Palestine
En expulsant en masse les Bédouins,
Israël veut chasser tous les
Palestiniens de leurs terres ancestrales
Jonathan Cook
Les habitants du
village bédouin d'Al-Arakib réagissent
avec désespoir au moment où les
autorités israéliennes d'occupation
détruisent le village pour la 65ème
fois, le 12 juin 2014. L'administration
israélienne des terres (ILA), appuyée
par d'importantes forces de police, est
entrée dans le village tôt le matin et a
détruit toutes les structures, y compris
la mosquée - Photo : Oren Ziv/Activestills.org
Vendredi 6 décembre 2019
Jonathan Cook
– Des dizaines de milliers de gens
sont chassés de leurs foyers parce que
leurs nombres constituent une menace
démographique majeure pour un État juif.
La lutte menée
depuis de nombreuses décennies par des
dizaines de milliers d’Israéliens pour
empêcher qu’ils soient arrachés de leurs
foyers – pour la deuxième ou troisième
fois pour certains – devrait constituer
une preuve suffisante qu’Israël n’est
pas la démocratie libérale à
l’occidentale qu’il prétend être.
La semaine
dernière, 36 000 Bédouins – tous
citoyens israéliens – ont découvert que
leur État allait faire d’eux des
réfugiés dans leur propre pays en les
poussant dans des camps de transit. Ces
Israéliens, apparemment, n’appartiennent
pas à la bonne espèce de citoyens.
Le traitement
qu’ils subissent fait écho à un passé
douloureux. En 1948, 750 000
Palestiniens ont été expulsés de leur
patrie par l’armée israélienne afin de
laisser place à l’État juif nouvellement
établi. C’est ce que les Palestiniens
appellent la Nakba.
Israël est toujours
critiqué pour son occupation par la
force de terres qui ne lui appartiennent
pas, pour sa politique illégale
d’expansion des colonies sur les terres
palestiniennes et pour ses attaques
militaires répétées surtout contre Gaza.
Assez rarement ,
les observateurs rappellent la
discrimination systématique menée contre
les 1,8 millions de Palestiniens dont
les ancêtres ont survécu à la Nakba et
vivent à l’intérieur d’Israël, en
principe comme citoyens.
Mais chacune de ces
formes d’oppression est le plus souvent
considérée isolément, pas comme aspect
d’un projet d’ensemble. Il y a pourtant
une ligne directrice qui permet de
comprendre tout cela, c’est cette
idéologie qui déshumanise les
Palestiniens chaque fois qu’Israël les
rencontre.
Cette idéologie a
un nom. Le sionisme est le fil
conducteur qui permet de relier le passé
– la Nakba – avec les pratiques
actuelles d’Israël : le nettoyage
ethnique subi aujourd’hui par les
Palestiniens chassés de leurs foyers en
Cisjordanie et dans Jérusalem-Est, la
destruction de Gaza, et la politique
systématique d’éviction des Palestiniens
citoyens d’Israël de ce qui reste de
leurs terres ancestrales et leur
confinement dans des ghettos.
La logique
d’Israël, même si ses partisans les plus
naïfs ont du mal à le comprendre, est de
remplacer les Palestiniens par des
juifs. C’est ce qu’Israël appelle
officiellement la judaïsation.
La souffrance des
Palestiniens n’est pas un effet fortuit
du conflit. Il est le but même visé par
le sionisme : pousser les Palestiniens
encore présents à partir
« volontairement » afin de fuir
l’étranglement et la misère.
L’exemple le plus
frappant de cette stratégie de
remplacement de peuples est dans le
traitement réservé aux 250 000 bédouins
qui, officiellement, ont la citoyenneté
israélienne.
Les Bédouins
constituent la communauté la plus pauvre
en Israël et vivent dans cette vaste
région semi-aride du Néguev, dans le
sud. Parce qu’ils ne suscitent que très
peu l’attention internationale, Israël a
eu toute latitude dans ses efforts pour
les « remplacer ».
C’est la raison
pour laquelle une décennie après avoir,
en principe, achevé ses opération de
nettoyage ethnique de 1948 et gagné la
reconnaissance des capitales
occidentales, Israël a continué
secrètement à expulser des milliers de
Bédouins en dehors de ses frontières,
cela en dépit de la qualité de citoyens
que faisaient valoir ces gens.
Dans le même temps,
d’autres Bédouins en Israël ont été
poussés en dehors de leurs terres
ancestrales pour être confinés, soit
dans des camps soit dans des villages
planifiés par l’État qui devinrent les
communautés les plus pauvres en Israël.
Il est difficile de
taxer les Bédouins, simples paysans ou
pasteurs, de menace sécuritaire comme
cela a été fait avec les Palestiniens
subissant l’occupation.
Mais il se fait
qu’Israël a une définition de la
sécurité beaucoup plus vaste que celle
d’être à l’abri de toute attaque
physique. Elle signifie le maintien
d’une domination démographique juive
absolue.
Les Bédouins sont
peut-être pacifiques mais leur nombre
constituent une grande menace
démographique alors que leur mode de vie
pastoral s’accommode mal de ce que
l’État leur réserve : l’enfermement dans
des ghettos.
La plupart des
Bédouins possèdent des titres sur leurs
terres bien antérieurs à la création
d’Israël. Mais Israël n’en a cure et va
jusqu’à criminaliser des dizaines de
milliers de Bédouins en refusant
d’accorder à leurs villages la
reconnaissance légale.
Depuis des
décennies, ces gens sont forcés de vivre
dans des abris de fortune ou des tentes,
les autorités refusant de leur accorder
le droit de construire des habitations
décentes et de bénéficier de services
publics tels que l’école, l’eau et
l’électricité.
Il ne reste aux
Bédouins qu’un seul choix pour vivre
dans la légalité : abandonner leurs
terres ancestrales et leur mode de vie
et accepter d’être conduits vers des
camps de regroupements prévus par l’État
et marqués par la pauvreté.
Beaucoup de
Bédouins ont résisté, s’accrochant à
leurs terres historiques en dépit des
conditions très dures qu’on leur a
imposées.
Un de ces villages
bédouins non-reconnus, Al Araqib, a été
utilisé par les autorités israéliennes
pour servir d’exemple. Les forces
israéliennes ont détruit les habitations
précaires de ce village plus de 160 fois
en moins d’une décennie. En août, un
tribunal israélien a appuyé une décision
de l’État d’imposer à six villageois une
amende de 370 000 dollars pour ces
expulsions répétées.
Le dirigeant d’Al
Araqib, le Cheikh Sayah Abu Madhim, âgé
de 70 ans , a récemment passé des mois
en prison après sa condamnation pour
violation de propriété alors que sa
tente n’est qu’à un jet de pierres du
cimetière où sont enterrés ses aïeux.
A présent les
autorités israéliennes commencent à
perdre patience à propos des Bédouins.
L’année dernière en
janvier, des plans prévoyant en urgence
l’expulsion forcée de près de 40 000
Bédouins de leurs maisons sises dans des
villages non reconnus ont été divulgués.
Ces plans, se présentant comme « projets
de développement économique », visent à
réaliser l’expulsion la plus massive
depuis des décennies.
Le mot
“développement” (comme d’ailleurs celui
de “sécurité”) a un sens très spécial en
Israël. Il ne veut pas dire autre chose
que « développement juif » ou bien
« judaïsation » et ne concerne pas du
tout sur ce plan-là les Palestiniens.
Le projet en
question prévoit une nouvelle autoroute,
une ligne de transport électrique de
haute tension, une zone d’essais
d’armements, une zone de tirs et une
mine de phosphate.
Il a été révélé la
semaine dernière que les familles
seraient poussées vers des centres de
transit sis dans les townships – ces
zones d’habitat spéciales prévues par
l’État – pour y vivre pendant des années
dans des conditions temporaires, en
attendant que leur sort définitif soit
décidé en haut lieu. Ces sites sont déjà
comparés aux camps de réfugiés établis
pour les Palestiniens à la suite de la
Nakba.
L’intention à peine
dissimulée est d’imposer aux Bédouins
des conditions de vie tellement
mauvaises qu’ils seraient forcés
d’accepter d’être confinés pour toujours
dans ces townships et selon les
conditions d’Israël.
Six experts
éminents en Droits de l’Homme des
Nations Unies ont envoyé en été à Israël
une lettre dans laquelle ils
protestaient contre les graves
violations, au regard du Droit
international, des droits des familles
bédouines, en précisant que des
approches alternatives étaient
possibles.
Adalah, un groupe
d’action légale pour les Palestiniens en
Israël note qu’Israël poursuit depuis
sept décennies une politique d’expulsion
des Bédouins qui traite ceux-ci, non pas
comme des êtres humains mais comme des
pions qu’il peut déplacer à sa guise
pour les remplacer par des colons juifs.
L’espace de vie des
Bédouins s’est continuellement réduit et
leur mode de vie a tout simplement été
écrasé. Une situation qui contraste
fortement avec l’expansion rapide des
colonies juives, villes et fermes
mono-familiales, sur les terres dont
sont expulsés les Bédouins.
Il est difficile de
ne pas conclure que ce qui se passe là
est une version administrative
« intérieure » du nettoyage ethnique que
les autorités israéliennes mènent de
façon plus ouverte et sous prétexte de
sécurité dans les territoires occupés.
Cette pratique
d’expulsions incessantes ressemble moins
à une politique nécessaire et réfléchie
qu’à un tic nerveux aussi hideux que
l’idéologie qui l’a généré.
*
Jonathan Cook a obtenu le Prix
Spécial de journalisme Martha Gellhorn.
Il est le seul correspondant étranger en
poste permanent en Israël (Nazareth
depuis 2001). Ses derniers livres sont :
«
Israel and the Clash of Civilisations :
Iraq, Iran and the to Remake the Middle
East » (Pluto Press) et «
Disappearing Palestine : Israel’s
Experiments in Human Despair » (Zed
Books).
Consultez
son site personnel.
16 octobre 2019
–
JonathanCook.net – Traduction :
Chronique de Palestine – Najib Aloui
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