Analyse
Les élections israéliennes, qui s'en
soucie ?
Israël Adam Shamir
Israël
Adam Shamir
Jeudi 19 septembre 2019
http://www.unz.com/ishamir/the-israeli-elections-who-cares/
Les Israéliens
tenaient des élections législatives
décisives à nouveau, parce que le vote
précédent, en avril, avait été trop
mitigé. Celui-ci a été aussi peu
concluant. Les électeurs n'arrivaient
pas à choisir entre Dupont et Dupond,
les deux partis principaux, La seule
différence notable est que le Likoud est
dirigé par M. Netanyahou, tandis que
l'autre, B&W (Bleu et blanc, les
couleurs du drapeau national israélien)
est contre Netanyahou, à mort. A part
ça, leur ligne politique est identique;
les dirigeants du B&W sont prêts à
rejoindre le gouvernement tenu par le
Likoud pour peu que Netanyahou aille se
faire voir ailleurs. Pas de problème, du
côté du Likoud, pour rejoindre le B&W,
il suffit qu'ils acceptent Netanyahou.
Ce dernier s'accroche à son siège de
Premier ministre comme Adonias aux
cornes de l'autel (Rois 1:50), pour le
moment il n'envisage pas de se voir
poursuivi pour divers délits d'ordre
pécuniaire et envoyé au cachot. Tant
qu'il reste Premier ministre, il jouit
de l'immunité, et il tente de faire
durer la situation aussi longtemps que
possible.
Il va se battre
jusqu'au bout, parce qu'il ne veut
vraiment pas aller en prison. Dans la
politique israélienne, les hommes
politiques et les hommes d'Etat vont
tellement souvent en prison que cela est
perçu comme une éventualité normale.
Peut-être que l'idée selon laquelle
personne n'est au-dessus des lois vous
est agréable, mais c'est un concept très
déstabilisant parce qu'il en résulte que
les gens au pouvoir ne veulent jamais
lâcher les rênes. La volonté de
puissance du chef des B&W est sans
commune mesure avec le désir de
Netanyahou de rester en liberté. Le
Premier ministre a quasiment démarré une
nouvelle guerre avec Gaza il y a
quelques jours, mais ses généraux ont
refusé d'embrayer, a-ton
appris. S'il a donné l'ordre
de bombarder Gaza avant les élections,
que pourra-t-il bombarder une fois
confronté à la défaite? Voilà pourquoi
je ne m'attends pas à une transition
douce.
Les juifs libéraux
américains sont impliqués: ils veulent
briser la connexion Netanyahou-Trump, et
restaurer le statut d'Israël à
l'identique dans les deux partis. Le
vilain Trump a créé un schisme entre les
sionistes et les juifs libéraux.
Netanyahou est un grand ami du président
Trump, lequel est un grand ami d'Israël.
Naturellement, ce n'est pas un ami pour
les démocrates au Congrès et au Sénat,
et ce n'est pas un ami pour les juifs
US, démocrates dans leur grande
majorité. La situation est inédite;
Netanyahou n'est pas le personnage
au-dessus des partis qu'il était à
l'époque où le Congrès applaudissait
tout ce qui sortait de sa bouche.
C'était au temps d'Obama; Obama adorait
les juifs libéraux et n'était pas très
amical envers Israël. Netanyahou
détestait et méprisait Obama, mais il
s'est rapproché de Trump et de Poutine.
Les juifs libéraux
aux US et en Israël, étroitement
connectés avec l'Etat profond, les
agences de renseignement, la finance et
les médias dans chacun des deux pays,
veulent se débarrasser de Netanyahou et
installer à sa place l'un des leurs, qui
refroidira la Trump-connection et
restaurera les liens d'autrefois avec
les démocrates. Et ils espèrent que leur
homme à Tel-Aviv restaurera la place
d'Israël à l'identique dans les deux
partis. Leur candidat, c'est le Général
Benny Gantz, un homme de belle
prestance, tout en longueur dans le
style de feu le Général Itzhak Rabin. Il
est soutenu par Avigdor Lieberman,
politicien chevronné.
C'est probablement
le moment de rappeler au lecteur que
dans cette histoire il n'y a pas de bon
candidat. Les politiciens israéliens,
qu'ils soient pro-Trump ou
pro-démocrates, sont également torves et
assoiffés de sang. Le Premier ministre
Netanyahou est complice d'innombrables
meurtres de civils, même si les médias
israéliens ne l'accusent que de
certaines irrégularités financières.
Abattre des Palestiniens, bombarder
l'Irak, la Syrie, le Liban, pousser les
US à des guerres tant en Afghanistan
qu'en Iran, des broutilles, selon les
normes de la morale israélienne, pour
couronner le tout. Son rival Benny Gantz
est un criminel de guerre
recherché pour de nombreux
crimes de guerre commis en 2014 en tant
que commandant de l'assaut israélien
contre Gaza. De fait, il s'est vanté
d'envisager encore des meurtres de
masse, dans ses spots de campagne.
L'un revendique
1364 terroristes palestiniens supprimés
pendant la guerre, tandis que l'autre
dit que sous les ordres de M. Gantz
"nous avons renvoyé des quartiers
entiers de Gaza à l'âge de pierre". Les
vidéos ne mentionnent pas les 1462
civils tués pendant le conflit, selon un
décompte de l'ONU, rapporté par The
Daily Telegraph.
Bon, considérons
réglée la question de la préférence
morale à faire valoir entre les siamois
(aucune différence), et allons plus
loin. L'homme qui a plombé Netanyahou,
c'est M. Avigdor Lieberman, qui est à la
tête de son propre petit parti. Jusqu'à
une date récente, c'était surtout un
parti "russe", de vieux émigrés de
l'Union soviétique de jadis. M.
Lieberman est un faucon, ou plutôt un
bébé faucon, car il n'a jamais servi
sous les drapeaux. Il a exigé de
bombarder Gaza à mort, de ramener tout
Gaza à l'âge de pierre, de bombarder le
barrage d'Assouan, d'exécuter les
guérillas arabes; il n'a jamais rien
demandé pour son propre électorat, mais
celui-ci ne lui en tenait pas rigueur,
et a régulièrement voté pour lui, encore
et encore.
Lieberman a servi
sous Netanyahou dans tous ses
gouvernements, comme ministre de la
Défense ou des Affaires étrangères, et
il était considéré comme un partenaire
sûr pour le prochain gouvernement. Mais
après les élections d'avril, il s'est
rebellé, et a exigé que les juifs
pratiquants fassent leur service
militaire. S'il n'obtenait pas
satisfaction, il quittait le
gouvernement. Il s'est donc vu éjecté,
parce que Netanyahou était obligé de
choisir: se séparer de Lieberman ou
rompre avec les partis religieux
juifs. Il n'avait pas envie de rompre
avec ses juifs religieux loyaux et peu
exigeants, pour faire plaisir à ce
politicard moldave. Or sans Lieberman,
Netanyahou ne pouvait pas constituer de
coalition, si bien que de nouvelles
élections ont dû être organisées.
Depuis avril,
Lieberman a surenchéri dans sa
rhétorique anti-cléricale. Il a dit
qu'il ne siègerait pas dans un
gouvernement qui comporterait des Arabes
ou des juifs religieux. Il a proposé de
former une grande coalition laïque, avec
le Likoud, le B&W et son propre parti.
Je pense que c'est une erreur de
terminologie: le Likoud et le B&W
peuvent parfaitement former une
coalition sans Lieberman, et ce sont les
juifs religieux qui se précipiteront
pour y être admis. L'anti-cléricalisme a
un attrait fort limité en Israël. Vous
ne pouvez pas proclamer que le
Tout-Puissant vous a promis la
Terresainte, si vous niez son existence
et reniez la foi. Vous ne pouvez pas
voter pour la loi fondatrice de l'Etat
juif qui déclare qu'Israël est l'Etat
juif pour les juifs, tout en reléguant
les partis religieux hors du
gouvernement.
Il y a des
Israéliens qui n'aiment pas la religion
juive. Certains d'entre eux se
considèrent comme 'Israéliens", mais il
n'y en a pas beaucoup dans cette
catégorie. Gilad
Atzmon a récemment débattu avec
un journaliste de Haaretz
sur l'identité de ceux qui
avaient gagné les élections, juifs ou
Israéliens. Pfeffer suggérait que la
majorité est à la fois israélienne et
juive, que l'un ne va pas sans l'autre.
Les Israéliens ont été battus par les
juifs, disait Gilad. A mon avis, les
Israéliens anticléricaux sont des
oiseaux rares, et pas particulièrement
admirables. Ils sont extrêmement avares
de compassion. Les juifs religieux ont
une certaine compassion, quoique
modique, envers les autres juifs; les
juifs non religieux sont sans pitié pour
tous. C'est la raison pour laquelle je
pense que Lieberman va perdre son pari.
Mais en attendant, il a raflé bien des
votes d'Israéliens qui détestent les
juifs religieux.
Juifs et
Israéliens, religieux comme laïques,
sont parfaitement unis dans leur rejet
des non-juifs. Le troisième parti par la
taille, après le Likoud et le B&W, c'est
la Liste jointe, le parti pour lequel
les Palestiniens israéliens (dits
"Arabes") ont voté. Les partis juifs
israéliens ont juré qu'ils ne
siègeraient jamais dans un gouvernement
avec des goys. Ils préfèrent ne pas
avoir de gouvernement plutôt que de le
partager avec des Arabes. Peu importe
que ces Arabes soient citoyens d'Israël,
les juifs n'ont pas la réputation d'être
des partageux, surtout en matière de
pouvoir. Ni le Likoud ni le B&W ne
veulent leur faire de place dans un
gouvernement de coalition. Il n'y a pas
de différence politique tangible entre
les grands partis, dans ce domaine.
Netanyahou s'est
déclaré appartenir à la droite, tandis
que ses opposants constitueraient la
gauche: mon œil. La gauche juive
n'existe plus. Jadis elle était forte;
c'est la force qui avait créé l'Etat
juif et la puissante armée d'Israël.
Elle avait régné pendant 30 ans sans
opposition, et ensuite par
intermittence, mais désormais elle est
morte. On craignait que le Parti
travailliste n'arrive même pas à avoir
de représentants à la Knesset; il y est
arrivé de justesse. Moi,
personnellement, je ne regrette en rien
son éviction. Ils ont eu leur chance
pour régler la question des relations
avec les Palestiniens, le problème le
plus important pour Israël, mais ils
l'ont rejetée. La gauche israélienne,
comme la gauche américaine ou française,
ne s'intéresse qu'aux problèmes de
genre, aux immigrants africains et aux
thèmes féministes, mais leurs voisins
palestiniens ne les intéressent pas. Les
Palestiniens et leur sort n'ont pas été
à l'ordre du jour dans ces élections.
Les partis ne se sont même pas donné la
peine de proposer quelque remède à ce
terrible état de choses, alors que des
millions d'êtres humains se voient
privés des droits les plus élémentaires
parce qu'ils ne sont pas juifs. Et
pourtant les Palestiniens avec la
citoyenneté israélienne (ceux que les
juifs appellent "Arabes", tandis que les
Palestiniens de Cisjordanie les
appellent les "Palestiniens de 48") sont
allés aux urnes, et ont élu 13 députés,
parmi lesquels un grand communiste juif,
Offer Cassif. Cette fraction pourrait
forcer l'impasse et sauver Israël de
lui-même, si un parti juif voulait
briser le tabou auto-imposé qui pèse sur
les Israéliens.
Trump et Poutine
ont donné un soutien prudent à Bibi
Netanyahou. Trump avait promis de
présenter son grand projet après les
élections. Il n'a pas émis d'objections
aux spots publicitaires où Netanyahou se
servait de son image comme faire-valoir.
La chute de Netanyahou sera un terrible
camouflet pour Trump, disait un
journaliste libéral israélien,
habituellement hostile aussi bien à
Trump qu'à Netanyahou. Cela ne l'a pas
empêché de remarquer que le soutien de
Trump n'est pas allé bien loin pour
favoriser Bibi. Poutine a accepté de
rencontrer Netanyahou quelques jours
avant les élections, lui fournissant
ainsi une grande occasion de se faire
faire une photo réussie. Néanmoins,
Poutine a refusé de donner à Bibi rien
de plus tangible: point de condamnation
de l'Iran, point de promesse de tenir
compte des intérêts israéliens en Syrie.
Poutine a bien plutôt condamné le
bombardement de la Syrie, lors de sa
rencontre avec les présidents turc et
iranien à Ankara.
D'un autre côté, le
président Poutine est venu en personne
rencontrer le principal soutien
américain à Netanyahou, le milliardaire
des casinos Sheldon Adelson, le 17
septembre, jour des élections
israéliennes, au rassemblement de Keren
Hayesod, ou Appel Israélien unifié, à
Moscou. Cet Appel est l'organe qui lève
les fonds pour le mouvement sioniste,
l'une des trois institutions nationales
israéliennes (avec le gouvernement et
l'Agence juive) qui rassemble des fonds
pour l'Etat. Los de ses sessions
bi-annuelles (comme celle qui s'est
tenue à Moscou), les philanthropes juifs
les plus en vue, les gros poissons, se
retrouvent et offrent des millions de
dollars à l'Etat juif. Il a dit: "Le
Premier ministre s'est souvenu de son
grand-père le rabbin, qui faisait
souvent des apparitions dans le cadre
des initiatives de Karen Hayesod.
C'était un excellent orateur, a dit le
Premier ministre, et on le comparait
pour son éloquence avec le poète juif
réputé Hayim N Byalik. Netanyahou vénère
le diplôme délivré par Keren Hayesod à
son grand-père, etc". Le journaliste du
Kommersant (quotidien russe important)
qui a rendu compte de cet évènement a eu
l'impression que le président russe
allait peut-être un peu trop loin dans
son éloge du Premier ministre israélien.
Poutine et Trump
ont couvert son pari. Ils avaient
exprimé un soutien suffisamment clair à
Netanyahou pour apparaître comme ses
bienfaiteurs s'il gagnait, et comme des
amis d'Israël plutôt que comme des amis
personnels de Bibi s'il perdait. Il est
probable que les deux présidents
regretteront son départ, dans la mesure
où les libéraux d'Israël détestent Trump
et Poutine tout autant que leurs frères
américains. Mais pour les Israéliens et
les Palestiniens, le changement sera
minime.
Joindre
l'auteur: adam@israelshamir.net
Source: The
Unz Review
Traduction: Maria
Poumier
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