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Buisson, Mélenchon, la calomnie et la
démocratie
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Jeudi 19 mars 2015
La parution d’un livre sur Patrick
Buisson suscite une polémique à laquelle
Jean-Luc Mélenchon est mêlé. Les
procédés d’insinuations venimeuses, les
informations non recoupées, les
calomnies véritables, brefs toutes ces
détestables méthodes qui sont employées
par ces journalistes à gage, ces
donneurs de leçons sur ordre, ont été
ressorties en cette occasion. On accuse
ainsi, contre toute évidence, Jean-Luc
Mélenchon d’avoir été « conseillé » par
Buisson. C’est absurde, c’est honteux,
mais c’est. On connait mes désaccords
avec Jean-Luc Mélenchon en particulier
sur l’Euro mais aussi sur la Nation,
mais l’ignominie reste l’ignominie. Peut
importe qui en est la victime.
Le fantasme
du tout puissant.
Tous ces petits marquis poudrés et
ces comtesses frisotés s’appuient sur le
livre d’Ariane Chemin et de Vanessa
Schneider, Le Mauvais Génie. Ce
livre est à la politique ce que les
journaux people sont à la culture.
Quelque chose où l’on ne s’intéresse
qu’à l’anecdotique sans discussion de
fond. On y raconte des déjeuners ou des
dîners, sur la base de sources de
deuxième ou troisième main (quand elles
n’appartiennent pas à la quatrième
dimension) mais jamais on y discute
concepts, notions et représentations du
politique. Bref de la littérature à lire
d’un derrière distrait. Il y a sans
doute des lecteurs pour ce genre de
chose, grand bien leur fasse.
Le problème est que ce livre véhicule
l’idée que « certains individus »
seraient doués d’un pouvoir de nuisance
(ou de bienfaisance) quasi-surnaturel.
L’idée de discuter de la réception (ou
de la non-réception) des idées
politiques leur est à tout plein
étrangère. Ils participent, de fait, à
un ré-enchantement du monde, tout comme
les ouvrages sur les sociétés secrètes,
la magie et l’occultisme. En fait le
prototype de ce genre d’ouvrage fut
Le matin des magiciens le livre de
Louis Pauwels et Jacques Bergier en
1960. Ce livre accrédite donc une
vision complotiste de la réalité (ce qui
ne signifie pas qu’il n’y ait jamais de
« complots » mais ceci est une autre
histoire…). Et, cette vision a été
immédiatement utilisée contre Jean-Luc
Mélenchon. On peut noter d’ailleurs que
pour un certain nombre de journalistes,
ce livre ne fut qu’un prétexte. Le
procès en sorcellerie contre Mélenchon,
accusé d’être à l’origine d’une alliance
« Rouge-Brun », ne s’embarrasse pas de
preuves et ne fait aucun droit aux
arguments de la défense. Le nombre de
journalistes se prenant pour des
Torquemada est ainsi considérable.
Des mauvais
arguments pour une mauvaise politique
On peut par contre discerner
l’intérêt d’un tel procès pour ceux qui
l’instruisent. Outre le fait que « coco,
ça fait du papier, on vend, on fait du
tirage », une expression que je n’ai que
trop entendue dans des salles de
rédactions, outre le fait de « faire le
buzz » comme l’on dit, il faut bien voir
que les débats factices ainsi engendrés
permettent d’obscurcir la réalité. Le
fait que la loi Macron entérine un
formidable retour en arrière sur les
lois sociales (et je ne parle pas ici du
travail le dimanche mais de mesures bien
plus graves), que Madame la Ministre de
la santé va porter à 72 ans l’âge de la
retraite pour les médecins hospitaliers
du secteur publique, sont des faits
autrement plus graves qui
nécessiteraient un débat sur le fond.
Mais, ce débat démontrerait l’imposture
d’un P’S’ qui a depuis longtemps choisi
le camps des puissants contre les
humbles, de l’étranger (ah, Bruxelles,
Francfort…) contre celui de la France.
Une mauvaise politique implique
nécessairement de mauvais arguments.
Il faudrait ici établir la longue
liste des reniements et des trahisons de
ce pouvoir dit « socialiste ». Ces
derniers ont commencé dès que le
Président fut élu. Le vote du TSCG,
c’est à dire de l’alignement
inconditionnel et complet du
gouvernement sur l’Allemagne en fut le
symbole. Les différentes mesures
d’austérité, prises ou qui le seront
d’ici les prochains mois, en découlent.
Quand on n’est plus propre sur soi, la
seule issue reste de salir les autres.
Le fait que cette polémique éclate
quelques jours à peine avant que le
pouvoir “socialiste” ne soit confronté à
une probable défaite électorale majeure
ne révèle que trop les objectifs de
cette transparente manoeuvre.
Des règles
de débat.
Il n’en reste pas moins que la
défense de Jean-Luc Mélenchon serait
plus facile si certains des cadres du
Front de Gauche n’avaient employé les
mêmes méthodes – n’est-ce pas Monsieur
Corbières – qui sont aujourd’hui
utilisées contre Mélenchon. Car, ces
méthodes iniques, ces procédés immondes,
sont – hélas – devenus monnaie courante
dans le débat politique. Alors, je
voudrais ici rappeler à tous les
aboyeurs de tous poils et de tous
courants quelques principes de base :
- La distinction entre vie
publique et vie privée est une des
bases fondamentales de la
démocratie. Le débat doit avoir lieu
sur les idées et sur les actes
publics.
- Les idées, d’où qu’elles
viennent, peuvent être discutées
librement. On se rappelle la
honteuse attaque de notre Premier
ministre contre le philosophe Michel
Onfray. Ces attaques, ces méthodes,
visent à créer un climat de peur qui
est le contraire à l’esprit
démocratique. Les idées vivent leur
propre vie, indépendamment des
personnes qui les ont exprimées. Je
puis ainsi parfaitement discuter des
idées et concepts utilisés par Carl
Schmitt sans avoir pour autant la
moindre proximité ou la moindre
complaisance, avec cet auteur.
- Si des personnes qui viennent
d’horizons politiques différents
émettent des constats sur un point
particulier qui se révèlent
identiques, il vaut mieux
s’interroger sur ces constats que
sur les proximités supposées ou
fantasmées de ces mêmes personnes.
Ces trois principes devraient être la
base du débat démocratique. Le fait
qu’il n’en soit rien nous fournit la
preuve que pour un certain nombre de
médias, de journalistes, mais aussi de
femmes et d’hommes politiques, la
démocratie n’est plus à l’ordre du jour.
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