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Référendum danois: le silence des
journaux
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Vendredi 4 décembre 2015
Le référendum qui s’est tenu au
Danemark le jeudi 3 décembre, et qui a
vu la victoire du « non » et des
eurosceptiques, continue de soulever des
interrogations multiples. La première
concerne le faible retentissement
médiatique de ce référendum.
Assurément, nous sommes en campagne
électorale en France. Mais, ce
quasi-silence des médias est un objet
d’étude à lui tout seul. La seconde
interrogation porte sur le sens qu’il
convient de donner à ce référendum. On
voit bien que, dans les rares
commentaires à son sujet on parle de
« questions techniques ». Techniques,
elles l’étaient assurément. Mais il faut
être bien naïf, ou bien de mauvaise
fois, pour ne pas se rendre compte que,
derrière cette dimension « technique »
la véritable question portait sur le
processus d’intégration européenne.
Le silence
des journaux
Un simple test le prouve. Une demande
de recherche sur Google actualités ne
produit que 170 résultats, dont certains
ne concernent pas les médias français.
Dans une liste d’environ 150 références
des médias français, on trouve une très
large part d’articles qui ne sont que
des reprises, soit in extenso
soit partielle de l’article publié le 3
décembre au soir par l’AFP. La
différence avec la presse anglo-saxonne
ici saute aux yeux.
Certes, ce n’est pas la première fois
que la presse française se comporte de
manière plus que désinvolte vis-à-vis
d’événements survenant dans un « petit »
pays. Cette arrogance de « grande
nation » qui ressort spontanément et en
dépit de discours pourtant ouvertement
européistes n’est pas la moindre des
choses qui m’insupportent dans les
comportements des journalistes français.
A cet égard, il est intéressant de lire
les commentaires dans les journaux
belges (Le Soir ou La Libre
Belgique) ou dans les quotidiens
suisses francophones. Ils sont souvent
de meilleures qualités que ce que l’on
peut lire dans une presse française qui
se révèle à la fois partiale et
surfaite. Mais, cette arrogance n’est
sans doute pas la cause première de ce
silence.
Ce relatif silence de la presse
française traduit, et trahit, une gêne
devant le résultat. Les danois, peuple
européens, ont rejeté une proposition de
plus grande intégration dans le cadre de
l’Union européenne. Ils l’ont rejeté de
manière très claire, ce qui a été
reconnu par le gouvernement danois. Ils
l’ont rejeté aussi dans une alliance
entre l’extrême-gauche (et la gauche
dite « radicale ») et le parti populiste
et souverainiste danois le DPP. On
constate une nouvelle fois que, quand
peuvent se retrouver sur un terrain
commun, des souverainistes de gauche et
de droite ont une large majorité. Et
ceci gêne sans doute autant, voire plus,
les éditorialistes à gages de notre
presse nationale. Cela pourrait donner
des idées au bon peuple de France. Voici
donc une autre raison de ce silence
relatif, et il faut le dire bien
intéressé. Ce référendum porte en lui
une critique de l’européisme. C’est
pourquoi il convient de faire silence
dessus. Ah, elle est belle la presse
libre en France ; elle est belle mais
elle est surtout silencieuse quand il
convient à ses propriétaires…
Une question
technique ?
Dans les rares articles que les
journaux, ou les autres médias français,
consacrent aux résultats de ce
référendum, on pointe avant tout la
nature « technique » de la question
posée : fallait-il remettre en cause les
clauses dites « d’opting-out » négociées
par le Danemark avec l’Union européenne
pour permettre une meilleure coopération
policière entre ce pays et les instances
policières européennes (Europol
pour les nommer). Mais, si l’énoncé de
la question était assurément technique,
il faut beaucoup d’aveuglement, bien de
la cécité volontaire, pour ne pas voir
que la réponse apportée par les danois
fut avant tout politique.
Il convient ici de rappeler que ce
référendum a connu une forte
participation. Près de 72% des électeurs
danois se sont déplacés pour voter, ce
qui constitue un record dans des
référendums portant sur l’Europe pour le
Danemark. C’est bien la preuve que les
danois ont compris que, derrière une
apparence technique, la
question était bien avant tout
politique. D’ailleurs, cette
dimension politique ressortait bien de
la campagne qui se déroula avant ce
référendum. Les questions de la
suspension des accords de Schengen, de
l’intégration européenne, des
coopérations multiples, furent en
réalité largement débattues.
Cette réponse donc politique
que les électeurs danois ont apporté,
elle a un sens très net : celui d’un
refus de toute nouvelle intégration
européenne. Face à des questions
essentielles, comme celles concernant la
sécurité, les danois ont clairement opté
pour le maintien de leur souveraineté et
le refus pour une plus grande
intégration. Leur réponse traduit le
profond désenchantement auquel on
assiste quant à la construction
européenne. Que ce soit dans le domaine
de l’économie ou dans celui de la
sécurité, que ce soit sur l’Euro ou les
contrôles aux frontières, c’est bien à
un échec patent de l’intégration que
l’on est confronté. Or, la réponse des
européistes à cet échec n’est pas de
s’interroger sur ses causes mais de
demander, encore et toujours, plus
d’intégration. En fait, l’intégration
européenne est devenue un dogme, une
religion. Et celle-ci n’admet aucune
critique, ne souffre aucune
contradiction. C’est pourquoi les
dirigeants poussent à une surenchère
mortelle. Mais, c’est aussi pourquoi les
peuples, qui bien souvent ne sont pas
dupes d’un discours trop formaté pour
être honnête, refusent justement cette
surenchère et exigent qu’un bilan
honnête et objectif de cette intégration
soit fait.
L’heure des
bilans
Ces bilans vont se multiplier, que
les dirigeants le veuillent ou non. La
Grande-Bretagne votera sur son
appartenance à l’Union européenne en
2016 et, n’en doutons pas, on y suit de
très près les implications du référendum
danois. On votera sans doute sur la
question de l’Euro en Finlande, en 2016
ou en 2017. Ce vote aura aussi une
importante signification. Mais, surtout,
c’est dans sa pratique au jour le jour
que l’Union européenne sera confrontée à
cette demande de bilan.
Car, il est clair que le trop fameux
« pragmatisme » européen a engendré des
monstres, qu’il s’agisse de l’Eurogroupe,
club dépourvu d’existence légale et qui
pourtant pèse d’une poids énorme comme
on l’a vu lors de la crise grecque de
l’été 2015, ou qu’il s’agisse des abus
de pouvoir que commet désormais chaque
semaine la Commission européenne. On se
souvient des déclarations de Jean-Claude
Juncker à l’occasion de l’élection
grecque de janvier dernier[1].
Leur caractère inouï fut largement
débattu. Un autre exemple réside dans la
manière dont ces institutions
européennes négocient, dans le plus
grand secret, le fameux « Traité
Transatlantique » ou TAFTA qui aboutira
à déshabiller encore plus les Etats et
la souveraineté populaire qui s’y
exprime. Le comportement de l’Union
Européenne tout comme celui des
institutions de la zone Euro appellent
une réaction d’ensemble parce qu’elles
contestent cette liberté qu’est la
souveraineté[2].
Il est plus que temps de dresser le
bilan de ces actes, d’évaluer la
politique poursuivie par les
institutions européennes et leurs
diverses affidés, de gauche comme de
droite, en Europe. On peut comprendre, à
voir l’importance de l’investissement
politique et symbolique qu’ils ont
consenti, que les dirigeants européistes
voient avec une certaine angoisse
s’avancer l’heure où ils devront rendre
des comptes. Mais, à recourir à de
quasi-censure, à des méthodes
ouvertement anti-démocratiques pour en
retarder le moment ils risquent bien de
finir par voir leurs tête orner le bout
d’un pique.
Notes
[1] Jean-Jacques Mevel in Le
Figaro, le 29 janvier 2015,
Jean-Claude Juncker : « la Grèce doit
respecter l’Europe ».
http://www.lefigaro.fr/international/2015/01/28/01003-20150128ARTFIG00490-jean-claude-juncker-la-grece-doit-respecter-l-europe.php
Ses déclarations sont largement reprises
dans l’hebdomadaire Politis, consultable
en ligne :
http://www.politis.fr/Juncker-dit-non-a-la-Grece-et,29890.html
[2] Evans-Pritchards A., « European
‘alliance of national liberation fronts’
emerges to avenge Greek defeat »,
The Telegraph, 29 juillet 2015,
http://www.telegraph.co.uk/finance/economics/11768134/European-allince-of-national-liberation-fronts-emerges-to-avenge-Greek-defeat.html
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