Opinion
Cadeaux de Pourim
Israël Adam Shamir
Israël
Adam Shamir
Mardi 14 mars 2017
Le premier ministre israélien est comme
ce veau du proverbe russe : « Veau qui
flatte tète deux mères ». Après sa
rencontre fructueuse avec le président
Trump, il a filé chez l’ennemi numéro
des US, se jeter au cou de son bon ami
le président Poutine, à Moscou la ville
glacée, où il est toujours chaudement
accueilli. Cette fois-ci, il est arrivé
juste avant Pourim, la joyeuse fête
juive où les juifs célèbrent leur
ascension légendaire en Perse, il y a
environ 2500 ans. Cette fête, qui tombe
le dimanche 12 mars cette année,
comptait beaucoup pour les deux hommes.
Pour respecter la tradition, Netanyahou
était censé apporter à son hôte des
gâteaux de Pourim, les homentashen
en yiddisch, ou « oreilles d’Haman[1] »,
des gâteaux triangulaires fourrés à la
confiture.
Le lendemain de
Pourim, vous pouvez assister à la plus
intéressante scène de rue dans le
quartier juif orthodoxe de Jérusalem,
Mea Shamrim, et voir des jeunes filles
parfaitement costumées en habits du
XVIII° siècle porter des corbeilles en
osier garnies de douceurs, des
shalahmones pour leur amis et
proches, comme autant de Petits
Chaperons rouges. Pourim, c’est le
carnaval juif, leur Mardi gras, et cela
tombe à peu près au début du Carême
chrétien. Le carnaval, c’est quand on
fait les choses à l’envers : les juifs
se saoulent et vocifèrent ; autrefois il
leur arrivait de malmener des chrétiens,
de préférence un prêtre, et ils
satisfaisaient généralement leurs envies
d’ébats divers.
Poutine, toujours
aussi amical, a souhaité un joyeux
Pourim à son hôte, et Bibi, comme en
repérage, a aussitôt révélé l’objet de
sa visite. Les Perses avaient voulu
exterminer les juifs ce jour-là, mais
Dieu les en avait empêchés, a-t-il
expliqué. De nos jours, les Iraniens,
qui sont toujours persans, veulent
éliminer les Juifs, mais l’Etat juif est
désormais puissant, etc. Et Bibi venait
pour demander à Poutine de lâcher
l’Iran., de chasser les combattants
iraniens de Syrie, de bloquer le transit
iranien vers le Liban, ou encore de se
joindre à une coalition anti-Iran ; la
référence à Pourim était un argument de
plus pour conforter son audacieuse
requête.
Poutine était donc
censé jouer le rôle d’Artaxerxès, le
stupide roi des Perses, qui avait été
convaincu par la séductrice Esther de se
prêter à un massacre des ennemis des
Juifs et de donner aux Juifs un
traitement préférentiel, celui dont ils
jouissent jusqu’à aujourd’hui. Bibi
jouait le rôle d’Esther dans cette
performance style Pourim-Spiel, la
saynète comique que les Juifs aiment
bien monter à l’occasion de Pourim. Il
tentait d’appâter Poutine avec la
perspective de se retrouver au coude à
coude avec le président Trump, le roi
d’Arabie saoudite et lui-même, tous
ensemble contre les méchants Persans.
Netanyahou
craignait que la guerre en Syrie soit
bientôt finie (il aimerait qu’elle dure
éternellement, jusqu’au dernier Syrien)
et les Iraniens qui ont tellement
contribué à la victoire de Damas vont
probablement rester et continuer à
approvisionner leurs amis du Hezbollah
syrien. Et cela signifie qu’Israël ne
pourra plus bombarder Libanais et
Syriens aussi librement que d’habitude.
Les Russes n’ont jamais utilisé leurs
missiles S-400 contre les jets
israéliens quand ils faisaient intrusion
en Syrie, mais les Iraniens pourraient
ne pas être aussi rétifs pour riposter.
Il y a quelques jours à peine, les
Iraniens ont fait la preuve que leur
système doté de S-300 russes est
parfaitement opérationnel.
Netanyahou aurait
pu essayer de tenter Poutine en
soulignant sa capacité pour mobiliser le
lobby israélien à ses côtés, et pour
clouer le bec aux hystériques
anti-Russes à Washington. Les juifs ont
un grand pouvoir aux US, et le premier
ministre de l’Etat juif peut
certainement les manipuler à sa guise,
si Poutine acceptait sa requête. Et
Trump a déjà fait quelques déclarations
très anti-iraniennes, ce qui rend la
suggestion plausible.
Beaucoup de gens
attendaient avec anxiété de voir comment
Poutine allait répondre à son séducteur
juif. Poutine lui a ri au nez. Même si
vous ne regardez jamais de vidéos, je
vous recommande vraiment de ne pas rater
ces quelques secondes de franche
rigolade, où le président russe
parfaitement détendu, après avoir écouté
le premier ministre israélien comme un
père indulgent face à son fils qui vient
pour la énième fois d’inventer un
prétexte pour lui faire acheter un jouet
dangereux. Rien à faire, fiston, s’est
dit Poutine, et il a répondu : «
c’était il y a deux mille cinq cents
ans. On vit dans un monde différent, à
présent. »
Personnellement, je
n’étais pas vraiment anxieux, parce que
ce dialogue avait été répété quelques
jours plus tôt par le député et ministre
des Affaires étrangères Michal Bogdanov
et les journalistes de Al Hayat,
ce journal arabe important, dont le
propriétaire est saoudien, qui paraît à
Londres. Bogdanov est un excellent
diplomate, courtois, portant beau,
spirituel, intellectuel et gagnant à
être connu. Il a été ambassadeur russe à
Tel Aviv et au Caire, et il connaît tous
ceux qui comptent au Moyen Orient par
leur prénom. Il est aussi le
représentant spécial, désormais, du
Président, pour le Moyen Orient. C’est
un homme qui en sait plus que tous les
autres en matière de politique étrangère
russe au Moyen Orient. Ses réponses ne
pouvaient pas être très éloignées des
idées de Poutine.
Il était cuisiné
par Raed Jabr, le correspondant à Moscou
de Al Hayat, un sombre et svelte
Palestinien qui représente le point de
vue arabe dominant de Ryad à Beyrouth.
Vous souvenez-vous de la ligne préférée
des présidents US et législateurs, selon
laquelle “le jour ne passe pas entre les
US et Israël » ? Si l’on en juge par les
questions insistantes de Jabr, aucun rai
de lumière ne saurait filtrer entre les
US et l’Arabie saoudite.
A tout bout de
champ, l’homme d’Al Hayat
demandait quand les Iraniens se
retireraient de la Syrie. M. Bogdanov
lui a répondu : « en Syrie, il y a des
dizaines de milliers de volontaires
étrangers : des milliers de Tunisiens,
de Marocains et d’Afghans, tandis que
les Iraniens, comme les Russes, sont en
Syrie à la demande du gouvernement
légitime, et seul le gouvernement
légitime peut leur intimer des ordres de
mouvement. La direction officielle
pourra demander à toutes les forces
étrangères de se retirer une fois la
solution acquise. »
Ses paroles ont
été transmises de façon imprécise mais
claire par le Washington Post :
« Les autorités légales qui auront été
choisies légalement en Syrie seraient
les seules à avoir le droit de demander
le retrait de toutes les puissances
étrangères du pays », aurait dit
Bogdanov. En fait, Bogdanov ne parlait
que du gouvernement légitime après un
accord, pas nécessairement d’un
gouvernement choisi de telle ou telle
façon.
Bogdanov rejetait
le discours sur l’exportation de la
révolution iranienne, et le supposé
désir de l’Iran d’étendre son influence
au Moyen Orient, tout particulièrement
en Irak, en Syrie, au Liban et au
Bahrein. Il appelait au rapprochement
entre US et Iran, avec une participation
saoudienne. En Syrie, il a appelé un
système laïc de ses vœux, nullement un
système chiite , ni musulman sunnite, ni
chrétien, accédant au pouvoir par des
élections libres, loyales et
transparentes dans le pays et à
l’étranger, incluant la participation
des réfugiés dans les pays limitrophes
comme dans les pays plus éloignés, sous
les auspices des Nations Unies.
Bogdanova regretté
le fait que les US veulent garder l’Iran
en dehors des négociations sur la Syrie.
« Les Américains agissent sans respecter
les lois internationales. Nous devons
respecter la souveraineté de la Syrie,
qui est un Etat membre des Nations
Unies. » Il est visiblement pessimiste
quant aux relations avec les rebelles.
« Ils disent que la révolution ne
s’arrêtera pas avant le
renversement du régime, quand Bachar al
Asssad et sa clique auront été traînés
devant un tribunal international. Avec
un tel objectif, la guerre peut durer
éternellement. »
Il a rejeté l’idée
que les Iraniens veuillent exporter la
révolution islamique. « Les Iraniens
disent que la révolution islamique
relevait de la politique intérieure,
pour correspondre aux intérêts du
peuple iranien. » Il a rappelé la
présence militaire iranienne à Oman dans
les années 1970 à la demande du
gouvernement légitime. Quand les
troubles avaient pris fin, les Iraniens
avaient quitté Oman sans objection. »
Il a appelé à des
pourparlers entre l’Iran et les
Saoudiens, à Moscou ou ailleurs, par
l’entremise des Russes. Bogdanov a
également rejeté le point de vue
saoudien sur la guerre du Yémen (les
Saoudiens considèrent qu’ils sont
habilités à traiter du Yémen, mais que
les Iraniens devraient en être exclus).
Il a rejeté l’attitude turque envers les
Kurdes en Syrie (« Pourquoi la Turquie
est-elle d’accord pour un Kurdistan
irakien, mais n’accepte pas un tel
Kurdistan en Syrie ? Je pense que cela
ne les regarde pas. C’est l’affaire des
Irakiens et des Syriens. C’est au peuple
syrien et non à l’Etat russe ou turc de
décider ».)
Il a résumé la
politique russe en ces termes: « La
Russie veut s’en tenir à la légitimité
internationale. Nous sommes liés par le
principe de non-ingérence dans les
affaires internes des autres pays, ce
qui comporte aussi la non-ingérence dans
nos affaires internes. Nous respectons
le processus démocratique et non pas les
révolutions de couleur. Pour arriver à
une entente entre les parties, le
principe du ni vainqueur ni vaincu est
le plus souhaitable. »
Cette interview de
Mikhaïl Bogdanov répond entièrement à la
question sur un engagement éventuel de
la Russie contre l’Iran : c’est niet. En
politique, bien des choses sont
possibles. La politique n’est pas un
jeu scout, je m’y connais en
realpolitik. Mais il n’y a absolument
aucune raison pour que la Russie lâche
l’Iran en échange de quelque promesse
obscure et pourimesque de Netanyahou.
Israël et les US
sont désormais réputés pour leurs
initiatives perfides. Des Philippines à
l’Egypte et à l’Azerbaïdjan, les pays
qui ont été jadis pro-américains se sont
vus trahis, et depuis tournent le dos à
Washington. Les US ne sont plus un
partenaire fiable. Si M. Trump arrive à
contrer la révolution rose dans son pays
et à s’affermir comme un vrai chef,
alors peut-être pourra-t-il restaurer la
crédibilité américaine. Mais en
attendant, les US ne sont pas fiables.
Et pour ce qui est de la duplicité
israélienne, il suffit de voir comment
les Israéliens ont tenu leurs promesses
faites aux Palestiniens à Oslo. Les
Iraniens sont loin d’être des gens
rectilignes, mais ce sont des alliés, et
ils se battent au coude à coude avec les
Russes en Syrie, où la partie est
terminée mais où la guerre n’est pas
encore finie. La realpolitik élémentaire
dit aux Russes de rester soudés avec
l’Iran et de rejeter les offres de Bibi.
Mais les Israéliens
sont tenaces. Il y a quelques jours, le
ministre israélien de la Défense Avigdor
Lieberman a appelé, dans un entretien
pour le Die Welt, à la création
d’une alliance militaire « sur le modèle
de l’Otan », entre Israël, Arabie
saoudite, et Etats du Golfe contre
l’Iran et les chiites. L’Etat juif a
donc été pleinement assimilé dans son
environnement comme partie prenante du
bloc sunnite réactionnaire
pro-occidental. Et voilà, ce n’est plus
un mouton noir.
Il y a une issue,
c’est de promouvoir un arrangement entre
les Saoud et l’Iran. Le contentieux
entre les deux Etats est ancien,
beaucoup plus ancien que la révolution
islamique, mais il y a eu des compromis
antérieurement, en particulier au milieu
des années 1970, et maintenant les
choses sont mûres pour une nouvelle
transaction. Les Saoudiens ont dépensé
bien trop d’argent pour déstabiliser la
Syrie et pour une guerre sans espoir au
Yémen. Les Russes peuvent les inciter à
trouver une solution. Et cela calmerait
aussi les ambitions israéliennes en
faveur d’une nouvelle série de guerres.
Mais pour cela, il
faut d’abord vaincre la révolution rose
à Washington, et le président Trump
devrait procéder à la démilitarisation
de la politique étrangère US.
L’alternative, une guerre avec l’Iran,
est trop horrible à envisager.
Et Bibi, alors ? Il
a reçu un lot de consolation : un cadeau
de Pourim très significatif, de la part
de Poutine. Ce n’est pas la tête d’un
combattant iranien sur un plateau
d’argent, ni des gâteaux ou les oreilles
d’Haman dans une corbeille, mais un
livre vieux de cinq siècles, La Guerre
des Juifs, de Flavius Josèphe[2].
C’est un livre bien choisi, qui devrait
rappeler à Bibi le fou qu’il vaut mieux
faire des compromis que de tenter de
gratter le ciel. Les Juifs de Flavius
Josèphe auraient pris du bon temps sous
la protection d’une Rome bienveillante,
s’ils n’avaient pas visé trop haut, et
attiré sur eux la catastrophe.
Peut-être aussi que
Poutine avait à l’esprit une autre
sentence de Flavius Josèphe qui disait :
les Juifs avaient une représentation de
la capitale perse sur la porte de leur
temple, pour leur rappeler que les
Perses avaient rendu le temple aux
Juifs, et qu’ils devaient être respectés
et redoutés par les Juifs à jamais.
Joindre Israel
Shamir:
adam@israelshamir.net
Traduction:
Maria Poumier
Première
publication: The
Unz Review.
[1] Sur l’éclairante histoire d’Haman,
voir le texte de Shamir, publié en 2006,
Le Syndrome d’Haman
[2] Flavius Josèphe vécut entre 37
ap.J-C et 100, mais l’exemplaire offert
par Poutine à son hôte a été publié en
1526 en toscan, juste après l’invention
de l’imprimerie.
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