée, soit elle ait été manipulée.
C'est alors que
sort un ordre du procureur de Marseille,
comme un lapin d'un chapeau, qui demande
de mettre tout le monde en garde à vue,
avec femmes et chaffeurs. Absurde, si
l'on regarde l'article
62-2 CPP qui prévoit l'existence de:
une ou plusieurs raisons plausibles de
soupçonner qu'elle a commis ou tenté
de commettre un crime ou un délit puni
d'une peine d'emprisonnement
Or, à ce moment, il
faut qualifier juridiquement les faits
et expliquer les fondements de la mise
en gadre à vue. Et rappelons que les
autorités n'ont strictement rien entre
les mains, à part des articles de presse
hystériques, mais qui ne tiennent pas
devant un tribunal.
Justement, le
supporter anglais va bientôt mourir.
Les supporters russes sont donc tous
arrêtés dans le cadre de cette affaire
pénale, ça n'a plus rien à voir avec ce
que les gendarmes recherchaient au
départ. Nous ne sommes donc pas du
tout dans le cadre de l'extrémisme et du
terrorisme, la législation dérogatoire
sur l'état d'urgence ne s'applique pas,
nous sommes dans le cadre d'une banale
affaire pénale.
Mais c'est ici que
les choses se compliquent, car
juridiquement, c'est intenable. Les
autorités françaises furent très mal
conseillées, ou par des personnes qui ne
maîtrisent manifestement pas les détails
de la législation française. Car
maintenant, il faut en sortir.
Bref, à la fin de
la première garde à vue de 24h, une
vingtaine de supporters russes sont
libérés, rien n'est retenu contre eux.
Mais que faire des autres?
L'histoire a été
médiatisée, on ne peut plus s'arranger
entre soi, la Russie a réagie et
convoqué l'ambassadeur, l'affaire prend
une ampleur qui n'était pas attendue -
bizarrement. On continue dans l'absurde.
Or, selon la
législation, pour prolonger la garde à
vue, il faut motiver l'acte. Et pas
globalement, mais individuellement. Donc
chaque personne retenue, ils sont plus
d'une vingtaine encore, doit, selon les
art. 63 et 62-2, être soupçonnée d'avoir
porter atteinte à la vie du supporter
anglais. J'aimerais beaucoup voir la
vingtaine d'actes du procureur et lire
la motivation... Pour chacun.
Surtout que, après
avoir ainsi prolongé encore de 24h, ils
en libèrent encore 20 avant la fin de la
garde à vue. Et ceux-ci doivent être
expulsés. Pour "trouble potentiel
à l'ordre public". Ils ont été
interpellés car soupçonnés
officiellement d'avoir tué quelqu'un et
se trouvent explusés en groupe car
innoncents, mais pouvant constituer une
menace à l'ordre public. Nous sommes
assez loin de l'état de droit ... C'est
un peu comme mettre quelqu'un dehors
avec un coup de pied aux fesses pour
qu'il ne raconte pas ce que l'on a sur
la conscience.
La justice a choisi
trois supporters VIP qui sont là
jusqu'au bout, jusqu'à ce qu'un tribunal
décide de leur sort. Il s'agit des
directeurs des fans clubs de l'Arsenal
de Toula, du Lokomotiv de Moscou et du
représentant du club de foot Dinamo de
Moscou. Qui sont donc soupçonnés d'avoir
tué le supporter anglais. Espèrons
que les juges feront preuve de plus
d'indépendance que le procureur.
Mais c'est
compréhensible. L'ambassadeur a quand
même été convoqué, on ne peut pas dire
que l'on s'est trompé. Car finalement,
l'on ne s'est pas trompé. C'était
volontaire. Et mesquin. Que faire,
l'époque est comme ça, mesquine. Alors
il est plus facile pour les médias
maintenant de lancer une campagne contre
celui qui a lancé l'information aux
médias que de se poser des questions sur
la légalité des procédures suivies.
Quelles procédures?
Ce ne sont que des russes.
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