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Déchéance et déchéances

Jacques Sapir


© Jacques Sapir

Vendredi 25 décembre 2015

La proposition d’inscrire la déchéance de nationalité pour les binationaux donne lieu à beaucoup d’approximations, que ce soit dans la presse ou dans les réseaux sociaux. On va tenter de répondre ici à certaines des questions qui ont été posées. Au-delà, il faut s’interroger sur le texte que la gouvernement entend présenter au début du mois de février aux représentants de la Nation. Ce texte contient des défauts immenses qui mettent en doute la volonté réelle du gouvernement quant à sa réaction face à la menace du terrorisme.

Le projet a été modifié, faisant tomber certains des arguments contre l’article 36-1. Mais ce qui est dit dans l’art. 3-1 reste tout aussi condamnable. Je maintiens donc ce billet.

Qu’est-ce qui sépare en deux les français ?

On prétend que le principe de déchéance de nationalité, parce qu’il s’appliquerait aux seuls binationaux, créerait « deux catégories » de français. En réalité, c’est l’existence de la bi-nationalité, aux côtés de la nationalité simple qui créé d’emblée deux catégories. Certains français sont reconnus comme pouvant exercer des droits politiques dans un autre pays alors que d’autres, l’immense majorité, ne le peut pas. Si donc il y a « création », il faut s’en prendre au principe de la bi-nationalité et le supprimer. Rappelons ici que sauf à reprendre une vision “identitaire” du peuple, celui-ci est une communauté politique. C’est ce qui permet de conférer la nationalité française à un étranger. C’est aussi ce qui permet de lui reprendre cette nationalité s’il ne s’en est pas montré digne.

Mais, en Droit, on reconnaît qu’il doit y avoir un équilibre entre les droits et les devoirs pour éviter de créer des citoyens dits « de second zone ». Or, ici, il est clair que les binationaux disposent de plus de droits que les nationaux simples. Jamais ceux qui protestent aujourd’hui contre le principe de déchéance ne s’en sont émus. Le fait que ces binationaux soient astreints, alors, à plus de devoirs (dans le respect des lois de la République) apparaît comme un moyen de rétablir l’équilibre qui avait été rompu lors de la création du statut de la bi-nationalité.

Par ailleurs, si le principe de déchéance ne peut s’appliquer aux nationaux simples, c’est en vertu d’une décision de justice internationale à laquelle la France a décidé de souscrire. De ce point de vue, il n’est plus – tant que ce principe reste reconnu dans le Doit français – du pouvoir du législateur de changer les choses. Un législateur qui ne peut remettre en cause un principe ne serait être tenu responsable des conséquences de ce principe. C’est le sens des décisions prises par le Conseil d’Etat sur le projet de révision présenté par le gouvernement[1]. Notons que la Conseil d’Etat a d’ores et déjà validé des cas de déchéance de nationalité[2]. L’idée selon laquelle la décision de déchoir de la nationalité française des binationaux pourrait créer deux catégories de citoyens ne résiste pas à l’analyse. Pour le coup, c’est une déchéance de la raison, c’est remplacer les mots par un contenu idéologique, c’est abdiquer devant l’esprit de parti.

C’est au contraire la création du statut de binational qui a créé cette division entre deux catégories de citoyens. La décision du gouvernement ici ne modifie rien, voire ne fait que rétablir un équilibre préalablement rompu en ajoutant un devoir à un statut qui donne en réalité plus de droits.

Le texte du gouvernement

Par contre, s’il n’y a rien à dire sur le principe de la déchéance de nationalité, il y en a beaucoup quant au projet de texte présenté par le gouvernement. J’en donne ici lecture avant de le commenter.

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Projet du gouvernement

 

Après l’article 36 de la Constitution, il est inséré un article 36-1 ainsi rédigé :

Article 36-1. – L’état d’urgence est décrété en conseil des ministres soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique. La loi fixe les mesures de police administrative que les autorités civiles peuvent prendre, sous le contrôle du juge administratif, pour prévenir ce péril ou faire face à ces événements.

La prorogation de l’état d’urgence au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi. Celle-ci en fixe la durée.

Lorsque le péril ou les événements ayant conduit à décréter l’état d’urgence ont cessé mais que demeure un risque d’acte de terrorisme, les autorités civiles peuvent maintenir en vigueur les mesures prises en application du premier alinéa pendant une durée maximale de six mois. La loi peut permettre, pendant la même durée, aux autorités civiles de prendre des mesures générales pour prévenir ce risque.

Article 2

Après l’article 3 de la Constitution, il est inséré un article 3-1 ainsi rédigé :

Art. 3-1. – Un Français qui a également une autre nationalité peut, dans les conditions fixées par la loi, être déchu de la nationalité française lorsqu’il est définitivement condamné pour un acte qualifié de crime ou de délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme.

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Dans l’article 36-1, il y a une disposition très discutable, c’est celle qui dit : « Lorsque le péril ou les événements ayant conduit à décréter l’état d’urgence ont cessé mais que demeure un risque d’acte de terrorisme, les autorités civiles peuvent maintenir en vigueur les mesures prises en application du premier alinéa pendant une durée maximale de six mois ». Cela permettrait au gouvernement de faire prolonger les mesures d’exceptions en dehors du cadre de l’état d’urgence. C’est une mesure dangereuse pour les libertés publiques. Les mesures doivent impérativement cesser du moment que cesse l’état d’urgence. Toutes les tentatives pour les prolonger subrepticement sont odieuses. Elles vont à l’encontre même du principe de l’état d’urgence. Ces formulations rendent inacceptables en l’état le texte du gouvernement.

Par ailleurs, dans l’article 3-1, la formulation employée manque de clarté et permettrait des usages de la constitution qui sont clairement anti-démocratique. Il s’agit de la formulation suivante : « , être déchu de la nationalité française lorsqu’il est définitivement condamné pour un acte qualifié de crime ou de délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ». La notion « d’intérêts fondamentaux de la Nation » n’est pas définie. C’est une faute grave. De plus les crimes et délits sont rattachés vaguement à la notion de « terrorisme ». Or, on sait quel emploi peut être fait de ce terme. Ici encore, c’est une nouvelle faute grave de la part du gouvernement. La formulation de l’article 3-1 proposé aurait dû être la suivante :

Art. 3-1. – Tout français détenteur aussi d’une autre nationalité qui aurait rejoint les rangs de l’organisation se disant « Etat Islamique en Syrie et au Levant », ou d’une organisation apparentée, organisations dont les crimes atroces commis tant en France que dans le monde ont justement révolté le peuple français et dont les pratiques s’opposent aux principes défendus dans la Constitution de la République ainsi que dans son Préambule et violent les principes les plus fondamentaux de l’humanité, s’est mis de lui-même en dehors du peuple français. A la suite d’une condamnation définitive pour ces actes, qu’ils aient été commis sur le territoire national ou à l’étranger, il sera pris acte de sa déchéance de nationalité.

La formulation proposée présente plusieurs avantages. Elle vise nommément les crimes commis et ne permet pas d’interprétation abusive. Elle relie ces crimes à des ruptures par rapport aux principes fondateurs de la République (dans la Constitution comme dans le Préambule) ce qui justifie la déchéance de nationalité, elle rappelle que la république ne fait que prendre acte d’un comportement par lequel une personne s’est mise d’elle-même en dehors du peuple français.

De fait, le texte dans sa formulation actuelle ne peut être accepté. Non pour les soi-disant raisons de principes qui ont été évoquées et révoquées plus haut. Mais parce que son contenu actuel est liberticide et ne correspond pas au but fixé. Il faut donc appeler les représentants de la Nation qui auront à voter ce texte de l’amender fortement ou de le rejeter. Ce débat est bien plus important, et bien plus nécessaire que le débat sur le « principe » de déchéance de nationalité, principe qui existe déjà dans notre Droit.

Amateurisme et manipulation

On voit ainsi que le projet du Président de la République de modifier la Constitution pour consolider l’état d’urgence et pour introduire la déchéance de nationalité contre les auteurs reconnus d’actes terroristes est marqué du double sceau de l’amateurisme et de la manipulation. C’est extrêmement grave. Quand on touche à la Constitution il convient de le faire de manière respectant tant la lettre que l’esprit de cette dernière. La prolongation des effets de l’état d’urgence ne correspond ni à la première ni au second. Quant à l’article portant sur la déchéance de nationalité, il semble avoir été rédigé avec une désinvolture telle qu’il est permis de douter des intentions de ses auteurs. Il y a là une manipulation probable de l’opinion publique.

La déchéance de nationalité s’impose face aux crimes auxquels nous sommes confrontés, tant en France qu’au Moyen-Orient. Mais, il faut dire clairement qui est visé et pourquoi il est visé par un texte, sous peine de retirer toute force à celui-ci, et d’affaiblir par la même la Constitution et ses principes fondateurs.

Au contraire, le texte pour l’instant proposé par le gouvernement institue une véritable déchéance du Droit et en cela doit être combattu.

 

Notes

[1] http://libertes.blog.lemonde.fr/2015/12/17/lavis-du-conseil-detat-sur-la-revision-de-la-constitution-prudence-et-embarras/

[2] http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Decisions/Selection-des-decisions-faisant-l-objet-d-une-communication-particuliere/Ordonnance-du-20-novembre-2015-M.-D

 

 

   

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Source : RussEurope
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