Opinion
L'occupation grecque
Israël Adam Shamir
Israël
Adam Shamir
Mercredi 8 novembre 2017
Théodophilos III,
le pape de Jérusalem (l’un des cinq
papes d’origine, Sa Béatitude le
patriarche de la sainte église orthodoxe
grecque de Jérusalem et de la Terre
sainte, car tel est son titre habituel,
ose à peine se rendre dans les églises
de nos jours. Chaque fois qu’il arrive,
ses brebis l’attendent au dehors et
l’empêchent d’entrer. La semaine
dernière, la police juive l’a aidé à
pénétrer dans une église de village,
tandis que des centaines de croyants se
pressaient pour le conspuer à grands
cris. Il y a un plan pour l’empêcher de
pénétrer à Noël prochain dans la
Basilique de la Nativité. Il faut se souvenir
que son prédécesseur Irineos avait été
déposé par les évêques douze ans plus
tôt, et que depuis lors il vit dans une
cellule solitaire dans le monastère, car
il refuse de sortir de ses murs. Il sait
que s’il s’en va, il ne sera pas
autorisé à revenir. Considérant ses
souffrances, l’actuel patriarche n’est
pas porté à la complaisance.
Le bas clergé et
les laïcs, les Palestiniens chrétiens de
la Terre sainte, sont très ennuyés avec
ce patriarche et avec la tournure que
prend la direction de l’Eglise. Le
patriarche est en train de vendre des
terres de l’Eglise à des prix de
braderie ; les terres de Césarée,
propriété de l’Eglise, ont été cédées
par lui pour un prix plus bas que celui
d’une seule des maisons de cet immense
espace. Bientôt l’Eglise va se retrouver
dépouillée, et la communauté chrétienne
de Palestine établie par le Christ
lui-même va disparaître, disent les
ecclésiastiques.
Mais l’argent n’est
pas tout. Le patriarche ne permet pas
aux Palestiniens de s’élever au sein de
l’Eglise ; un seul Palestinien, Sa
Béatitude Theodosius Atallah Hanna,
archevêque de Sébaste, a été ordonné il
y a des années mais même lui n’a pas été
autorisé à participer aux décisions de
l’Eglise, il est tenu à l’écart du
Synode, qui est l’organe directeur de
l’Eglise, à l’écart de la Fraternité du
Saint Sépulcre, il n’a même pas une
église à lui, il n’a pas de salaire,
c’est le seul archevêque qui soit ainsi
maltraité. Tout cela parce qu’il n’est
pas de sang grec.
Dans l’Eglise
orthodoxe, seuls les moines peuvent
prétendre devenir évêques, tandis que
les simples prêtres paroissiaux peuvent
se marier, ce qu’ils font en général. Le
patriarche n’autorise pas les moines
palestiniens qui ont fait leurs études
de théologie en Grèce à retourner
en Terre sainte, afin qu’ils ne puissent
pas prétendre à la chasuble épiscopale
dans son Eglise. Il y a maintenant 24
moines palestiniens dans des monastères
en Grèce ; tous ont demandé à être
nommés sur leur terre natale, et cela
leur a été refusé à tous.
« Si vous voulez
vous installer en Palestine, renoncez à
vos rites monastiques et mariez-vous.
Autrement, restez au loin», leur a
répondu le Patriarche. Tous les évêques
de l'Eglise de Jérusalem sont des Grecs
ethniques ; et ils sont bien décidés à
prolonger éternellement cette
occupation.
Tandis que les
juifs tiennent les Palestiniens à
l’écart des décisions politiques (même
les Israéliens de gauche n’autorisent
jamais des partis palestiniens à
rejoindre le gouvernement) les Grecs
tiennent les Palestiniens, descendants
des Apôtres, à l’écart pour ce qui est
de contrôler l’Eglise. Tout le monde est
au courant de l’occupation juive en
Palestine, c’est fréquemment l’objet de
débats à l’Onu, les présidents en jouent
tandis que les militants la combattent,
mais l’occupation grecque de l’Eglise
de Jérusalem n’est jamais mentionnée en
bonne compagnie.
Bien des
Grecs excellents soutiennent la lutte
contre l’occupation, et prennent la mer
pour briser le blocus de Gaza. C’est
sûrement très bien, mais ce serait
encore mieux s’ils prenaient position
contre l’occupation grecque.
L’Eglise grecque,
c’est-à-dire l’Eglise orthodoxe de
Grèce, connaît parfaitement cette
histoire honteuse. Leurs évêques se
rendent en Terre sainte et rencontrent
les chrétiens palestiniens. Mais ils
n’osent pas affronter la hiérarchie de
l’Eglise de Jérusalem et, sous la
direction de l’actuel patriarche, ils
considèrent les Palestiniens comme leur
propre vache à lait, à traire à souhait.
Les résultats sont
épouvantables. Palestine et Israël n’ont
pas de services publics pour tous les
citoyens, mais chaque communauté prend
soin des siens. Les musulmans s’occupent
des musulmans, les juifs des juifs, les
catholiques et les protestants de leurs
propres fidèles, construisent et
dirigent des écoles, organisent des
activités, depuis la vente d’huile
d’olive jusqu’à la production de bière.
Seuls les chrétiens orthodoxes de
Palestine, la communauté la plus
ancienne et la plus fournie, n’ont rien
du tout. Leur nombre fond d’année en
année. Evidemment, on peut à raison
blâmer les juifs de n’en pas faire
assez, mais il serait honnête de
souligner la part de responsabilité des
dirigeants de l’Eglise orthodoxe. Ils
n’en ont rien à faire de leurs brebis
locales, c’est tout. Ce ne sont pas les
pasteurs de leurs troupeaux.
Ils ne bâtissent
pas d’églises. Il y a beaucoup de
grandes villes israéliennes, Beer Sheba,
Afula, Eilat, Tel Aviv même a des
milliers de chrétiens orthodoxes (des
juifs baptisés ou des immigrants) mais
pas une seule église n’a été fondée. Les
Russes ont proposé de construire les
églises pour l’Eglise de Jérusalem, mais
le patriarche n’est pas intéressé. Tout
ce qui l’intéresse, ce sont les vieilles
églises rentables parce que les pèlerins
et les touristes grecs et russes s’y
précipitent.
Les dirigeants de
l’Eglise de Jérusalem, les évêques grecs
qui refusent d’accepter les Palestiniens
comme leurs égaux, pratiquent un racisme
ecclésiastique, ou « ethnophylétisme »,
comme on dit. L’église orthodoxe a
condamné cette pratique comme hérétique
lors du synode de 1872 à Constantinople.
Dans les faits, cette condamnation n’a
rien changé du tout en Palestine.
La Terre sainte est
le seul lieu au monde où les hiérarques
sont invariablement des Grecs, et jamais
des autochtones. Partout ailleurs, les
Eglises orthodoxes s’appuient sur la
tradition locale, s’expriment en langue
vernaculaire, et sont administrées par
des évêques locaux. L’Eglise orthodoxe
russe a des laïcs russes et des évêques
russes, en Grèce l’Eglise grecque a
ses équipes de laïcs grecs et ses
évêques grecs, l’Eglise d’Antioche a des
laïcs et des évêques syriens arabes,
mais l’Eglise de Jérusalem, elle, qui a
des laïcs et des prêtres paroissiaux
palestiniens, n’a que des évêques grecs.
Les origines du
problème remontent à l’an 1534,
lorsqu’après la conquête ottomane un
moine grec, Germanos, se retrouva
installé au poste de patriarche de
Jérusalem par décision de la Sublime
Porte, autrement dit de l’Empire
ottoman. Il ne nomma que des évêques
grecs, et depuis lors les Grecs ont
gardé le monopole du pouvoir
ecclésiastique. Ils ont collaboré avec
les Turcs, avec les Britanniques, et
maintenant avec les Juifs, parce qu’ils
n’ont pas de base indépendante sur qui
compter, mais ils doivent leur existence
à leur reconnaissance d’un pouvoir
étranger supérieur sur le terrain.
Grecs, Juifs et
Arméniens constituaient trois
communautés d’élite sous l’empire; ils
fournissaient le gros des couches
cultivées, les uns accaparant le
commerce (les Juifs), les autres
l’administration (les Grecs) et
l’artisanat (les Arméniens), tandis que
les Turcs se contentaient d’être soldats
et paysans. Les trois nations ont un
modus operandi similaire :
étroitement liés entre eux, agissant
dans une perspective tribale, s’excluant
réciproquement et se faisant
concurrence. Si l’on veut comprendre
l’origine de la domination juive aux US
et ailleurs, il est bon de considérer
comment ces trois groupes fonctionnaient
dans la Turquie impériale. Et il n’y
avait guère lieu de choisir entre les
Juifs et les Grecs.
Les Grecs ethniques
avaient confisqué la gestion des Eglises
de tout l’empire, c’est-à-dire les
Eglises de Constantinople, Antioche,
Jérusalem et Alexandrie. Aucun Arabe
ethnique, aucun Turc ou Copte ne pouvait
devenir évêque. Le résultat était
parfait pour les Grecs mais tragique
pour l’Eglise ; les laïcs votaient avec
leurs pieds et quittaient l’Eglise pour
l’Islam ou, dans une moindre mesure,
pour des Eglises hors d’atteinte des
Grecs, parmi lesquelles l’Eglise
catholique romaine, l’Eglise syriaque et
d’autres encore plus exotiques. Et le
racisme ecclésiastique grec a tué, ou du
moins miné la chrétienté native du Moyen
Orient, celle du Christ et de ses
apôtres.
De fait, les Coptes
d’Egypte ont rompu avec l’Eglise
d’Alexandrie, dominée par les Grecs, et
ont fondé leur propre Eglise copte
orthodoxe d’Alexandrie, rompant la
communion avec d’autres Eglises
orthodoxies, tandis que l’Eglise grecque
orthodoxe d’Alexandrie fondait et
devenait l’ombre d’elle-même.
C’est le contraire
qui s’est produit en Syrie, où, à la fin
du XIX° siècle, les Arabes locaux ont
traîné leurs évêques grecs jusqu’aux
ports puis les ont embarqués pour la
Grèce. Ils ont élu des évêques arabes et
un patriarche arabe, tout en restant en
communion avec d’autres Eglises
orthodoxes. Leur Eglise d’Antioche a été
florissante jusqu’à l’entrée en scène de
Daech, mais on peut espérer qu’elle
regagne le terrain perdu dans la mesure
où leurs frères orthodoxes russes les
ont aidés à battre les djihadistes.
Les sièges de
Constantinople et de Jérusalem sont
restés aux mains des Grecs ethniques,
avec dans les deux cas des conséquences
regrettables. A Constantinople, les
Grecs ont rejeté la proposition d’Ata
Turk de devenir l’Eglise orthodoxe
turque, alors que cela leur aurait rendu
beaucoup d’églises, y compris la grande
Sainte Sophie, et cela aurait
probablement évité aux Grecs les
confiscations et expulsions tragiques
des années 1920. L'Eglise de
Constantinople est devenue un spectre
dominé par la CIA, et cela dure jusqu’à
aujourd’hui.
Jérusalem et la
Terre sainte étaient trop importants
pour la chrétienté, elles ne pouvaient
pas rester des phénomènes locaux. Les
Russes ont soutenu la restitution de
leur Eglise aux autochtones, mais avec
prudence, parce qu’ils chérissaient
par-dessus tout leur unité en communion
avec d’autres Eglises orthodoxes. Les
Juifs s’en sont mêlés, certes. Et c’est
ainsi que l’Eglise de Jérusalem est
restée entre les mains de Grecs
ethniques, et que de plus en plus de
Palestiniens orthodoxes se sont
convertis, devenant catholiques ou
d’obédience protestante.
Aujourd’hui, après
avoir été majoritaires au XIX° siècle,
et alors qu’ils constituaient le tiers
de toute la population palestinienne au
temps du mandat britannique, les
orthodoxes ne comptent guère plus de
30 000 membres, au sein de l’Eglise
chrétienne.
Et voilà que
maintenant, les Grecs à la tête de
l’Eglise ont décidé de faire de leur
vache à lait une bête à viande, et ils
ont commencé à la saigner, en vendant
ses biens aux Juifs.[1]
En témoigne
l’histoire abondamment reprise de deux
hôtels à la Porte de Jaffa à Jérusalem,
jadis les excellents New Imperial Hotel
et Petra. Tous les deux sont maintenant
en pleine décrépitude, mais ils restent
les mieux situés à Jérusalem. Ils ont
été vendus par le patriarche précédent,
Irineos, pour trois fois rien.
Haaretz a révélé que les acheteurs
avaient payé vingt fois moins cher que
le prix du marché. Et qui étaient les
acquéreurs ? Une organisation extrémiste
juive, Ateret Cohanim, dont l’objectif
est de reconstruire le Troisième Temple
juif sur les ruines de la mosquée Al
Aqsa ; en attendant, ils sont en train
de faire le nettoyage ethnique de
Jérusalem pour y installer des juifs à
demeure.
Theophilos III, le
patriarche actuel, a solennellement
promis de faire annuler la vente. Certes
il a saisi le tribunal d’instance (juif)
du district de Jérusalem en demandant
l’annulation du contrat parce qu’il
avait été conclu frauduleusement pour un
prix trop bas et des dessous de table.
Mais le tribunal a statué : rien à
faire. Pour ma part j’étais indigné de
cette criante injustice juive, mais il
s’est avéré que les turpitudes n’étaient
nullement le fait des juifs…
J’ai rencontré un
Palestinien chrétien, membre important
du Conseil central orthodoxe en Israël,
Alif Sabbagh du village d’Al
Buqaia (ou Pekiin) en Galilée ; c’est
une personne qui a consacré sa vie à la
conservation des documents concernant
les terres de l’église et les actes
diligentés par le patriarcat. Il possède
des archives complètes de tous les
accords signés ces dernières années. Il
m’a dit qu’il n’avait pas eu le choix ;
le patriarche Théophilos a refusé de lui
fournir les preuves de la fraude
invoquée, et il a passé un accord secret
avec les colons juifs.
Selon la loi
israélienne, il y a deux instances
d’appel. Au premier niveau, le plaignant
expose sa requête, et au deuxième
niveau, il apporte les preuves
justifiant sa requête. Le patriarche a
bien formulé une première requête, mais
a refusé de fournir les preuves à
l’appui. La juge juive a dit qu’elle ne
pouvait pas satisfaire à une requête
sans les documents probants.
Et ce n’est pas que
le patriarche n’ait pas pu les fournir.
L’homme qui est au cœur du problème,
Nikolas Papadimas, ancien trésorier de
l’Eglise, celui qui est censé avoir
signé les contrats sans en informer
Irineos, avait quitté le pays et il
était recherché par Interpol, car il
fait l’objet de poursuites pour des
millions de dollars volés au
patriarcat ; or il est revenu à Athènes
et il a demandé à témoigner devant la
cour. Son témoignage pulvériserait les
revendications juives, et on comprend
pourquoi les colons juifs ont fait
objection à ce que son témoignage soit
auditionné. Mais c’est que le patriarche
grec Théophilos aussi a fait objection à
l’intervention de Papadimas, et la juge
juive ne pouvait objectivement rien
faire, même si elle l’avait voulu.
Au même moment, le
patriarche vendait les terres de
l’Eglise à Jérusalem Ouest, d’énormes
lopins valant for cher, incluant le lot
sur lequel est construit le Parlement, à
de sociétés offshore mystérieuses, et
pour des clopinettes. De fait, le vrai
paiement sonnant et trébuchant est tombé
dans son escarcelle personnelle, un
compte à son nom dans un paradis fiscal,
selon Alif Sabbagh. En réponse, la
Knesset, le Parlement juif, a commencé à
examiner le projet d’expropriation de
Rachel Azaria, concernant des terrains
ecclésiastiques vendus à des tiers
depuis 2010.
Le patriarche
Theophilos a fait appel à la solidarité
chrétienne, et les Eglises
occidentales ont répondu en critiquant
le projet de décret. Mais leur
position se basait sur l’exposé
mystificateur du patriarche, qui
soulignait que le décret exproprierait
des terres de l’Eglise. Mais je l’ai lu,
ce décret, et ce n’est pas vrai : le
décret rend la vente de terres de
l’Eglise à des tiers pratiquement
impossible. Après que le décret aura été
validé, le Patriarche aura le choix :
vendre les terres à l’Etat juif ou ne
rien vendre du tout. Ceci lui coupe
évidemment l’herbe sous les pieds, il ne
pourra plus empocher de pots-de-vin, et
cela ne fait pas vraiment de tort à
l’Eglise.
Les Palestiniens
chrétiens constituent une communauté
prospère et florissante. Ils sont plus
éduqués que les Juifs, ils sont à leur
place, chez eux, enracinés dans le sol
palestinien. Ils ont été et ils restent
actifs dans la bataille pour la
Palestine, ils sont souvent à la tête de
la résistance malgré leur nombre réduit.
Les noms qui viennent à l’esprit sont
ceux de Georges Habache, le dirigeant
chrétien du Front Populaire FPLP, et
celui d’Emile Habibi, le grand écrivain
palestinien. Ils sont en bons termes
avec les musulmans palestiniens, et ils
aimeraient le rester avec les juifs
aussi. On trouve une assez bonne notice
sur Wikipedia (en anglais) à leur sujet,
car même si elle est biaisée comme
d’habitude, l’historique des discussions
rétablit l’équilibre. On remarque tout
de suite l’omniprésence des opérateurs
sionistes bien connus (Jayig etc) mais
le message passe et cela permet de
comprendre le sujet, ce qui est
particulièrement difficile dans les
articles relatifs à la Palestine sur
Wikipedia.
Leur dirigeant
spirituel c’est l’archevêque
relativement jeune Theodosius Atallah
Hanna, travailleur acharné, qui, par une
coïncidence troublante, se trouve porter
le même nom (Atallah) que le dernier
patriarche palestinien avant la
confiscation du titre par les Grecs. Il
est très actif, il rencontre des
délégations tous les jours et publie
habituellement des compte-rendu sur sa
page
Facebook ou sur son autre
page; et son message est le suivant
: “Les Palestiniens chrétiens ne sont
pas une minorité en Palestine; il n’y a
pas de minorités en Palestine, mais des
gens qui se battent pour la liberté ».
Il est également
populaire chez les musulmans. Lors de la
récente confrontation autour de la
Mosquée Al Aqsa, il s’est rendu sur
l’esplanade en solidarité avec le mufti
de Jérusalem, qui est son ami personnel.
C’est un bon ami des juifs orthodoxes de
Neturei Karta, j’en ai été témoin en lui
faisant compagnie lors d’une visite de
condoléances. Il tente d’être ami aussi
avec les juifs, car il reconnaît qu’ils
ne sont pas près de quitter sa Palestine
chérie. Et naturellement, il n’a pas la
moindre animosité envers les Grecs,
parce qu’il a fait ses études en Grèce,
qu’il parle le grec couramment, qu’il se
rend souvent en Grèce et qu’il reconnaît
l’importance de la culture grecque pour
les Palestiniens chrétiens.
Il ferait un
nouveau patriarche parfait, qui mettrait
fin à la discorde, et amènerait la paix
et l’unité dans la plus vieille Eglise
chrétienne, créée par le Christ
lui-même. Les querelles de territoire
disparaîtraient, les Grecs
s’engrèneraient tranquillement avec les
Palestiniens ; ils perdraient leur
monopole mais préserveraient leur
position importante. Bref, ce serait un
personnage idéal pour incarner la
décolonisation, qui permettrait non
seulement aux Palestiniens natifs mais
aussi à d’autres chrétiens orthodoxes de
Terre sainte, en particulier aux
ex-juifs russes baptisés et aux Russes
ethniques, d’intégrer pleinement
l’Eglise, projet qui horrifie l’actuel
Patriarche Théophilos.
Il est d’ailleurs
bien connu au Moyen Orient. Il s’est
rendu en Syrie récemment, a visité les
monastères et églises orthodoxes, et a
rencontré le président Bachar al Assad
qu’il admire pour sa défense des
chrétiens face au carnage djihadiste. La
police israélienne tout comme les médias
israéliens l’ont attaqué, en réponse à
sa visite chez « l’ennemi », alors qu’il
ne faisait que remplir ses devoirs
ecclésiastiques. Les Russes l’aiment
ainsi que les Juifs baptisés en Israël
(il en baptise souvent, ainsi que leurs
enfants). C’est lui aussi qui nous a
baptisés, ma femme, mon fils et moi, et
j’en suis éternellement reconnaissant à
Sa Béatitude.
Et pourtant, les
militants palestiniens chrétiens qui
mènent actuellement leur intifada
contre le patriarche en titre pensent
que la meilleure solution pour cette
église tellement souffrante serait de se
passer de patriarche pendant quelques
années. Ils m’ont dit qu’ils
préféreraient que l’Eglise soit gérée
par un comité de trois évêques, parmi
lesquels l’archevêque Theodosius Atallah
Hanna, pendant quelque temps, ce qui
donnerait à l’Eglise l’occasion
d’établir de nouvelles règles pour
l’élection du patriarche, de façon à en
finir avec la règle héritée des Ottomans
consistant à demander son consentement
au souverain (autrement dit au
gouvernement israélien, à l’Autorité
palestinienne et au roi de Jordanie).
Cette règle avait ouvert l’Eglise
aux chantages. Le gouvernement israélien
refusait de donner son feu vert sauf si
le candidat promettait de donner
certaines terres de l’Eglise aux juifs.
Les rebelles ont une idée qui va plus
loin : il s’agirait de prendre des
décisions en matière d’économie (biens
fonciers ou salaires) en toute
indépendance du patriarche. Que le
patriarche gère les questions
spirituelles, les laïcs sont capables de
s’occuper des problèmes matériels,
disent-ils.
Le patriarche
attend la suite avec une certaine
appréhension. Il mobilise toutes les
ressources de l’Eglise pour acheter ceux
qui ont du poids dans le cadre de
l’Autorité palestinienne, auprès des
princes jordaniens et parmi les
officiels israéliens. Les Palestiniens
parlent de vastes terrains promis au
prince Ghazi bin Muhammad de Jordanie,
pour s’attirer en retour la loyauté de
la maison royale jordanienne. Les
Israéliens ont d’ores et déjà reçu des
cadeaux encore plus généreux, et les
officiels de l’Autorité palestinienne
n’ont pas été oubliés non plus.
Les Russes
pourraient peser sur l’issue de la
querelle, mais ils n’ont aucune envie
d’interférer dans les affaires de cette
Eglise sœur. En privé, ils font état de
leur sympathie pour la cause
palestinienne, mais ne veulent pas
mettre en danger leurs rapports avec les
patriarcats de Jérusalem ni de
Constantinople. Ceux-ci peuvent
tristement riposter en acceptant les
exigences des évêques ukrainiens qui
réclament une reconnaissance, et en
général ils causent plus de problèmes
que de juste, pour les Russes.
C’est pour cette
raison qu’il est bien difficile de
prédire comment la bataille prendra fin,
si le rusé patriarche sauvera sa
position et la domination grecque sur
l’Eglise, en garantissant chaque fois
plus de terres aux gens qui sont au
pouvoir, ou si cette intifada
palestinienne l’emportera au final, avec
une Eglise indépendante de ses colons
grecs. Il est probable que la meilleure
force capable de venir à bout
pacifiquement de la rivalité viendra de
Grèce, du peuple grec, car il est
capable de comprendre le problème et de
faire ce qu’il prêche aux autres
pouvoirs coloniaux, très précisément
d’en finir avec la colonisation et
l’occupation. Faute de quoi, le sort de
la plus ancienne Eglise chrétienne au
monde est incertain.
Pour joindre
l'auteur: adam@israelshamir.net
Traduction et note:
Maria Poumier
Publication
originale: The
Unz Review.
[1] Voir l’article de Claire
Bastié « A Jérusalem la vente de
biens de l’Eglise grecque orthodoxe
provoque de fortes tensions »
https://www.la-croix.com/Religion/Orthodoxie/A-Jerusalem-vente-biens-lEglise-grecque-orthodoxe-provoque-fortes-tensions-2017-09-12-1200876239
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