PANAMZA
Nicolas Sarkozy, du fichage policier des
musulmans pratiquants aux réunions
secrètes sur l’islam
Hicham Hamza
Photo:
D.R.
Jeudi 4 juin 2015
Pour retourner à l’Elysée,
Nicolas Sarkozy ressort la carte de
l’islamophobie afin d’attirer les
électeurs du Front national. Plus qu’une
tactique conjoncturelle, la
stigmatisation des musulmans fait partie
intégrante de la stratégie politique
menée depuis huit ans par l'ancien chef
d'Etat. Illustration.
Identité nationale, burqa, refus
du
voile à l'université, menus de
substitution dans les cantines, prières
de rue, nounous voilées, réservations de
piscine, obsession chronique au sujet
de Tariq Ramadan, mise en avant d'Hassen
Chalghoumi, expulsion en fanfare
d’imams marginaux, entre autres gadgets
: l’islam comme objet de terreur
exotique a considérablement été exploité
par les pouvoirs publics, la majorité
présidentielle ou l'opposition depuis
2007. Nombre de commentateurs indulgents
y ont vu une simple volonté
électoraliste de la part -notamment- de
l'ex-UMP, désireuse de récupérer les
voix du Front national. C’est ignorer
pourtant un aspect fondamental -et
jamais débattu- de la politique mise en
oeuvre par Nicolas Sarkozy durant son
mandat : le fichage policier d’une part
croissante de la population musulmane
française.
Une information édifiante
figure en ce sens dans un ouvrage publié
en 2012 et intitulé L’espion
du président. La brillante
enquête menée par les journalistes
Olivia Recasens, Didier Hassoux et
Christophe Labbé confirme ce qui faisait
auparavant l’objet d’une rumeur dans les
cercles associatifs musulmans. Extrait
issu du chapitre 18:
Cristina, fichier de la
DCRI, recense tous ceux qui peuvent
de près ou de loin porter atteinte à
la sécurité du territoire.
Concernant la communauté musulmane,
Cristina est doté d’un véritable
estomac d’autruche, avalant un peu
tout et n’importe qui. Chaque année,
les départs à La Mecque, suivis avec
attention par les antennes DCRI des
aéroports parisiens, sont l’occasion
d’y faire entrer de nouveaux noms.
Parmi ces pèlerins, beaucoup n’ont
aucun lien avec un quelconque
islamisme radical. La « répression
préventive », c’est le leitmotiv du
Squale en matière de terrorisme.
Police politique
Le « Squale » était le surnom
prêté à Bernard Squarcini,
ex-responsable de la Direction centrale
du renseignement intérieur (et
proche de l'ancien président du
CRIF). Cette structure policière
(ex-DCRI, désormais remplacée par la
DGSI) est née en 2008 à la suite de la
fusion entre les RG et la DST. Quant au
fichier Cristina, celui-ci constitue la
base de données, classée "secret-défense", dans
laquelle figurent les noms des dizaines
de milliers de Français, soupçonnés de
pouvoir porter atteinte "aux
intérets fondamentaux de la Nation".
Son domaine spécifique et officiel : la lutte
contre le terrorisme associée au
contre-espionnage. Sur un plan pratique,
le fichier Cristina,
amplifiant la collecte des
renseignements dévolus depuis 1997 à la
DST, est essentiellement géré par ce qui
était dénommé -au sein de
l'ancienne DCRI- la "sous-division
R". Ce groupe de policiers, alors
dirigé par le commissaire divisionnaire
Stéphane Tijardovic, opère dans une
opacité totale. Comme le révèle L’espion
du président, ils sont également
habilités, sans contrôle d’une autorité
indépendante, à mettre sur écoute, par
téléphone ou internet, quiconque leur
paraîtra susceptible, en raison de sa
"radicalité"
(terme-prétexte nébuleux par
excellence), de devoir faire l’objet
d’une surveillance particulière. De
même, ils pratiquent au besoin le
"siphonage" à distance des disques
durs ou la sonorisation des appartements
après avoir commis une effraction
indolore de la porte d’entrée. Leur
règle selon les auteurs de l’enquête :
le "pas vu, pas pris".
Précision d'actualité : la loi
Renseignement, voulue par Manuel Valls
et en cours d'adoption par le Parlement,
vient essentiellement entériner, couvrir
et valider ces pratiques illégales.
Le chapitre 18 de l’ouvrage
révèle en détail l’instrumentalisation
politique de l’anti-terrorisme :
lorsqu’il s’agissait ainsi d’étouffer
une affaire compromettante pour
l’Elysée, l'ex-patron de la DCRI savait
pratiquer la diversion de médias
complaisants en faisant "fuiter" tel
ou tel pseudo-danger imminent associé à
l’islamisme. Quant au fichier Cristina,
instauré depuis
2008 et emblématique des dérives du
pouvoir, il est le fruit de la rencontre
entre le sarkozysme ultra-sécuritaire
aux penchants islamophobes et la haute
technologie dédiée à la surveillance
policière. Contrairement
au fichier Edvige, largement débattu
en raison de son intrusion dans la vie
privée des militants syndicaux ou
associatifs, le fichier Cristina, plus
focalisé sur la menace
"islamo-terroriste", n’a pas fait
l’objet d’une controverse depuis sa mise
en place.
Davantage que le discours
relatif au halal ou à la burqa, cette
inscription policière de plus en plus de
musulmans français, devenus soudainement
suspects en raison de leur pèlerinage à
La Mecque, en dit long sur le clan
sarkozyste. Un groupe d’hommes et de
femmes -digne par ses pratiques secrètes
d’un cartel- qui n’hésitait pourtant pas
à pousser des cris d’orfraie lorsque les
éditorialistes de l’Humanité dénonçaient
le pétainisme rampant de Nicolas
Sarkozy. Un parallèle historique est
pourtant envisageable : le dernier homme
d’Etat a avoir fiché à
grande échelle des individus en raison
de leur identité religieuse se nommait
précisément Philippe Pétain.
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