Analyse
Le conflit au Cachemire
Israël Adam Shamir
Israël
Adam Shamir
Mercredi 14 août 2019 L'intrépide
Narendra Modi, premier ministre de
l'Inde, vient d'égorger une vache
sacrée, qui s'appelait article 370 de la
Constitution, et d'enterrer l'autonomie
du Cachemire. Les conséquences
pourraient en être sinistres, avec une
quatrième guerre entre l'Inde et le
Pakistan, éventuellement, mais pas
forcément. Cela pourrait aussi être un
schéma gagnant. Apparemment, Narendra
Modi avait été encouragé par son succès
aux élections récentes, par ses
relations correctes avec les trois
hommes puissants qui ont notre âge,
Trump, Poutine et Netanyahou, et par le
réarmement et la modernisation des
forces armées de l'Inde. Il a donc
décidé de prendre le problème du
Cachemire, qui vient de loin, à la
racine, au lieu de traiter les
symptômes, et d'en finir avec le statut
spécial en vigueur, pour donner au
peuple du Cachemire les mêmes droits
qu'à tous les citoyens indiens, ni plus,
ni moins.
Le Cachemire, un
enchaînement de vallées verdoyantes dans
la montagne, était la perle du
patrimoine des grands Moghols, qui
l'avaient embelli avec des jardins et
des palais. Hindous et musulmans y
vivaient ensemble en paix,
harmonieusement. Une contrée bénie entre
toutes. Le Cachemire aurait pu être
florissant si cette coexistence
pacifique avait duré. Malheureusement,
les troubles fréquents, le séparatisme
et un extrémisme islamiste d'importation
ont rendu la vie difficile pour tout le
monde.
Les hindous ont été
forcés de quitter le Cachemire, beaucoup
de musulmans aussi, plutôt que d'avoir à
soutenir les insurgés incendiaires.
Leurs maisons en ruines ou en cendres
s'accrochent encore à Srinagar et
ailleurs, mais bien des propriétés ont
été vendues pour une bouchée de pain
pendant l'insurrection.
L'incessante
ingérence du Pakistan et des islamistes
politiques qui refusaient d'accepter les
résultats de la partition, voilà la
principale raison des problèmes du
Cachemire. La majorité des Cachemiriens
est musulmane, et l'était en 1947, mais
ils ne voulaient pas rejoindre le nouvel
Etat du Pakistan. Les manuels scolaires
islamistes prétendent que le maharadjah
hindou du Cachemire avait décidé de se
rattacher à l'Inde contre les vœux de la
population; mais cela relève de la
propagande, non des faits. Les habitants
du Cachemire n'étaient pas des musulmans
fervents; l'idée de vivre séparément
dans un Etat purement musulman ne leur
parlait pas. Du point de vue ethnique et
linguistique, ils sont liés aux hindous
du lieu, ils partagent les mêmes noms de
famille, et les mêmes ancêtres. Ils
voulaient devenir indépendants, mais
face à l'invasion pakistanaise, ils
préféraient rallier l'Inde pluraliste.
Il y a une grande différence entre les
musulmans qui sont des convertis
autochtones, et ceux qui arrivent dans
un pays étranger en tant qu'envahisseurs
musulmans. La première variété est
flexible et peut être absorbée, la
deuxième est raide et fervente. Les
musulmans du Cachemire indien sont
principalement du premier type; les
musulmans de l'ouest sont plutôt du
deuxième type. Ce sont des descendants
des envahisseurs qui sont arrivés
d'Afghanistan. Ils étaient enthousiasmés
par le Pakistan et l'ont rejoint.
Maintenant ils vivent dans le Cachemire
azad, la partie pakistanaise du vieil
Etat princier.
La partition fut
une mauvaise idée, mais supportable, il
y avait de la logique dans le projet.
Mais le Pakistan ne se satisfaisait pas
des résultats de la guerre; sa raison
d'être, c'était le rassemblement de tous
les musulmans du sous-continent en un
seul Etat purement musulman. C'est le
problème classique des Etats basés sur
un principe plutôt que sur une tradition
qui était adaptée. Ils veulent en
libérer d'autres qui rentrent dans leur
schéma idéal. Par exemple, les jeunes
Etats-Unis avaient voulu "libérer" le
Canada de la domination coloniale
britannique en 1812; la Tchétchénie
indépendante avait voulu "libérer" le
Daghestan voisin en 1999; les Russes
avaient voulu "libérer" de la tutelle
ottomane les Slaves des Balkans. De
fait, ils durent revoir leur point de
vue ou bien périr.
Le Pakistan aussi
devrait s'habituer, et renoncer à son
idée de parler au nom de tous les
musulmans de l'ancienne Inde coloniale.
ils ont échoué, c'est patent: deux cents
millions de musulmans vivent en Inde;
cent soixante huit millions au Pakistan.
Mais ils continuent à tenter d'attirer
le Cachemire, parce que c'est une cause
qui sert à mobiliser les habitants
malheureux du Pakistan. Leur population
s'est multipliée par cinq depuis la
partition, et cette croissance rapide a
diminué leurs chances d'atteindre un
niveau de vie décent. C'est pour cela
qu'ils ont besoin d'une cause pour
rallier les populations autour d'eux.
L'autonomie a lamentablement échoué à
satisfaire le peuple. Une ouverture de
l'Etat pourrait améliorer beaucoup le
sort du Cachemire.
La principale
objection à la mesure prise par Modi
était de l'ordre de la démographie,
quelque chose que les blancs aux Us, ou
les Européens, peuvent comprendre avec
sympathie. L'article 370 interdisait aux
non-Cachemiriens d'acheter des maisons
et de s'installer au Cachemire. Avec
l'abrogation de l'article 370, les
Indiens pourraient immigrer au
Cachemire, et prendre la place des
musulmans, a dit le premier ministre
pakistanais Imran Khan. "L'abolition du
statut spécial permettrait à l'Inde de
venir bouleverser l'équilibre
démographique actuel, où la majorité est
musulmane." Quelle horreur! Mais cette
crainte relève de "l'abominable théorie
du grand remplacement, celle qui a
inspiré les tueurs d'extrême droite du
monde entier!", selon les termes de la
sympathique et juive
Rosa Schwartzburg, qui est
diplômée en études de genre et experte
en théories suprémacistes et
conspirationnistes. Ou bien n'y a-t-il
que les blancs américains et les
Européens qui ne soient pas autorisés à
redouter le changement des équilibres
démographiques?
Apparemment, les
islamistes s'élèvent contre les
équilibres démographiques lorsque les
musulmans sont majoritaires, et
considèrent ces changements tout-à-fait
désirables quand ils sont minoritaires.
Le Cachemire, c'est le lieu où cette
approche asymétrique est le plus
évidente. On a presque oublié que la
prédominance musulmane au Cachemire
indien est un produit de l'expulsion des
autochtones non musulmans, les Pandits
cachemiriens, une expulsion aussi
violente et injustifiable que la
Nakba palestinienne. Au
début, il y avait eu une conflagration
entre hindous et musulmans, qui avait
débouché sur la partition. Mais les
réfugiés hindous étaient rapidement
revenus à leur vallée une fois les
batailles terminées. La paix était
revenue, mais pas pour longtemps.
L'ingérence américaine au Pakistan dans
les années 1970-1980 avaient miné la
stabilité du Cachemire. Zbigniew
Brzezinski, qui était le John Bolton de
Jimmy Carter, avait
conseillé à son président bien
intentionné mais inepte d'encourager
l'insurrection islamiste afin de plonger
les Russes dans les affres d'une guerre
de guérilla, dans l'Afghanistan voisin.
Le Pakistan était le principal tremplin
de la guerre: les moudjahiddine du genre
d'Osama ben Laden attaquèrent les
Russes, et le gouvernement de Kaboul, à
partir de leurs bases sûres au Pakistan.
Après avoir massacré les institutrices
effrontées et les travailleurs sociaux,
les djihadistes islamiques s'en
retournaient au Pakistan, sous
protection de l'ISI. Des étincelles
d'insurrection mirent le feu au
Cachemire, et bientôt les villes et les
villages se trouvèrent attrapés dans une
guerre fratricide. Quand les Russes se
retirèrent d'Afghanistan, les alliés
islamistes des US s'emparèrent pour les
trucider de ceux qui ne se conduisaient
pas selon les normes islamiques. Après
quoi, il déplacèrent la torche du djihad
vers le Cachemire indien.
"Les évènements du
19 janvier 1990 furent particulièrement
vicieux. Ce jour-là, les mosquées
émirent des déclarations selon
lesquelles les Pandits du Cachemire
étaient des kafir, et les hommes
devaient quitter le Cachemire ou se
convertir à l'islam, sans quoi ils
seraient abattus", dit Wikipedia
en citant une
source indienne. Ceux qui
choisiraient de partir devaient laisser
leurs femmes derrière eux. C'était juste
un dernier coup asséné, dans le sens du
nettoyage ethnique au Cachemire indien,
d'ou les non-musulmans étaient chassés
par les islamistes. Cela se passait sous
le gouvernement du parti du Congrès, ce
qui explique probablement pourquoi le
parti de Nehru et de Gandhi fut désavoué
de façon tellement définitive.
Depuis lors, les
musulmans modérés ou repentis
déménagèrent massivement, vers l'Inde ou
à l'étranger, tandis que le Cachemire,
protégé par l'article 370, et
lourdement influencé par le Pakistan
voisin, se voyait gouverné par les sept
familles traditionnellement au pouvoir,
et par les prêtres musulmans, les
oulémas. L'autonomie n'avait pas
débouché sur la démocratie, bien au
contraire.
Il est très
préoccupant que certains partisans du
Cachemire prétendent que le cas du
Cachemire est semblable à celui de la
Palestine. Il y a occupation,
disent-ils, tout comme là-bas. Mais il
n'y a rien de semblable, entre le
Cachemire et la Palestine. Le Cachemire
fait partie de l'Inde, les Cachemiriens
indiens ont tous les droits des citoyens
indiens, ils peuvent se déplacer
librement dans toute l'Inde; ils ont des
passeports indiens. Ce qui n'est pas le
cas en Palestine: les Palestiniens des
territoires palestiniens n'ont pas la
citoyenneté israélienne, n'ont pas le
droit de se déplacer librement ou de
s'installer, même sur leur propre terre.
Ils ne peuvent pas creuser un puits ou
prendre un avion sur un aéroport
israélien. Un Cachemirien vit aussi bien
qu'un autre Indien, alors que personne
ne dit qu'un Palestinien jouit d'aussi
bonnes conditions de vie qu'un Israélien
juif. L'armée indienne au Cachemire
protège les Cachemiriens des
djihadistes, l'armée israélienne en
Palestine combat les Palestiniens au
profit des Juifs.
Et pourtant, la
cause du Cachemire trouve un certain
soutien dans nos milieux en Occident.
Nous nous sommes habitués à défendre les
musulmans quand ils sont attaqués par
l'Empire; cette habitude est difficile à
extirper. Même d'excellents journalistes
comme Pepe Escobar continuent à comparer
la décision de Modi avec les actions
israéliennes en Palestine. La vie est
plus compliquée qu'une bande dessinée.
Un soulèvement au nom de l'islam, c'est
un cauchemar d'abord pour les musulmans
ordinaires, comme nous l'avons appris en
Syrie. Ils sont plus tentés de faire
peur aux musulmans qui ne vont pas à la
mosquée que de fâcher un juif. Et les
musulmans, qui sont habituellement de
braves gens, sont facilement manipulés
par leurs coreligionnaires fanatiques.
Il n'y a pas de
formule simple qui convienne à toutes
les situations, mais l'élimination de la
Tchétchénie islamique par Poutine en
2000 a incontestablement été une
excellente chose pour les Tchétchènes.
La Chine se bat pour désamorcer le fléau
islamiste à l'intérieur de la communauté
ouigour, et cela sera certainement
profitable au peuple ouigour. Le
président Assad est en train de
débarrasser son pays des djihadistes
assortis, dans l'intérêt de la
population hétérogène de la Syrie.
D'un autre côté,
les Taliban islamiques font du bon
boulot en combattant l'occupation par
l'Otan et les barons de la drogue en
Afghanistan. Le Hamas défend vaillamment
Gaza, au premier rang face aux
agressions juives. Les combattants du
Hezbollah maintiennent la souveraineté
du Liban et l'intégrité de la Syrie. La
République islamique d'Iran est le pivot
inébranlable de l'axe de la résistance.
Je le répète: il n'y a pas de formule
simple qui soit adaptée à toutes les
situations.
Cependant, si la
décision de Modi porte ses fruits, la
Russie et la Chine pourraient s'en
servir comme d'un modèle pour
elles-mêmes. Il y a trop de zones
d'autonomie ethnique dans ces deux Etats
géants, et chacun d'eux est un pétard
qui attend l'artificier occidental pour
exploser. La Chine a dû retirer son
autonomie au Tibet; peut-être que
l'autonomie de Hong Kong et du Xinjiang
seront les prochaines dans le
collimateur. La Russie est engagée dans
le processus de nettoyage du Daghestan
autonome, qui est excessivement
corrompu. En Europe occidentale aussi,
l'autonomie ethnique crée des problèmes.
La Catalogne espagnole jouit de
l'autonomie et elle est insatisfaite,
rebelle et séparatiste. Alors que la
Catalogne française n'a pas d'autonomie,
et s'en trouve bien; elle ne connaît pas
le séparatisme. La raison est simple;
les régions ethniques autonomes
produisent des dirigeants natifs qui
vont toujours jouer sur les sentiments
nationalistes. Cette forme
d'organisation est passée de mode et
périmée, ce n'est plus viable, à notre
époque.
Certains militants
occidentaux expliquent naïvement que
leur soutien au Cachemire musulman ne
relève pas de l'opposition entre
musulmans et hindous; il s'agirait d'un
conflit entre autochtones et étrangers,
parce que les Indiens sont étrangers au
Cachemire. Laissons de côté pour le
moment le fait que les mêmes militants
sont habituellement tout à fait
remontés contre ce qu'ils appellent les
"identitaires" en Europe et aux US.
S'ils croient sincèrement à ce qu'ils
prêchent, ils devraient se pencher sur
le Cachemire pakistanais. Tout ce qu'ils
redoutent en ce qui concerne le
Cachemire indien s'est déjà produit au
Cachemire pakistanais, où les
Cachemiriens musulmans ont perdu leurs
positions sous le gouvernement musulman.
Après la partition, le vieil Etat
princier du Cachemire avait été partagé
entre le Pakistan et l'Inde, à part à
peu près égale. Le sort dont Imran Khan
redoute qu'il échoie aux Cachemiriens
sous l'autorité indienne est déjà devenu
le sort des Cachemiriens pakistanais.
Ils sont devenus une minorité dans leur
propre pays. La majorité au Cachemire
azad, ce sont des gens du Pendjab qui se
sont installés là, en provenance
d'autres coins du Pakistan. La deuxième
tribu en importance est arrivée des
zones pachtounes. Les Cachemiriens sont
maintenant la neuvième ou la dixième
communauté par la taille, grignotés sur
leur terre ancestrale.
Au Cachemire
indien, il y a une forte présence de
l'armée qui combat l'insurrection
alimentée par le Pakistan et pour
protéger les Cachemiriens pacifiques. Au
Cachemire pakistanais, pas besoin
d'armée, parce que le remplacement
ethnique est achevé. Et pour ce qui est
de l'autonomie, le Cachemire pakistanais
n'en a point, si ce n'est nominalement.
De tous les points de vue, l'Inde a
traité les Cachemiriens beaucoup mieux
que le Pakistan.
Il n'y a absolument
aucune raison pour accepter les
revendications pakistanaises. Ce qu'ils
ont fait aux Cachemiriens est pire que
toute ce qu'a pu faire Modi
l'Indien. Ceci dit, il est encore
prématuré de prédire ce qui va suivre,
après l'initiative de Modi. Pour le
moment il joue sur du velours. Il y a
des troupes fournies; l'internet a été
coupé, et les rassemblements publics
interdits. Le Pakistan ne se jette pas
dans la guerre, parce qu'ils n'ont pas
de quoi se payer une nouvelle guerre.
Ils vont probablement appliquer à l'Inde
leur stratégie habituelle de "mort à
petit feu". Bien des choses dépendent du
peuple du Cachemire indien. Ils peuvent
avoir un brillant avenir, à la hauteur
de leur passé magnifique, mais ils
devraient repousser les incitations
pakistanaises et embrasser leurs frères
indiens, comme leurs grands-parents
l'avaient fait pendant la tourmente de
1947.
[Voir aussi http://www.israelshamir.net/English/Eng39.htm –
un rapport sur mon voyage au Cachemire
il y a quelques années. Et pour Ladakh: http://www.unz.com/ishamir/buddhas-nativity-in-ladakh/]
Joindre Israël
Shamir: israelshamir@gmail.com
Source:
https://www.unz.com/ishamir/the-conflict-in-kashmir/
Traduction: Maria
Poumier
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