Palestine
Réaction au cessez-le-feu à Gaza
Jean Bricmont
Dessin de
l’artiste Yace
Mercredi 27 août 2014
Qui a gagné? Pour
répondre à cette question, il ne faut
pas partir du nombre de morts. Le fait
de tuer un grand nombre de civils n’est
pas la même chose que de gagner une
guerre, sinon l’Allemagne aurait gagné
contre l’URSS, la France aurait gagné en
Algérie et les Américains au Vietnam.
Pour évaluer qui a
gagné, il faut tenir compte du rapport
de force et des objectifs proclamés
d’une guerre. En accusant sans preuve le
Hamas d’avoir kidnappé et tué trois
adolescents israéliens, et en se lançant
dans une vaste opération répressive
contre le Hamas sur la base de ces
accusations, c’est clairement Israël qui
est responsable du déclenchement des
hostilités. Quels étaient leurs buts? Ce
n’est pas tout-à-fait clair, mais ils
visaient certainement à affaiblir le
Hamas. L’échec de ce point de vue là est
total. Le Hamas et les autres
organisations de résistance armée
sortent renforcés par le simple fait
qu’ils ont survécu au déluge de feu
israélien. Les tunnels détruits seront
reconstruits et de nouvelles roquettes
finiront bien par entrer à Gaza, malgré
les « contrôles », comme cela été le cas
dans le passé.
Le plus important
est que le prestige du Hamas, comme
celui du Hezbollah lors de la guerre du
Liban en 2006, grandit aux yeux de la
« rue arabe » tant méprisée par nos
intellectuels et nos médias, mais qui
tôt ou tard pèsera sur les gouvernements
des pays arabes dont la passivité et la
lâcheté ont singulièrement contrasté
avec l’héroïsme de la résistance.
Du point de vue de
cette résistance, le succès est partiel,
mais net: les Israéliens ont été obligés
de négocier avec ceux avec qui ils ne
négocieraient « jamais », et ils
admettent sur le papier une levée
partielle du blocus, ce qui est mieux
que la situation avant guerre. Bien sûr,
il reste à voir si ce qui est signé sera
réalisé, mais le simple fait de cette
reconnaissance est un recul pour eux et
une immense victoire pour les
Palestiniens.
Il ne faut pas
ignorer que c’est avant tout la
résistance armée et les tirs de roquette
qui sont à l’origine de ce résultat. On
ne combat pas l’armée israélienne avec
des proclamations sur facebook, même si
les réseaux sociaux ont joué un rôle de
contre-information et de coordination du
mouvement mondial de solidarité avec la
Palestine, lequel a peut-être, qui sait,
amené les Etats-Unis à faire de
discrètes pressions sur leurs chers
« alliés ».
Mais, et il faut
aussi le souligner, c’est une énorme
défaite pour nos médias (contournés par
les médias alternatifs et de plus en
plus dé-crédibilisés), et pour ceux
parmi nos intellectuels qui nous parlent
sans arrêt de processus de paix
(inexistant), de « dialogue » (inutile
tant que le rapport de force ne change
pas), de solution à deux états (dont les
Israéliens ne veulent manifestement pas)
et qui excellent dans l’art du
terrorisme intellectuel appelé « lutte
contre l’antisémitisme ».
On m’accusera sans
doute de « soutenir le Hamas ». Je
répondrai que c’est m’attribuer un rôle
que je n’ai pas les moyens d’exercer: un
simple individu, sans arme et sans
argent, qui ne fait que combattre
l’endoctrinement et la propagande de
guerre dans sa propre société n’a
absolument pas les moyens de soutenir
une organisation militaire à des
milliers de kilomètres de chez lui.
Par contre, en
affaiblissant nos bellicistes et nos
impérialistes, la résistance
palestinienne, comme les Vietnamiens ou
les Algériens dans le temps, nous
soutiennent. Le « nous » étant la
probable majorité silencieuse en
Occident, qui veut respecter le droit
international et donc le principe de non
ingérence, accepter la coexistence
pacifique entre systèmes sociaux
différents, cultiver son jardin et
pouvoir dire ce qu’elle pense.
Par Jean Bricmont
le 27 août 2014
Professeur de
physique théorique et mathématique,
Université de Louvain, Belgique. Auteur
de plusieurs articles sur Chomsky,
co-directeur du Cahier de L’Herne n° 88
consacré à Noam Chomsky. Il a publié
notamment avec Alan Sokal Impostures
intellectuelles (1997), À l’ombre des
Lumières avec Régis Debray (2003) et
Impérialisme humanitaire (2005). Son
dernier ouvrage : La République des
censeurs. Editions de l’Herne, 2014
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