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Le discours de Versailles

Jacques Sapir


© Jacques Sapir

Mardi 17 novembre 2015

Le discours prononcé par le Président de la République ce lundi 16 novembre devant le Parlement réunit en Congrès à Versailles est un discours important. Dans les circonstances tragiques que nous connaissons, François Hollande a cherché à se situer à la hauteur des événements, et tous les commentaires se rejoignent pour souligner la dignité de cette réunion. Mais, un discours ayant été prononcé, il convient d’en étudier le contenu. Or ce discours est révélateur à la fois de la prise en compte du contexte et de la situation par le Président mais aussi des limites de cette prise en compte.

De l’état d’urgence à la notion de guerre

Tout en rendant un hommage aux victimes des attentats de vendredi 13, le Président affirme que nous sommes en guerre. Les mots ont un sens, et celui de guerre est particulièrement chargé dans le domaine symbolique. Il n’a donc pas été employé au hasard. Mais, il convient de s’interroger sur la formule. Il ne fait guère de doutes que ces attentats sont bien des actes de guerre, préparés dans une logique militaire et dont l’intention est plus militaire que politique, ce qui les différencient des attentats de janvier dernier. Autant ces derniers pouvaient être considérés comme « ciblés », même si l’idéologie qui préside à ce ciblage est odieuse, il n’en va pas de même cette fois ci. Ces attaques ont visé des personnes de manière indiscriminée, ou plus précisément toute personne ne vivant pas suivant les règles folles d’une pensée fanatique. Mais, il n’est pas sûr que ceci soit suffisant pour qualifier la situation de guerre, à moins de désigner précisément l’ennemi. C’est, certes, ce que fait alors le Président en désignant l’organisation qui se fait appeler l’Etat islamique et que l’on connaît sous le nom de DAECH. Il en tire alors la conclusion : « C’est la raison pour laquelle la nécessité de détruire Daech constitue un sujet qui concerne toute la communauté internationale. J’ai donc demandé au Conseil de sécurité de se réunir dans les meilleurs délais pour adopter une résolution marquant cette volonté commune de lutter contre le terrorisme ». Néanmoins, une organisation n’est pas un Etat. En assimilant les deux, en prenant au sérieux la revendication de DAECH à se présenter comme un Etat, le Président de la République prend la responsabilité d’une confusion. Et c’est en particulier le cas avec l’appel aux Nation-Unies. On sait que a tradition des socialistes, issue de la SFIO d’avant-guerre, consiste à faire une confiance, parfois aveugle, dans l’action collective internationale. Mais ici, cette action collective se heurte aux intérêts des alliés internationaux des terroristes. De toutes les manières, il est clair que cela impliquera une remise à jour de la diplomatie française.

Il y a donc ici un risque de confusion. Si cela se limite aux discours, cela n’aura pas beaucoup de conséquences. Mais, si la notion de « guerre » devait avoir une traduction directe dans les moyens utilisés, les problèmes seraient bien plus graves. Car l’organisation qui se fait appeler l’Etat islamique est diverse, traversée de contradictions, et certainement moins centralisée qu’on le croit ou qu’elle le prétend.

Il ne s’agit pas de remettre en cause la nécessité de détruire cette organisation, mais il convient de bien réfléchir aux moyens les plus efficaces. Si une action militaire s’impose, et doit être pensée comme telle avec les moyens en conséquence, pour détruire les capacités d’actions de cette organisation criminelle et reprendre les territoires qui lui fournissent ses ressources financières (Pétrole, Blé, Coton), il faut comprendre que cette seule action ne suffira pas. Il faut aussi porter et profiter de «la discorde chez l’ennemi » comme le rappelait le Général de Gaulle[1], et prévoir d’emblée une solution de stabilité qui puisse accompagner l’action armée. En un mot, la « guerre » n’est qu’une formule. D’ailleurs le Président n’a pas proposé la déclaration de guerre, ce qui serait pourtant logique avec une partie des termes de son discours. On comprend donc que la lutte contre l’organisation qui prétend s’appeler Etat islamique sera bien plus complexe qu’une guerre.

La remise en cause de la politique étrangère

Ceci pose le problème de notre politique étrangère est de nos alliances. Sur ce point, l’inflexion que lui a fait subir le Président de la République dans son discours est des plus notables. Il y a, tout d’abord, une évolution sensible de la position française, qui avait conduit à son isolement, sur la question syrienne. Reprenons le discours : « Le terrorisme, nous le combattons en Irak pour permettre aux autorités de ce pays de restaurer leur souveraineté sur l’ensemble du territoire et en Syrie nous cherchons résolument, inlassablement une solution politique dans laquelle Bachar AL ASSAD ne peut constituer l’issue mais notre ennemi, notre ennemi en Syrie, c’est Daech ». En précisant que la priorité est bien la lutte contre l’organisation se faisant appeler l’Etat islamique, et que cette priorité est valable tant en France qu’en Syrie, François Hollande reconnaît implicitement les erreurs de la diplomatie française. Il reconnaît que l’obstination à faire du départ de Bachar el-Assad un préalable ou, à tout le moins, un point important des négociations sur l’avenir de la Syrie, était une erreur. Il le fait tardivement, mais il le fait. Il convient d’en prendre acte. Il ne s’agit pas ici de chanter les louanges de Bachar El-Assad. Il est clair que le peuple syrien est fondé à lui reprocher bien des choses. Mais, la politique consiste à établir quel est le danger principal et quel est le danger secondaire. Très clairement, le danger principal était la montée en puissance du groupe dit « Etat Islamique ». C’est ici un retour au principe de réalité.

Il ajoute ensuite : « Aujourd’hui, il faut plus de frappes – nous en faisons –, plus de soutien à tous ceux qui se battent contre Daech– nous l’apportons, nous la France –, mais il faut un rassemblement de tous ceux qui peuvent réellement lutter contre cette armée terroriste dans le cadre d’une grande et unique coalition – c’est ce à quoi nous travaillons. C’est dans cet esprit que je rencontrerai dans les prochains jours le Président OBAMA et le Président POUTINE pour unir nos forces et atteindre un résultat qui pour l’instant est encore renvoyé à trop longtemps ».

La question de l’intensification de l’effort militaire a déjà été posée. Elle va s’imposer avec force, mais il serait dangereux d’y voir le seul moyen de lutte. L’important, ici, est que François Hollande prenne acte du fait que la Russie est incontournable sur les questions du Moyen-Orient. Cette demande de concertation avec la Russie est importante. Elle signifie le pivotement de notre politique étrangère. Mais se pose alors la question de nos relations avec les Etats-Unis et certains autres pays. Il convient ici d’écouter les propos que tenaient le Général Desportes lors de l’audition du 17 décembre 2014 devant LA COMMISSION DES AFFAIRES ETRANGERES, DE LA DEFENSE ET DES FORCES ARMEES du Parlement français [2]: « Quel est le docteur Frankenstein qui a créé ce monstre ? Affirmons-le clairement, parce que cela a des conséquences : ce sont les Etats-Unis. Par intérêt politique à court terme, d’autres acteurs – dont certains s’affichent en amis de l’Occident – d’autres acteurs donc, par complaisance ou par volonté délibérée, ont contribué à cette construction et à son renforcement. Mais les premiers responsables sont les Etats-Unis. » D’autres ont dit des choses semblables, et eux non plus n’ont pas été entendus.

Le tournant que prend la politique étrangère française, s’il se concrétise, devrait aussi aboutir à clarifier ces points. Il faut se réjouir de ce tournant, en particulier en ce qui concerne la Russie. On attend cependant comment ce dit tournant va se concrétiser.

Comment penser la position de la France dans l’Union européenne

Un troisième point important porte sur la position de la France vis-à-vis de l’Union européenne et de l’Euro. François Hollande a été très clair sur ce point : « Et si l’Europe ne contrôle pas ses frontières extérieures, alors – et nous le voyons aujourd’hui sous nos yeux – c’est le retour aux frontières nationales, quand ce ne sont pas les murs, les barbelés qui sont annoncés. Ce sera alors la déconstruction de l’Union européenne ». On sait qu’il est, pour le meilleur et pour le pire, un fervent européen. Mais, il ne peut pas ne pas prendre acte du fait que l’Union européenne s’est très peu engagée sur les questions de sécurités, sur le fait que les partenaires de la France sont loin d’avoir avec elle la coopération requise, et aussi que les règles de l’Union européenne, règles qui dans le domaine budgétaire découlent directement de l’Euro, sont aujourd’hui contraignantes à l’excès. Il ne dit d’ailleurs pas autre chose quand il ajoute, à propos des annonces importantes sur l’accroissement des moyens humains de la police et de la défense : « Toutes ces décisions budgétaires seront prises dans le cadre de la loi de finances qui est en ce moment même en discussion pour 2016. Elles se traduiront nécessairement, et je l’assume devant vous, par un surcroît de dépenses mais dans ces circonstances, je considère que le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité ».

En fait, le « pacte de sécurité » qui n’est autre qu’un élément important du Pacte National, va bien au-delà des seules implications budgétaires de l’accroissement des moyens. Il impose que la France retrouve au plus vite une trajectoire de croissance qui lui permette de réduire le chômage et de procéder aux investissements nécessaires tant dans le secteur public que dans le secteur privé. Cette politique est aujourd’hui contradictoire avec de nombreux textes européens, dont le TSCG que pourtant François Hollande fit voter en septembre 2012. Mais, cette politique est surtout contradictoire avec le carcan que représente pour l’économie française, et pas seulement pour elle, l’Euro. Ici, François Hollande devra choisir entre son attachement aux institutions européennes et son devoir de Président de la République française. Plus profondément, le temps d’un bilan sans concession de ce que l’Union européenne nous a réellement apportée est venu. Il vaudrait mieux le faire à tête reposée que dans l’urgence, comme on aura à le faire au premier semestre 2016 si l’on assiste à une convergence des crises politiques dans de nombreux pays, du Portugal à la Grande-Bretagne.

Une instrumentalisation de l’état d’urgence ?

Il reste un dernier point important. Concernant l’Etat d’urgence, le Président de la République a fait la déclaration suivante : « Et j’ai beaucoup réfléchi à cette question. J’estime en conscience que nous devons faire évoluer notre Constitution pour permettre aux pouvoirs publics d’agir, conformément à l’état de droit, contre le terrorisme de guerre ». Cela signifie que le Président entend constitutionnaliser des dispositions de l’état d’urgence. Cette dernière annonce est très discutable. L’état d’urgence existe dans la loi, et croire que ce serait un renforcement de l’état de droit que d’en préciser et d’en constitutionnaliser des dispositions est illusoire. Ce qui assure que le gouvernement se situe bien dans l’espace de la démocratie n’est pas telle ou telle mesure ; c’est le contexte dans lesquelles elles sont prises, c’est le but dans lesquelles elles sont prises et c’est enfin l’assurance que dès que le contexte aura changé ces mesures seront abolies. C’est cela qui distingue la Dictature au sens juridique premier que ce mot doit avoir de la au sens juridique premier que ce mot doit avoir de la Tyrannie.

David Dyzenhaus, montre comment l’obsession pour la rule by law (i.e. la légalité formelle) et la fidélité au texte tourne bien souvent à l’avantage des politiques gouvernementales quelles qu’elles soient. À plusieurs reprises, l’auteur évoque des perversions du système légal de l’Apartheid[3] en rappelant que cette jurisprudence avilissante tenait moins aux convictions racistes des juges sud-africains qu’à leur « positivisme»[4] et qu’elle était, de ce point de vue, techniquement fidèle à une vision positiviste de l’état de droit. Ceci montre la vacuité de tenter à vouloir maintenir la notion d’état d’urgence dans le cadre d’une vision positiviste de l’état de droit. Mais, cette constatation soulève un autre problème. François Hollande aurait très bien pu s’abstenir de la proposition de « constitutionnalisation » de l’état d’urgence. Ce dernier a été invoqué à de multiples reprises depuis 1955 et ceci sans que l’on ait eu besoin de « constitutionnaliser ».

La « constitutionnalisation » de mesures comme les écoutes électroniques et autres ne s’impose donc nullement. Il convient de dire que l’arsenal législatif de la France est ici suffisant, mais qu’il faut qu’il soit appliqué. L’instrumentalisation de la Constitution et de l’état d’urgence à des finalités politiciennes est donc ici à condamner avec la plus grande fermeté.

Le style c’est l’homme ?

Reste la question du style de ce discours. François Hollande a prononcé un discours où des fragments d’une grande force alternent avec des fragments d’une grande banalité, voir où il se répète. Non qu’il ne sache, ne serait-ce qu’intuitivement, que plus le sujet est grave plus il convient à un dirigeant d’être économe de sa parole. Nous ne lui ferons pas l’injure de rappeler que de César au Général de Gaulle la parcimonie dans l’expression a toujours caractérisé à l’expression du dirigeant confronté à une situation exceptionnelle. En fait, ce que nous révèle le style de ce discours, ce sont les hésitations, voire les contradictions, de François Hollande. Il est un adhérent convaincu du projet européen, mais, dans le même temps, il doit prendre acte de l’échec, au moins partiel, de ce projet. Il est très naturellement le fruit du tropisme atlantiste qui a existé au sein de la SFIO puis du Parti Socialiste, et il doit prendre acte de la divergence radicale entre les intérêts des Etats-Unis et ceux de la France. Il est un dirigeant élevé dans l’observation rigide de la légalité, ce que l’on appellera un légalisme formel, et il a du faire acte de souveraineté, au risque de se mettre en contradiction avec les principes qu’il a défendus. Il est enfin un homme arrivé au sommet du pouvoir avec une expérience politique réduite à la gestion d’un parti politique.

Cela explique, sans les justifier, les hésitations, les demi-mesures, et les imprécisions que l’on retrouve dans son discours. Cela explique aussi les tendances à l’instrumentalisation tant de la situation particulière que nous vivons que des principes de l’état d’urgence. Mais, il faut aussi lui faire crédit des inflexions, pour certaines majeures, de la politique de la France que son discours contient.

[1] De Gaulle C., La discorde chez l’ennemi, Paris, Berger-Leuvrault, 1924.

[2] http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20141215/etr.html#toc7

[3] Dyzenhaus D, Hard Cases in Wicked Legal Systems. South African Law in the Perspective of Legal Philosophy, Oxford, Clarendon Press, 1991.

[4] Dyzenhaus D., The Constitution of Law. Legality In a Time of Emergency, op.cit., p. 22.

 

 

   

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Source : RussEurope
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