Analyse
La Bataille pour Auschwitz (II)
Israël Adam Shamir

Israël
Adam Shamir
Dimanche 26 janvier 2020 Ces jours-ci,
Jérusalem a pu rivaliser avec Davos et
Bilderberg. Les personnages les plus
éminents, les plus haut-placés et les
plus puissants se sont réunis ici, pour
le Forum d'Auschwitz, au mémorial de
Yad-va-Shem, le Centre mondial pour la
mémoire de l'Holocauste: rois,
présidents, premiers ministres; une
preuve vivante que les Juifs ont un
certain ascendant sur le monde.
La Cour britannique
de St James était représentée par le
prince Charles; la France par le
président Macron; les puissants
États-Unis avaient envoyé le
vice-président Mike Pence, cette
réalisation suprême de l'Intelligence
Artificielle (il a l'air presque humain,
mais pas tout à fait). Il y avait le
gouverneur général de l'Australie, le
président de l'Autriche, le président de
l'Albanie, le président de l'Argentine,
le président de l'Arménie, le roi de
Belgique, le président de la Bulgarie,
le président de la Hongrie, le prince de
Galles, le président de l'Allemagne, le
président de la Grèce, le président de
la Turquie , le Président du Danemark,
le président de l'Islande, le roi
d'Espagne, le président de l'Italie, le
gouverneur général du Canada, le
président de Chypre, le grand-duc de
Luxembourg, le président de la Macédoine
du Nord, le président de la Moldavie, le
roi des Pays-Bas, le prince héritier de
Norvège, le président de la Roumanie, le
président de la Serbie, le
vice-président des États-Unis, le
président de la Finlande, le président
français, le président monténégrin, le
Premier ministre suédois, le président
du Conseil européen, le président du
Parlement européen, le président de la
Commission européenne…
Les hôtes avaient
tiré tout le parti possible de
l'occasion. M. Netanyahou, le Premier
ministre intérimaire israélien, a
comparé l'Iran à l'Allemagne nazie et a
déclaré que la destruction de l'Iran
aujourd'hui étaitt l'équivalent de la
libération d'Auschwitz. Le président
israélien, Reuven Rivlin, a déclaré
qu'il n'y avait pas de différence entre
antisémites et antisionistes; celui qui
est un ennemi d'Israël est l'ennemi de
tout le peuple juif, c’est aussi simple
que cela.
Cependant, à en
juger par l’attention des médias
israéliens, il n’y avait qu’un invité de
marque, le président Vladimir
Poutine. Pendant qu'il était à Jérusalem
- moins d'une journée - tous les
projecteurs étaient braqués sur lui,
tandis que les autres rois et dirigeants
faisaient partie du décor. Le pouvoir de
cet homme, son emprise sur l'esprit et
l'imagination du public, son charisme,
sont sans précédent. Il a été traité
comme un empereur en pèlerinage, comme
l'empereur Guillaume II lors de sa
visite en 1898 dans cette ville du
Moyen-Orient.
Poutine savait
pourquoi il était venu et il est resté
concentré sur son objectif. La Russie a
sauvé les Juifs il y a 75 ans; la Russie
a bien mérité le soutien des Juifs de
maintenant, en particulier par rapport
aux voisins de la Russie. Dans son
discours, il a souligné que très peu de
Juifs avaient survécu en Pologne, en
Ukraine, en Lettonie et en Lituanie, car
les habitants avaient fait tout ce qu'il
pouvaient pour capturer et massacrer les
Juifs qui réussissaient à échapper au
vice allemand. Ce n'est pas un hasard si
les présidents des trois États, la
Lituanie, la Lettonie et la Pologne,
n'étaient pas venus du tout; le
président ukrainien M. Zelensky est
venu, mais il s'est tenu à l'écart du
Forum.
Dans l'Ukraine
moderne, il y a un culte très répandu:
celui de Stepan Bandera, le collabo
ukrainien, adepte d'Hitler et chef des
gangs brutaux OUN-UPA. Ils avaient
assassiné des Juifs, des Polonais, des
Russes et des Ukrainiens politiquement
peu fiables. Récemment, la CIA a été
forcée par la loi de révéler ses
documents sur l'homme, et voici ce que
ça donne (à lire ici):
elle le tenait pour un espion nazi et un
tueur de masse, dans les documents de
l'époque. Les gangsters banderistes
avaient été éliminés par le KGB de
Staline, mais ils ont été autorisés à se
réhabiliter et à reprendre une vie
normale, car il y avait un sentiment
général selon lequel que l'insurrection
était terminée.
Depuis 2014, il y a
des rues à Kiev et ailleurs en Ukraine
qui portent son nom; ses images
embellissent les bâtiments du
gouvernement et les banderistes modernes
sont une puissante force de frappe à la
fois en Ukraine orientale contre les
séparatistes du Donbass et ailleurs
contre les russophones. Ils sont
hostiles au président Zelensky récemment
élu, le considérant beaucoup trop mou.
Zelensky n'ose pas les affronter. C'est
pourquoi il passe au large du site du
massacre de Baby Yar près de Kiev, et
cette fois-ci il est resté à l'écart du
Forum de Jérusalem, car sa présence
là-bas contrarierait les banderistes.
Un lecteur m'a
demandé si les Polonais, les Ukrainiens
et les Russes ne devraient pas insister
davantage sur les événements historiques
pour clarifier les choses. En général,
je ne le pense pas. Je pense que le
passé est passé, qu'il convient de
laisser l'histoire aux historiens, les
morts enterrer les morts. Ce qui compte
c'est de régler les problèmes du
présent. Si l’Ukraine et la Pologne,
ainsi que la Lituanie et la Lettonie,
mettaient un terme à leur politique
anti-russe étroitement liée à l’OTAN età
l’État profond américain, les Russes
oublieraient les crimes de leurs pères.
Mais si les gouvernements de ces quatre
pays poursuivaient leur politique
hostile envers la Russie, les Russes
seraient obligés de s'allier au pouvoir
juif contre ces héritiers des sbires
nazis.
Poutine avait été
traité à Jérusalem comme un fils
bien-aimé et, clairement, comme le
favori de Netanyahu et du peuple en
général. Juste en face de la Knesset (le
Parlement), a été érigé un monument aux
victimes juives du siège de Léningrad,
et Poutine a été invité à l'inaugurer.
Netanyahu était là, ainsi que des
survivants et des musiciens russes
également. Ce fut un événement important
et impressionnant, celui qui a attiré le
plus de monde, dans cette journée bien
remplie.
Je trouve de
mauvais goût de commémorer les Juifs
séparément, parmi tous les autres
disparus lors de la bataille de
Leningrad. Un de mes oncles a été tué en
1942 en défendant la ville sur la
rivière Noire, mais il s'était battu et
il était mort avec ses camarades russes.
Cependant, les Juifs ont l'air d'avoir
du mal à faire preuve d'empathie envers
les non-Juifs; ils veulent toujours des
commémorations séparées, et Poutine n'a
pas pu les forcer à faire les choses
autrement.
Poutine a été très
prudent - il n'a pas dit un mot sur
l'Iran. La Russie est l'amie de l'Iran;
les marines russe et iranienne ont fait
des exercices navals conjoints tout
récemment. Poutine n'a pas dit un mot
sur le fléau présumé de l'antisémitisme
contemporain. Juste après le Forum, il
s'est rendu dans la ville palestinienne
de Bethléem pour une réunion avec
Mahmoud Abbas, le président de la
Palestine. Les Russes sont engagés dans
la reconstruction de la rue Star menant
à la Place Manger en face de la
Basilique de la Nativité dans la ville.
Poutine était le
seul des nombreux invités du Forum à
avoir équilibré sa visite aux Juifs avec
sa visite aux Palestiniens. Il a
également rencontré le Patriarche de
Jérusalem, exprimant son soutien à
l'église autochtone de Terre sainte.
Correction
Pendant un certain
temps, Poutine avait été assez déçu par
les Israéliens. Les Israéliens sont des
gens très difficiles à gérer: quoi
qu'ils obtiennent, ils estiment que
c'est un dû. Ils n'ont aucun sentiment
de gratitude ni le moindre désir de
rendre la pareille. Poutine a fait
beaucoup pour Israël et pour Netanyahou
personnellement - il a livré à Israël la
dépouille mortelle d'un soldat israélien
tué au Liban il y a plusieurs années; il
a satisfait de nombreuses demandes,
grandes et petites, du Premier ministre
israélien. Il n'a pas exaucé des vœux
aussi exorbitants que d'expulser les
Iraniens de Syrie ou de livrer le
Messie, mais des demandes raisonnables.
Or il n’a récolté que l'aversion de la
communauté juive mondialiste en échange.
À la demande des
États-Unis, un
programmeur russe avait été détenu
en Israël en 2015. Malgré les demandes
russes, Israël avait refusé de leur
renvoyer le détenu et, tout récemment,
il a été extradé aux États-Unis, où ce
jeune homme peut s'attendre à de longues
années de prison, et peut-être à la
torture pour le forcer à «avouer» être
intervenu dans les élections
américaines. Les Russes étaient très
mécontents de cette décision
israélienne, ainsi que des bombardements
israéliens en Syrie.
Et voilà qu'en
avril 2019, une jeune femme israélienne
appelée Naama Issachar a pris un avion
de Delhi à Tel Aviv via Moscou, et à
l'aéroport de Moscou, le chien de la
brigade des stupéfiants a reniflé du
haschisch dans son sac à dos. Elle a été
détenue et condamnée à plus de sept ans
d'emprisonnement. Selon les normes
russes, c'est une peine assez lourde
pour 10 grammes de haschisch, mais dans
certains pays, elle se serait estimée
heureuse si elle avait échappé à la
peine de mort.
Les Israéliens
avaient transformé l'affaire Naama en un
outil contre Poutine et la Russie. Ils
ont dit que les Russes devraient libérer
la dame parce que, vous savez, quand
cest Israël qui le demande, personne ne
refuse. L'avocat russe de Naama, un
haïsseur convaincu de Poutine, a sapé
une tentative pour l'échanger contre le
programmeur, disant à la famille de
Naama qu'elle serait libérée de toute
façon très bientôt. La mère de Naama a
proclamé qu'elle ne voulait pas aider
Poutine, ce pourquoi elle s'opposait à
l'échange proposé. Mais Naama n'a pas
été libérée.
Àvec retard, les
Israéliens ont capté que Poutine leur en
voulait. Ils ont décidé de régler la
question. Les Russes leur avaient
demandé beaucoup de choses pendant de
nombreuses années, et les Israéliens
refusaient tout net:
- Au grand dam de
la Russie, l'immigration israélienne a
la mauvaise habitude de renvoyer les
visiteurs russes à l'aéroport de
Tel-Aviv. L’année dernière, cinq mille
visiteurs russes n’ont pas été autorisés
à entrer en Israël.
- Les biens de
l'église russe n'ont pas été restitués
ni enregistrés par les autorités
israéliennes;
- Un monastère
russe a vu son accès coupé, et une ligne
de tramway a été posée sur son
territoire, etc.
Maintenant, ils ont
décidé de répondre aux demandes russes.
Comme je l'ai découvert, le 30 décembre
2019, ils ont décidé de transférer aux
Russes l'un des lieux saints les plus
précieux, l'église Saint-Alexandre,
située à côté du Saint-Sépulcre. Ce
terrain avait été acheté par le tsar
Alexandre III au milieu du 19e siècle.
Les fouilles ont révélé une ancienne
porte et un mur de Jérusalem datant de
l'époque du Christ, probablement la
porte par laquelle Jésus sortit de la
ville pour être mené au Golgotha. Une
ouverture étroite dans le mur, qui
pourrait bien être "le chas de
l'aiguille", un minuscule passage pour
un piéton tardif mais qu'un chameau
trouverait quasiment impossible à
franchir. L'Église offrait l'hébergement
pour des invités de haut rang, et
Nicolas II y aurait apparemment séjourné
pendant sa visite en tant que prince
héritier.
Après 1918,
l'église est restée entre les mains des
émigrés russes blancs, et en 2004, elle
a été reprise par un aventurier juif
ukrainien, un certain Hoffman qui
prétendait être l'héritier et le
descendant du comte Vorontsov. Pendant
de nombreuses années, le gouvernement
russe avait exigé que l'église soit
intégrée à la propriété russe légitime,
mais les autorités israéliennes ne
voulaient rien savoir. Maintenant, ils
ont accepté de le faire, sauf si dans
les 60 jours, d'autres réclamations
venaient à être formulées. Il y a de
fortes chances pour qu'au début du mois
de mars, l'église revienne à l'Eglise de
Moscou.
Cela pourrait aussi
échouer. Les médias israéliens ont
réussi à fanatiser leur lectorat pour la
trafiquante, les rapports sur Naama ont
déplacé presque complètement le show du
Forum de l'Holocauste. Un observateur
étranger pourrait imaginer que tout ce
grand rassemblement avait pour but de
sauver la fille de Sion des griffes
russes. On a fait pression sur Poutine
pour qu'il pardonne à la jeune femme
séance tenante. Il a sagement décliné
l'invitation; il vient de donner à la
mère de Naama la réponse israélienne
standard "Ça va aller". Si Naama devait
être libérée avant le transfert de
l'église, les Juifs pourraient être
tentés de refuser le transfert. Les
Israéliens détestent donner quelque
chose gratuitement; c'est une phobie,
cette peur d'agir comme un lèche-bottes.
Il leur est plus facile de penser qu'ils
vendent l'église en échange de la fille
israélienne. Mais cette fausse
perception des choses rend également
possible une tricherie de dernière
minute.
Cependant, il
semble que les autorités israéliennes
aient décidé de raccomoder leurs
relations avec la Russie. Elles ont bien
pris soin de Poutine, elles ont préféré
sa version de l'histoire aux versions
polonaise et ukrainienne. Elles ont
reconnu le rôle décisif de l'Armée rouge
dans la destruction de la puissance
nazie et dans l'ouverture des portes
d'Auschwitz. Ce faisant, elles ont
corrigé leurs multiples torts envers les
Russes et sont clairement allées à
l'encontre des injonctions américaines.
Le vice-président
Pence n'a pas signalé que c'est l'Armée
rouge russe qui avait libéré Auschwitz.
Il a parlé de soldats américains qui ont
en effet participé à la guerre (et qui
occupent toujours l'Europe, d'ailleurs,
mais il ne l'a pas mentionné). Les
dirigeants américains comparent
généralement Staline et Hitler comme des
épouvantails jumeaux, permettant ainsi à
la Pologne et aux États baltes de se
dédouaner facilement. La nouvelle
version établie à Jérusalem n'est pas
seulement plus correcte et plus juste;
c'est aussi une pause dans la distorsion
habituelle anti-russe et une chance de
report pour la guerre nucléaire totale.
N'oublions pas que
le compte à rebours avant le Jugement
dernier nous guette toujours, et que
nous en sommes à moins 100 secondes
avant minuit,
Un Poutine
dynamique
Poutine est
tellement différent de ses
prédécesseurs, de Yeltsin le massif et
de l’obséquieux Gorbatchev! Il est
souple, agile, rapide, amical,
totalement dépourvu de pompe et de
prétentions. Il est plein d'énergie et
rapide à la riposte, mais aussi capable
de faire une tête de joueur de poker et
de garder le silence. C'est l'homme que
nous avons vu à Jérusalem. Il a
rencontré des gens, prononcé des
discours et pris des décisions - plus
qu'un jeune homme ne saurait en faire.
Et il n’est pas encore âgé, avec ses 67
ans, contrairement aux 73 de Trump et
aux 78 de Sanders. Je pense qu’il va
pouvoir abattre du travail encore
pendant de longues années.
C'est pourquoi je
doute que le changement de gouvernement
opéré la semaine dernière soit un signe
de retraite prochaine pour M. Poutine.
Pour moi, c'est juste un remaniement
normal du gouvernement. Les nouveaux
ministres sont plus jeunes que les
anciens. Le nouveau Premier ministre
aura pour mission d’informatiser la
Russie, comme il a informatisé le bureau
des statistiques. La Russie est en train
de se moderniser et Poutine a besoin de
camarades d'armes plus jeunes. Certains
sont très jeunes, comme le nouveau
ministre de la Culture dont le manque de
déférence avait déjà provoqué quelques
chocs désagréables parmi les artistes
habitués aux bourses occidentales. Les
postes les plus importants - Affaires
étrangères, Défense - restent entre les
mains de la vieille garde, et assureront
la continuité. M. Poutine ne prendra pas
sa retraite de sitôt, mais il a
probablement besoin de plus de personnes
qui comprennent ses intentions et soient
prêtes à tenir leur rôle.
En fait, il n'a
guère le choix. Dans la situation
actuelle, personne ne peut garantir son
bien-être. Le sort de Saddam et de
Kadhafi est encore trop frais dans sa
mémoire. Et il semble bien se
débrouiller. Il l'a prouvé lors de cette
courte visite surchargée à Jérusalem.
P.S. Juste au
moment du Forum d'Auschwitz, un tribunal
russe s'est penché sur l'affaire du Dr
Roman Iouchkov. Il avait été accusé de
négation de l'Holocauste, et il a gagné,
car le négationnisme n'est pas un crime
en Russie. Encouragé par sa victoire, le
Dr Iouchkov a poursuivi l'État,
réclamant six millions de roubles au
titre de dommages et intérêts et, le
21 janvier, le tribunal lui a
accordé 50.000 roubles en réparation. Il
semble que la Russie soit le pays le
plus libre du monde. Vous pouvez écrire
à Iouchkov à l'adresse
romanyushkov@mail.ru.
Pour joindre
l'auteur: adam@israelshamir.net
Source : https://www.unz.com/ishamir/battle-for-auschwitz-ii/
Traduction: Maria
Poumier
Le sommaire d'Israël Shamir
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