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Constitutionnalisation?
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Samedi 26 décembre 2015
La proposition de modification de la
Constitution est désormais pratiquement
définitive. Elle contient les conditions
de sortie de l’état d’urgence ainsi que
la volonté d’inscrire la déchéance de
nationalité pour les binationaux. Cette
proposition a connu plusieurs
modifications. Les dernières corrigent,
en partie, les erreurs du premier jet.
Mais elles retirent aussi l’argument
qu’il fallait en passer par une
modification de la Constitution. Cette
dernière devient alors un artifice
politique de la part d’un gouvernement
en pleine déroute intellectuelle.
Une
modification de la Constitution est-elle
encore justifiée ?
Suite à un avis du Conseil d’Etat[1],
le gouvernement avait décidé de passer
par une modification de la Constitution
pour le projet de loi. C’était justifié
non par la partie concernant la
déchéance de nationalité, qui
peut être l’objet d’une simple loi, mais
par la partie concernant l’état
d’urgence et sa fin. Mais, entre temps,
la partie du texte concernant l’état
d’urgence, qui était celle qui avait
suscité les réserves initiales ayant été
modifiée, la version du 23 décembre 2015
ne se distingue plus de la loi de 1955
que par les considérations sur la
déchéance de nationalité. Or, le Conseil
d’Etat a d’ores et déjà validé des cas
de déchéance de nationalité[2].
On peut, dès lors, très
sérieusement s’interroger sur la
nécessité d’en passer par une révision
de la Constitution. Une simple loi
apparaît désormais comme largement
suffisante.
Comparaison
des deux projets
Texte
d’origine |
Texte
modifié au 23 décembre |
Après
l’article 36 de la Constitution,
il est inséré un article 36-1
ainsi rédigé :
Article 36-1. – L’état
d’urgence est décrété en conseil
des ministres soit en cas de
péril imminent résultant
d’atteintes graves à l’ordre
public, soit en cas d’événements
présentant, par leur nature et
leur gravité, le caractère de
calamité publique. La loi fixe
les mesures de police
administrative que les autorités
civiles peuvent prendre, sous le
contrôle du juge administratif,
pour prévenir ce péril ou faire
face à ces événements.
La prorogation de l’état
d’urgence au-delà de douze jours
ne peut être autorisée que par
la loi. Celle-ci en fixe la
durée.
Lorsque le péril ou les
événements ayant conduit à
décréter l’état d’urgence ont
cessé mais que demeure un risque
d’acte de terrorisme, les
autorités civiles peuvent
maintenir en vigueur les mesures
prises en application du premier
alinéa pendant une durée
maximale de six mois. La loi
peut permettre, pendant la même
durée, aux autorités civiles de
prendre des mesures générales
pour prévenir ce risque.
Article 2
Après l’article 3 de la
Constitution, il est inséré un
article 3-1 ainsi rédigé :
Art. 3-1. – Un Français
qui a également une autre
nationalité peut, dans les
conditions fixées par la loi,
être déchu de la nationalité
française lorsqu’il est
définitivement condamné pour un
acte qualifié de crime ou de
délit constituant une atteinte
aux intérêts fondamentaux de la
Nation ou pour un crime ou un
délit constituant un acte de
terrorisme.
|
PROJET DE LOI
CONSTITUTIONNELLE
Le Président de la
République,
Sur la proposition du Premier
ministre,
Vu l’article 89 de la
Constitution,
Décrète :
Le présent projet de loi
constitutionnelle de protection
de la Nation, délibéré en
conseil des ministres après avis
du Conseil d’État, sera présenté
à l’Assemblée nationale par le
Premier ministre, qui sera
chargé d’en exposer les motifs
et d’en soutenir la discussion,
et en tant que de besoin, par la
garde des sceaux, ministre de la
justice.
Article 1er
Après l’article 36 de la
Constitution, il est inséré un
article 36-1 ainsi rédigé :
« Art. 36-1. – L’état
d’urgence est déclaré en conseil
des ministres, sur tout ou
partie du territoire de la
République, soit en cas de péril
imminent résultant d’atteintes
graves à l’ordre public, soit en
cas d’évènements présentant, par
leur nature et leur gravité, le
caractère de calamité publique.
« La loi fixe les mesures de
police administrative que les
autorités civiles peuvent
prendre pour prévenir ce péril
ou faire face à ces évènements.
« La prorogation de l’état
d’urgence au-delà de douze jours
ne peut être autorisée que par
la loi. Celle-ci en fixe la
durée. »
Article 2
L’article 34 de la
Constitution est ainsi modifié :
1° Le troisième alinéa est
remplacé par les dispositions
suivantes :
« – la nationalité, y compris
les conditions dans lesquelles
une personne née française qui
détient une autre nationalité
peut être déchue de la
nationalité française
lorsqu’elle est condamnée pour
un crime constituant une
atteinte grave à la vie de la
Nation ; »
2° Après le troisième alinéa,
il est inséré un alinéa ainsi
rédigé :
« – l’état et la capacité des
personnes, les régimes
matrimoniaux, les successions et
libéralités ; ».
|
On conçoit que le gouvernement
veuille réagir aussi dans le domaine
symbolique. Compte tenu du fait que la
menace est – aussi – de l’ordre du
symbolique tout autant que de l’ordre du
réel, ceci est parfaitement justifié.
Mais, les dispositions concernant la
déchéance de nationalité répondent à cet
objectif. Or, ces dispositions n’exigent
nullement une modification de la
Constitution. Dès lors, on ne peut
échapper à l’idée que le gouvernement en
voulant « constitutionnaliser » ce texte
à tout prix recherche en fait autre
chose, quelque chose de plus
politiciens. Cela serait, en toute
circonstances, une faute. Cela devient,
dans le contexte actuel, véritablement
détestable.
En l’état il convient de demander à
tous nos représentants de voter contre
au Congrès car la constitutionnalisation
de ce texte ne se justifie pas. Par
contre, si ce texte était modifié, et
l’on va préciser en quel sens, il
pourrait être voté comme une loi
« simple ».
Analyse des
dispositions des différents textes
Dans le premier projet, à l’article
36-1, il y avait une disposition très
discutable: « Lorsque le péril ou
les événements ayant conduit à décréter
l’état d’urgence ont cessé mais que
demeure un risque d’acte de terrorisme,
les autorités civiles peuvent maintenir
en vigueur les mesures prises en
application du premier alinéa pendant
une durée maximale de six mois ».
Cela permettait au gouvernement de faire
prolonger les mesures d’exceptions en
dehors du cadre de l’état d’urgence. Or,
toutes les tentatives pour les prolonger
subrepticement sont odieuses et vont à
l’encontre même du principe de l’état
d’urgence. Ces formulations
ont été corrigées dans la version du 23
décembre 2015. On est
désormais en présence d’un texte qui
est, en réalité, très proche de la loi
initiale de 1955 sur l’état d’urgence et
qui ne pose plus les mêmes problèmes de
constitutionnalité. Cette nouvelle
formulation est correcte, mais ne
justifie plus la constitutionnalisation
du texte.
Par ailleurs, dans la seconde partie
du texte d’origine, dans l’article 3-1,
la formulation employée, qui est – elle
– inchangée entre le projet originel et
le projet du 23 décembre, continue de
manquer de clarté. Cette formulation
permettrait des usages de la déchéance
de nationalité qui seraient des abus par
rapport à la Constitution et qui sont
clairement anti-démocratique. Rappelons
ici que l’on ne conteste nullement le
principe de la
déchéance de nationalité, principe qui
est constitutionnel. L’un des points
litigieux est que la notion « d’intérêts
fondamentaux de la Nation » n’est
toujours pas définie. Cette formulation
devient, dans le projet du 23 décembre
2015 et sous la forme d’un article 2 :
« crime constituant une atteinte
grave à la vie de la Nation ». La
formulation est tout aussi imprécise,
voire l’est encore plus. Disons le tout
net, ceci constitue une faute grave car
cela ouvre la voie à tous les abus
possibles. Il y a bien ici une faute
grave de la part du gouvernement que de
ne pas avoir plus et mieux précisé qui
il visait.
La formulation de l’article 3-1
proposé aurait donc dû être la suivante,
dans le cas d’une loi simple, procédure
qui semble désormais devoir s’imposer du
fait des modifications apportées à
l’article 36-1 :
Art. 2. – Tout
français détenteur aussi d’une autre
nationalité qui aurait rejoint les rangs
de l’organisation se disant « Etat
Islamique en Syrie et au Levant », ou
d’une organisation apparentée,
organisations dont les crimes atroces
commis tant en France que dans le monde
ont justement révolté le peuple français
et dont les pratiques s’opposent aux
principes défendus dans la Constitution
de la République ainsi que dans son
Préambule et violent les principes les
plus fondamentaux de l’humanité, s’est
mis de lui-même en dehors du peuple
français. A la suite d’une condamnation
définitive pour ces actes, qu’ils aient
été commis sur le territoire national ou
à l’étranger, il sera pris acte de sa
déchéance de nationalité.
Cette formulation proposée présente
plusieurs avantages. Elle vise nommément
les crimes commis et ne permet pas
d’interprétation abusive. Elle relie ces
crimes à des ruptures par rapport aux
principes fondateurs de la République
(dans la Constitution comme dans le
Préambule) ce qui justifie la déchéance
de nationalité, elle rappelle que la
république ne fait que prendre acte d’un
comportement par lequel une personne
s’est mise d’elle-même en dehors du
peuple français.
De fait, le texte dans sa
formulation actuelle ne peut
être accepté. Non pour des soi-disant
raisons de principes (et je répète que
la déchéance de nationalité existe déjà
dans notre Droit) mais parce que son
contenu actuel
est liberticide et ne correspond pas au
but fixé. Il faut donc appeler les
représentants de la Nation qui auront à
voter ce texte de l’amender fortement ou
de le rejeter. Ce débat est bien plus
important, et bien plus nécessaire que
le débat sur le « principe » de
déchéance de nationalité, principe qui
existe déjà dans notre Droit.
[1]
http://libertes.blog.lemonde.fr/2015/12/17/lavis-du-conseil-detat-sur-la-revision-de-la-constitution-prudence-et-embarras/
[2]
http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Decisions/Selection-des-decisions-faisant-l-objet-d-une-communication-particuliere/Ordonnance-du-20-novembre-2015-M.-D
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