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Hollande ne rit pas jaune…
Jacques Sapir
Photo: RIA
Novosti
Mardi 6 mai 2014
Ce mardi 6 mai, le Président François
Hollande est venue à la radio comme
d’autres viennent au confessionnal.
Moins dans un but d’élévation que dans
celui de s’acheter à bon compte une
bonne conscience. Il s’est plié à la
discipline de l’interview avec un
journaliste dont le
style est réputé très direct. Puis,
il s’en est suivi un face-à-face avec
les auditeurs (BFM-TV et RMC) qui a duré
plus d’une demi-heure. A cette occasion,
il a continué sa pratique du flou
artistique. Relevons ainsi que,
contrairement à ce qu’il a affirmé, la
France n’a pas connue 5 années de
stagnation. L’économie est à l’arrêt
depuis le second semestre 2011…La
croyance dans un « retournement » n’a
été fondée sur rien de sérieux. Mais,
n’est-ce point le propre d’une
croyance ? N’est-on pas en plein dans
une expression de la pensée magique,
dans l’irrationnel quand on persiste
ainsi dans une opinion ? Et pourtant, il
aurait pu se livrer à un autre exercice.
L’actualité lui en offrait l’occasion.
Hollande peut-il rire jaune ?
La visite à Paris le 6 mai du Premier
Ministre du Japon, M. Shinzo Abe, aurait
pu permettre alors de dresser une
intéressante comparaison entre la
stratégie utilisée par les autorités
japonaises et celle des autorités
françaises pour faire face à la crise.
En effet, les problèmes rencontrés par
les deux pays sont en partie
comparables. Certes ils ne le sont qu’en
partie. Soulignons immédiatement les
différences pour désarmer une critique
facile : le Japon doit faire face
aujourd’hui à une crise énergétique liée
à l’accident nucléaire de Fukushima. Ce
dramatique accident, aggravé par la
gestion calamiteuse de la société privée
de fourniture d’électricité qui était
responsable de la centrale, est un des
problèmes majeurs du Japon aujourd’hui.
Ce besoin en énergie fossile, à la suite
de l’arrêt des autres centrales,
explique pour une large part les
problèmes conjoncturels du pays. Par
ailleurs la structure industrielle et
économique du Japon est assez largement
différente de celle de la France. La
Japon est bien plus un concurrent de
l’Allemagne par son positionnement
industriel. Mais, il y a néanmoins des
similitudes frappantes.
La première vient du fait que le Japon a
connu depuis des années une situation de
déflation, à la suite d’une crise
financière et immobilière qui a été mal
gérée, et qui est assez proche de celle
qui est en train de se mettre en place
dans la zone Euro et en France. L’un des
thèmes les plus récurrents dans le
discours des spécialistes sur la
situation de la zone Euro est la
comparaison avec la « décennie perdue »
que le Japon a connue. La seconde tient
à la nécessité de réformes
structurelles, sujet sur lequel avait
trébuché justement le précédent
gouvernement.
Ce que l’on appelle les « abenomics »…
La solution choisie par M. Abe a été
radicale à bien des égards. Elle a
consisté dans une importante
dépréciation de la devise japonaise par
rapport au Dollar afin de récupérer de a
compétitivité et de sortir du cercle
vicieux de la déflation. Dans ce but, la
Banque du Japon a émis des quantités
considérables de monnaie. Cette
dépréciation a été accompagnée d’une
politique budgétaire relativement
agressive. Puis, dans un deuxième temps,
il a augmenté les impôts (la TVA) afin
d’équilibrer le budget, tout en faisant
pression sur les grands groupes
industriels japonais pour que ces
derniers augmentent les salaires et
redonnent aux consommateurs japonais du
pouvoir d’achat. On voit se dessiner une
logique séquentielle.
En fait, la dépréciation de la monnaie
initiale avait pour but de redresser les
marges des grands groupes et
généralement de l’industrie ; puis la
politique suivie par le gouvernement a
cherché à forcer ces groupes à partager
ces gains entre les travailleurs (hausse
des salaires) et l’état (hausse des
impôts). Il est intéressant de constater
que c’est une homme politique classé à
droite dans le spectre japonais qui pose
ainsi le problème de la répartition des
revenus, et du partage de la valeur
ajoutée en faveur (relative) des
salariés, comme pierre angulaire d’une
politique de sortie de crise De ce point
de vue, la dépréciation de la monnaie a
bien constitué la condition nécessaire à
la mise en œuvre d’une politique de
réformes.
Cette dépréciation initiale a été de
l’ordre de 30%, dont près de 20% en un
peu plus de 4 semaines. Elle a bien
donné une partie des résultats
escomptés, et en particulier la
croissance est repartie, les marges
bénéficiaires des entreprises se sont
spectaculairement redressées les
entreprises japonaises ont amélioré leur
position vis-à-vis de l’étranger, et il
y a eu un début d’inflation. Il reste à
voir si la suite du programme sera
tenue. Il est clair que des facteurs
exogènes, et en particulier les
conséquences tant économiques que
financières de Fukushima, pèsent sur
l’économie japonaise. Le besoin en
énergie importée, consécutif à l’arrêt
des centrales nucléaires, détériore la
balance commerciale du Japon, mais ceci
n’est pas un problème à court terme pour
le gouvernement car il veut que le taux
de change du Yen reste faible par
rapport aux autres monnaies. La dette,
qui est majoritairement détenue par la
population japonaise est sous contrôle,
et l’on peut s’attendre à ce que
s’amorce un mouvement de baisse de la
part de la dette dans le PIB, tant du
fait de la réduction du déficit que du
fait du retour de l’inflation. Mais,
l’inconnue reste le mouvement des
salaires. Les grands groupes japonais se
font tirer l’oreille pour accorde les
hausses de salaire visées par le
gouvernement.
Une dépréciation du taux de change clé
du changement.
Le bilan peut donc être considéré comme
mitigé sous certains aspects, mais pour
des raisons qui largement échappent au
gouvernement japonais. Néanmoins il est
globalement positif. Certes, la
dépréciation de la monnaie n’a pas réglé
TOUS les problèmes ; mais il n’en avait
jamais été question. Par contre, cette
dépréciation a bien fait basculer
l’économie japonaise d’une logique de
déflation vers une logique de
croissance, et – surtout – elle rend
possible des réformes structurelles qui
auraient été strictement impossibles
dans un autre contexte. C’est cette
leçon qui devrait être retenue par le
gouvernement français, si ce dernier
était logique. En fait, la situation de
la France par rapport à une éventuelle
dépréciation de la monnaie (ce qui
impliquerait de fait de sortir de
l’Euro) est en réalité plutôt meilleure
que celle du Japon. Les exportations
françaises sont en effet très sensibles
à une baisse de prix (ce que l’on
appelle « l’élasticité-prix »). De plus,
la France est bien moins dépendante des
sources extérieures d’énergie que le
Japon. Aussi, l’impact d’une
dépréciation de la monnaie de 20% aurait
des effets positifs en réalité plus
importants sur la croissance (ce qui a
été reconnue par le Ministère des
Finances), et sur l’emploi que ce que
l’on a connu au Japon. Une baisse du
chômage, outre sa dimension
psychologique, entraînerait par ailleurs
une baisse des dépenses sociales. Le
gain fiscal, à pression fiscale
constante, serait au minimum équivalent
à 1,5% du PIB, voire 2% par an. Si nous
avions fait comme les Japonais, nous
pourrions escompter un surcroît de
recettes d’environ 110 à 120 milliards
d’euros d’ici le printemps 2017. Ceci
est à comparer avec le plan d’économie
présenté par M. Valls, qui prévoit 50
milliards sur la même période… Il alors
clair que l’objectif de réduction du
déficit serait bien plus crédible. La
hausse de l’inflation, estimée de 4% à
5% dans l’année qui suivra la
dépréciation de la monnaie aura des
effets bénéfiques sur les taux
d’intérêts réels. On rappelle ici que
les taux d’intérêts réels négatifs ont
été une des conditions du fort
investissement tel que la France ‘a
connu dans la période 1945-1975. On
oublie en effet que si les taux
d’intérêts nominaux ont effectivement
baissé depuis 2012, les taux d’intérêts
réels sont restés constants, voire ont
eu tendance à augmenter du fait de la
chute brutale du taux d’inflation.
Les prérequis des réformes
structurelles.
Mais, surtout, en retrouvant une
croissance plus forte et une inflation
un peu plus élevée, la France
retrouverait des marges manœuvres pour
des réformes structurelles. Que ces
dernières soient nécessaires n’est pas
douteux, même si l’on peut diverger
quant à la nature des réformes à
entreprendre en priorité. Ce qui est
évident c’est qu’elles seront d’autant
plus difficiles à faire que la
croissance restera faible en 2014 (il
est prévu 0,9% mais en réalité il est
très peu probable que l’on dépasse
0,6%), et en 2015. En fait, le
gouvernement français devrait aussi
regarder le cas du Canada ou de la
Suède, deux pays qui ont réussi des
réformes structurelles ambitieuses. Dans
les deux cas, le préalable à cette
politique fut une forte dépréciation de
la monnaie nationale. Le fait que ces
pays aient conservé leur souveraineté
monétaire fut décisif dans la capacité à
mettre en place des réformes, et surtout
dans leur acceptabilité par la
population.
On voit bien alors où se trouve le
principal problème. La croyance dans
l’Euro, la fixation névrotique que font
les élites françaises sur la monnaie
unique, empêche toute souplesse et
condamne l’économie française à une
lente asphyxie. Très clairement, une
sortie de l’Euro ne règlerait pas TOUS
les problèmes. Une sortie de l’Euro est
certainement une condition nécessaire,
même si elle n’est nullement suffisante.
Mais, relançant vigoureusement la
croissance elle redonnerait à l’économie
française la possibilité de s’attaquer
en douceur à certains de ses défauts
récurrents.
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