Actualité
Encore une fois la Chine
Jean-Claude Delaunay
Pékin – 7 avril 2020
Bonjour mes amis, mes camarades de
France. Inutile de mettre vos masques
pour lire ce papier. D’abord vous n’en
avez pas, si j’en crois une récente
enquête de Médiapart (02/04/20).
Ensuite, il n’est pas question de
développer ici un point de vue médical
ou documentaire sur ce virus qui a
envahi le monde, sur cette étrange
petite boule couverte de pustules et de
piquants qui, lorsqu’elle nous pénètre,
nous crée de grands soucis.
Je vais vous dire
quelques mots d’un autre virus, qui,
lui, nous a entièrement pénétrè et qui
nous fait le plus grand tort, le
capitalisme monopoliste financier, qui
nous ronge le sang et dont nous ne
savons pas comment nous dépêtrer, parce
que nous avons peur de prendre le seul
médicament qui vaille en la matière, le
socialisme.
Bien sûr, en Chine,
où je vis depuis quelques années, je ne
subis pas au jour le jour les
conséquences du capitalisme. Et puis je
suis retraité, je suis même un vieux
retraité. Mais justement, sans prétendre
du tout être l’incarnation de la
sagesse, dans la mesure où, dans la rue,
je marche encore droit, je vais vous
dire en toute lucidité quelques mots du
socialisme chinois. Et croyez-moi, cela
est très lié au virus qui nous préoccupe
aujourd’hui.
Ce que, au début,
on a appelé le coronavirus, puis le
nouveau coronavirus, et que l’on appelle
maintenant le Covid 19 (je dirai
désormais le C19 pour faire court), est
apparu en Chine à la mi-décembre 2018,
dans la ville de Wuhan, une ancienne
ville chinoise, située sur les bords
du Yang Tse, dotée d’une université
séculaire, une zone aujourd’hui très
industrielle, de 11 millions
d’habitants. Cela dit, ce virus n’a pas
été immédiatement identifié comme un
générateur de pneumonies ainsi que
d’autres attaques graves des reins et du
cœur. Mais les cas se sont multipliés.
Et en janvier 2020, les autorités de
santé de la province du Hubei, ainsi que
du gouvernement central, ont compris
qu’il s’agissait de quelque chose qui
n’était pas le SARS (Severe acute
respiratory syndrom), lequel affecta
la Chine en 2002-2003, mais qui
présentait néanmoins de grands dangers.
De plus, c’était une épidémie dont la
particularité était de se diffuser très
rapidement.
Les autorités de ce
pays ont immédiatement réagi,
contrairement à celles des pays
occidentaux, et elles ont alerté le
monde entier. Très vite, décision fut
prise de clore Wuhan, à partir du 23
janvier, 1 jour avant le début de
l’année lunaire. Dans leur masse, les
Chinois ont alors commencé à se rendre
compte que les choses étaient graves. La
Chine est un immense pays, dont la
superficie est aussi grande que celle
des Etats-Unis. Il faut à peu près 5
heures d’avion pour aller de New-York à
San Francisco (Est-Ouest) et 3 heures
d’avion pour aller de Nanning à Beijing
(Sud-Nord). Et Beijing est encore loin
de la frontière Nord la plus éloignée.
Bref, il a fallu un certain temps pour
qu’il devienne clair, au sein de la
population, que l’épidémie ne serait pas
cantonnée à la province du Hubei mais
qu’elle allait gagner toute la Chine,
qu’elle allait se répandre comme un
liquide que l’on a renversé sur la
nappe, et que chacun serait concerné
directement. C’est le mérite de
dirigeants responsables que d’être un
peu en avance sur la population dont ils
assument le gouvernement. Je vais rendre
compte, sans faire un travail de
recherche approfondi, des décisions qui
furent alors prises. Je vais les classer
sous trois rubriques, qui formeront les
parties de ce texte :
-
Les décisions d’ordre général
relatives au virus. Elles sont comme
les infrastructures de toutes les
autres décisions ;
-
Les décisions et actions relatives
aux malades ;
-
Les décisions et actions
collatérales, les conséquences.
Les décisions
générales.
Elles ont concerné
tout d’abord la mobilisation intense de
certains secteurs de la société pour
lutter contre l’épidémie. Il s’est agi
du gouvernement central ainsi que des
gouvernements provinciaux. Je pense
qu’au cours des trois derniers mois, ces
personnes ont eu des nuits très courtes
et des journées très longues.
Dans un cas
semblable, deux autres secteurs sont
immédiatement mobilisés : l’armée et la
police. A cela s’est ajoutée la
mobilisation complète des médecins et
des infirmières, ainsi que du personnel
complémentaire. Enfin, on ne doit pas
oublier le Parti communiste chinois
(PCC). Je ne vais pas dire que les 79
millions de membres se sont
immédiatement présentés au siège de leur
organisation pour se porter volontaires.
Mais parmi ses membres, il y a des gens
qui y croient, que voulez-vous !
Je tendrais même à
penser que le nombre des communistes
chinois qui se sont portés volontaires
pour les tâches induites par la lutte
contre le C19, a été plus grand que
celui des membres de «En marche» pour
des tâches semblables.
Ces décisions
générales ont ensuite concerné la
télévision. Ce grand moyen d’information
a contribué à la diffusion rapide et à
l’explication des consignes de sécurité
personnelle : port obligatoire et
nécessaire d’un masque en dehors de chez
soi, règles d’hygiène indispensables,
diverses recommandations. Dans la rue,
ici, en Chine, nous portons tous des
masques. Parfois je me dis en moi-même
que si je n’avais pas de masque, je
passerais pour un terroriste. Bon, c’est
une plaisanterie, vous l’avez noté.
Je mentionne au
passage que les chaînes de télévision
payantes (films, en particulier) qui
d’ordinaire offrent gratuitement l’accès
à leur programme pendant les fêtes du
printemps (début de l’année lunaire) ont
étendu cette disposition à toute la
période pendant laquelle le C19
sévirait. Je crois qu’en France, Canal +
avait commencé d’agir ainsi mais qu’il a
dû arrêter de le faire car cela créait,
ont dit les juges, une sorte d’horrible
distorsion de la concurrence. Il est
vrai que la Chine est «une économie de
marché socialiste», et que, dans une
telle économie, on s’intéresse au
peuple. Dans une économie de marché
capitaliste, on n’est pas aussi
vulgaire.
Ces décisions
générales ont concerné enfin
l’organisation de la sécurité et du
dépistage de l’épidémie. Aujourd’hui,
par exemple, toute personne venant d’un
pays étranger à risque est
automatiquement mise en quarantaine. En
effet, les autorités chinoises observent
un léger rebond de l’épidémie et ce
rebond a l’extérieur pour origine.
Mais la sécurité a
pris d’autres formes. En Chine, tout le
monde a un téléphone portable, sauf les
chats et les chiens. Il suffit, par
conséquent, d’enregistrer sur son
téléphone ses coordonnées personnelles,
adresse, etc. Puis chaque fois que l’on
entre dans un lieu où il y a du monde,
au supermarché, dans le métro, dans un
bus, à KFC ou à Burger King, on
s’enregistre de manière simple, grâce au
téléphone, en prenant une sorte de
photo. De même, quand on sort de
l’endroit, on enregistre sa sortie à
l’aide du téléphone portable. Si l’on
s’est trouvé en contact avec « un
virussé », voire avec « une virussée »,
ou s’il s’avère que l’on était soi-même
virussé sans le savoir, on peut être
retrouvé sans trop de peine et mis en
observation.
Evidemment, en
France, certains vont trouver que cette
pratique est une atteinte aux libertés.
Oui, c’est vrai, c’est une atteinte à la
liberté de crever de cette épidémie,
voire même de faire crever d’autres
personnes.
Je dois ajouter, horribile
dictu, que dans chaque lieu public
où l’on pénètre, dans chaque ensemble
d’habitation, on nous prend la
température. Les autorités ont diffusé
une énorme quantité de thermomètres à la
fois sophistiqués de conception et
simples de manipulation. Le contrôle de
la diffusion du virus a été ainsi très
décentralisé. Au début de l’épidémie,
les policiers faisaient ce travail. Ils
arrêtaient les voitures, les cars et
prenaient la température des passagers.
C’était un travail gigantesque et
incomplet. En diffusant massivement du
matériel et en impliquant toutes les
personnes susceptibles de relever les
températures, les autorités centrales
ont considérablement accru l’efficacité
globale du contrôle. Je crois que
l’amélioration des techniques chinoises
d’intervention au cours de ces derniers
mois par rapport à 2003 (SARS),
notamment dans le domaine sécuritaire,
fut la combinaison intelligente de
décisions centralisées et d’une
application décentralisée de ces
décisions, combinaison prenant appui sur
l’accord profond de la population.
Pour clore cette
partie, je mentionne quelques aspects de
l’organisation de la vie quotidienne par
les gouvernements respectifs. Les
transports urbains ou interurbains ont
été ralentis mais n’ont pas été arrêtés.
Les lieux de détente tels que les
cinémas ont été fermés. Les supermarchés
ont continué de fonctionner selon des
règles strictes mais nullement gênantes.
Il faut dire qu’en France, par exemple,
c’est l’absence du masque qui a créé la
gêne et l’obligation (peu efficace
d’ailleurs) de se tenir à distance les
uns des autres. Mais en Chine, où tout
le monde porte un masque, et où la
population a immédiatement intériorisé
les règles de sécurité, cette gêne
n’avait pas lieu d’être.
Autre aspect des
décisions générales, que je mentionne
ici pour ne pas les oublier. 1) Les
gouvernements respectifs ont assuré
l’approvisionnement, notamment en riz et
en viandes, lorsqu’apparaissaient des
tensions sur les marchés. 2) Un certain
nombre de petits malins qui espéraient
utiliser la situation, par exemple pour
vendre des masques à des prix
prohibitifs, ou pour vendre de la poudre
de perlinpimpin à titre de prévention
contre virus, etc. ont été pincés et
jugés. Moi, je trouve ça très bien.
L’économie de marché socialiste, ce
n’est pas le pouvoir d’abuser de
personnes psychologiquement faibles et
vulnérables, ou de spéculer sur
d’éventuelles craintes et paniques
concernant les approvisionnements.
Les malades
C’est bien de
prévenir, mais il faut aussi guérir. Je
vais commencer cette partie par un
tableau reprenant, en ce début d’avril
2020, pour plusieurs pays, le nombre de
personnes affectées par le C19 et celui
des personnes décédées des suites de
cette infection.
Mes sources
concernant les cas de C19 et ses effets
mortels sont le China Daily, qui
publie chaque jour les funèbres
statistiques, elles-mêmes issues de
l’Organisation mondiale de la santé. Les
statistiques de population totale sont
les estimations basées sur les données
de l’ONU pour 2020, et diffusées sur
internet. Je n’ai pas reporté sur ce
tableau les totaux mondiaux de cas
déclarés et de décès, qui me paraissent
peu fiables. J’indique simplement que le
total mondial des cas déclarés cumulés
serait, au 5 avril, de 1,2 million et
que tous les pays sont touchés. Le
Vatican lui-même n’a pas été épargné par
la colère de Dieu puisque, à ce jour, il
compte 7 virussés. Les bénitiers de
l’endroit seraient régulièrement
désinfectés et passés au micro-onde. Sur
conseil des Chinois, paraît-il, l’eau
bénite aurait été remplacée par de l’eau
de javel, qui, comme chacun le sait,
lutte efficacement contre la noirceur et
le diable.
Cas
déclarés de C19 et décès
cumulés, au 5 avril 2020, en
Chine et dans quelques pays
capitalistes développés
|
Pays
|
Cas
déclarés
|
Décès
|
Population
|
%
|
Chine
|
81669
|
3329
|
1.439.323.776
|
0.0567
|
4.1
|
Etats-Unis
|
311301
|
8476
|
331.002.651
|
0.9404
|
2.7
|
Italie
|
124682
|
15362
|
60.460.000
|
0.2062
|
12.3
|
France
|
90848
|
7574
|
67.873.000
|
0.1340
|
8.3
|
Allemagne
|
96092
|
1444
|
83.660.867
|
0.1486
|
1.5
|
Ce tableau
est certainement insuffisant pour
analyser la situation pays par pays. Il
permet cependant de faire certains
constats.
Dans la dernière
colonne (%), la partie gauche est celle
du pourcentage des cas déclarés par
rapport à la population totale. Ils sont
tous inférieurs à 0,1%. Cette
sous-colonne serait plutôt indicative, à
mon avis, de la capacité du pays
considéré à prévenir l’attaque du virus.
De ce point de vue, la Chine serait
incontestablement le pays le plus
efficace.
L’autre
sous-colonne est celle du % des décès
par rapport au nombre de cas déclarés.
Ce ratio serait plutôt indicatif, me
semble-t-il, de la qualité et de
l’efficacité des soins apportés, en
raison de tout un ensemble de facteurs :
médicaments, infrastructures
hospitalières, appareils de soins,
nombre de médecins et d’infirmiers, etc.
Cette interprétation est, évidemment,
discutable. Mais je n’ai pas d’autres
données. J’en déduis qu’en Chine, où le
processus de contamination et de décès
est stabilisé et sur sa fin, le rapport
décès/contaminés a un sens et montrerait
que sur 100 personnes contaminées, 96
auraient été guéries. Dans les autres
pays, le processus de diffusion du C19
est en cours. Aux Etats-Unis notamment,
le nombre de décès va augmenter, à
population contaminée constante, et le
nombre des personnes contaminées va
lui-même augmenter.
Cela étant dit,
entre les pays capitalistes, qui furent
percutés par le virus, avec un décalage
par rapport à la Chine d’environ 1 mois,
et dont on peut supposer que la vitesse
de contamination fut, entre eux, à peu
près identique, des différences
apparaissent. Par la proportion des
décès, l’Italie serait la plus affectée
des 4 pays considérés, et l’Allemagne
serait la moins touchée. Il faudrait
vérifier de près la qualité de
l’enregistrement allemand des décès, en
particulier l’enregistrement du décès
des personnes âgées. En revanche, le
score des Etats-Unis est pour l’instant
inférieur à celui de la Chine (- 1.4
point de %). Mais le nombre de décès dû
au C19 dans ce pays va certainement
augmenter, en sorte que
le pourcentage de cette sous-colonne,
pour les Etats-Unis, va
vraisemblablement se rapprocher de celui
de la Chine. Ce qui ne me réjouit
absolument pas.
Ce qui me paraît
inquiétant, en revanche, est le résultat
calculé pour la France. Il montrerait,
toutes choses égales par ailleurs, que
le système français de soins est en
débandade. Un médecin français, de haute
qualification, en charge d’un hôpital,
je vais taire son nom, me faisant part
de ce que les patients avaient des
masques mais pas les médecins, m’a
notamment appris que : «…les
réanimateurs vont bien, mais ce sont
tous les cardiologues qui ont été
infectés, plutôt durement pour deux
d’entre eux…» (21/03/2020). Merci
pour eux, Monsieur Macron. Merci, Madame
Buzyn. Merci aussi, Madame Touraine.
Merci, bande de salopards.
Wuhan et le Hubei
furent vraiment le centre de cette
épidémie. C’est là que la Chine compte
le plus grand nombre de décès : 93.5% du
total des décès. La décision de clore la
zone, d’en isoler la population du reste
de la population chinoise, aussi
douloureuse fût-elle surtout en ce début
d’année lunaire, où des gens s’étaient
déplacés pour visiter la famille, était
la seule valable. Elle fut accompagnée
d’une aide proportionnée. Aussitôt prise
la décision de mettre cette ville en
quarantaine, 40.000 docteurs et le
matériel nécessaire furent dépêchés sur
l’endroit. Deux immenses hôpitaux y
furent érigés en un temps record. J’ai
repris ci-dessous la photographie de la
construction du premier des deux. Elle
fut récemment diffusée par le site « ça
n’empêche pas Nicolas».
La Chine est un
pays socialiste. C’est un pays à
économie de marché socialiste. Cela veut
dire que le marché qui y fonctionne
n’est pas un marché capitaliste. J’ai
dit cela dans mon livre sur Les
Trajectoires Chinoises. Je le répète
ici pour essayer de me faire entendre
des personnes qui ne savent pas faire la
différence entre un marché capitaliste,
orienté par le taux de profit maximum
des agents privés, et un marché
socialiste, orienté par le profit
maximum de la collectivité sous
contrainte de satisfaction des besoins
élémentaires de ses membres.
Les personnes qui
furent soignées dans les hôpitaux
chinois y furent soignées gratuitement.
Pour donner une idée du coût
d’hospitalisation supporté par le budget
chinois, je dirai que les statistiques
hospitalières indiquent que chaque
personne virussée y est restée entre 8
jours et 27 jours. Demandez les coûts
journaliers d’hospitalisation à la Sécu
et faites le calcul pour voir ce que
cela donnerait en France. Il faut
ajouter aux frais d’hospitalisation
proprement dits les frais de personnels
et de matériels, de médicaments, les
appareils respiratoires, sophistiqués.
Je n’ai aucun moyen de faire cette
évaluation.
Un détail : les
vieux Chinois ont été soignés comme les
autres. A leur sortie, tous les patients
ont eu droit à une photographie avec le
personnel et à un petit cadeau. C’est
comme ça en Chine. Comme le disait
Bourdieu, la pratique photographique est
une pratique d’intégration et les
Chinois adorent l’intégration sociale.
Ils ont le sens du groupe, le sens de la
famille, le sens du village natal, le
sens de la nation, le sens de la
solidarité nationale et internationale.
Ils sont bienveillants à l’égard des
étrangers, dont les gouvernements leur
ont pourtant fait bien des misères. Ce
sont des gens bien, les Chinois. J’ai vu
à la TV un vieux monsieur de 93 ans
sortir de l’hôpital de Wuhan, un peu
édenté, mais joyeux quand même.
Aujourd’hui, où un
certain nombre de Chinois, ayant ou non
acquis une nationalité étrangère, mais
revenant dare-dare au pays natal parce
qu’ils (ou elles) savent qu’ils y seront
soignés correctement, ont à payer,
pendant leur quarantaine (c’est une
décision récente), une pension
quotidienne hospitalière de 300
yuans/jour (soit environ 43 euros),
soins et nourriture compris. Voilà ce
que j’avais à dire sur cette deuxième
partie.
Les effets
collatéraux
Ces effets sont
nombreux. Comment les classer pour en
simplifier l’interprétation? Comme je
n’ai pas cherché à faire un compte-rendu
exhaustif de tous ces effets, je me suis
dit que le plus simple était de
choisir deux d’entre eux. Je vais donc
dire quelques mots, ci-après de : 1)
l’incidence du C19 sur l’économie
chinoise; 2) de l’action internationale
actuelle de la Chine à propos du C19.
l’incidence du
Covid-19 sur l’économie chinoise
Le premier point
que je vais évoquer est de nature
économique. Il est clair que l’épidémie
du C19 aura des conséquences économiques
importantes, en Chine et dans le monde.
Je crois que nul n’en doute, et même
Trump semble l’avoir compris.
Des chiffres
circulent. Par exemple, l’effet SARS, en
2003, aurait été de 100 milliards de
yuans en année pleine. L’effet C19, en
2020, serait 5 fois plus élevé : 500
milliards de yuans. D’autres estimations
portent sur les taux de croissance.
Caixin, par exemple, un centre
d’information économique et financière
plutôt respecté, estime que le taux de
croissance du GDP chinois pourrait être
de 5.7% au lieu de 6.0%. Il y aurait
donc une réduction du taux de croissance
annuel du PIB chinois de 0.3 point de
pourcentage, correspondant à une perte
de revenu due au C19 égale
à 2500-3000 milliards de yuans, si l’on
fait l’hypothèse que le taux de
croissance hors C19 aurait été de 6% par
rapport à 2019. Je ne vais pas
reproduire ici toutes les estimations
qui ont été faites. Comme on le voit, la
perte est ici estimée à 500 milliards de
yuans et là à 2800. L’une des
difficultés de l’estimation est de
savoir précisément quels secteurs ont
été touchés, car certains ont tourné à
plein régime, celui des matériels
sanitaires et des masques, en
particulier. Ensuite, comme l’économie
chinoise est une économie encore
largement industrielle, un retard de
production se rattrape, ce qui n’est pas
possible, ou l’est beaucoup moins, dans
les économies dont les services font 80%
de l’activité. Enfin, il y a l’inconnue
du comportement des pays capitalistes.
Les analystes
économiques et financiers sont anxieux
car, en plus de l’effet réducteur de la
croissance mondiale qui découlera
automatiquement de la baisse du PIB
chinois, une forte crise potentielle de
suraccumulation durable du capital est
en surplomb de toutes ces difficultés.
L’économie mondiale était déjà en crise
potentielle avant l’épidémie du C19. La
neige s’était accumulée. Le risque
d’avalanche est grand. Cela dit, comme
l’indiquent les Ecritures, «On ne
sait ni le jour ni l’heure». Et
puis, comme je l’ai déjà évoqué, il y a
des inconnues : Comment vont se
comporter les classes dirigeantes
nord-américaines?
Des projets
chinois, on connaît quelques traits. On
sait que la politique macro-économique à
venir sera de nature bancaire et sans
doute fiscale, et qu’elle va consister à
aider en priorité les petites et
moyennes entreprises. Ce sont souvent
des entreprises de services, pour
lesquelles par conséquent, la production
perdue ne se rattrape quasiment jamais,
à la différence des entreprises
industrielles, mais qui, pourtant,
fournissent la majorité de l’emploi,
salarié et non-salarié.
Il n’y a pas que
l’inconnue chinoise, et de loin. La
Chine exhorte, par la voie de son
président et de ses ministres, à la mise
en œuvre d’une politique économique,
commerciale et financière concertée au
plan mondial. Mais que vont faire «les
guerriers» des Etats-Unis? Comment les
classes dirigeantes complètement
pourries de ce pays pourri par
l’idéologie impérialiste vont-elles se
comporter? Quant aux classes dirigeantes
non moins pourries de France,
d’Allemagne ou d’autres pays d’Europe,
vont-elles être contraintes d’agir dans
l’intérêt des peuples ? Ce n’est pas
sûr. La peur rassemble autour
des «chefs» et «les chefs», ce sont les
représentants et représentantes du
Capital financier, pour reprendre le
concept forgé par Hilferding et repris
par Lénine.
Pour conclure ce
premier point relatif à la production
chinoise et à l’économie, je crois
pouvoir dire :
1) Que l’attaque du
C19 entraîne et va entraîner, à court
terme, des pertes de revenu, supérieures
à celles qu’avait causé l’épidémie du
SARS, mais selon moi difficiles à
chiffrer.
2) Que le
gouvernement chinois n’a pas envisagé
une seconde de faire quand même
travailler la population. Il a choisi,
pour mettre le plus rapidement possible
un terme à l’épidémie, en Chine et dans
le monde, l’arrêt quasiment complet de
la production chinoise, sauf pour faire
face à l’urgence médicale et sauf pour
assurer les conditions de vie et de
transport minimales des Chinois.
3) Que le
gouvernement central et les
gouvernements provinciaux seront
mobilisés pour aider les petites et
moyennes entreprises en difficulté. Ce
sont les sources de l’emploi et des
sources importantes de l’innovation.
Elles seront sérieusement aidées.
4) Que le
gouvernement de la Chine s’est engagé,
quelle que soit l’ampleur de la
contraction de l’économie mondiale à ne
pas arrêter la chaîne industrielle. Cela
veut dire, par exemple, que les
personnes qui, en France, prennent
chaque jour des petites pilules pour
réduire leur hypertension artérielle,
sont assurées qu’elles pourront
continuer à le faire, bien que leur
médicament soit aujourd’hui
exclusivement produit en Chine
l’action
internationale actuelle de la Chine à
propos du C19
Le deuxième point
que je crois nécessaire de souligner
parmi les conséquences de la crise
sanitaire actuelle est l’activité que,
de manière visible mais aucunement
ostentatoire, et pour contribuer à la
surmonter. la Chine déploie aujourd’hui
dans le monde. Alors que la grande Chine
et le petit Cuba sont de tous les fronts
pour aider les populations en
difficulté, la puissante Amérique n’aide
personne, étant d’ailleurs peu capable
de s’aider elle-même. Les dirigeants de
ce pays sont tout juste bons à interdire
que les Iraniens disposent des
médicaments dont ils ont un urgent
besoin et à envoyer un croiseur naviguer
près des côtes venezueliennes. Par
contraste, le gouvernement socialiste de
la Chine a, sans aucune hésitation,
répondu à la demande pressante d’aide
massive que lui ont adressé l’Italie, la
Serbie, le Venezuela et le Pakistan. A
ce jour, le gouvernement chinois, de
manière plus légère et diversifiée, a
apporté de l’aide à 80 pays. Les pays
asiatiques qui le sollicitent sont, cela
se comprend, parmi les premiers à être
l’objet de son attention. Mais les pays
capitalistes ne sont pas oubliés non
plus car derrière le nom d’un pays, il y
a la réalité d’un peuple. La France
vient de recevoir une livraison de
masques. Merci la Chine, pour le peuple
français.
XIANGYANG, Hubei,
28 mars (Xinhua) — Un travailleur
fabrique des masques dans un atelier à
Xiangyang, dans la province du Hubei
(centre de la Chine), le 27 mars 2020.
Des entreprises de production des
fournitures médicales à Xiangyang ont
renforcé leur capacité de production des
équipements de protection, dont les
masques et les combinaisons de
protection, pour aider dans la lutte
contre l’épidémie de COVID-19 en Chine
et à travers le monde.
(Photo : Xie Jianfei)
Cette politique
internationale n’est pas une politique
de circonstance. C’est une ligne
stratégique de comportement, qui fut
progressivement mise au point en Chine,
mais dont l’actuelle équipe (Xi Jinping)
a codifié le langage, les formes, et a
commencé de mettre en oeuvre les
illustrations pratiques.
En 2019, l’Institut
de Recherche sur l’Histoire et la
Littérature du Parti communiste, un
institut organiquement lié au Parti
communiste chinois, a publié la
traduction française de 85 discours de
Xi Jinping, l’actuel président de la
Chine. Ces discours furent prononcés
entre 2014 et 2018 et ce livre a pour
titre : Construisons une communauté
de destin pour l’Humanité[1].
Il est la reprise du titre d’un discours
qui fut prononcé en janvier 2017, devant
l’Assemblée générale des Nations unies,
à Genève. Il part du constat que le
monde est aujourd’hui fini. Ce constat
n’est pas nouveau et Paul Valery avait
déjà, en 1931, dit quelques mots
là-dessus. Mais ce qui est nouveau est
qu’après l’épreuve de la deuxième guerre
mondiale, après l’ expérience de la
guerre froide, après les guerres
destructrices, menées ici et là par les
Etats-Unis et ses sinistres alliés, le
développement dans le monde n’a guère
avancé.
En 1815, lors de la
tenue du Congrès de Vienne, ils étaient
une poignée de souverains à régler les
affaires du monde. Personne, ou presque,
n’imaginait alors, parmi eux, que des
peuples pussent exister au delà des
frontières de l’Europe et de la
naissante Amérique. Deux siècles plus
tard, les Peuples du monde entier sont
là. Ils frappent à la porte du
Développement avec insistance. Ils
veulent entrer. L’impérialisme
mondial à direction nord-américaine à
beau faire et beau dire, il n’y peut
rien, il ne peut pas les en empêcher. L’ére
du monde fini est vraiment commencée. Il
existe maintenant des peuples, des
grands et des petits comme par exemple
la Chine et Cuba, pour tenir le drapeau
de ces exigences nouvelles. Désormais
les guerres n’auront que des perdants.
Autrefois, il n’y
avait de vainqueur que s’il y avait un
perdant. Faisons en sorte disent les
Chinois, de modifier radicalement cette
forme de la Contradiction. Faisons en
sorte, disent-ils, que les solutions de
type «gagnant-perdant» soient
définitivement remplacées par des
solutions de type «gagnant-gagnant».
C’est dans cet esprit que la Chine a
proposé la construction de nouvelles
routes de la soie, terrestre et
maritime, et qu’elle s’adresse de
manière pratique aux peuples du monde,
grands ou petits, pour coopérer avec
elle. C’est dans cet esprit qu’elle
s’est lancée dans la lutte contre le C19
et qu’elle continue d’y participer.
Cet épisode n’était
pas prévu au programme. Mais puisque la
situation est là, il faut y faire face.
Aujourd’hui, pour lutter contre la
maladie, et demain, pour reconstruire
l’économie mondiale affectée par cette
épreuve, il faut, il faudra, disent-ils
avec raison, coopérer et non se battre
comme des chiens enragés.
Conclusion
Pour conclure ce
texte, je vais avancer deux idées.
La première prend
appui sur le livre de Kyle Harper[2].
Je recommande celles et ceux qui ne
connaîtraient pas ce livre de consulter
au moins la présentation qui en est
faite sur le site de Danièle Bleitrach,
Histoire et Société (rubrique des
Textes fondamentaux). Ce livre est une
interrogation sur le poids des
phénomènes naturels dans le
développement des sociétés. Il montre
comment la mondialisation romaine de
l’époque de l’Empire a permis le
développement du commerce, le doux
commerce comme ne le disait pas
Montesquieu, mais a également favorisé
la circulation des vecteurs de maladies.
Nous sommes, toutes proportions gardées,
dans une époque comparable. Mais alors
que les pestes ont périodiquement ravagé
la population de cet Empire (peste de
Mars Aurèle (160), peste de Cyprien
(250), peste de Justinien (années 540)),
l’Humanité est en mesure aujourd’hui de
faire face à de tels phénomènes. Elle en
possède les moyens humains, techniques
et scientifiques. Ce qui lui manque le
plus, ce sont «les moyens sociaux».
La deuxième idée
est que le plus important de ces moyens
sociaux est le socialisme. Le
capitalisme industriel a fini sa course.
Il a produit tout ce qu’il pouvait
produire. Mais ses bénéficiaires ne
veulent pas quitter la place. C’est
pourquoi notre époque est une époque de
grandes luttes.
Après avoir enfin
réussi à liquider le système soviétique
en 1991, le Capital financier et ses
représentants politiques, ont cru avoir
trouvé la solution finale. Ils ont cru
que la mondialisation, placée sous leur
contrôle et la supervision
nord-américaine, résoudrait tous leurs
problèmes. Pas de chance! Ce système est
incapable de faire face aux immenses
contradictions économiques et politiques
qu’il a lui-même engendrées. Et voilà
qu’à toutes ces contradictions s’ajoute
aujourd’hui une contradiction sanitaire
révélatrice de ses limites absolues.
Nous devons être
convaincus, nous, communistes, que le
plus dangereux des virus existant
aujourd’hui, c’est l’impérialisme sous
domination américaine. Il faut lui
écraser la tête, le vaporiser de
substances pour lui mortelles, et, en
premier lieu l’arroser de cette terrible
substance que sont pour lui les
exigences des peuples.
Cela dit,
simultanément, nous devons, me
semble-t-il, comprendre que le
capitalisme a fait son temps. Le
socialisme doit prendre la relève. Il
nous revient, à nous, communistes
français, de tracer et d’éclairer, pour
la France cette voie nouvelle. La lutte
contre l’impérialisme est certainement,
au plan mondial, la plus urgente. Mais
la lutte pour le socialisme est
également nécessaire. Pourquoi, si nous
voulons contribuer au succès de toutes
ces luttes, nous priver de l’allié
chinois? Quelles leçons et quelles
actions pouvons nous déduire, pour notre
propre compte, de son expérience et de
ses propositions?
[1] Xi Jinping, 2019,
Construisons une Communanuté de Destin
pour l’Humanité, Central Compilation
and Translation Press, Beijing.
[2] Kyle Harper, 2019, Comment
l’Empire Romain s’est effondré. Le
climat, les maladies et chute de Rome,
Editions La Découverte, traduction
française de Philippe Pignarre, première
édition anglaise, 2017.
Jean-Claude
Delaunay, économiste marxiste, vit en
Chine depuis de nombreuses années.
Témoin privilégié de la façon dont
évolue et se construit la
Chine Populaire dans ces dernières
années, il a publié l’année en 2018 “Les
trajectoires chinoises de modernisation
et de développement. De l’Empire
agro-militaire à l’État-nation et au
socialisme” aux éditions Delga.
Jean-Claude Delaunay qui nous avait fait
l’amitié et l’honneur de présenter son
ouvrage sur le stand du PRCF à la fête
de l’Humanité 2018, a accepté de donner
son point de vu, depuis la
Chine, des leçons que nous apprend
la pandémie de
coronavirus et la nouvelle violente
poussée de crise du Capitalisme.
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