Pas grave que la clique de
l’émir de Doha, via la
« zakat », la charité islamique,
finance un terrorisme que
Hollande et Vals affirment
combattre. Pas plus grave que le
Qatar sponsorise l’islam
radical, versus wahhabite, dans
nos banlieues. Doha vaut bien
une messe. Basse où l’on susurre
des mots d’amour à l’oreille de
Tamim : « Tu as de beaux yeux en
or, tu sais ». Pauvre François
qui « déteste les affaires et
l’argent ». Qui pense à cette
souffrance qu’il offre au ciel
pour la rédemption du chômage en
France. A quelques mètres de ces
mains qui, d’un stylo plume or,
vont sceller le contrat
« Rafale », derrière un haut
mur, Mohamed Al Ajami est là. Il
a tout son temps et peut
attendre : quinze années de
prison pour avoir écrit un poème
qui a déplu à l’émir, ça apprend
la patience. Pas grave.
Hollande, expert en
contrepèteries et petites
blagues n’entend rien à la
poésie. Et le français
Jean-Pierre Marongiu, « retenu »
à Doha depuis deux ans ? Lui
aussi va entendre les flonflons
du bal. Mais il est acquis que
« son cas ne sera pas évoqué ».
Quand il s’agit de Droits de
l’Homme, s’il le faut, Hollande
sait se montrer aussi flexible
qu’un tuyau de douche. Ou à
géométrie variable, comme un
chasseur bombardier.
Ce qui est étrange, dans son
rôle de VRP, c’est la
versatilité de notre Président.
Un jour il refuse de livrer à
Poutine un Mistral, bateau
commandé et partiellement payé,
le lendemain il se déguise en
mamamouchi pour l’avenir des
avions de Dassault... Vous allez
objecter que la France des
Droits de l’Homme ne peut
commercer avec le « néo-tsar »
Vladimir... Pourquoi pas. Alors
parlons chiffres, pas en euros
ou dollars, mais en indice de
liberté. Selon le classement
mondial des démocraties dans le
monde, la Russie termine la
course en 117e position, alors
que le Qatar se classe 138e
entre le Kazakhstan et la
Biélorussie. Qui sont de solides
références.
Pour faire court, rappelons
que le Qatar n’a pas de
comptabilité publique, la caisse
de l’Etat est celle de la
famille régnante. Il n’est pas
doté d’une constitution puisque
Dominique de Villepin, chargé de
la besogne avec, espérons-le une
avance sur salaire, n’a toujours
pas eu le temps de la rédiger.
Les lois sont de circonstance,
et les jugements aléatoires,
prononcés par des magistrats qui
sont des mercenaires étrangers
obéissant au palais. La presse
n’existe pas et la liberté donc
pas d’avantage. Pour tout dire :
Hollande met les pieds dans un
monde assez peu « Charlie ».
Pour mémoire, citons les
centaines de milliers d’ouvriers
étrangers, et exploités dans
conditions dignes de
l’esclavage, pour l’édification
du paradis qatari.
Pourquoi une telle
mystification est-elle
aujourd’hui possible ? Celle de
nous faire croire que la Qatar
est le phare du « modernisme
arabe », tellement nimbé de
l’esprit des « Lumières » que,
dans un bras de fer contre
l’émir, Diderot pourrait aller
se coucher ? J’ai sous la main
une Bible secrète qui explique
comment, de connivence avec
Doha, nos édiles français ont
fabriqué le masque qui cache la
vraie nature de cette dictature,
telle un aimable « Larva » du
carnaval de Venise.
L’ouvrage, la fameuse
« Bible » a été éditée chez
Michel Lafon. Elle s’intitule
sobrement : « Qatar-France,
une décennie de diplomatie
culturelle 2003-2013 », mais
ne le cherchez pas en librairie,
l’usage en est réservé aux amis.
Pour attraper des mouches,
même volontaires pour leur
capture, le Qatar utilise trois
sortes de miel. Les appâts sont
différents Prix remis à des
personnalités éminentes, ou à
des groupes méritants. On compte
ainsi, remis à Paris par
l’ambassadeur Al Kuwari, le Prix
de poésie Max Jacob... Mais il
va rester marginal dans ce micro
pays où le destin des rimeurs
est la prison. Peu de rêveurs
seront récompensés par les
lauriers de ce pauvre Max Jacob
qui ne méritait pas cette
infamie posthume. Comme une
seconde mort.
Non les prix lourds, lâchés
en chaine et lestés d’un chèque
de dix mille euros, s’intitulent
« Doha capitale culturelle
arabe » ou encore
« Solidarité ». Cette dernière
récompense étant également
soutenue par EADS. Après la
préface écrite en langue de
chêne par un nègre méritant,
mais signée de l’ambassadeur,
viennent assez vite, comme la
tique sur le chien, deux autres
textes introductifs de deux
politiques qui ont, jusqu’à
l’eau, mouillé le maillot pour
Doha. J’ai cité Jack Lang, et
Renaud Donnedieu de Vabres.
Gauche droite ou droite gauche,
c’est comme on veut. Ces deux-là
sont comme un bol, ils n’ont pas
de sens. Lang tire la première
salve, y va de son extase. Le
Qatar ? « Un pays de
raffinement, d’ouverture et de
créativité »...
Ici le raffinement n’est
jamais loin du raffinage.
Donnedieu de Vabres, marquant
Jack à la culotte, nous plante
« La culture est un respect,
une liberté et un devoir »...
Parler de liberté dans
l’ambassade du Qatar c’est
causer corde dans la maison d’un
pendu.
RDDV, en forme, insiste « Il
faut bâtir un arc-en-ciel où se
conjuguent les talents, les
origines, les perspectives, les
contraires et les différences,
au lieu de laisser s’antagoniser
(sic) les peurs, les rancœurs et
les haines, qui sont les
réponses de plus en plus
ordinaires et banales à la
crise ; le terreau nauséeux dans
lequel prospère intégrisme
fanatisme et racisme » RDDV
ose ! Il parle
« d’intégrisme » dans la
chancellerie qui représente
Qaradawi, l’imam qatari qui
fouette les femmes –mais avec
discernement- et qui regrette
qu’ « Hitler avec les juifs
n’ait pas fini le travail »...
Bravo Renaud votre bassesse
mérite un Prix, vous l’aurez.
Une fois encore dans ce
« livre », plaignons les
« nègres », les malheureux qui
ont été contraints, esclaves du
mensonge, d’écrire ces
flagorneries à la brosse à
reluire.
En 2010 les petits malins qui
ont flairé que le Qatar peut
être un loto où tous les numéros
sont gagnants, ne sont pas
encore nombreux.
Les stars ne sont pas encore au
balcon et l’ambassadeur Al
Kawari doit se contenter de
distribuer ses Prix à des
joueurs de troisième division.
Ainsi les premiers lauréats de
« Doha capitale culturelle
arabe » sont-ils de sublimes
inconnus. J’ai cité le
professeur Mohamed Arkoun,
professeur émérite de pensée
islamique et Jean-Philippe Bras
directeur de l’Institut de
l’Islam. Ce Bras est bien petit.
Mais nous ne sommes qu’à
l’échauffement. Tahar Ben
Jelloun, l’éternel arabe de
service et Edmonde Charles-Roux,
qui fait si chic sur le canapé
du salon, arrivent très vite.
Comme Paul Mongin, un « nouveau
philosophe » sans chemise
décolletée.
Avec les mois les
« hirondelles », surnom jadis
donné aux amateurs de cocktails
mondains, se refilent l’adresse
de l’ambassade qui donne sur
l’Arc de triomphe. Pas de
champagne mais les petits fours
sont grands L’affiche devient de
plus en plus people et politique
et l’on se demande comment, sans
doute pris par l’ivresse du
désespoir, le merveilleux
Emmanuel Todd se fait épingler
par le chalut de la rue de
Tilsitt. Pour avoir « levé
plusieurs méprises sur les
trajectoires respectives de
l’Occident et de l’Orient
musulman »...
Autres récipiendaires en
pleine déprime, tombé là car il
pensait y retrouver Marx ou
Jésus, Régis Debray. Quand on le
voit sur la photo, quand le mal
est fait et le Prix remis, on
sait qu’il marche sur des
oursins et souhaiterait être
ailleurs. Les notes de couvreurs
ou de plombiers, souvent salées,
peuvent donc vous conduire à
accepter le Prix Doha. Nihil
obstat : Régis va en paix. Et
Jean Daniel, alors ! Notre Camus
ressuscité, va lui aussi faire
le chemin de Doha... Sans doute
au titre des grandes consciences
nécessiteuses. Le Nouvel
Observateur est un monastère et
il faut bien s’évader pour rire
un peu.
Quand vient le tour « d’un
des plus grands architectes du
monde », Roger Taillibert, nous
rentrons dans la quatrième
dimension, celle du copinage et
du renvoi d’ascenseur. Ce qui
est logique pour un homme du
bâtiment. Taillibert construit
des stades à Doha et, puisqu’il
n’est pas ingrat, il fait la pub
du Qatar à Paris. Comme ce
personnage est, bien sûr, membre
de l’Académie des Beaux-Arts, il
fait un lobbying suffisant pour
que Cheikha Moza, femme préférée
de l’émir et mère de Tamim, le
prince aujourd’hui aux
commandes, soit admise au sous
la coupole. Et, le 24 juin 2009,
sous les yeux pétillants du
président Sarkozy la splendide
première épouse (il en existe
trois autres restées à la
maison) fait un long discours.
Ni la cheikha ni le pauvre Sarko
ne comprennent ni ne connaissent
le sujet. Il s’agit d’un hommage
à Giörgy Ligeti, l’immense
musicien qui a occupé le
fauteuil de la reine avant elle.
Pour un habitué de la gratte de
Carla, c’est la barbe. Mais la
barbe n’est-elle pas le symbole
du Qatar ?
Ca y est, les politiques se
bousculent et ont trouvé la
route de l’ambassade comme le
dromadaire celle du puits. Si
les plus malins échappent à
l’embuscade, celle de recevoir
un prix que l’on sait infâmant,
ils sont quand même là pour
applaudir. Il faut connaitre la
règle, et savoir que, dès la
récompense attribuée, la photo
de l’impétrant est clouée au mur
d’un couloir de la chancellerie.
Elle vient tenir compagnie aux
autres fédérés de Doha qui sont
déjà là, comme dans un mausolée
à la soviétique. Recevoir 10 000
euros ne se fait pas impunément,
ça laisse des traces. Dans notre
livre d’or publié par Lafon et
sur les murs.
Dans le lot des politiques
les plus malins, ou les moins
c’est comme on veut, nous
trouvons, en tête, le plus
excellentissime ami du Qatar :
Dominique de Villepin. Lui c’est
la famille ; d’ailleurs il a
hébergé une fille de l’émir
quand celle-ci faisait des
études dans le si dangereux
Paris. Dominique a son rond de
serviette en or massif, gravé à
son chiffre, dans la salle à
manger de l’émir, quel qu’il
soit. Je l’ai dit, Villepin,
bradeur d’autoroutes en France,
est chargé d’écrire au Qatar une
constitution aux petits oignons.
Regrettons que, pour ce faire,
le temps lui manque plus que
l’argent...
Dans les filets nous trouvons
aussi un vieux poisson, Michel
Rocard qui a des frais
d’orthophoniste, et aussi le
sublime Hubert Védrine. Ah !
Hubert. Arrivé à l’Elysée par
Mitterrand, qui était un ami de
son papa à Vichy, voilà notre
humaniste aujourd’hui chez LVMH
dont le V est celui de Vuitton,
un homme qui aimait le Maréchal.
Donc Hubert a un tropisme
qatari, sans doute est-il
pécheur de perles ?
Comme le lecteur est étourdi
et pressé, on demande maintenant
aux journalistes d’écrire des
papiers courts. En plus ça peut
éviter des bêtises. Je vais donc
procéder par rafle. Prié de se
rendre sur le podium de Doha,
nous allons trouver Monique
Papon, sénatrice et adjointe au
maire de Nantes Jean-Marc
Ayrault. Un homme pourtant avisé
qui a un jour déclaré :
« moi, avant d’aller au Qatar,
je me méfierai »... Eh bien
sa coadjutrice n’a pas cette
délicatesse. Disons que le coût
de la jolie mosquée construite
près du siège des biscuits Lu
vaut bien une courbette. Pour
l’occasion, Gérard Larcher, le
vétérinaire de Rambouillet, mais
aussi président du Sénat, vient
faire sa visite. Passons vite
aussi sur le cas de Maurice
Leroy, un homme de conviction
passé de l’extrême gauche à
l’extrême centre, ce qui est
plus proche de l’assiette au
beurre. Leroy, que nous
pourrions appeler Le Emir est un
fou de Doha. Comme Johnny l’est
du Tennessee. C’est mieux que de
collectionner les étiquettes de
camembert. Frédéric Mitterrand,
Bertrand Delanoë, passent sous
les fourches de l’ambassadeur.
Pour convaincre Delanoë que le
massacre de l’hôtel Lambert,
chef d’œuvre architectural de
l’île Saint Louis acheté par le
Qatar, est vraiment
indispensable, un voyage à Doha
sera nécessaire. Bébert en
reviendra convaincu. Doha c’est
comme Lourdes, ça fait des
miracles.
Dans l’intervalle, le Qatar
étant devenu un must, l’employé
diplomate de l’émir distribue
des récompenses plus discrètes
mais bien utiles. Des rafales de
prix attribués à des
associations de banlieues qui
ont toutes la qualité de ne pas
être hostiles à l’islam radical.
Pour finir sur une note
d’humour. Nous allons évoquer le
plus grand caricaturiste de tous
les temps : Jean Plantu. Un
journaliste qui, quoi qu’il
arrive, trouve que Le Monde va
bien. Oui, le coriace,
l’inexpugnable Plantu montrant
déjà son esprit Charlie va
empocher le Prix Doha. Musique !
Après de tels efforts, que
son excellence l’ambassadeur
soit loué (il sévit maintenant à
Washington), comment voulez-vous
qu’au nom de la modernité du
Qatar, et de celle de sa chaîne
de télé Al Jazira (tenue par des
intégristes religieux), nos
députés et sénateurs refusent de
voter une exemption de l’impôt
sur les plus-values immobilières
touchées par le Qatar en
France ? La seule, pauvre
malheureuse, qui n’a rien
compris à ce bonneteau
politique, c’est la députée
socialiste du Finistère Chantal
Guittet. Il faudrait songer un
jour à lui dresser une statue.
Alors que ses collègues rentrent
de leurs séjours à Doha avec une
mine harassée, minés par le
travail des « colloques », elle,
en est revenue épatée : « A
Doha, je n’ai rien compris. Je
suis venue pour un Forum mais
nous n’avons fait que manger et
visiter les souks ». Voilà,
tu l’as dit Chantal, le Qatar
c’est le souk.
Bonne journée donc à François
Hollande et son appareil
magique, celui qui sert à
mesurer les Droits de l’Homme.
Bonne journée à Laurent Fabius
dont le meilleur ami, l’avocat
Jean-Michel Darrois, avait un
grand projet de fonds
d’investissement, en commun avec
Doha, Nicolas Sarkozy et
Stéphane Courbit. Entre deux
thés à la menthe, il n’y a pas
de mal à faire des projets.
Dommage que Nicolas, le frère de
tous les émirs, n’ait pas été
invité à la signature-partie.
Doha, il connait c’est son
sponsor. En sa présence on
aurait pu évoquer le bon vieux
temps. Comment Sarko et l’émir
d’alors, le papa de Tamim, ont
attaqué la Libye comme dans un
hold-up. Pour en faire ce que ce
pays est aujourd’hui, un chaos.
A propos, que sont devenus les
milliards que le naïf Kadhafi
avait entreposés dans une banque
de Doha ? Le prix d’un paquet de
Rafales ?
Jacques-Marie Bourget