Afrique du Nord
Pourquoi la Tunisie ?
Hedy Belhassine
Lundi 23 mars 2015
Nous sommes en juillet 1954, alors que
les congés payés estivent, Pierre Mendès
France atterrit ce beau matin à Tunis.
Flanqué du Maréchal Juin, il se rend
chez le Bey annoncer sa décision
d'accorder l'autonomie interne à la
Tunisie. A Paris et dans le monde
entier, la surprise est générale. La
France décolonise, c'est incroyable !
L'irrévocable processus aboutira le 20
mars 1956 à l'indépendance. Depuis, pour
tous les Tunisiens, la France, c'est
Mendès, l'ami fidèle, pour l'éternité.
Ce 20 mars 2015, la
Tunisie célèbre tristement sa fête
nationale. Elle est endeuillée par des
barbares qui ont fusillé des touristes
dans le musée du Palais du Bardo, le
lieu même où Pierre Mendès France
s'était incliné devant le Bey. Le
ministre français de l'intérieur est
venu déposer une gerbe de fleurs sur les
flaques de sang à peine séché. Le
Président Hollande ne s'est pas déplacé.
Emploi du temps chargé, autres
priorités, « gouverner, c'est choisir »,
peut-être même que nul n'y a
pensé...Encore un rendez-vous manqué
avec l'histoire !
La Tunisie est la
seule démocratie arabe. Une sur 22. La
seule démocratie musulmane. Une sur 56.
Cette singularité vertueuse mériterait
que la bien pensante communauté
internationale se cotise pour
transformer cette petite nation de 10
millions d'habitants en modèle
universel. Mais la France est fauchée,
l'Europe regarde ailleurs, l'Amérique du
Nord est aux abonnés absents. L'Occident
fidèle à sa politique du double standard
n'a toujours pas décolonisé son
inconscient. La France cache la réalité
de son devenir commun avec l'Afrique du
Nord alors que des millions de citoyens
portent leur nationalité en doublon.
Paris refuse de constater que le feu
gagne et que la Tunisie, au train où
vont les choses, risque de tomber sous
la coupe de l'État Islamique comme
l'Irak, comme la Syrie, comme la Libye
voisine...
Car l'attentat du
Bardo est l'étape d'un processus de
conquête territoriale et non pas comme
ceux de Paris une forme hideuse de
chantage. Au terme d'une campagne de
terreur et de déstabilisation des
institutions, il est probable que les
Toyota mitrailleuses surgiront à
l'assaut des villes selon un scénario
rodé.
Le pays est
fragile, fracturé entre le littoral du
nord qui prospère et le reste qui
désespère. Un taux de désœuvrement
record contraint la jeunesse à s'exiler
vers l'aventure à risque. Le choix est
simple : tenter la traversée vers
Lampedusa ou partir au jihad. Le chemin
vers l'Europe est humiliant et
incertain, celui du Levant offre la
gloire et la solde. Dans les deux cas,
on risque sa peau par noyade ou par
balle. Le passeur exige 2000 dollars
pour prix de l'évasion vers l'Europe, le
recruteur de l'IS offre 600 à 1000
dollars par mois et la garantie de
l'emploi. Voici pourquoi, six mille
mercenaires tunisiens combattent aux
côtés de Daech en Libye et au Syrakistan
où plusieurs d'entre eux occupent des
postes au sommet du commandement.
Mais si le Califat
veut occuper la Tunisie, ce n'est pas
pour s'approprier des richesses qu'elle
n'a pas, ni pour la punir d'avoir osé la
démocratie, c'est parce qu'elle figure
sur la carte de la reconquête de
l'empire arabe et que l'entité
théologique a besoin d'une capitale qui
sera le centre géométrique de son
rayonnement universel.
La Mecque, Médine
et Al Qods (Jérusalem) sont totalement
inaccessibles, reste Kairouan, quatrième
ville sainte de l'islam.
Cette ville située à 160 km de Tunis au
milieu de nul part est « un désert
jaune, illimité... horizon infiniment
vide et triste et plus poignant que le
Sahara lui-même. " C'est une étape
sur la route de Sidi Bouzid, Gafsa et
vers les palmeraies du Jérid. C'est une
excursion à une heure des plages de
Hammamet. Les touristes vont y admirer
la plus belle et la plus ancienne des
mosquées fondée en 670 par le Général
Aqba Ibn Al Fihri, qui islamisa
l'Afrique du Nord à la tête d'un « peuple
fanatique, errant, à peine capable de
construire des murs, venu sur une terre
couverte de ruines laissées par ses
prédécesseurs, y ramassa partout ce qui
lui parut le plus beau, et, à son tour,
avec ces débris de même style et de même
ordre, éleva, mû par une inspiration
sublime, une demeure à son Dieu, une
demeure faite de morceaux arrachés aux
villes croulantes, mais aussi parfaite
et aussi magnifique que les plus pures
conceptions des plus grands tailleurs de
pierre... " Guy de Maupassant « De
Tunis à Kairouan »Les touristes de
passage s'attardent aussi, le temps d'un
selfie devant l'imposant bassin des
Aghlabides, du nom de la dynastie
d'émirs qui régnèrent sur l'Ifriquiya -
Algérie, Tunisie, Tripolitaine, Sicile,
Sardaigne, Malte - avant de céder la
place aux Fatimides chiites dont
l'empire se déploya au Maroc, en Egypte
et au Levant.
Lieu de pèlerinage, la Sainte Kairouan
est dans l'inconscient collectif arabe
le quartier général des campagnes
militaires victorieuses de l'âge d'or de
la civilisation islamique.
Qui défendra
Kairouan contre les hordes de barbares ?
La ville n'est pas
gardée par une puissante garnison et
quand bien même ; Mossoul était défendue
par 35 000 soldats irakiens,
l'équivalent de l'armée tunisienne tout
entière ! Qui viendra à son secours et
dépêchera des troupes au sol ? L'armée
algérienne n'a pas constitutionnellement
le droit de sortir de ses frontières. Le
Maroc est à trois mille kilomètres. La
fantomatique force d'action rapide
européenne ? Les USA derrière
l'OTAN ?... Les enfants de la France de
Mendes ?
Pour défendre
Kairouan, il faudra comme aux temps
héroïques, compter sur le seul
rassemblement des tribus, les Zlass,
Fraichis, Methaliths, Hamama, Souassi,
Ouled Ayar et autres Ouled Aoun qui
retenant l'histoire de leurs ancêtres,
se lèveront en masse pour protéger
l'unité et l'indépendance de notre
vaillante Tunisie.
« Car c'est
ainsi qu'Allah est grand ! »
Publié le 25 mars 2015
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