Arrêt sur Info
La guerre sanglante de Kiev :
retour de flamme
Justin Raimondo
Photo:
D.R.
Jeudi 12 février 2015
Aux Etats-Unis le parti
de la guerre pousse à soutenir les
marionnettes ukrainiennes
Lorsque les officiers de l’armée
ukrainienne sont arrivés au village de
Velikaya Znamenka pour dire aux hommes
de se préparer à être mobilisés, ils ne s’attendaient
pas à ce qui est arrivé ensuite.
Alors que l’officier parlait, une femme
s’est emparée du micro et lui a dit : «Nous
sommes malades de cette guerre! Nos
maris et nos fils ne vont pas n’importe
où !» Ensuite, elle a tenu un
discours enflammé, dénonçant la guerre
et les responsables du coup à Kiev, sous
les acclamations de la foule.
Ce qu’elle a fait est maintenant un
crime en Ukraine : la seule raison pour
laquelle elle n’a pas été arrêtée sur
place est que les villageois ne
l’auraient pas permis. Mais en
Transcarpathie ukrainienne,
Ruslan Kotsaba, un journaliste
connu, qui travaille pour la chaîne
ukrainienne Channel 112 a
été arrêté et inculpé de
trahison et d’espionnage pour
avoir tourné une vidéo dans laquelle il déclarait:
«Je préfère croupir en prison
pendant trois à cinq ans qu’aller
dans l’Est tuer mes frères
ukrainiens. Cette fabrique de peur
doit cesser.» Kostaba peut
rester en prison pendant vingt-deux
ans, la peine prévue pour les
charges qui pèsent sur lui.
L’arrestation de Kotsaba s’inscrit
dans l’effort désespéré du gouvernement
ukrainien pour freiner la montée du
mouvement anti-guerre et
anti-mobilisation, qui menace le rêve de
Kiev de reconquérir les provinces
rebelles de l’est. Le crime particulier
de Kotsaba,
selon les procureurs, était de
décrire le conflit davantage comme une
guerre civile que comme une invasion russe.
C’est un point que les autorités ne
peuvent tolérer: le même répété sans
relâche par les médias occidentaux –
selon lequel la rébellion intérieure,
qui jouit d’un soutien important dans le
pays, est en réalité un
complot russe pour déstabiliser l’Ukraine
et rétablir le Pacte de Varsovie – a
actuellement force de loi en Ukraine.
Quiconque dit le contraire peut être
arrêté.
Également passible d’arrestation,
voire pire: les milliers d’hommes qui
fuient le pays afin d’éviter
l’incorporation dans l’armée. Dans un
post sur Facebook qui a été
rapidement supprimé, le ministre de
la Défense Stepan Poltorak écrivait: «Selon
des sources non officielles, les hôtels
et les motels des régions à la frontière
de la Roumanie sont totalement remplis
avec des réfractaires.» Le
président Petro Porochenko, l’oligarque
Roi du chocolat, prépare un
décret imposant de possibles restrictions
des voyages à l’étranger pour ceux
qui sont en âge d’être mobilisés –
autrement dit tout le monde entre 25
et 69 ans. Les Ukrainiens sont déjà
prisonniers dans leur propre pays – mais
ils ne l’encaissent pas sans rien dire.
La résistance à l’enrôlement atteint
un niveau sans précédent :
à peine 6% des appelés se sont
portés volontaires. Cela a contraint les
autorités de Kiev à aller frapper aux
portes – où ils se sont heurtés soit à
des villageois en colère, qui refusent
de les laisser emmener des gens, soit à
des villes fantômes d’où tout le monde
s’est enfui. Dans la région de la
Transcarpathie, dans l’ouest de
l’Ukraine, des villages entiers ont été
vidés, les habitants fuyant en Russie
pour attendre la fin de la guerre – ou
la chute du régime de Kiev, selon ce qui
arrive en premier. «Cela peut
sembler paradoxal,
explique l’officier responsable du
recrutement en Transcarpathie, mais
depuis la région de Ternopyl, en Ukraine
de l’ouest, les gens ont fui en Russie
pour échapper à la conscription.»
Le frénétique régime ukrainien envisage
maintenant
d’enrôler les femmes de plus de 20 ans.
La mobilisation de Porochenko est due
non seulement aux nombreux revers dans
l’est – les troupes ukrainiennes
ont été repoussées sur tous les
fronts par des rebelles fortement
motivés à défendre leurs villes et leurs
villages – mais aussi parce que des
milliers de soldats désertent, jettent
leurs armes et fuient en Russie. En
réponse, le Parlement ukrainien a adopté
une loi autorisant les commandants
locaux à fusiller les
déserteurs sur place.
Avec la guerre de Porochenko – qui
ressemble à un immense désastre, on
pourrait facilement renverser son régime
mis en place par l’UE/US – le parti de
la guerre aux Etats-Unis fait monter la
pression, demandant que Washington
fournisse des armes à Kiev. Le sénateur
John McCain –
naturellement conduit
la charge ; mais des politiciens
libéraux sont aussi en première ligne,
avec d’importants chercheurs de la
Brookings Institution qui ont appelé
récemment à l’envoi d’armes lourdes.
Cela a fait réagir un chercheur
dissident de Brookings, l’ancien
fonctionnaire du Département d’État
Jeremy Shapiro, qui soutient
que le conflit ukrainien est une
guerre civile qui ne peut avoir de
solution militaire et qui est plus que
susceptible de provoquer une
confrontation dangereuse avec la Russie.
L’administration Obama est mise sous
forte pression par le propre parti
du président pour armer l’armée
ukrainienne, mais les alliés européens
de l’Amérique sont réticents à laisser
cette guerre durer beaucoup plus
longtemps, en particulier maintenant que
leur marionnette de chiffon Porochenko
devient de plus en plus impopulaire.
Avec des manifestations un peu partout
en Ukraine de l’ouest, l’Allemagne
d’Angela Merkel est ouvertement opposée
à l’escalade de la guerre. Elle l’a dit
clairement à la récente conférence de
Munich, où Merkel a pris
la parole à son retour des
pourparlers avec le président russe
Vladimir Poutine et le président
français François Hollande. Pendant ce
temps, en aparté, McCain
disait aux journalistes: «Si
nous avions donné des armes aux
Ukrainiens, ils n’auraient pas eu besoin
d’utiliser des bombes à sous-munitions.»
Ils ne l’appellent pas «
Mad John » (John le cinglé) pour
rien.
Les États-Unis forment les militaire
du régime de Kiev, et nous avons déjà
des bottes américaines sur le terrain,
prétendument pour
renforcer la primauté de la loi.
Ce que cela signifie pratiquement est
que nous soutenons un gouvernement qui a
déclaré la guerre à son propre peuple et
qui est en train de supprimer tous les
moyens légaux de dissidence – accusant
les opposants politiques de trahison,
interdisant les partis politiques et
envoyant des groupes ultra-nationalistes contre
quiconque ose contester. Tandis que le
Département d’État des États-Unis fait
régulièrement les yeux doux aux dissidents russes,
qui souillent les églises orthodoxes et
exhibent leurs seins devant les caméras
occidentales, vous n’entendrez pas
mentionner le nom de Ruslan Kotsaba
aussi souvent que celui de Marie Harf.
Autant que je sache, le
Global Post est le seul média
occidental qui a noté son existence – et
je n’ai pas vu une seule mention en
anglais de son arrestation.
L’Ukraine est un piège qui pourrait
facilement déclencher la
Troisième Guerre mondiale – et les
provocations états-uniennes nous en
rapprochent jour après jour. La crise a
commencé par la campagne de Washington
pour le changement de régime qui a
succédé au renversement violent du
président élu Victor Ianoukovitch, dont
la victoire électorale avait été rendue
possible par l’incompétence criminelle
et la corruption de son prédécesseur
soutenu par les États-Unis,
Viktor Yushchenko. La prétendue
Révolution orange a conduit au
chaos économique, à la corruption
endémique, et au déchaînement d’un
courant nationaliste virulent, qui a
culminé dans la montée de
néo-nazis assumés, qui siègent
aujourd’hui au
parlement ukrainien. Nous assistons
à son point culminant de
fascisme avec la bande qui règne
actuellement à Kiev.
Tout cela a été fait au nom de la
nécessité de fourrer un doigt dans
l’œil de Vladimir Poutine, dont le
grand péché a été de flanquer un grand
coup de pied dans le derrière
d’oligarques voleurs et de s’opposer
aux prétentions des États-Unis à
l’hégémonie mondiale. Le but ultime de
Washington est un
changement de régime au Kremlin,
pour y réinstaller une marionnette dans
le genre Eltsine, qui, lorsque
Washington lui dit «Saute !», demande:
«A quelle hauteur?».
Que les dirigeants américains soient
prêts à courir le risque d’une Troisième
Guerre mondiale pour atteindre leur but
souligne la folie pure de la politique
étrangère états-unienne. Le dernier
document officiel US sur la
stratégie de sécurité nationale met
la nouvelle guerre froide au
centre de la vision diplomatico-militaire
de Washington – un accent tellement
monstrueusement déplacé qu’il est
difficile de croire qu’ils sont sérieux.
Pourtant, vous feriez mieux de le
croire: c’est ce qu’on peut attendre
d’une future administration démocrate,
si cela doit arriver, avec Hillary
Clinton amenant la slavophobie de son
mari – vous souvenez-vous de la
guerre du Kosovo ? – à de nouveaux
sommets de déraison.
Les Etats-Unis n’ont pas à interférer
dans la guerre civile en Ukraine, ni
aucun intérêt légitime de sécurité dans
la question de savoir qui administre la
Crimée – qui a été russe depuis l’époque
de la Grande Catherine. L’idée que nous
allons nous confronter à la Russie sur
cette question est un non-sens dangereux
– et, malheureusement, c’est précisément
le genre de non-sens auquel les
politiciens des deux partis ont de la
peine à résister.
Il y a même quelques prétendus
libertariens qui ne peuvent
résister à la tentation de ranimer la
guerre froide, notamment la faction
OTAN-ienne, volubile et bien placée, des
Étudiants pour la liberté
(SFL), qui a
dénoncé Ron Paul pour ses prétendues
déclarations pro-Poutine (c’est-à-dire
non interventionnistes) sur l’Ukraine.
Ron doit comparaître à leur prochaine conférence
internationale, en présence de
plusieurs
des plus puissants otaniens : on
espère qu’il leur donnera une bonne
intervention, quoi qu’une fessée soit
peut-être plus appropriée pour ces
gamins bruyants. Ces jeunes qui parlent
pour ne rien dire affirment qu’on peut «développer
des arguments convaincants pour les deux
positions en politique étrangère, la
mondialiste et la non interventionniste»,
mais que «Ron Paul a franchi la
ligne». Ce sont eux qui ont franchi
la ligne: aucun libertarien n’est ou ne
peut défendre une politique étrangère mondialiste –
parce que la conquête du globe, vous le
savez,
est l’affaire de l’État.
Évidemment, maintenant que l’Ukraine
– où la
SFL a tenu une conférence – jette en
prison les déserteurs et fait taire
toute dissidence, nous n’avons pas
entendu un son de la part de ces jeunes
guerriers froids. Ils parlent beaucoup
de liberté, mais pas là où cela peut
vous attirer des ennuis.
Le danger principal pour la liberté
et la paix ne se trouve pas au Kremlin,
à Pékin ou en Corée du Nord – il est
juste là, aux Etats-Unis d’Amérique,
dans l’épicentre mondial du mal,
autrement dit Washington, D.C. Ceci,
affirment nos libertariens
internationalistes, n’est que
vulgaire anti-américanisme,
mais ces étrangers n’ont que peu de
notions de ce qu’est le véritable
américanisme. Les pères
fondateurs de ce pays doivent se
retourner dans leurs tombes quand les
usurpateurs à Washington flétrissent la
réputation de l’Amérique en faisant couler
le sang d’innocents dans le monde entier
et, ce faisant, profanent la
Constitution. Le véritable américanisme
signifie s’opposer à ces monstres qui
sèment le chaos sur la terre et
détruisent nos libertés au pays – et non
répercuter leurs rationalisations
justifiant des guerres d’agression sans
fin.
Addendum important:
Le cas de Ruslan Kotsaba, mentionné plus
haut, n’a fait l’objet d’aucun article
dans les grands médias occidentaux. Je
répète : nulle part. Les
médias allemands ont repris
l’information, et le Japan Times
a publié un article
à ce propos. Ce
service d’informations quelque peu
obscur, qui semble centré sur les
nouvelles d’outre-mer, rapporte une
très brève
information. Une minuscule mention
sur Radio Free Europe, le
moulin à propagande fondé par le
gouvernement, qui ne donne évidemment
aucun détail. Et c’est tout sur le
sujet. Vous ne lirez probablement pas
grand chose dans les médias mainstream –
même si Kotsaba est lui-même un
journaliste, et vous ne vous attendrez
pas à ce que d’autres journalistes lui
accordent la moindre attention.
Ce n’est que lorsque nous sommes en
plein dans une nouvelle guerre froide
avec la Russie que le moulin à
propagande se met à tourner
frénétiquement.
Vous n’aurez qu’ici des informations
à ce sujet, sur Antiwar.com – et c’est,
je le crains, l’horrible vérité. Oui,
c’est déprimant, surtout si vous lisez
la transcription
de l’audience du tribunal,
qui offre toute la crédibilité d’un
procès spectacle stalinien. Un
gouvernement ukrainien à qui nous
donnons des milliards, et qui pourrait
être prochainement armé par notre
gouvernement pourri, emprisonne des
journalistes pour le crime de
prononcer des paroles interdites. Et
tout cela est fait dans l’obscurité, à
l’abri d’un rideau de silence – un
silence maintenu par le quatrième
pouvoir anglophone.
Aidez-nous à dire la vérité au peuple
américain – ne laissez pas Antiwar.com
disparaître. Parce qu’il est plus
nécessaire que jamais.
Faites un don. Parce que la vérité
compte.
Justin Raimondo | 8 février 2015
Traduit par Diane, relu par MB, pour
Arrêt sur Info
Article original: http://original.antiwar.com
Le
dossier Ukraine
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