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La Grèce, la gôche, la gauche (II)

Jacques Sapir


© Jacques Sapir

Vendredi 24 juillet 2015

Cette note fait suite à la précédente[1], postée sur ce carnet le 22 juillet.

Les événements qui ont conduit au Diktat imposé à la Grèce, et ce dit Diktat lui-même, constituent un moment charnière pour ce que l’on appelle la « gauche radicale ». En un sens, la crise grecque soumet cette « gauche radicale » à un test aussi sévère que celui imposé à la social-démocratie. Si la « gauche radicale » n’est pas aujourd’hui dans la même crise que la social-démocratie, elle risque néanmoins de se trouver face à une crise d’orientation de première grandeur. En effet, l’européisme qui caractérise la « gauche radicale » a été lui aussi condamné par le Diktat imposé à la Grèce. La question est aujourd’hui posée de savoir si la « gauche radicale » va accepter de n’être qu’une force d’appoint de la social-démocratie ou si elle est capable d’assumer toutes les conséquences d’un programme de rupture. Mais, un tel programme de rupture n’est plus, aujourd’hui, compatible avec l’européisme.

Eléments de définition de la « gauche radicale »

Précisons d’abord ce que l’on entend par ce terme. Il s’agit des partis ou mouvements politiques qui se sont constitués à la gauche de la social-démocratie traditionnelle, et le plus souvent en réaction contre sa politique et ses orientations. Cela n’inclut pas les partis restés fidèles à l’identité communiste (comme le KKE grec ou le PRC italien) ni les partis ou mouvements d’extrême-gauche restés fidèles à une identité marxiste révolutionnaire, plus ou moins dénaturée par le sectarisme et le dogmatisme (comme en France le NPA ou Lutte ouvrière). Cela inclut donc Syriza en Grèce, Podemos en Espagne, le Front de Gauche en France ou encore Die Linke en Allemagne et SEL en Italie[2]. L’origine de ces partis est diverse et ceci entraîne des logiques tant politiques qu’idéologiques très particulières. De ce point de vue, la gauche radicale apparaît comme un courant ayant des aspirations communes mais qui est en réalité très hétérogène. En réalité, la culture politique et l’histoire de chaque pays se reflète dans le type de parti ou de mouvement. Si les partis de la gauche radicale se sont dotés de structures de coordination au niveau de l’Union européenne, il n’y a pas d’unité européenne de ce courant tout simplement parce que l’histoire politique de chaque pays a sa spécificité.

En France comme en Allemagne, ils se sont constitués à partir de dissidences de la social-démocratie et d’une union avec ce qui survivait des partis communistes (le PCF en France et le PDS en Allemagne), et dans certains cas rejoints par des forces d’extrême-gauche. A l’inverse, Podemos est un mouvement relativement nouveau, issu des « Indignés » qui ont été relativement fort en Espagne. La cas de Syriza en Grèce est intermédiaire, car le parti communiste grec s’était coupé en deux du temps de la dictature des colonels, avec le « Parti de l’intérieur » proche du courant dit « Eurocommuniste » qui a engendré Synapismos et le « Parti de l’extérieur » de strict obédience moscoutaire. Synapismos a été le noyau de Syriza rejoint tant par des mouvements d’extrême-gauche que par des dissidents de la social-démocratie locale (le PASOK), tandis que le « Parti de l’extérieur » s’est reconstitué dans le KKE, et continue de mener une existence sectaire, repliée sur lui-même. L’Italie est un cas particulier. En effet, le processus de dissolution du PCI (en dépit de la scission du PRC) a abouti à sa fusion dans un vaste ensemble électoral, le Parti Démocrate, qui inclut les résidus du PSI et un morceau de la Démocratie Chrétienne. L’Italie est certainement le pays ou la « gauche radicale » est la plus faible et cela a des conséquences importantes sur la structuration de l’espace politique italien. Cette faiblesse a laissée le champ libre à la fois au Movimente Cinque Stelle de Beppe Grillo, qui est devenu le deuxième parti d’Italie, qu’à la Ligue du Nord de Salvini.

Eclectisme politique et européisme

Si l’éclectisme politique, conséquence logique de l’hétérogénéité des modes de formations et de la diversité des cultures politique nationales, est l’une des caractéristiques de la « Gauche Radicale » à l’échelle européenne, on peut remarquer cependant certains traits communs en ce qui concerne l’Union européenne. Si ces divers partis ou mouvements se sont opposés, plus ou moins, aux différents traités constitutifs de l’Union européenne depuis le début des années 1990, ils n’en partagent pas moins ce que l’on peut appeler une « idéologie européiste ». Ils sont dans une large mesure convaincus que l’Union européenne, même sous la domination de la droite néo-libérale, constitue un cadre privilégié de l’action politique. Depuis la crise financière de 2007-2009, crise qui continue à faire sentir ses effets jusqu’à aujourd’hui, une partie de ces mouvements voit dans le cadre de l’Union européenne une garantie contre le retour à la situation des années 1930. Bien entendu, cette acceptation du cadre de l’Union européenne se fait avec une forte tonalité critique. Les thèmes comme « changer l’Europe » ou « changer d’Europe » sont très présents dans le vocabulaire de ces partis ou mouvements. Mais, ce « changement » d’une part reprend à son compte le fait que l’UE serait l’Europe (et non une forme d’institutionnalisation couvrant certains pays de l’Europe, au sens culturel comme géographique) et d’autre part doit se faire largement dans le cadre de certaines des institutions existantes, et c’est en particulier le cas de l’Euro.

La question de l’Euro offre un concentré des contradictions de la « Gauche Radicale ». Dans une large mesure il n’est pas remis en cause. Et l’on a vu les conséquences tragiques que cette absence de remise en cause a eues sur le comportement de Syriza ces derniers jours. Tsipras a pris la décision politique de refuser la réquisition de la Banque Centrale de Grèce et de mettre en circulation des reconnaissance de dette car il pensait, et là on ne peut lui donner tort, que ces décisions entraîneraient probablement une sortie de la Grèce de l’Euro. Ce faisant, il s’est néanmoins mis lui-même la tête sur le billot face à l’intransigeance de l’Eurogroupe. Surtout, il n’a pas compris que la gestion de l’Euro ne relevait pas de l’économie, avec un calcul coût-avantage, mais quelle relevait du politique. Les options que représentaient Syriza étaient politiquement inacceptables pour l’Eurogroupe. Demain, on risque de voir l’histoire se répéter avec Podemos qui entend situer sa revendication d’une autre politique économique à l’intérieur de la zone Euro.

Ce refus de remettre l’Euro en cause à plusieurs origines. On peut y voir les restes d’un vieux marxisme dogmatique qui considère que, finalement, la monnaie n’a pas d’importance. Seules comptent les « forces productives », dans un logique qui doit, il faut le dire, plus à Jean-Baptiste Say (« les produits s’échangent contre des produits, la monnaie est un voile ») qu’à Marx. Cette logique peut aussi se décliner sur le mode du « progrès ». Certes, l’Euro, produit du pouvoir bourgeois a bien des défauts, mais il constitue un « progrès » allant vers l’unification des espaces productifs, et une fois que les « masses populaires » auront pris le pouvoir elles pourront utiliser cet « instrument » dépouillé de ses habits bourgeois. En fait, c’est la reprise, sans doute inconsciente, de ce que Boukharine expliquait en 1915-1916 sur l’évolution des « trusts capitalistes d’Etat » qui conduiraient au socialisme en en changeant la direction politique[3]. Enfin, certains reconnaissent que l’Euro a bien des défauts, mais expliquent que la rupture de la zone Euro ramènerait l’Europe à la situation des années trente. C’est, semble-t-il, la position de Tsipras[4]. Cet européisme, qui infecte une grande partie de la « gauche radicale », risque donc fort d’être sa Némésis. On voit bien aujourd’hui qu’aucun programme économique radicalement différent du consensus austéritaire qui domine en Europe n’est possible tant que l’on persiste à adhérer à l’européisme. C’est la leçon qu’il nous faut tirer de la capitulation de Tsipras face à l’Eurogroupe[5]. Le grand historien britannique, Perry Anderson écrit ainsi : « Tsipras et ses collègues ont répété à qui voulait les entendre qu’il était hors de question d’abandonner l’euro. Ce faisant, ils ont renoncé à tout espoir sérieux de négocier avec l’Europe réelle — et non l’Europe qu’ils fantasmaient »[6]. Ceci décrit bien le piège de l’européisme dans lequel Tsipras s’est enfermé, et qui menace aujourd’hui la « gauche radicale ».

L’UE, un système semi-colonial ?

Il faut ici comprendre une chose importante : la souveraineté a été pendant longtemps un point aveugle de la « gauche radicale ». Pourtant, la « gauche radicale » a défendu la notion de souveraineté alimentaire. Elle n’a cependant jamais, jusqu’à présent, voulu sauter le pas et aller se réclamer de la souveraineté politique. Les seuls courants qui l’on fait, comme le chevènementisme en France, ont été isolés et incapable d’étendre leur influence sur la « gauche radicale », même si l’héritage de Jean-Pierre Chevènement s’étend désormais au-delà de la coupure gauche/droite.

Pourtant, il existe une tradition marxiste, certes ancienne, qui indiquait que les luttes pour la transformation de la société ne pouvaient se mener que dans le cadre d’un Etat souverain[7]. Mais, cette tradition semble avoir été emportée dans le grand processus de remise en cause de l’expérience soviétique qui s’est imposé avec la fin de l’URSS en 1991. Pourtant, une analyse du système soviétique compris comme un capitalisme d’Etat aurait permis de comprendre bien des choses, et en particulier les caractéristiques d’une trajectoire alternative dans le cadre d’un pays « semi-féodal et semi-colonial ». De fait, tout le débat sur la « nature de l’URSS » est ainsi passé à la trappe[8], en dépit de ce qu’il pouvait apporter à la compréhension des modes d’existence du capitalisme et à sa diversité, mais aussi aux alternatives possibles dans les stratégies économiques[9]. On peut penser qu’une partie des problèmes que l’on rencontre dans le débat contemporain provient de l’effet d’amnésie sur la connaissance accumulée dès années soixante à la fin des années quatre-vingt du siècle dernier, effet d’amnésie qui provient à la fois de l’émergence d’une nouvelle génération de militants politiques, et du nouveau contexte des luttes, contexte qui semblait exiger des connaissances nouvelles.

En fait, c’est le concept d’Etat « semi-colonial » qui apporte le plus de lumière sur la situation actuelle des pays européens. On peut considérer l’UE comme un système colonial mais dont la « métropole » ne pourrait être complètement identifiée. En cela ce « colonialisme » ou plus exactement ce « semi-colonialisme » n’est pas entièrement réductible à la situation de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle. Si l’Allemagne apparaît comme le pays profitant le plus des structures de l’UE, cela n’implique pas que l’UE soit le système colonial de l’Allemagne. L’UE permet le déploiement de structures financières assurant le contrôle et la domination, et ces structures financières ne sont pas réductibles au capitalisme allemand. Il s’agit plus d’un « semi-colonialisme » que d’un colonialisme simple, en ceci que les pays de l’UE conserve, à des degrés divers, des marges d’autonomie. Certains de ses pays peuvent d’ailleurs se constituer en force néocoloniale envers les pays du « Sud », même si la logique de leurs actions est soumise, in fine, à l’approbation par le système semi-colonial. Le cas de la Grèce est spécifique en ce que, sous le joug des différents mémorandums, le pays est passé d’un statut semi-colonial à un statut qui est de plus en plus directement colonial.

Dans un pays en train de passer, ou déjà entièrement passé, sous la coupe d’un système semi-colonial, la question de la souveraineté devient dès lors cruciale. Elle concentre l’ensemble des luttes pour le changement économique et social. En un sens, on pouvait penser que Syriza l’avait compris quand il fait l’alliance avec l’ANEL à la suite des élections du 25 janvier. Mais, l’européisme est resté trop puissant à l’intérieur de ce parti.

La « gauche radicale » et la question de la rupture

La question fondamentale qui est désormais ouvertement posée aux différents mouvements de la « gauche radicale » est celle du degré de leur compréhension du cadre semi-colonial dans lesquels ils sont amener à lutter, et donc du caractère primordial de la lutte pour le recouvrement de la souveraineté. Cela implique une rupture avec l’européisme, et avec la religion de l’Euro. Mais cela n’implique pas que cela. De la prise en compte de cette situation découle en réalité non seulement une stratégie politique, comment reconstruire la souveraineté et avec quelles médiations, mais aussi une tactique, autrement dit quelles seront les alliances les mieux à même de porter ce projet politique.

Bien entendu, ces questions vont se concentrer en priorité sur le rapport à l’Euro, car il est désormais l’institution qui concentre largement le contenu semi-colonial de l’UE. De ce point de vue, il faut remarquer que certains des conseillers de Yanis Varoufakis ont changé leur position sur l’Euro et se prononcent désormais pour une rupture franche avec la monnaie unique[10]. Jean-Luc Mélenchon écrit quant à lui sur son blog : « toute tentative de changer l’Europe de l’intérieur est vouée à l’impuissance si ceux qui l’entreprennent ne sont pas près à tirer instantanément et totalement la leçon d’un échec, en rompant le cadre. Autrement dit aucun plan A n’a de chance sans plan B. Et quand vient l’heure du plan B il ne faut pas avoir la main qui tremble »[11]. Si ce texte à l’intérêt de monter la détermination en cas d’échec d’appliquer une politique de rupture, ce qui est un progrès par rapport à l’émission de juillet 2012 que nous avions faites Mélenchon et moi et où il n’évoquait le fameux « plan B » que comme un moyen de réaliser le « plan A », il montre que Mélenchon n’a pas encore tiré TOUTES les leçons du Diktat imposé à la Grèce. En réalité, aucun changement de l’UE de l’intérieur n’est possible. La « Gauche Radicale » doit se fixer comme objectif premier la rupture, au moins avec les institutions dont le contenu semi-colonial est le plus grand, c’est à dire l’Euro, et elle doit penser ses alliances politiques à partir de cet objectif. Pour elle, l’heure des choix est arrivée ; il faudra rompre ou se condamner à périr.

[1] Sapir J., « La Grèce, la gôche, la gauche (I) », note publiée sur RussEurope le 22 juillet 2015, http://russeurope.hypotheses.org/4138

[2] Voir Marlière P., « La gauche radicale en Europe : esquisse de portrait », in Jean-Numa Ducange, Philippe Marlière et Louis Weber, La gauche radicale en Europe, éditions du Croquant, Paris, collection « Enjeux et débats d’Espaces Marx », Paris, 2014.

[3] Boukharine N., L’Économie mondiale et l’impérialisme 1915. traduction. Paris, Anthropos, 1977. Voir, aussi, Christian Salmon, Le Rêve mathématique de Nicolaï Boukharine, Paris, Le Sycomore, 1980.

[4] Kouvelakis S., interview donné à Sebastian Budgen, « Greece: The Struggle Continues » in Jacobin, 15 juillet 2015, https://www.jacobinmag.com/2015/07/tsipras-varoufakis-kouvelakis-syriza-euro-debt/

[5] Gianni A., « Il problema non è Tsipras ma questa Europa » in MicroMega, 22 juillet 2015, http://www.sinistrainrete.info/index.php?option=com_content&view/il-problema-non-e-tsipras-ma-questa-europa&catid=44:europa&Itemid=82

[6] Anderson P., « La débacle grecque », 22 juillet 2015, http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/220715/la-debacle-grecque-par-perry-anderson

[7] Voir, Georges Haupt, Michael Lowy et Claude Weill, Les Marxistes et la question nationale, 1848-1914, Editions Maspéro, Paris, 1974.

[8] Sapir J., “Le débat sur la nature de l’URSS: lecture rétrospective d’un débat qui ne fut pas sans conséquences”, in R. Motamed-Nejad, (ed.), URSS et Russie – Rupture historique et continuité économique , PUF, Paris, 1997, pp. 81-115.

[9] Sapir J., L’économie mobilisée. Essai sur les économies de type soviétique, La Découverte, Paris, janvier 1990; (ouvrage publié en Allemagne, dans une version traduite et augmentée en 1992, Logik der Sowjetischen Ökonomie – Oder die Permanente Kriegswirtschaft, LIT Verlag, Munster et Hambourg

[10] Munevar D., « Why I’ve Changed My Mind About Grexit », in SocialEurope, 23 juillet 2015, http://www.socialeurope.eu/2015/07/why-ive-changed-my-mind-about-grexit/

[11] Mélenchon J-L, 23 juillet 2015, https://www.facebook.com/JLMelenchon/posts/10153499370008750

 

 

   

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Source : RussEurope
http://russeurope.hypotheses.org/...

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