Russie politics
Etats-Unis / Iran : la guerre est
reportée ... la paix aussi
Karine Bechet-Golovko
Vendredi 10 janvier 2020
Ces derniers jours, le conflit entre les
Etats-Unis et l'Iran s'est accéléré,
pour finalement échouer aux pieds des
bases américaines, après la réaction
inattendue de l'Iran. Une réaction
d'Etat. D'Etat agressé qui se défend. Et
met fin à l'agression, puisque l'on
revient au marché habituel : soit la Pax
Americana, soit les sanctions - devant
permettre d'arriver à la Pax Americana
suite à la prise en otage d'une
population. Trump n'a finalement pas
changé le paradigme usé de la vision
néo-impérialiste américaine. Mais l'Iran
le rejette toujours et n'a pas accepté
ces méthodes de voyou s'autorisant à
assassiner dans un pays tiers un
officiel d'un pays étranger, en
l'occurrence Qassem Soleimani. Quelle
que soit l'opinion que l'on puisse avoir
de la personne, un terroriste pour les
Américains et leurs satellites, la
personne qui organisait la lutte contre
l'Etat islamique en Syrie pour les
autres, il est souhaitable que cette
pratique ne devienne pas une habitude.
Cela, finalement, renforce la position
de la Russie dans la région, surtout
lorsqu'au même moment Poutine se promène
dans les rues de Damas ...
Après que l'Iran
ait bombardé la Pax Americana, les
Etats-Unis se sont souvenus qu'une
guerre présente toujours le risque
d'être perdue, ce qui n'apporterait
alors rien en matière d'appropriation
des ressources naturelles. Véritable but
de la politique américaine extensive
actuelle, qui ne s'en cache plus.
Petit rappel de
l'escalade. A la fin de l'année
dernière, les Etats-Unis ont frappé un
groupe chiite du Hezbollah en Syrie et
en Irak. En réaction, les chiites s'en
sont pris à l'ambassade américaine à
Bagdad. Les Etats-Unis ont décidé que
l'Iran était derrière cette attaque de
leur ambassade et ils ont alors décidé
de liquider le général iranien Qassem
Souleimani lors de son passage à Bagdad.
Ce qui constitue une
violation patente du droit
international, tel que découlant de
l'équilibre atteint après la Seconde
Guerre mondiale, déjà bien mal portant :
Plus
fondamentalement encore, l’assassinat de
Qassem Soleimani porte un sérieux coup
au régime légal international adopté au
sortir de la Seconde Guerre mondiale
dont le but était d’imposer des
restrictions quant à l’utilisation de la
force militaire. Les pratiques
d’assassinats ciblés, ces frappes visant
à tuer individuellement des personnes
considérées comme des menaces à la
sécurité nationale, par le moyen de
commandos, de drones ou d’hélicoptères,
sont controversées car celles-ci se
situent à mi-chemin entre cadre légal de
paix et de guerre. (...) En s’attaquant
à un représentant d’Etat souverain, les
Etats-Unis sortent pour la première fois
du cadre de la guerre contre le
terrorisme qu’ils s’étaient imposé. A
cet égard, on peut regretter l’absence
de réaction par leurs alliés européens,
qui a pour effet d’ancrer un peu plus
ces pratiques dans la normalité. Le
recours tous azimuts à l’assassinat
ciblé pourrait pourtant avoir
d’importantes conséquences de
déstabilisation du système mondial, en
particulier s’il devient légitime
d’éliminer des représentants d’Etats
souverains en dehors d’une guerre. Le
recul du respect de la légalité dans le
jeu international est d’autant plus à
craindre que les virulentes déclarations
américaines contre la Cour pénale
internationale, et plus encore les
menaces faites par le Président Trump de
s’en prendre à des lieux culturels
iraniens, illustrent le mépris du
«gendarme mondial» pour les restes de
cet ordre international.
Au 20e siècle, cela
eût été une déclaration de guerre. Et
l'Iran l'a rappelé, simplement et
fermement aux Etats-Unis en bombardant
deux de leurs bases militaires en Irak,
après avoir prévenu l'Irak. Les dégâts
ne sont que matériels, les soldats
américains avaient été évacués. Mais les
cibles furent atteintes et les bases
largement touchées.
Mais le 21e siècles
a quelque peu modifié la manière de
combattre. Beaucoup d'annonces - la
première partie du confit se déroule
essentiellement dans les médias; les
soldats du clan du Bien ne doivent pas
mourir et lorsque les civils meurent en
raison d'action armée du Clan du Bien
ils sont alors renommés "victimes
collatérales", lorsqu'ils meurent suite
aux actions du Clan du Mal ce sont des
victimes sacrificielles; les soldats du
monde se battent pour la Pax Americana,
donc ils font partie d'une coalition
avec les Etats-Unis ou agissent avec
l'assentiment des Etats-Unis, les autres
sont automatiquement des terroristes,
des mercenaires ou les soldats d'une
dictature - donc pas vraiment une armée
régulière (d'où l'absence de déclaration
formelle de guerre et donc de cadre
légal); le Clan du Bien peut détruire
sans s'occuper ni de la reconstruction,
ni d'une mauvaise campagne médiatique
(puisque les médias sont spontanément
du côté de la Pax Americana), voir
Raqqa.
Bref la guerre
existe, mais comme juridiquement elle
n'existe pas, elle se déroule en dehors
de tout cadre légal. Sans aucune
responsabilité. Et manifestement sans
aucune limite. Sauf. Sauf lorsque les
Etats-Unis se retrouvent confrontés à un
Etat qui se comporte comme tel, qui
réagit en Etat et répond. Non pas avec
les méthodes postmodernes des réponses
asymétriques, mais directement. Depuis
quand un Etat a-t-il bombardé une base
militaire américaine ? Après Pearl
Arbour, les Etats-Unis du 20e siècle
sont entrés en guerre. Ceux
d'aujourd'hui adoptent des sanctions
économiques.
Car eux aussi sont
enfermés dans les règles des guerres
post-modernes. Difficile d'envoyer
des hommes et des femmes mourir pour
défendre les intérêts de multinationales.
En tout cas, difficile le faire
ouvertement. De le justifier. Surtout
quand en face, vous avez des hommes et
des femmes qui défendent leur terre.
Le Parlement
irakien a demandé, symboliquement, le
départ du "libérateur américain", qui a
violé sa souveraineté. Qassem Souleimani
a été assiné, selon les autorités
irakiennes confirmant les déclarations
du ministre iranien des Affaires
étrangères, alors qu'il était en mission
diplomatique. La réaction des
Etats-Unis, pris à leur piège est simple
: le peuple irakien nous aime donc nous
restons et les déclarations concernant
la mission diplomatique sont fausses.
Il est vrai qu'ils
ne peuvent rien faire d'autre sans
perdre encore plus la face, car leur
défaite ici est flagrante. L'Iran
relance son programme de nucléaire. Si
les Européens n'ont pas virulemment
condamné les Etats-Unis, ils ne les ont
pas non plus particulièrement soutenus.
Si le seul moyen qui reste pour
l'affirmation de la Pax Americana est
l'assassinat politique ciblé, l'on peut
facilement affirmer que ce système est
fortement affaibli.
Tout ça pour ça ?
En effet, après cette erreur
stratégique, les Etats-Unis reviennent
la queue basse à la table des
négociations, "sans conditions
préalables". Car ils ne peuvent assumer
une véritable guerre. Et il n'est pas
certain qu'ils reviennent en position de
force, à la vue de ces évènements. Sans
même parler de leur crédibilité ...
fantomatique.
PS: Et avec tout
ça, un avion ukrainien, en
parfait état de marche avec un
pilote chevronné, qui s'écrase à
Téhéran, juste après le bombardement
réussi des bases américaines par l'Iran.
Les
services de renseignement
occidentaux et l'ambassade ukrainienne
en Iran, qui déclarent immédiatement
exclure la piste terroriste et retenir
l'incident technique. Un
avion qui aurait eu un problème et
amorcé un demi-tour, alors que le pilote
n'aura lui pas eu le temps ou les moyens
d'envoyer aucun message faisant acte
d'un problème. Du coup,
Trump qui décale sa déclaration aux
bons peuples de l'Empire, qui remplace
une déjà très hypothétique déclaration
de guerre par quelques atermoiements
économiques et la promesse d'un avenir
radieux après la libération du peuple
iranien de sa souveraineté, pour
finalement, sans n'avoir rien obtenu,
revenir à la table des négociations sans
conditions préalables.
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