Analyse
L'Etat profond contre Netanyahou :
gens de robe et hommes d'Etat
Israël Adam Shamir
Israël
Adam Shamir
Mercredi 13 novembre 2019
Les avocats ont une réputation très
douteuse. Depuis la nuit des temps, on
les a considérés comme des pourritures;
au mieux comme des escrocs; les juges
comme des tyrans despotiques ou pire. Il
y a un demi-millénaire, Maître François
Rabelais disait: ["Misère est compagne
de procès"], et "il n'y a pas de cause
si mauvaise qu'elle ne puisse se trouver
un avocat, sans quoi il n'y aurait pas
de procès au monde". Les juges étaient
encore plus mal considérés: le meilleur
juge est celui qui tranche par tirage au
sort, ajoutait l'écrivain de la
Renaissance. Pourtant, à son époque la
profession représentait une menace
pour les personnes privées, mais pas
pour le royaume tout entier ou pour
l'ordre des choses. Les juges sont
extrêmement conservateurs, généralisait
Vladimir Ilitch Lénine, qui était
lui-même juriste par son éducation, au
début du XX° siècle.
Et voilà qu'ils ne
sont plus conservateurs du tout; ils
sont pleins de zèle pour remodeler le
monde. Les US ont été le premier pays au
monde (et pendant longtemps le seul) à
faire des pourritures d'hier une menace
puissante pour le sens commun et pour
l'ordre des choses. L'establishment
judiciaire est omnipotent dans la "Ville
de lumière sur la colline", Washington.
Ils ont tué l'industrie du tabac par une
décision unique, en ordonnant à des
producteurs d'herbe de payer des
milliards à des gens qui jouissaient de
leur douce fumée relaxante; ils ont
ruiné la Palestine en ordonnant à ses
habitants et aux Iraniens de payer des
milliards aux juifs qui les
combattaient. Ils peuvent décider que
l'avortement ou le mariage gay sont des
droits universels, alors que l'éducation
libre et la l'accès à la santé n'en sont
plus. Ils peuvent interdire d'arrêter
une invasion étrangère, mais permettre
l'appauvrissement des citoyens
autochtones. Il n'y a jamais eu un roi
aussi puissant que les gens de robe aux
USA. La procédure de destitution du
président Trump est une tentative pour
déloger un président légalement
élu par des méthodes quasi-légales. Si
les opposants à Trump faisaient
confiance aux électeurs US, ils ne
bricoleraient pas une pareille
mascarade. Mais ils savent qu'ils ne
peuvent pas gagner; c'est la raison pour
laquelle ils veulent chasser Trump en le
poursuivant pour des crimes supposés.
Dans bien des pays les dirigeants
peuvent subir des procès et affronter la
prison, généralement sur la base
d'accusations sans fondement sérieux de
corruption. Si par le passé ils étaient
rares, les chefs d'Etat qui
atterrissaient en prison, à moins d'un
coup d'Etat victorieux ou d'une défaite
militaire, maintenant ils se font
arrêter et juger à la moindre occasion
pour désobéissance aux injonctions de
l'Etat profond, par-dessus le marché. La
liste des chefs de gouvernement qui ont
atterri en prison, sur
Wikipedia, est un article
saugrenu mais fort utile.
C'est une façon de
leur rappeler que les élections ne sont
pas la chose la plus importante; il faut
aussi qu'ils agissent en accord avec la
volonté de l'establishment, national et
occidental. Si les populistes font ce
que le peuple souhaite sans tenir compte
de la volonté de l'establishment, ils
peuvent parfaitement finir au trou,
comme les présidents du Brésil et de l'Argenine.
"Personne n'est au-dessus des lois"
s'écrient les juges quand ils envoient
encore un dirigeant en taule; et ils
ajoutent: c'est la loi qui prime!"
C'est malheureux à
dire, mais l'empire de la loi n'est pas
une merveilleuse conquête. Nous avons le
choix entre vouloir la démocratie, ou
opter pour le joug de la loi. Ces deux
régimes ne se superposent pas, ils
s'opposent frontalement. Dans une
démocratie, le peuple gouverne à travers
ses représentants élus; sous le règne du
pouvoir judiciaire, ceux qui font la
loi, ce sont les juges qui constituent
la Cour suprême. Certes, la noble loi
existe, mais les juges l'interprètent à
leur convenance. Ils peuvent vider une
loi de son sens, ou la réinterpréter
dans une veine entièrement différente.
Cette nouvelle
tendance à se servir de la loi comme
d'un outil politique est un cadeau des
juifs à l'humanité qu'ils plongent dans
la perplexité. Traditionnellement, les
juifs étaient régis par des sages, ou
des juges. Théoriquement, les sages
talmudistes interprétaient la Loi selon
la Halakha, mais en fait la loi de la
Halakha, c'était le gouvernement par les
sages, et les Lumières avaient brisé
cette poigne de fer [qui pesait sur les
juifs]. Les juifs ont été libérés, mais
cette liberté n'a pas duré. A mesure que
le monde se judaïse, les "sages"
s'emparent du pouvoir décisionnaire dans
le monde entier.
En Angleterre, la
Cour suprême a été instaurée à une date
récente, en 2009, et elle a déjà empêché
le premier ministre Johnson de
concrétiser le Brexit dans les temps.
Aux US avec leur judaïsation très
avancée, la Cour suprême a bloqué chaque
initiative du président Trump. La
vieille sorcière Ruth Bader Ginsburg,
qui n'a été élue par personne, est
encore plus puissante que le président
américain. L'establishment judiciare
soutenu par les médias peut vider de
leur sens les élections.
Ces deux pouvoirs
non élus et non démocratiques que sont
les médias et la sphère judiciaire se
sont mis à conspirer contre le Parlement
élu et contre le gouvernement.
Dans l'état juif
plus petit qu'est Israël, les juges
veulent gouverner. Ils pensent qu'ils
sont bien placés pour savoir ce qu'il
faudrait faire, bien mieux que les
hommes d'Etat élus; et ils estiment que
Netanyahou est trop indépendant. Il est
trop amical avec Donald Trump et même (ô
mon Dieu) avec Mr Poutine. Netanyahou a
élargi sa propre base électorale, il
n'obéit plus aux vieilles élites. Depuis
ces dernières années, ils essayent de
chasser Bibi et de lui substituer un
politicien plus maniable, comme ils
l'avaient fait jadis avec Ehud Olmert.
Ehud Olmert n'avait pas la moindre
chance de s'en tirer. Chaque jour les
journaux et les chaînes de télévision
répandaient de nouvelles accusations
contre lui et faisaient connaître de
nouvelles enquêtes de police. Souvent,
le public israélien avait vent de
méfaits supposés d'Olmert avant
l'intéressé. La police ne se bornait pas
à faire fuiter les détails de l'affaire,
elle les répandait comme un torrent
tropical. La police le recherchait; la
Cour suprême commença à délibérer,
tandis que les journaux et la télé
lâchaient des ragots disproportionnés.
Aussi deux puissances de la politique
israélienne, médias et système
judiciaire, se sont unis dans un seul
effort pour le déloger, et il s'est
effondré. Cet épisode nous a montré qui
gouverne vraiment en Israël. Tandis que
les médias amplifient, les juges ...
jugent.
C'est au tour de
Netanyahou de connaître le même
traitement. La police livre des récits
horrifiques qui sortent d'une cellule
d'investigation à un journaliste choisi,
et il va se charger d'en inonder les
médias. Chaque fois que Bibi a demandé
que soient rendues publiques des
accusations et à ce qu'on lui permette
de se défendre lui-même ouvertement, le
procureur général le lui a refusé, en
disant qu'il ne veut veut pas d'un
procès médiatique, alors que c'est
exactement ce qu'il met en oeuvre.
Il est difficile de
sympathiser avec le criminel de guerre
Netanyahou; mais il a un atout: il a été
élu, alors que ses opposants sont des
gens nommés à leur poste. Olmert a fini
en taule, et ils veulent y expédier
Netanyahou aussi. Non pas pour avoir
fait assassiner des milliers de
Palestiniens, ni pour avoir fait démolir
des milliers de logements, mais pour
quelque chose de technique, comme le
stupide quiproquo qui est à l'origine de
la procédure contre Trump. L'idée était
que son électorat le laisserait tomber
s'ils le voyait inculpé pour de délits
graves. Mais ils n'avaient pas assez de
matière à se mettre sous la dent;
jusqu'au jour où ils ont obtenu des
aveux de sous-fifres de Netanyahou.
La semaine dernière
le ministre de la Justice israélien a
choqué le public. Il a révélé les
méthodes utilisées par l'establishment
judiciaire contre Netanyahou. Ces
méthodes sont étrangement semblables à
celles qu'applique l'Etat profond contre
le président Trump. Des menaces, de la
diffamation et de l'extorsion de fonds.
La police israélienne s'en est prise aux
assistants de Bibi comme les ennemis de
Trump ont attaqué Manafort, Cohen et
Stone.
Quand un
journaliste d'investigation a voulu
publier comment les confessions avaient
été extorquées à l'homme de confiance de
Bibi, les autorités judiciaires l'ont
immmédiatement fait taire.
Les Israéliens sont
prompts à mettre sous le boisseau la
publication de n'importe quoi qui
déplaise aux autorités. C'est seulement
après bien des années que la population
israélienne a appris que ses autorités
avaient volé leurs enfants aux juifs du
Yémen, traité les maladies de peau des
enfants marocains avec des rayons X
mortels, stérilisé les femmes
éthiopiennes, fait sauter des synagoges
à Bagdad, kidnappé le technicien
nucléaire Vanunu à Rome, bombardé l'USS
Liberty et empoisonné l'eau potable à
Acre. Tous ces crimes ont été protégés
par une consigne de silence pour
éloigner les regards indiscrets.
Il y a une option
nucléaire, un moyen de lever l'interdit.
Un membre de la Knesset (le Parlement)
n'est pas tenu de se conformer à
l'omerta des médias.Il peut parler
depuis la tribune et dire tout ce qu'il
veut, après quoi les journaux peuvent
imprimer son discours. C'est de cette
façon que nous avons découvert le
massacre de Kafr Qassem (l'ordre
d'étouffer la chose a été bafoué par le
député communiste MK Tawfik Toubi ) et
là le monde entier a découvert ce
village palestinien qui avait été
encerclé et décimé par les soldats juifs
[en 1956].
L'option nucléaire
a été actionnée par le ministre de la
justice Ohan. Il a informé la Knesset et
le public israélien que la police avait
traîné l'homme de confiance de Bibi en
prison en le forçant à confirmer leur
version des faits. Pendant deux semaines
il est resté en suspens sans
explication, jusqu'au jour où ils ont
amené sa maîtresse à la prison. "C'est
la fin de ta vie de famille paisible",
lui ont-ils dit."Nous allons montrer ta
maîtresse à ta femme." Après quoi, ills
l'ont emmené vers une destination
inconnue où les protocoles n'étaient pas
respectés. Puis, quand il est revenu,
l'assistant a "tout avoué". Ses
"révélations" lui avaient été dictées,
puis livrées à la presse.
La presse libérale
de gauche se retrouvait unie dans la
condamnation - non pas de la police pour
ses méthodes prohibées - mais du
ministre de la Justice qui avait osé
mettre en pièces le blackout médiatique.
C'est une erreur:
la droite comme la gauche devraient
défendre la souveraineté et la
démocratie au lieu de permettre à la
caste judiciaire de prendre des
décisions importantes. Laissez les
politiciens élus décider, et les juges
devraient se borner à traiter les
affaires non politiques.
La vraie gauche et
la vraie droite sont encore plus
semblables l'une de l'autre, parce que
ces mouvements ont leur assise dans la
volonté populaire. Ils recherchent
l'approbation du peuple; ils essaient
d'attirer le peuple de leur côté. Même
les mouvements politiques les plus
extrémistes, des communistes jusqu'aux
fascistes, continuent à se tourner vers
le peuple pour leur demander de les
mandater. En profondeur, ils sont
démocratiques, car ils croient à la loi
de la majorité. Les gens de robe non.
Le parti
travailliste anglais a fait la même
erreur de jugement. Ils se sont réjouis
comme des enfants lorsque la Cour
suprême est passée par-dessus la
décision de Boris Johnson. La prochaine
fois, si Jeremy Corbyn venait à décider
de faire sortir l'Angleterre de l'Otan,
la Cour suprême passerait sûrement
outre. Il est facile de perdre son
pouvoir, et bien difficile de le
recouvrer.
Les gens aiment
prendre des revanches, mais je vais vous
dire: les hommes d'Etat devraient avoir
l'immunité face à la justice, à vie. Le
moyen normal de leur retirer leur siège,
c'est d'en élire d'autres à leur place.
Les recours judiciaires n'en sont pas,
il s'agit d'assauts contre la
démocratie. Et même après que leur
mandat expire, les hommes d'Etat
devraient continuer à jouir de
l'immunité. Autrement, ils vont chercher
à se conformer à l'agenda des hommmes de
loi plus qu'à servir servir la nation.
Je regrette le sort de Milosevic et de
Saddam Hussein; leurs procès étaient des
mascarades de justice. Ils n'étaient pas
pires, seulement moins chanceux que Tony
Blair ou Bill Clinton. Et cela vaut pour
Donald Trump et pour Bibi Netanyahou
aussi. Ce ne sont pas des anges, loin de
là; mais ils ont été élus par leurs
nations et devraient rester
intouchables. Que l'histoire les juge,
pas les gens du prétoire.
Pour les
magistrats, les Américains feraient bien
de leur retirer leurs pouvoirs. Et
peut-être que Denis Diderot avait
raison, et que l'homme ne sera pas libre
tant que le dernier avocat n'aura pas
été pendu avec les tripes du dernier
banquier.
Joindre l'auteur:
<
israel.shamir@gmail.com >
Traduction: Maria
Poumier
Source : http://www.unz.com/ishamir/the-deep-state-vs-netanyahu-lawyers-and-statemen/
Voir aussi: https://www.unz.com/ishamir/sages-rule/ (2008)
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