Russie politics
Comment Macron a évité le Débat
pour garder le même cours politique
Karine Bechet-Golovko
Mercredi 10 avril 2019 Sans grande
surprise, le show privatisé par Macron
du pseudo-débat national n'a débouché
sur rien, le cours politique n'est pas
infléchi, les institutions de la
République ne sont pas réhabilitées, les
impôts des citoyens permettront en tout
cas de payer cette campagne de comm. Et
lorsque le Sénat veut inviter une
délégation de Gilets Jaunes et Eric
Drouet, le Gouvernement n'énerve,
s'indigne, tape du poing sur la table :
depuis quand le petit peuple sert-il à
autre chose qu'à valider l'accès
démocratique aux fonctions gouvernantes
?
La farce du Débat
national a de plus en plus mal à
préserver un minimum de crédibilité.
Tout a été fait pour qu'il n'y ait pas
de Débat. Une plateforme internet
totalement manipulée par des frénétiques
et des petits soldats de la Macronie, ce
que même la
presse ne peut plus ne pas voir. Sur
la forme :
Ce que dit le
gouvernement :
La plate-forme
en ligne du grand débat aurait
attiré 506 000 contributeurs, qui
auraient apporté près de 2 millions de
contributions – « 1 364 000
contributions aux questions fermées et
569 020 contributions aux propositions
ouvertes ». (...)
Il ressort ainsi
que :
-
certains contributeurs ont copié et
collé des dizaines (voire des
centaines) de fois leur texte ;
-
plus de la moitié des textes rédigés
comportent moins de dix mots ;
-
plus de la moitié des textes rédigés
sont en fait des doublons ou des
champs vides
Autrement dit, les
chiffres avancés n'ont aucune
signification. Sans compter en
plus les "frénétiques" :
Des
contributeurs frénétiques L’analyse
des données brutes permet d’observer une
forme de frénésie chez certains
contributeurs. Le participant le plus
actif a en effet déposé 472
contributions, pour plus de 11 000
textes écrits dans les champs de libre
expression.
On pourrait se réjouir d’une telle
motivation, mais dans la totalité des
cas ces contributions s’avèrent, au
mieux, des copies d’elles-mêmes ; au
pire, laconiques. En éliminant les
champs vides (2,6 millions) et les
doublons (2,6 millions), sur les
9,8 millions de textes, nous n’en
comptons plus que 4,5 millions.
L'autre modalité de
cette "consultation
nationale" a été la tournée
électorale de Macron, hors temps
d'antenne pour le CSA, hors question du
financement des campagnes électorales.
Particulièrement utile avant les
Européennes. Mais peu importe. Car même
ici, à part un show personnel, rien n'a
été mis en place pour instaurer un
véritable dialogue avec les Gilets
Jaunes sur les sujets qui les
intéressent. Ceux-ci étaient même
régulièrement mis à distance lors des
visites royales sur leurs terres. Pour
ne pas déranger le spectacle et
préserver un agréable entre-soi. C'est
un peu la caricature des Cahiers de
doléances, mais sans le tiers état,
la Macronie "démocratique" ne
reproduisant pas l'erreur de la
Monarchie : lorsque l'on donne la parole
aux gens, ils la prennent.
La principale
remarque que l'on peut faire ici est ce
rejet, justement, du dialogue. S'il y
a, certes, une part de ce mépris de
caste, l'essentiel est ailleurs : il n'y
a rien à dire. Le Gouvernement en
place est là pour faire exactement ce
qu'il fait. Alors de quoi parler ? Cette
politique ne vous plaît pas ? Vous
pouvez tenter longtemps de discuter et
de convaincre, ils gagneront du temps,
le temps de leur mandat, ils sont là
pour cette politique, pas pour
une autre. Nos gouvernants sont devenus
des "politiciens-jetables",
impossibles à représenter à une nouvelle
élection (sauf manipulation massive),
ils ne sont plus politiciens, ils sont
managers. L'intérêt général, l'opinion
de la majorité ne les intéresse pas. Ils
ne les représentent plus, ils se
représentent eux-mêmes, l'électeur
n'étant là que pour confirmer un choix
de personnage, un nouveau visage, qui va
continuer ce qui a été fait, va
approfondir, aller plus loin. Sera
forcément impopulaire. Donc remplacé
ensuite par un nouveau visage, qui
tiendra quelques discours pouvant plaire
avant les élections et fera ensuite ce
"qu'il faut". Puisqu'il aura été choisi
pour cela.
La poussée
d'agressivité du
Gouvernement face au Sénat, qui
prenant au mot le système démocratique,
ose demander son avis aux
contestataires, c'est-à-dire à des
Gilets Jaunes, sur des réformes
importantes et contestées, souligne à
quel point l'on ne discute pas le
fondement des impératifs idéologiques,
on les vote. La discussion ne peut
porter, à la limite, que sur les
détails, mais pas sur le principe.
Sinon, il y aurait vraiment une
opposition, ce qui n'est pas le cas.
D'autant plus que le Sénat risquait
ainsi de porter la contestation sociale
au niveau politique, ce contre quoi
cette présidence se bat en premier.
Autrement dit, tout
a été fait pour mettre en place un
simulacre de Débat national, sans
contact réel entre la présidence et les
Gilets Jaunes. Mais il est hors de
question de réellement discuter du cours
de la politique nationale. Surtout que
le culte actuel de la non-violence
permet de protéger des changements de
régime.
La force de ce
système idéologique est d'avoir réussi à
forcer ses détracteurs à jouer selon les
règles qu'il fixe, et donc qu'il peut
adapter en fonction des circonstances.
Parfois la violence est légitime, le
reste du temps elle ne l'est pas;
parfois la consultation populaire est
nécessaire, parfois elle ne l'est pas;
parfois les manifestations de masse sont
nécessaires, parfois elles sont à
bannir; parfois la presse papier est
importante, le reste du temps gavez-vous
du numérique; etc. La contestation
s'épuise ainsi dans des circonvolutions
inutiles, qui existent justement pour
cela - l'affaiblir et la désamorcer.
Pour l'instant, ça
fonctionne plutôt bien. Les mouvements
sociaux ne peuvent se transformer en
mouvements politiques réels, s'épuisent
dans la répétition et ne représentent
donc aucun danger.
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